
218 O. Cottencin et al.
avons, à ce titre, défini trois types de patients qui se pré-
sentent en consultation [8].
Touriste, plaignant ou client
«Les patients ‘‘touristes’’ ou ‘‘non concernés’’ »disent
ne pas avoir de problème et consultent parce que
quelqu’un les a envoyés (précontemplation). Outre le sen-
timent d’incompréhension qu’ils ressentent (puisqu’ils ne
s’attribuent pas le problème), ces patients ne sont pas moti-
vés à changer le comportement qu’on leur reproche. La
thérapie avec ces patients est possible, mais plus aléatoire
et impose de travailler différemment. On commencera donc
par introduire une triangulation avec le demandeur, car le
patient a effectivement un problème... mais avec le deman-
deur. Plutôt que de discuter les torts ou les raisons qui
l’amènent, nous proposons au patient de voir comment se
débarrasser de la demande qu’il ne s’attribue pas. Le théra-
peute n’est alors ni l’allié du demandeur ni celui du patient,
mais devient un médiateur, comme dans toute triangula-
tion. Cette première étape devient alors un bon moyen pour
rechercher si le patient a une autre plainte (différente de
celle du demandeur). Envoyé parce qu’il boit trop par sa
femme, le patient peut proposer de modifier un aspect de sa
vie de couple. Bien évidemment, l’alcool a fait des dégâts
depuis lors et il devra en rendre compte, mais le patient
ne pourra pas faire autrement que d’aborder également le
point de vue de sa femme. Un «touriste »peut donc être mis
au travail, mais jamais sur sa plainte (puisqu’il n’en a pas).
«Les patients ‘‘plaignants’’ ou ‘‘victimes’’ »se plaignent
et consultent parce qu’ils attribuent la responsabilité de
leur problème à autrui ou aux événements de la vie : dans
tous les cas, il s’agit d’une attribution «externe »à eux-
mêmes. C’est l’autre qui devrait consulter, la vie qu’il
faudrait changer, pas eux ! En plus du fait qu’ils attendent
de recevoir en échange de leur plainte un soutien affec-
tif, ils n’abordent jamais leur part de responsabilité dans
leurs relations et affirment ne pas pouvoir faire autrement
que de garder leur comportement. Ainsi, le premier travail
consiste à aider ce type de patient à distinguer ce qu’il
pense dépendre de lui ou non. C’est ce qui lui permettra
de prendre la responsabilité de changer ce qui le fait souf-
frir et d’accepter ce qu’il ne peut changer. Il apprendra ainsi
que l’autre ne changera pas et que lui seul peut changer. Il
comprendra qu’il ne peut arrêter ses conduites addictives
que pour lui-même.
«Les patients ‘‘clients’’ », quant à eux, sont très
recherchés par les thérapeutes. Ils consultent parce qu’ils
considèrent qu’ils ont un problème qui ne dépend que
d’eux-mêmes et souhaitent de l’aide pour être actifs à la
résolution de ce dernier. Ils admettent d’emblée avoir la
capacité à changer ce qui dépend d’eux et à accepter ce
qui ne dépend pas d’eux, la thérapie les aidant souvent
à distinguer l’un de l’autre. En thérapie, avoir un profil
autre que celui d’un client est considéré comme un frein,
pourtant force est de constater qu’en matière d’addictions,
les patients «clients »sont bien rares.
Car changer n’est pas facile
«Il est toujours difficile de renoncer aux idées qui ont guidé
nos actions et notre pensée durant de nombreuses années »
[16]. Il apparaît donc que, quel que soit le domaine abordé,
l’on ne change que si l’on y est contraint par un élément
externe ou si l’on a l’intime conviction que l’on peut en tirer
des bénéfices. Donc, changer est un phénomène complexe,
incertain, qui suppose d’abandonner un état d’équilibre.
Aussi précaire que soit ce dernier, il a au moins l’avantage
de donner l’illusion de la maîtrise et d’être rassurant. Et
contrairement à ce que pense celui qui ne vit pas ce pro-
blème : il apporte la sécurité de l’habitude. Ainsi le quitter
pour un état inconnu, même s’il est prometteur, reste une
démarche qui n’est pas aisée et qui fait peur.
De plus, changer implique aussi de déranger un certain
agencement d’individus en interaction, qui se défendent, se
réorganisent et ne se laissent pas facilement manipuler. Si
cette démarche est difficile pour chacun d’entre nous, qui
sommes supposés vivre de fac¸on «stable »dans un environ-
nement «sain », elle l’est d’autant plus quand elle concerne
un individu consommant un produit qui change sa vision de
la réalité au quotidien. Pour un patient vivant dans une
dépendance totale vis-à-vis de son entourage, du fait de son
addiction, «la guérison »peut avoir des conséquences diffi-
ciles à supporter : arrêter le toxique c’est aussi reprendre
une vie active, (ré)endosser des responsabilités profession-
nelles et familiales (rôle de conjoint, de père, de mère...).
Il apparaît parfois plus économique de ne pas changer.
Le changement ne peut donc pas être issu d’une seule
causalité linéaire. Il provient d’un jeu d’interactions circu-
laires complexes où il est souvent impossible de trouver une
seule origine à un état de fait. Tout, à un moment donné,
s’est ajusté pour qu’il en soit ainsi. Il n’est d’ailleurs proba-
blement pas anodin que les thérapies dites «brèves »aient
émergé et trouvé leurs premières applications alors que le
monde subissait le cataclysme de la Seconde Guerre mon-
diale. Tous les systèmes, en particulier humains, tendent
vers l’homéostasie. L’univers psychique n’échappe pas à la
règle et la rencontre avec un thérapeute qui prétendrait
proposer un changement ne peut être vécu que comme une
intrusion agressive et menac¸ante. Tout changement de com-
portement, si l’on veut qu’il soit adopté par le patient, doit
faire la preuve de son intérêt pour ce dernier.
Conclusion
L’approche motivationnelle prônée par Miller et Rollnick
[12] depuis les années 1990 est une approche psychothéra-
peutique très utilisée, dont l’efficacité est reconnue [2,14]
au même titre que d’autres approches dites psychosociales
(thérapie de renforcement, traitement de facilitation en
12 étapes, thérapies cognitivocomportementales, thérapies
familiales, management des contingences, renforcement
communautaire) [13], même si McKay remettait récemment
en cause la méthodologie des études d’efficacité [11].
Notre vision brève, concrète, communicationnelle se
veut seulement pragmatique et donc en accord avec
cette conception nouvelle de l’addictologie qui intervient
aujourd’hui de plus en plus tôt avec des patients moins ins-
crits dans la démarche thérapeutique. L’accent que nous
mettons sur la contrainte (cachée ou non) se veut un
complément de réflexion s’inscrivant dans la mouvance thé-
rapeutique actuelle des addictions qui propose aujourd’hui
que l’on intègre plusieurs modèles.