L`économie informelle comme facteur de dérégulation de l`économie

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L’économie informelle, facteur de dérégulation de l’économie formelle française et roumaine
Philippe Duez1, Université dArtois, et Ioan Radu2, Académie des sciences économiques de Roumanie
Résumé
Nous proposons dans ce papier de faire de l’économie informelle un concept analytique fort pour mieux comprendre
ce qui se joue quand l’économie formelle se rétracte ou est en crise. L’économie informelle sera alors vue comme une
économie illicite qui se situe en dehors des principes de régulation ou comme une contre économie. Nous
regarderons plus particulièrement le cas de la France et de la Roumanie.
Mots clés : crise économique, transition, informalité, contrat social, mode de développement
JEL : O17 P51
The shadow economy calls into question the economic regulation of French and Romanian
formal economy
Abstract
In this paper we purpose to make of the shadow economy a strong analytic concept to understand better the way
taked by formal economy which is retract or is in crisis. The informal economy will be seen as a grey economy which
is out of the principle of regulation or like an alternative economy. We will look at particularly the case of France and
of Romania.
Keywords: economic crisis, transition, shadow economy, social contract, type of development
1 LEM UMR 8179, [email protected]
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Introduction
Parler d’économie informelle en France ou en Roumanie ne va pas forcément de soi. A l’origine le terme
fut employé dans un rapport du Bureau international du travail de 1972 pour désigner certaines pratiques
observées au Kenya et pour mettre en évidence la dualité économique qui régnait dans de nombreux pays
en développement. Les pratiques évoquées renvoient à différentes façons de penser les relations de travail
et la finance. Aujourd’hui parler d’économie informelle pour les pays développés est un fait acquis (Adair
1995). Le concept est aussi employé pour parler des anciens pays de l’Europe de l’est en transition
(Lautier 2004). On parle d’ailleurs plutôt pour ce type de pays d’économie non observée ou non
structurée. Elle se développe d’ailleurs dans tous les pays quand l’économie officielle se rétracte ou est en
crise (Presvalou 1994, OCDE 2003, Schneider 2010).
Dans ce papier nous soutenons l’hypothèse que l’économie informelle est facteur de régulation de
l’économie formelle parce qu’elle y introduit une dose plus ou moins forte d’informalité synonyme de
rétractation de l’économie formelle et de conflit entre différents principes de régulation. L’économie
informelle peut alors être vue soit sous l’angle d’une économie souterraine ou illicite se situant en dehors
des principes de régulation de l’économie formelle et posant des problèmes en termes de contrat social
soit sous forme de contre-économie ou d’économie alternative. Il s’agit donc de faire du concept
d’économie informelle un concept analytique fort permettant de comprendre ce qui se joue dans la
régulation de l’économie et non un concept analytique faible (De Miras dans Lautier et alii 1991). Au
passage nous laisserons de côté l’épineuse question de la mesure statistique de l’informalité. Les chiffres
qui seront donnés auront donc un caractère indicatif et rendront compte des enjeux sans toutefois
prétendre couvrir l’ensemble du champ de l’économie informelle.
Dans une première partie nous reviendrons sur les conditions de rétractation de l’économie formelle dans
les deux pays. Dans une deuxième partie nous ferons le lien entre modes de régulation et type
d’informalités pouvant intervenir dans les deux pays. Dans les deux parties suivantes nous évoquerons les
enjeux liées à ces différentes informalités compte tenu du contexte économique social et politique de
chaque pays. Nous conclurons par l’évocation des différentes formes d’économies alternative qui ont
pourtant le vent en poupe.
1. La rétractation de l’économie formelle liée à la crise
Dans ce papier nous proposons une approche synthétique de cette rétractation sachant que ces éléments
font l’objet d’un consensus dans la littérature économique sur les deux pays.
1.1 Une rétractation qui s’accélère dans les années 2000
En France, la rétractation de l’économie formelle peut être présentée comme la période des quarante
douloureuses faisant suite aux trente glorieuses. Durant cette période la rétractation de l’économie
marchande se traduit par une désindustrialisation et de nombreuses délocalisations qui se justifient par une
détérioration de la compétitivité coût et hors coût de la France et par une ouverture de plus en plus grande
de l’économie (Debonneuil, Fontagné 2003, Beffa 2005, Fontagné et Lorenzi 2005). De 1980 à 2004
l’industrie a perdu 1,5 million de ses effectifs pour ne représenter que 17 % de l’emploi total tandis que sa
valeur ajoutée est tombée de 28% à 19%. La situation s’est particulièrement dégradée pour le high-tech
(Colletis 2006, Demmou 2010). Depuis 2009, la désindustrialisation s’accélère, 1000 usines ont fermé et les
fermetures ont augmenté de 42 % en 2012 d’après le cabinet Trendeo. Cela s’explique par la faiblesse de la
dépense intérieure en RD 1 ,2 % par rapport à ses principaux concurrents et à la nature des
investissements effectués. « Les investissement en France tiennent surtout au maintien de l’outil, à
l’amélioration de la productivité » (Colletis 2006, 29). La productivité a en moyenne chuté de moitié par
rapport à la période des trente glorieuses (Marchand, Thélot 1990). Globalement, en 2011, il n’y a plus que
2,9 % de la population active travaillant dans l’agriculture, 13,9 % dans l’industrie, le reste travaillant dans
le tertiaire. Pendant ce temps le taux d’ouverture de l’économie qui était de 13 à 14 % en moyenne durant
les trente glorieuses a augmenté dans les années 70, 80 et 90 pour se stabiliser à 27-28% aujourd’hui.
Parallèlement le poids des flux d’IDE rapportés au PIB n’a cessé de croître depuis le début des 40
douloureuses. Cependant la France qui était une terre d’accueil jusque dans les années 80 devient depuis
un investisseur net au niveau international (Pécha, Terrien 2005).
Cela se traduit par un nombre d’emplois créés insuffisant par rapport à la population active disponible et
par une montée du chômage en particulier parce que la France est un pays d’accueil de nombreux
migrants. A part pendant une courte période qui va de la fin des années 90 au début des années 2000, le
chômage a perpétuellement augmenté et atteint de nouveau en 2013 son niveau le plus élevé de 1997 qui
était de plus de 3 millions. L’État doit aussi faire face à une dérive de ses dépenses sociales liée au
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vieillissement de la population, à la montée de l’exclusion et à l’allongement de la durée des études alors
que la population active diminue (Olivennes 1992). Il soutient d’ailleurs au passage l’un des rares secteurs
fortement créateur d’emplois en particulier depuis 2005. Cela pose inévitablement des problèmes de
financement de l’effort social et de soutenabilité financière de la dette de l’état. Le taux d’endettement de
l’état a perpétuellement augmenté depuis le début des quarante douloureuses. Il est passé de 21,2 % en
1978 à 90,2% en 2012. Cette rétractation de l’économie marchande aura des effets directs sur l’économie
non marchande si l’état ne peut plus s’endetter ou à augmenter ses prélèvements. Le taux de prélèvement
n’a cessé d’augmenter passant de 34 % en 1970 à 44, 9 % en 1999 avant de baisser dans les années 2000
pour descendre au niveau des 40 % pour mieux augmenter à partir de 2009 et se rapprocher du
maximum historique de 1999 en 2012.
La situation de la France est à donc rapprocher de celle d’un bon nombre de pays européens développés
qui n’arrivent pas à prendre le tournant de l’économie de la connaissance et des services et à financer leur
dette compte tenu de l’ouverture de son économie (Azaïs et alii 2001, Gorz 2003). Sa situation ressemble à
celle des pays en développement des années 80 qui ont subi les effets des politiques d’ajustement
structurels au pouvoir d’achat près. Il s’agissait en effet pour les PVD de lutter contre la pauvreté alors que
pour la France, il s’agit de réduire le niveau de vie des français et/ou de faire des efforts d’industrialisation.
Les objectifs du sommet de Lisbonne et toutes les interventions de la BCE et de la commission confirme
ce type d’exigence. Dans cette situation, la France risque de se retrouver soumis aux pressions des
organismes de notation qui orientent les milieux financiers et aux orientations données par les institutions
européennes et internationales. Elle devra continuer à réduire l’activité formelle non marchande en
réduisant le nombre de fonctionnaires (objectif du non renouvellement des départs en retraite ou de leur
limitation), entamer un mouvement de privatisation et plus exactement de développement des partenariats
publics- privés ou l’état délègue un certain nombre de missions de service public notamment à l’économie
sociale et solidaire (ESS dans la suite du texte).
Le nombre de fonctionnaires n’a pratiquement jamais diminué en France. Un salarié sur 5 reste
fonctionnaire et la France est souvent accusée d’avoir un nombre trop important de fonctionnaires par
rapport à ses partenaires européens. C’est faux par rapport à la Belgique ou le rapport est de 1 sur 4 ou à la
Norvège 1 sur 3. C’est aussi faux par rapport par rapport à la GB qui a le même rapport. Seule l’Italie et
l’Allemagne se rapproche de 1 sur 10 alors que l’Italie est beaucoup plus endettée que la France. On note
toutefois un effort de réduction effectué à partir de 2005 avec la suppression jusqu’en 2011 d’environ
356 000 emplois dans la fonction publique d’état. Seul 120 000 emplois ont été supprimés puisque le reste
a été transféaux universités ou aux collectivités territoriales (INSEE 2013). Depuis le mouvement a été
arrêté. Quant au mouvement de privatisation, après la vague de nationalisation intervenue pendant le
gouvernement Mauroy, il a été continu de 1986 à 2007 et touchant tous les secteurs d’activité de l’industrie
à la banque.
1.2 Une rétractation signe de transition et d’intégration
La situation de la Roumanie est à rapprocher de celle de l’ensemble des PECO qui ont vécu une transition
vers la démocratie et l’économie de marché puis une intégration au sein de l’Europe avec une entrée
effective en 2007. Cependant contrairement à l’ensemble des autres PECO la transition puis l’intégration
s’est faite de façon très lente de sorte que de nombreux auteurs d’interrogent encore sur son achèvement
(Lhomel 2003, Boboc et Calavrezo 2010).
La transition s’effectue en trois phases. Durant la première phase qui va de 1989 à 1997 la transition
s’effectue de manière graduelle de sorte que le PIB/tête ne suit pas une courbe en U comme dans les
autres PECO. Les débuts furent catastrophiques et au moins jusque 1993 la désindustrialisation fait son
effet dans les entreprises d’état sans être compensée par la hausse de l’emploi agricole ou tertiaire. En
outre la Roumanie comme d’autres PECO rite d’un appareil industriel peu productif par rapport aux
exigences internationales. Elle bénéfice par contre d’une main-d’œuvre peu chère. Il en résulte une
hyperinflation qui atteint son maximum avec 295 ,5 % en 1993 et une hausse du chômage qui atteint 10, 9
% en 1994. De même les efforts en matière d’IDE restent insuffisants au regard de ses capacités
d’attractivité des investissements étrangers (Lhomel 2003). Les IDE passent de 40 millions de dollars par
an à 560 millions de dollars en 1998. Les raisons évoquées sont les coûts de démarrage des entreprises et
le manque d’un cadre politique clair notamment en matière de privatisation (Labaronne 1997). Durant la
deuxième phase qui va de 1997 à 2004, on assiste à une augmentation des IDE qui sont de 1,4 milliards de
dollars par an en moyenne. Le chômage se stabilise ou diminue et le processus de désinflation s’amorce. A
partir de 2004 et si l’on exclut la période de crise consécutive à 2008 tous les voyants passent au vert. Les
IDE explosent passant à plus de 10 milliards ce qui place la Roumanie au deuxième rang des PECO, la
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désinflation se poursuit jusqu’à atteindre 4% en 2013. Le chômage amorce une baisse très forte pour
atteindre 5,8 % en 2013.
Comme la France et les PVD, la Roumanie voit sa politique économique dépendre de plus en plus
largement des incitations internationales et en particulier de celles du FMI et de l’Europe. Le FMI ainsi
que l’Europe pousse à l’application d’une politique de rigueur, de renforcement des privatisations et au
développement d’une stratégie de développement extravertie le pays doit accepter une plus grande
ouverture économique. Comme nous l’avons montré si dessus l’ouverture de la Roumanie se traduit
surtout dans les années 2000 par une progression des exportations et des IDE. A la fin des années 90, la
situation financière est dramatique mais le pays est sauvé par un gouvernement de crise dirigé par M.
Isarescu alors gouverneur de la banque centrale. En 2009 pour satisfaire aux exigences du FMI le
gouvernement décide de réduire les salaires de la fonction publique de 25 % et les retraites de 15% alors
que sur le plan de l’endettement public (33% du PIB) et du taux de prélèvement (29%) la Roumanie reste
un des pays les mieux placés d’Europe. Le poids du secteur public dans l’emploi total est de 10,4 % en
2010 soit deux fois moins qu’en France. Pourtant durant les trois phases les efforts de privatisations ont
été faits mais ils ont été insuffisants. En 1995 8 % seulement du capital des sociétés d’état était privatisé
(Labaronne 1997). C’est particulièrement vrai durant les deux premières phases avec un pouvoir dominé
par I. Iliescu dont la doctrine était « notre pays n’est pas à vendre ». D’une manière plus générale le recours
aux partenariats public-privé (PPP dans la suite du texte) se fait pour éviter un passage direct du
collectivisme à l’économie de marché dans des services publics d’intérêt général très dégradé ou inexistant.
Il se fait par contre encore très peu dans le domaine purement social (Burlacu 2011).
Comme les PVD, la Roumanie reste marquée par une population active travaillant essentiellement dans
l’industrie et l’agriculture. Un tiers à peu près de la population se répartit dans chacun des trois secteurs.
Elle ne se pose pas non plus le problème de son agriculture et parvient même à être importatrice de
certains produits de base alors qu’elle dispose d’un potentiel agricole important. Cela signifie que l’état
Roumain n’a pas fait les réformes nécessaires pour passer à une économie agricole moderne et compenser
ainsi les effets dévastateurs de la politique agricole communiste.
2. Modes de régulation et informalités
La définition de l’économie informelle est rendue difficile en raison même de l’existence de différents
types d’informalité. Prenons d’abord comme point de départ un échantillon de définitions et les
conditions de rétractation de l’économie formelle ou de crise avant de proposer une interprétation
renouvelée de la notion d’informalité qui pourra s’appliquer aux deux pays.
2.1 Un échantillon de définitions
Dans son rapport de 1972, le BIT évoque différentes caractéristiques de l’économie informelle à savoir : la
petite taille des unités de production, leur caractère familial, leur faible niveau technologique, l’absence de
suivi de la réglementation (Lautier 2004). Les définitions qui vont suivre vont se donner deux types
d’objectifs : une première catégorie de définitions va chercher à préciser les contours de l’économie
informelle pour pouvoir mieux la mesurer, une deuxième catégorie va par contre chercher à interpréter
l’informalité qui est à l’œuvre.
La définition de l’OIT reprise par l’OCDE dans son manuel est une définition purement statistique. On y
parle d’ailleurs d’économie non observée. La 15e Conférence internationale des statisticiens du travail de
L’OIT de 1993 donne la définition suivante : «le secteur informel peut être décrit, d’une façon générale,
comme un ensemble d’unités produisant des biens ou des services en vue principalement de créer des
emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités ayant un faible niveau d’organisation
opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en
tant que facteurs de production. Les relations d’emploi -lorsqu’elles existent- sont surtout fondées sur
l’emploi occasionnel, les liens de parenté ou les relations personnelles et sociales » (OCDE 2003, 46).
L’OIT cherche à donner une définition plus universelle et plus objective de l’économie informelle. Il en
résulte cependant des difficultés à comprendre ce que peut signifier par exemple pour des pays développés
la question de l’organisation à petite échelle.
De son côté l’union européenne a tenté, elle aussi, de relever le défi en réalisant plusieurs études basées sur
deux critères d’informalité d’une économie non observée et pas seulement informelle (Adair 2009). Le
premier critère est statistique. Il s’agit de prendre en compte les activités de production marchande qui,
pour des raisons statistiques, n’ont pu être mesurées ainsi que la production domestique dans la sphère
non marchande. Le second critère est légal. On repère alors dans la production marchande toutes les
activités illicites parce que prohibée et représentant donc des activités criminelles ainsi que toutes les
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activités légales quand à l’objet de leur production mais cherchant à contourner les règles fiscales et
sociales. On notera que le travail au noir porte dans cette classification le nom d’économie informelle ce
qui peut brouiller l’interprétation.
Avec le recul, un certain nombre d’auteurs et institutions ont montré qu’il y avait bien un changement
d’attitude dans l’appréhension de l’économie informelle par les organisations internationales et en
particulier la banque mondiale et le FMI. Jusqu’en 1986, l’économie informelle est envisagée commue une
économie de survie fondée sur la solidarité au sein de pays qui ont des difficultés de développement
inhérentes à un décalage avec les exigences de l’économie formelle. A partir de 1986, l’économie
informelle devient une solution à tous les problèmes sociaux intervenus suite aux politiques d’ajustement
structurel (Lautier 2004). Elle participe en quelque sorte d’un retour au développement endogène ou par le
bas qui permet de rapprocher l’expérience d’économie populaire d’Amérique latine de certaines
expériences apparaissant en Europe (Duez 1998).
La dernière définition est par contre exemplaire d’une tentative d’interprétation de l’informalité qui
apparaît dans les pays développés. « On attribuera l’appellation d’économie informelle à toutes les
activités conduisant à la production de biens et services pour autrui et dont on trouve l’équivalent sur le
marché » (Presvelou 1994, 19). Le regain d’intérêt pour l’économie informelle peut alors s’expliquer par la
combinaison de trois facteurs : les projets utopistes communautaires des soixante-huitards, l’instauration
d’une nouvelle relation à la famille, la crise de l’état providence. Cette définition de l’économie informelle
s’inscrit donc en faux contre une définition qui consisterait à assimiler une partie de l’économie qui se
développe comme substitut à l’économie domestique à une économie illicite. On doit plutôt l’interpréter
comme un renoncement de l’économie non marchande à prendre en charge certains besoins et comme
une modification des modes de vie et d’exercice de la solidarité faisant apparaître la nécessité de trouver
d’autres modes de régulation de l’économie.
2.2 Une interprétation renouvelée de la notion d’informalité
Le renouvellement de l’interprétation de la notion d’informalité doit nous permettre de mieux
comprendre les conditions d’application du concept aux pays développés comme la France et à des pays
en transition comme la Roumanie même si nous avons conscience que cela ne résout pas tous les
problèmes statistiques de mesure de la réalité. Notre objectif est donc bien de généraliser le concept
d’économie informelle en partant du principe qu’il « désignait non pas un réel, mais une absence. A cet
égard, le mot non structuré n’était pas si mal choisi » (Lautier dans Lautier et alii 1991, 17). Nous pourrons
alors montrer que l’économie informelle va s’employer à utiliser des principes de régulation différents de
l’économie formelle et entrer en conflit avec elle dans un contexte de rétractation de l’économie formelle
et de crise.
L’économie informelle peut se présenter comme une contre-économie (Lautier 2004). On constate
effectivement que l’informalité se développe, y compris dans l’économie formelle, quand celle-ci se
rétracte et quand apparaissent des aspirations au développement qui ne sont pas ou plus réalisés. On peut
effectivement dire que l’informalité est liée à une nouvelle façon de penser le développement et que toutes
les activités de l’économie informelle ne sont pas condamnées à disparaître (Lautier 2004). Pour analyser
cette informalité, on va renouveler l’approche en nous appuyant sur l’anthropologie économique de K.
Polanyi qui reconnaît quatre principes de régulation pour trois types d’économie : l’économie marchande
basée sur l’échange, l’économie non marchande basée sur la redistribution, l’économie domestique et de
proximité qui est basée sur le principe de l’administration domestique et le principe de réciprocité ou du
don (Polanyi 1988). La notion d’informalité renvoie d’abord à notre sens au choix à un changement de
niveau ou de nature de la régulation du mode de développement (Duez 1998). Le changement de niveau
correspond à un changement d’échelle de régulation qui peut être local ou global tout en restant basé sur
les principes de l’économie marchande et non marchande. Le changement de nature de régulation pose
quant à lui la question du passage par exemple à une économie beaucoup plus fondée sur la réciprocité.
La contre-économie accentue aussi l’informalité qui opère dans l’économie formelle ou en dehors et celle-
ci. L’économie formelle risque donc de réagir en procédant par isomorphisme institutionnelle (Dimaggio,
Powell, 1983). Celui-ci peut prendre deux formes. Il peut être coercitif si l’une des formes d’économie
s’impose à l’autre par recours aux tribunaux ou à la loi par exemple. Il peut être par mimétisme quand les
deux types d’économie s’influencent et cherchent à mettre en avant leur principe de régulation. Nous
assimilons pour notre part le principe de professionnalisation évoqué par Powell et Dimaggio à ce second
principe parce que la professionnalisation relève selon nous des pratiques par mimétisme de l’économie
formelle. Les conflits avec l’économie non marchande peuvent naître d’une mutation structurelle de
l’intérêt général si l’état n’est plus le seul garant de cet intérêt (Monnier, Thiry 1997). Les conflits avec
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