Introduction
Parler d’économie informelle en France ou en Roumanie ne va pas forcément de soi. A l’origine le terme
fut employé dans un rapport du Bureau international du travail de 1972 pour désigner certaines pratiques
observées au Kenya et pour mettre en évidence la dualité économique qui régnait dans de nombreux pays
en développement. Les pratiques évoquées renvoient à différentes façons de penser les relations de travail
et la finance. Aujourd’hui parler d’économie informelle pour les pays développés est un fait acquis (Adair
1995). Le concept est aussi employé pour parler des anciens pays de l’Europe de l’est en transition
(Lautier 2004). On parle d’ailleurs plutôt pour ce type de pays d’économie non observée ou non
structurée. Elle se développe d’ailleurs dans tous les pays quand l’économie officielle se rétracte ou est en
crise (Presvalou 1994, OCDE 2003, Schneider 2010).
Dans ce papier nous soutenons l’hypothèse que l’économie informelle est facteur de dérégulation de
l’économie formelle parce qu’elle y introduit une dose plus ou moins forte d’informalité synonyme de
rétractation de l’économie formelle et de conflit entre différents principes de régulation. L’économie
informelle peut alors être vue soit sous l’angle d’une économie souterraine ou illicite se situant en dehors
des principes de régulation de l’économie formelle et posant des problèmes en termes de contrat social
soit sous forme de contre-économie ou d’économie alternative. Il s’agit donc de faire du concept
d’économie informelle un concept analytique fort permettant de comprendre ce qui se joue dans la
régulation de l’économie et non un concept analytique faible (De Miras dans Lautier et alii 1991). Au
passage nous laisserons de côté l’épineuse question de la mesure statistique de l’informalité. Les chiffres
qui seront donnés auront donc un caractère indicatif et rendront compte des enjeux sans toutefois
prétendre couvrir l’ensemble du champ de l’économie informelle.
Dans une première partie nous reviendrons sur les conditions de rétractation de l’économie formelle dans
les deux pays. Dans une deuxième partie nous ferons le lien entre modes de régulation et type
d’informalités pouvant intervenir dans les deux pays. Dans les deux parties suivantes nous évoquerons les
enjeux liées à ces différentes informalités compte tenu du contexte économique social et politique de
chaque pays. Nous conclurons par l’évocation des différentes formes d’économies alternative qui ont
pourtant le vent en poupe.
1. La rétractation de l’économie formelle liée à la crise
Dans ce papier nous proposons une approche synthétique de cette rétractation sachant que ces éléments
font l’objet d’un consensus dans la littérature économique sur les deux pays.
1.1 Une rétractation qui s’accélère dans les années 2000
En France, la rétractation de l’économie formelle peut être présentée comme la période des quarante
douloureuses faisant suite aux trente glorieuses. Durant cette période la rétractation de l’économie
marchande se traduit par une désindustrialisation et de nombreuses délocalisations qui se justifient par une
détérioration de la compétitivité coût et hors coût de la France et par une ouverture de plus en plus grande
de l’économie (Debonneuil, Fontagné 2003, Beffa 2005, Fontagné et Lorenzi 2005). De 1980 à 2004
l’industrie a perdu 1,5 million de ses effectifs pour ne représenter que 17 % de l’emploi total tandis que sa
valeur ajoutée est tombée de 28% à 19%. La situation s’est particulièrement dégradée pour le high-tech
(Colletis 2006, Demmou 2010). Depuis 2009, la désindustrialisation s’accélère, 1000 usines ont fermé et les
fermetures ont augmenté de 42 % en 2012 d’après le cabinet Trendeo. Cela s’explique par la faiblesse de la
dépense intérieure en RD 1 ,2 % par rapport à ses principaux concurrents et à la nature des
investissements effectués. « Les investissement en France tiennent surtout au maintien de l’outil, à
l’amélioration de la productivité » (Colletis 2006, 29). La productivité a en moyenne chuté de moitié par
rapport à la période des trente glorieuses (Marchand, Thélot 1990). Globalement, en 2011, il n’y a plus que
2,9 % de la population active travaillant dans l’agriculture, 13,9 % dans l’industrie, le reste travaillant dans
le tertiaire. Pendant ce temps le taux d’ouverture de l’économie qui était de 13 à 14 % en moyenne durant
les trente glorieuses a augmenté dans les années 70, 80 et 90 pour se stabiliser à 27-28% aujourd’hui.
Parallèlement le poids des flux d’IDE rapportés au PIB n’a cessé de croître depuis le début des 40
douloureuses. Cependant la France qui était une terre d’accueil jusque dans les années 80 devient depuis
un investisseur net au niveau international (Pécha, Terrien 2005).
Cela se traduit par un nombre d’emplois créés insuffisant par rapport à la population active disponible et
par une montée du chômage en particulier parce que la France est un pays d’accueil de nombreux
migrants. A part pendant une courte période qui va de la fin des années 90 au début des années 2000, le
chômage a perpétuellement augmenté et atteint de nouveau en 2013 son niveau le plus élevé de 1997 qui
était de plus de 3 millions. L’État doit aussi faire face à une dérive de ses dépenses sociales liée au