LA TECHNIQUE BETTERAVIÈRE n° 941 du 21 décembre 2010 Evolution des rendements depuis 1990 : un effet favorable du changement climatique ? e changement climatique semble avoir eu un rôle dans la forte progression des rendements de la betterave sucrière depuis les 20 dernières années. C’est essentiellement la première phase de la culture jusqu’en juillet qui marque un progrès notable. Des simulations réalisées avec les modèles climatiques Sucros et Previbet montrent que la moitié du progrès résulte du climat, et en particulier de la température, qui a eu pour effet d’accélérer la mise en place du couvert. L’autre moitié du progrès est liée à l’évolution génétique et aux techniques culturales, notamment l’avancement des dates de semis. Le progrès génétique garde un rôle essentiel car il a permis une adaptation aux évolutions du contexte pathogène qui évolue lui-même au gré du climat. Une analyse rétrospective des 20 dernières années permet de faire des hypothèses sur l’origine de l’augmentation des rendements. L Graphique 1 Une progression remarquable du rendement Evolution du rendement en sucre acheté (t/ha) Moyenne nationale 1990-2009 Depuis la fin des années 1950, les rendements de la betterave sucrière progressent à un rythme soutenu. Le record de 14,5 tonnes de sucre/ha a été atteint en 2009. La courbe de tendance faite à partir de 1990 (graphique 1) met en évidence une augmentation moyenne de 180 kg/ha/an de sucre. On estime généralement que ce progrès est dû pour moitié à l’amélioration variétale. L’autre moitié est attribuée aux évolutions des itinéraires techniques : qualité de l’implantation, du désherbage, des protections phytosanitaires qui se mettent en place et atteignent leur point haut au milieu des années 80. 15 Chaque année, les sucreries réalisent des prélèvements dans des parcelles d’agriculteurs à partir du 1er août afin d’évaluer le potentiel de rendement de l’année. L’ITB a analysé la série des prélèvements consolidés au niveau national par le Syndicat National des Fabricants de Sucre (SNFS) depuis 1978 (graphique 2). Cette étude démontre un résultat remarquable : la presque totalité du progrès de rendement acquis pendant ces 21 années l’est dès le premier prélèvement du 1er août ! En effet, l’évolution interannuelle du rendement en sucre met en évidence une progression moyenne de 164 kg/ha/an de sucre sur la période qui sépare le semis et le 1er août. La seconde période du 1er août à la récolte est responsable d’un gain de 36 kg/ha/an. C’est donc avant le 1er août qu’est réalisé l’essentiel du progrès des rendements. 9 14 y = 0,1801x - 348,59 13 12 11 10 8 Source CGB 7 1989 1994 1999 2004 2009 Graphique 2 Accumulation de sucre t/ha du semis au 01/08 Accumulation de sucre du 01/08 à la récolte 1978-2009 Le rôle du climat ? 10 9 8 sucre t/ha Dans le but d’évaluer la part du climat dans la progression des rendements, l’ITB a utilisé 2 modèles climatiques qui ne prennent en compte ni le progrès génétique ni les techniques culturales. Le premier modèle est Sucros développé par l’université de Wageningen, aux Pays-Bas, puis re-paramétré dans les conditions françaises par l’INRA. Le deuxième modèle est Previbet développé par l’ITB qui simule la production journalière de sucre à partir du stade “couverture du sol”, soit aux environs du 15 juin. Les facteurs climatiques pris en compte dans ces 2 modèles sont les températures minimale et maximale, le rayonnement, l’ETP, la pluviométrie et la photopériode. Nous avons donc choisi de coupler ces 2 modèles : Sucros pour la période du semis au 15 juin et Previbet pour la période du 15 juin à la récolte. Des simulations ont été réalisées sur toute la série des 20 dernières années en considérant des dates de semis et de récolte constantes (1er avril / 20 octobre) afin d’isoler uniquement l’effet du climat sur cette période. y = 0,1637x - 320,94 7 6 5 y = 0,0358x - 66,653 4 3 2 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 Analyse des prélèvements des sucreries au 1er août (en rouge) et au 15 septembre (points bleus) : l’essentiel des gains de rendement est réalisé avant le 1er août. www.itbfr.org • L’information en temp réel • Les avis de traitement • Les notes d’information • Les actualités régionales au quotidien en photos • Un moteur de recherche sur la documentation I LA TECHNIQUE BETTERAVIÈRE Graphique 3 Modélisation des rendements sous l'effet du climat Rendements réels (t de sucre /ha) 16 15 14 13 Ces simulations montrent donc qu’une large part de l’augmentation du rendement, qui se fait essentiellement au cours de la première période de la culture, est liée au climat. Si l’on cumule les simulations obtenues en utilisant Sucros jusqu’au 15 juin puis Previbet jusqu’au 20 octobre on obtient une progression totale de rendement de 94 kg/ha/an (graphique 3), à comparer aux 180 kg/ha effectivement observés. On peut donc considérer que l’évolution climatique est responsable directement d’une bonne moitié du progrès des rendements. Si l’on considère que, pendant la phase d’implantation qui, on l’a vu, est déterminante, il n’y a pas de stress hydrique, c’est alors essentiellement la température qui peut expliquer les gains. Nous n’observons pas d’augmentation du rayonnement sur la station climatique considérée. Si l’on regarde l’évolution du cumul de température entre le 1er avril et le 15 juin depuis 1990, on constate en effet une tendance à la hausse dans les régions betteravières. En 2010, on accumule 60° jours de plus qu’en 1990. Cette augmentation de température stimule en phase précoce la croissance du bouquet foliaire. Ainsi, le stade “couverture du sol” est atteint plus tôt en juin, ce qui permet d’optimiser l’interception du rayonnement lumineux converti par la plante en biomasse puis en sucre. L’autre moitié du progrès peut être lié à la qualité des semences, l’amélioration génétique en général et aussi à l’amélioration des techniques culturales comme l’avancement des dates de semis (qui n’est pas indépendante des hausses de températures au printemps), l’effet des restructurations d’usines qui concentre les productions dans les meilleures terres, etc…. L’avancement des dates de semis constatées est de 4 jours sur la période considérée. On peut créditer cette avance de 3 % de gain de rendement. De même récemment (2007), la technique d’activation des semences a permis des vitesses de levée plus rapides de l’ordre de 2 jours permettant un gain potentiel de rendement de près de 2 %. Pour le progrès génétique, on ne sait pas le mesurer objectivement car les variétés ne sont pas fixées et qu’on a un renouvellement très rapide des variétés commerciales. On peut remarquer que, pendant cette période, les changements de génétique ont été très forts : basculement complet vers des variétés résistantes à la rhizomanie, développement de variétés tolérantes au nématode. Ce développement a été dicté par l’évolution du contexte pathologique qui est, peut-être lui aussi, le fruit du changement climatique. 12 11 10 Augmentation réelle : + 180 kg de sucre/ha/an 9 8 1989 1994 1999 2004 Graphique 4 Evolution du ratio Feuilles/Racine Feuilles vertes SNFS du 1er septembre 80 70 Poids des racines (t/ha) 60 50 40 30 Poids des feuilles (t/ha) Conclusions Les éléments présentés sont autant d’arguments qui plaident en faveur d’un poids important des hausses des températures au printemps pour expliquer le progrès des rendements en sucre des betteraves enregistrés durant les 20 dernières années. Pourquoi la betterave profite-t-elle du changement climatique plus que d’autres cultures ? La betterave apparaît comme un modèle plus simple à croissance indéfinie pendant la phase de culture et ne présentant aucun stade critique ni vis-à-vis des températures ni du stress hydrique estival. II 2009 Part du climat dans l’augmentation des rendements. La courbe bleue représente les rendements modélisés avec les modèles Sucros (du 1er avril au 15 juin) et Previbet (du 16 juin au 20 octobre) à dates de semis et de récolte constantes. 20 Un dernier point mérite d’être souligné : l’évolution du ratio entre le poids de feuilles et le poids du pivot. Nous pouvons mesurer son évolution grâce aux prélèvements réalisés par les sucreries. Ainsi, au dernier prélèvement du 1er septembre, on observe une forte évolution en faveur des racines et au détriment des feuilles (graphique 4). Ce résultat peut être le fruit de la sélection mais également du climat puisque la biomasse est dirigée préférentiellement vers la racine à un stade proche de la couverture du sol. L’augmentation des températures ayant permis d’avancer la date de couverture, il est logique que le basculement dans l’allocation des assimilats au profit de la racine s’opère plus tôt. Augmentation due au climat : + 94 kg de sucre/ha/an 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Le modèle Sucros met en évidence une augmentation interannuelle de 60 kg/ha/an qui résulte uniquement de l’évolution climatique sur une période de végétation standard du 1er avril au 15 juin. Cette progression est remarquable compte tenu de la courte période sur laquelle est faite la simulation : 75 jours sur un cycle total de 200 jours ! Le modèle Previbet, utilisé sur la période du 15 juin à la récolte, met en évidence une augmentation interannuelle de 34 kg/ha/an. Ces simulations montrent que la phase d’implantation de la betterave du semis à la couverture se fait dans des conditions climatiques de plus en plus favorables à la croissance. En parallèle, les connaissances sur la betterave ont montré que la qualité de cette phase d’implantation est primordiale pour atteindre des rendements élevés.