André Gaillard a enseigné l’architecture, mais n’a pas
professé: pas de cours, pas de manuel, un travail à la
table, crayon en main, sur le vif1.Il n’a pas non plus écrit:
pas d’ouvrage à propos de sa vision de l’architecture ou
sur sa pratique2.Malgré sa participation de 1961 à 1965
au comité d’Architecture, formes, fonctions, pas d’article
àune exception près: il signe un texte, dans l’édition
1963-1964, consacré à de nouvelles stations touristiques
en montagne. Ce court article est révélateur de l’intérêt
que porte André Gaillard à cette question qui demeurera
au centre de sa pratique du projet urbanistique et archi-
tectural pendant plusieurs décennies. Il évoque, plus par-
ticulièrement par son illustration, trois projets dans les-
quels il est impliqué: Flaine, Aminona et Leontica Nara;
d’abord dans le rôle du projeteur-conseil, puis avec la
double casquette du promoteur-architecte.
Chercheur d’or, blanc ou bleu
Dès 1959, André Gaillard, souvent avec son frère, entre-
prend de rechercher des sites disponibles où projeter sta-
tions balnéaires ou de sports d’hiver.Ses recherches en
Haïti aboutissent à l’achat de plusieurs bandes côtières;
plus tard, il achète des terrains en Espagne, dans le delta
de l’Ebre. Plus près de chez lui, c’est l’amateur de ski qui
acquiert, en 1957 déjà, des terrains à Vercorin: ce sera là
l’un de ses premiers projets d’ensemble résidentiel de
vacances qui s’appuie sur les équipements existants du
village. Sa réalisation sera longtemps différée puisque ce
n’est qu’en 1970 qu’un plan de quartier sera mis à l’en-
quête, puis partiellement réalisé3.
La boulimie de projets d’André Gaillard le conduit, avec
quelques amis genevois, en France voisine et débouche
sur l’une des aventures les plus intéressantes du tour-
nant des années 1960: la construction de la station de
Flaine, sur les plans de Marcel Breuer. Comment André
Gaillard se retrouve-t-il associé à ce projet ? Les infor-
mations à ce propos sont minces et dispersées.
Quelques documents conservés dans le fonds André
Gaillard déposé aux Archives de la construction moderne-
EPFL m’ont intriguée4.Il s’agit d’un projet de 1959 pour
le centre – ou le forum – d’une station de ski à créer à
Arbaron, soit un ensemble de surfaces commerciales
(magasins, restaurants, bars) et de loisirs (cinéma, pati-
noire, piscine, dancing), fragment d’un projet de plus
grande envergure; les autres dessins, documentant pro-
bablement les lieux de résidence, ont disparu. Le site est
sur une crête à un peu plus de 1900 mètres d’altitude,
au-dessus des Carroz, d’où l’on redescend par une déni-
vellation de 300 mètres sur Flaine. Ces documents sont
probablement les seules traces qui subsistent de ce pro-
jet de station qui place André Gaillardsur le chemin du
promoteur de Flaine, Eric Boissonnas. Ils contribuent à
éclairer les circonstances de sa participation à ce projet
Le site de Flaine est repéré en 1953 déjà par Gérard
Chervaz, architecte genevois épris de montagne. Mis en
relation avec Eric Boissonnas qui désire investir des capi-
taux dans la création d’une station de ski dans les Alpes,
il lui fait découvrir le site en mars 1959, depuis un col
atteint à peaux de phoque5:une vaste combe située à
une altitude moyenne de 2000 mètres qui offre la possi-
bilité de créer une station de ski et un vaste réseau de
pistes, là même où le groupe genevois avait obtenu une
concession de quelques hectares et projetait la création
d’une station. André Gaillard se retrouve alors au cœur
du dispositif d’Eric Boissonnas, qu’il finit par intégrer: «[Il]
était conseiller du groupe suisse qui, en prenant une
Construire la montagne
Martine Jaquet 43
Plan du centre de la station de ski d’Arbaron
et façade sud, juillet 1959.