George Dandin

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MOLIÈRE
George Dandin
Flammarion
Illustrations de Laurent Parienty.
© Flammarion, Paris, 1998.
Édition revue, 2013.
Dépot légal : août 2013
ISBN Epub : 9782081316096
ISBN PDF Web : 9782081316102
Le livre a été imprimé sous les références :
ISBN : 9782081303102
ISSN : 1269-8822
Ouvrage composé et converti par Meta-systems (59100 Roubaix)
Présentation de l'éditeur
George Dandin est un riche paysan qui a fait, comme on dit, un "beau mariage".
Mais son aristocratique épouse, Angélique, ne cesse de lui rappeler ses origines et de se jouer de lui.
Saura-t-il avoir raison des ruses de sa femme ?
De Molière,
dans la collection « Étonnants Classiques »
L’Amour médecin, Le Sicilien ou l’Amour peintre
L’Avare
Le Bourgeois gentilhomme
Dom Juan
L’École des femmes
Les Fourberies de Scapin
George Dandin
Le Malade imaginaire
Le Médecin malgré lui
Le Médecin volant. La Jalousie du Barbouillé
Le Misanthrope
Les Précieuses ridicules
Le Tartuffe
George Dandin
SOMMAIRE
Présentation
Une vocation d’homme de théâtre
À nous deux, Paris !
Molière, comédien et auteur
George Dandin
George Dandin et la tradition farcesque
Une comédie de mœurs
Chronologie
George Dandin
Acte 1
Acte 2
Acte 3
Cahier photos
Aux origines de George Dandin
Le « Grand Divertissement royal » du palais de Versailles
Une comédie-ballet mise en musique par Lully
Une farce…
… et une comédie de mœurs
Mettre en scène George Dandin aujourd’hui
Dossier
Êtes-vous un lecteur attentif ?
Retrouvez le fil de l’intrigue
Vos papiers s’il vous plaît…
Scènes de ménage
Rions un peu !
Farces et comédies
Qui parle ?
Le comparatiste en herbe
PRÉSENTATION
Une vocation d’homme de théâtre
Lorsque Jean-Baptiste Poquelin, le futur Molière, naît à Paris, en janvier 1622, une existence bourgeoise de commerçant aisé
s’ouvre à lui. Fils d’un riche négociant de la rue Saint-Honoré, tapissier du roi et fournisseur en meubles de la noblesse
parisienne, le petit Jean-Baptiste se destine dès son plus jeune âge à suivre la voie tracée par son père : en 1637, il prête
serment de reprendre la charge de tapissier du roi et s’engage à faire fructifier le négoce déjà florissant de sa famille.
Pourtant, d’autres préoccupations ne tardent pas à le détourner du monde du commerce. À l’existence casanière d’un
bourgeois rangé, le futur Molière préfère en effet rapidement la vie aventureuse de comédien. Comment expliquer ce changement
de trajectoire ?
Au départ, la fascination pour le spectacle : au début du XVIIe siècle, la farce triomphe à la foire Saint-Germain, au Pont-Neuf et
même à l’Hôtel de Bourgogne, une des plus grandes salles de Paris. C’est dans ces salles prestigieuses ou dans des théâtres
improvisés, en écoutant les bonimenteurs qui haranguent la foule ou les bateleurs qui déclenchent les rires du public, que le
jeune homme découvre le monde du spectacle et qu’il noue de solides contacts avec des comédiens. De plus, de brillantes
études faites au collège de Clermont – l’école la plus huppée du Tout-Paris – éveillent en lui un goût pour les disciplines
artistiques incompatible avec une vocation de négociant.
En 1643, la décision de Molière est prise : en janvier, Jean-Baptiste annonce à son père qu’il renonce à la charge de tapissier
du roi au profit de son frère cadet. Peu après, le 30 juin, il fonde avec les Béjart, une famille de comédiens qu’il connaît depuis
son adolescence, une troupe au nom ambitieux : l’Illustre-Théâtre. La première expérience théâtrale du jeune Molière se révèle
cependant décevante. Malgré des débuts prometteurs, la troupe, qui est dirigée de main de maître par une actrice de talent,
Madeleine Béjart, ne peut s’imposer face aux théâtres existants, bien implantés sur la rive droite. L’aventure se solde par une
débâcle financière pour la compagnie et par un emprisonnement au Châtelet pour Jean-Baptiste.
Échaudé par cet échec et voyant qu’il n’est pas de place pour lui à Paris, le jeune comédien, qui a pris en 1644 le pseudonyme
de Molière, décide alors de quitter la capitale et de tenter sa chance en province. Pendant plus de treize ans, de 1645 à 1658, il
sillonne la Guyenne (l’actuelle Aquitaine), le Languedoc ainsi que la vallée du Rhône. Grâce à l’appui de seigneurs éclairés
comme le duc d’Épernon ou le prince de Conti, il parvient à se tailler une solide réputation dans les provinces du royaume de
France. En 1655, le comédien devient auteur dramatique : après avoir joué dans des théâtres de fortune – sur de simples
tréteaux, dans des salles de jeu de paume et même dans des foires aménagées pour la circonstance – de nombreuses farces
dont la postérité n’a conservé que les titres, Molière crée à Lyon sa première comédie en cinq actes et en vers, L’Étourdi, qui
reçoit un accueil favorable du public. Fort de ce succès et se sentant plus mûr, le jeune auteur peut désormais envisager de
retourner à Paris, le lieu de son premier échec. Après un léger détour par Rouen, la patrie de Thomas et Pierre Corneille, il
revient dans la capitale au mois d’octobre 1658.
À nous deux, Paris !
Dès son retour, Molière commence à collectionner les succès, auprès du public comme auprès des grands du Royaume. Le
24 octobre 1658, c’est le triomphe. Grâce à la protection de Monsieur, frère unique du roi, il a l’opportunité de jouer au Louvre
devant toute la cour ! Suivant un usage ancien, l’auteur obtient de faire suivre Nicomède – une tragédie de Pierre Corneille qui
ennuie le jeune roi Louis XIV – d’une farce de son invention, Le Docteur amoureux. Pour un coup d’essai, c’est un coup de
maître ! Séduit par le rythme de la farce et par la virtuosité des acteurs, le roi accorde à la troupe de Molière de partager avec les
Comédiens-Italiens la salle du Petit-Bourbon, située à proximité du Louvre. En 1660, il permettra à l’auteur de prendre ses
quartiers au Palais Royal. C’est dans ce théâtre prestigieux, situé en plein cœur de Paris, que Molière mettra en scène, jusqu’à
sa mort, la plupart de ses comédies.
Molière, comédien et auteur
Véritable homme-orchestre, Molière assure de multiples fonctions au sein de la compagnie théâtrale dont il est devenu en
quelques années le chef incontesté, et qui est rebaptisée, à partir de 1665, la « troupe du Roi ». Directeur de troupe, metteur en
scène, acteur, c’est aussi – et surtout – un auteur remarquable qui doit composer un grand nombre de pièces de théâtre pour
attirer un public toujours plus exigeant. C’est pourquoi, sans renier ses écrits de jeunesse, qui n’étaient bien souvent que de
simples farces, Molière décide, dès son arrivée à Paris, de mettre au point de nouvelles formes comiques : il compose des
comédies de mœurs et de caractères dans lesquelles il tourne en ridicule les vices de son temps. En 1661, à l’occasion des
somptueuses fêtes données par le surintendant Fouquet en son château de Vaux-le-Vicomte, il crée un genre dramatique
nouveau, la comédie-ballet, où chants et danses se mêlent à la pièce de théâtre. Réussissant à bouleverser le genre de la
comédie, l’auteur connaît un véritable triomphe.
Adoré à la ville, adulé à la cour, bénéficiant de la protection et de l’amitié du roi Louis XIV en personne, Molière ne tarde pas
cependant à susciter la jalousie et à être en butte à l’hostilité de ses contemporains. L’Église, qui voue une haine tenace aux
comédiens, tente à plusieurs reprises de faire interdire la représentation de ses pièces ; des auteurs malveillants ne cessent de
l’attaquer jusque dans sa vie privée et certains esprits chagrins lui reprochent d’enfreindre les règles de l’art dramatique…
Pis, au fur et à mesure que les années passent, la santé de Molière, déjà précaire, se dégrade. Éreinté par la vie d’homme de
théâtre, lassé des cabales lancées contre lui, l’auteur doit lutter désormais contre les atteintes d’une « fluxion de poitrine », une
maladie pulmonaire qui finira par l’emporter. Le 17 février 1673, lors de la quatrième représentation du Malade imaginaire, sa
dernière pièce, Molière est pris d’un violent malaise : au cours de l’intermède burlesque qui clôt cette comédie-ballet, il crache du
sang. Transporté à la hâte dans son appartement de la rue de Richelieu, à Paris, il s’éteint vers dix heures du soir sans avoir pu
abjurer la profession de comédien (reniée par l’Église) ni recevoir les derniers sacrements, deux prêtres ayant refusé de se
déplacer et le troisième étant arrivé trop tard. Le lendemain de sa mort, il faudra l’acharnement d’Armande Béjart, sa veuve, et
l’intercession du Roi-Soleil en personne, pour que Molière puisse être inhumé en terre chrétienne, dans le cimetière SaintJoseph, attenant à l’église Saint-Eustache. Aucun service solennel ne viendra cependant rendre hommage à cet homme qui
consacra sa vie au théâtre. L’Église enterra à la hâte, par une nuit glaciale, celui qui fut, selon les dires d’un de ses
contemporains, « tout comédien depuis la tête jusqu’aux pieds ».
George Dandin
C’est à Versailles, en juillet 1668, que Molière représenta pour la première fois George Dandin ou le Mari confondu. Pour
célébrer la conquête de la Franche-Comté par le prince de Condé et la paix d’Aix-la-Chapelle qui mettait fin à la guerre de
Dévolution (un conflit opposant la France à l’Espagne), Louis XIV avait décidé de faire appel à son auteur favori et d’offrir à la
cour un « Grand Divertissement royal » dans son palais de Versailles : une pastorale chantée à l’intérieur de laquelle venaient
prendre place les trois actes d’une comédie. Le 18 juillet 1668, les courtisans du Roi-Soleil, réunis en nombre dans les salons et
les jardins du palais de Versailles, assistèrent donc à la première de George Dandin. Très applaudie à la cour et fort appréciée du
Roi en personne, la pièce ne connut cependant qu’un médiocre succès à Paris. Reléguée au genre mineur de la farce, elle ne
reparut sur les affiches du Palais-Royal que pour compléter un programme consacré aux grandes comédies… Aujourd’hui, elle
ne cesse d’être jouée, à la Comédie-Française ou ailleurs, et des acteurs de talent se sont essayés avec bonheur dans le rôle du
« mari confondu ».
George Dandin et la tradition farcesque
Dans George Dandin, Molière s’est inspiré de la tradition farcesque. Née en France au Moyen Âge, la farce avait alimenté, dès
sa création, un vaste répertoire composé de pièces courtes destinées à déclencher le rire. Écrites en un acte, ces pièces
mettaient en scène trois ou quatre personnages stéréotypés (mari cocu, femme infidèle, moine paillard, marchand malhonnête…)
dans une action simple et s’achevaient généralement sur un renversement de situation : celui qui croyait tromper se trouvait luimême trompé et devenait la risée des autres personnages. En écrivant George Dandin, Molière – que ses contemporains
surnommaient « le premier farceur » de France – s’est souvenu des farces qu’il avait écrites à ses débuts, notamment de La
Jalousie du Barbouillé, une pièce en un acte, composée vraisemblablement pendant ses années d’apprentissage en province et
dont il a enrichi le canevas rudimentaire. Dans George Dandin, Molière a eu essentiellement recours au procédé de la répétition.
Trois fois la même situation provoque le même résultat : un mari suspicieux (George Dandin) surprend les projets ou les
agissements de sa femme infidèle (Angélique) avec un gentilhomme des environs (Clitandre). Sûr de son bon droit, le mari berné
appelle alors ses beaux-parents, des nobles très chatouilleux sur le point d’honneur, pour leur demander raison de la conduite de
leur fille. Mais c’est lui qui est « confondu » et qui devient le dindon de la farce. En dépit de son innocence, le mari cocufié se
retrouve en effet, à la fin de chaque acte, en position d’accusé et la femme infidèle triomphe. Tel est pris qui croyait prendre !
Une comédie de mœurs
Relevant de la farce par sa structure et ses procédés comiques, George Dandin est aussi une comédie qui s’inscrit dans les
« scènes de la vie de province » de Molière. L’histoire de Dandin est celle d’une mésalliance, d’un mariage mal assorti : un riche
paysan a épousé la fille d’un couple de nobles de province pour posséder un nom à particule. Grâce à George Dandin 1, le
paysan qui voulait devenir gentilhomme, mais aussi à ses beaux-parents, les Sotenville 2 (deux nobliaux persuadés de
l’importance de leur lignée), la simple farce tourne à la comédie de mœurs. Molière fait une peinture savoureuse des petits
hobereaux, fiers de leur blason et de leurs ancêtres, mais le plus souvent pauvres et dont le bien des gendres venait à point
nommé renflouer le patrimoine. Méprisant les fils et les filles de bourgeois ou de paysans (comme Dandin) dont ils recherchaient
l’alliance, ces nobliaux de province fournissaient à la noblesse de cour, riche et oisive, un éternel sujet de moquerie. Plusieurs
comédies avaient déjà exploité le thème du noble campagnard ruiné et ridicule, thème qui divertissait aussi le public parisien,
toujours enclin à se moquer des provinciaux.
Dans George Dandin, Molière revient en outre à un de ses sujets préférés, présent depuis ses premières pièces : le mariage,
et plus précisément la situation de la femme mariée, victime d’un choix dicté par des parents autoritaires. Mais, alors que l’amour
triomphe de l’intérêt dans les autres comédies, on ne voit dans celle-ci que l’intérêt sans aucune trace d’amour. Contrairement à
ce qui se passe dans la plupart des pièces de Molière, aucun personnage de George Dandin ne parvient en effet à éveiller notre
sympathie : le protagoniste est un fat qui, par ambition, a épousé de force une « demoiselle », Angélique est une rouée qui ne
recule devant aucun moyen pour tromper son lourdaud d’époux ; quant aux Sotenville, ce sont des nobles vaniteux qui n’ont pas
hésité à sacrifier le bonheur de leur fille en la mariant à un homme qu’elle n’aime pas. George Dandin, qui semblait ne devoir être
qu’une simple farce, destinée à faire rire, est en fait une pièce grinçante qui présente une société et des personnages
foncièrement antipathiques. Malgré la vivacité de son rythme et le caractère cocasse des situations, cette comédie est sans
doute l’œuvre la plus sombre écrite par Molière.
CHRONOLOGIE
1622-1673
Repères historiques et culturels
Vie et œuvre de l’auteur
Repères historiques et culturels
1606
1610
1617
1621
1629
1635
1637
1638
1639
1640
1642
1643
1645
1648
1651
1653
1660
1661
1665
1666
16671668
1668
1672
1673
1680
Naissance de Pierre Corneille.
Mort du roi Henri IV. Régence de Marie de Médicis.
Louis XIII, roi de France.
Naissance de Jean de La Fontaine.
Richelieu, Premier ministre.
Richelieu fonde l’Académie française.
Le Cid de Corneille.
Naissance de Louis, le futur Louis XIV.
Naissance de Jean Racine.
Corneille publie Horace, tragédie.
Mort de Richelieu.
Mazarin est fait cardinal. Mort du roi Louis XIII. Louis XIV devient roi à l’âge de cinq ans. (Début de la régence d’Anne
d’Autriche.)
Naissance de La Bruyère.
Début de la Fronde (une révolte contre le pouvoir royal, menée successivement par les parlements et les princes).
Fin de la régence d’Anne d’Autriche. Louis XIV est déclaré majeur à 13 ans.
Fin de la Fronde. Fouquet, surintendant des Finances.
Mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse, infante d’Espagne.
Mort de Mazarin. Début du règne personnel de Louis XIV. Disgrâce de Fouquet. Début de la construction du château de
Versailles par Le Vau.
Colbert est nommé contrôleur général des Finances.
Mort d’Anne d’Autriche.
Guerre de Dévolution (conflit opposant la France à l’Espagne).
Conquête de la Franche-Comté par le prince de Condé. Le traité d’Aix-la-Chapelle met fin à la guerre de Dévolution.
Publication des Fables de La Fontaine.
La cour de Louis XIV quitte le Louvre et s’installe à Versailles.
En juillet, la troupe de Molière fusionne avec celle du Marais et prend le nom de troupe de Guénégaud.
Le 21 octobre, Louis XIV réunit la troupe de l’Hôtel de Bourgogne et la troupe de Guénégaud : la Comédie-Française est
née.
Vie et œuvre de l’auteur
1622 Le 13 ou 14 janvier, naissance à Paris de Jean-Baptiste Poquelin, fils de Jean Poquelin (tapissier) et de Marie Cressé.
1631 Le père de Molière achète la charge de « tapissier et valet de chambre ordinaire du roi », titre honorifique, source de
prestige et de considération.
1632 Mort de Marie Cressé, mère de Molière.
1635 Jean-Baptiste entre au collège de Clermont. Il y fera ses classes jusqu’en 1639.
1637 Jean-Baptiste prête serment de reprendre la charge de son père.
1638 Mort de Louis Cressé, grand-père maternel de Jean-Baptiste, qui l’avait initié pendant son enfance au monde du
spectacle.
1640 Jean-Baptiste se lie avec la famille Béjart et ne tarde pas à tomber amoureux de Madeleine.
1641 Il entreprend des études de droit à Orléans mais renonce rapidement à la carrière d’avocat.
1643 Le 6 janvier, Jean-Baptiste renonce à la charge de tapissier du roi au profit de son frère cadet. Le 30 juin, il signe avec les
Béjart et d’autres comédiens le contrat de fondation de l’Illustre-Théâtre. La troupe s’installe à Paris, dans l’actuelle rue de
l’Ancienne-Comédie.
1644 L’Illustre-Théâtre ouvre ses portes en janvier. En août, Jean-Baptiste signe pour la première fois du nom de Molière.
(L’origine de ce pseudonyme reste, aujourd’hui encore, assez obscure.)
1645 L’Illustre-Théâtre est obligé de fermer ses portes. Couvert de dettes, Molière décide de partir en province avec Madeleine
Béjart, qui est devenue sa compagne.
1645- Molière sillonne la France et joue dans des théâtres de fortune. Il rédige un grand nombre de farces dont certaines
1658 seulement nous sont parvenues (Le Médecin volant, La Jalousie du Barbouillé, etc.).
1655 Molière crée à Lyon sa première comédie en cinq actes et en vers, L’Étourdi ou les contre-temps.
1656 Molière fait représenter à Béziers sa deuxième comédie, Le Dépit amoureux.
1658 Début octobre, retour de Molière à Paris.
Le 24, la troupe de Molière fait ses débuts au Louvre, devant le roi et la cour. Séduit, Louis XIV accorde à la troupe de
partager la salle du Petit-Bourbon en alternance avec les Comédiens-Italiens
1659 Les Précieuses ridicules, comédie qui fait la satire de la préciosité.
1660 La troupe de Molière prend ses quartiers au théâtre du Palais-Royal.
1661 Première des Fâcheux, comédie-ballet.
1662 En janvier, Molière se marie avec Armande Béjart, fille (ou sœur ?) de Madeleine Béjart.
En décembre, première de L’École des femmes, comédie qui aborde le problème de l’éducation des jeunes filles.
1664 En février, le roi Louis XIV accepte d’être le parrain du fils de Molière.
En mai, première du Tartuffe, comédie qui met en scène un faux-dévot : la pièce est aussitôt interdite.
1665 En février, première de Dom Juan, comédie qui met en scène un séducteur défiant Dieu et la société. Après Pâques, la
pièce n’est plus jouée.
En août, la troupe de Molière prend le nom de « troupe du Roi ».
1666 En janvier, Molière tombe gravement malade.
En juin, première du Misanthrope, comédie de mœurs et de caractères.
En août, première du Médecin malgré lui, farce.
1668 Le 18 juillet, première de George Dandin à Versailles.
Le 9 septembre, première de L’Avare, au Palais-Royal.
1670 Le Bourgeois gentilhomme, comédie de mœurs et de caractères.
1671 Les Fourberies de Scapin, farce.
1672 En février, mort de Madeleine Béjart.
En mars, première des Femmes savantes, comédie de mœurs.
1673 Le 10 février, première du Malade imaginaire, comédie-ballet.
Le 17 février, au cours de la quatrième représentation de la pièce, Molière est pris de violentes convulsions. Il s’éteint peu
après. Le 21, Molière est inhumé de nuit au cimetière Saint-Joseph, à Paris.
George Dandin
ou
le Mari confondu
Comédie représentée la première fois pour le Roi
le 18e de juillet 1668, à Versailles,
et depuis donnée au public à Paris,
sur le théâtre du Palais-Royal, le 9 novembre
de la même année 1668,
par la troupe du Roi.
Personnages
GEORGE DANDIN, riche paysan 1, mari d’Angélique.
ANGÉLIQUE 2, femme de George Dandin et fille de M. de Sotenville.
M. DE SOTENVILLE, gentilhomme campagnard, père d’Angélique.
MME DE SOTENVILLE, sa femme.
CLITANDRE, amoureux d’Angélique.
CLAUDINE, suivante d’Angélique.
LUBIN, paysan, servant de Clitandre.
COLIN, valet de George Dandin.
[La scène est devant la maison de George Dandin.]
ACTE PREMIER
Scène 1
GEORGE DANDIN
Ah ! qu’une femme demoiselle 3, est une étrange affaire, et que mon mariage est une leçon bien
parlante à tous les paysans qui veulent s’élever au-dessus de leur condition, et s’allier 4, comme j’ai
fait, à la maison d’un gentilhomme 5 ! La noblesse de soi est bonne, c’est une chose considérable
assurément ; mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances qu’il est très bon de ne s’y
point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connais le style des nobles lorsqu’ils
nous font, nous autres, entrer dans leur famille. L’alliance qu’ils font est petite avec nos personnes :
c’est notre bien 6 seul qu’ils épousent, et j’aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de m’allier en
bonne et franche paysannerie que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s’offense de
porter mon nom, et pense qu’avec tout mon bien je n’ai pas assez acheté la qualité de son mari.
George Dandin, George Dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde. Ma maison m’est
effroyable maintenant, et je n’y rentre point sans y trouver quelque chagrin 7.
Scène 2
GEORGE DANDIN, LUBIN
GEORGE DANDIN [voyant
8
sortir Lubin de chez lui]
9
Que diantre ce drôle-là vient-il faire chez moi ?
LUBIN
Voilà un homme qui me regarde.
GEORGE DANDIN
Il ne me connaît pas.
LUBIN
Il se doute de quelque chose.
GEORGE DANDIN
10
Ouais ! il a grand-peine à saluer.
LUBIN
J’ai peur qu’il n’aille dire qu’il m’a vu sortir de là-dedans.
GEORGE DANDIN
Bonjour.
LUBIN
11
Serviteur .
GEORGE DANDIN
Vous n’êtes pas d’ici, que je crois ?
LUBIN
Non, je n’y suis venu que pour voir la fête de demain.
GEORGE DANDIN
Hé ! dites-moi un peu, s’il vous plaît, vous venez de là-dedans ?
LUBIN
Chut !
GEORGE DANDIN
Comment ?
LUBIN
Paix !
GEORGE DANDIN
Quoi donc ?
LUBIN
Motus ! Il ne faut pas dire que vous m’ayez vu sortir de là.
GEORGE DANDIN
Pourquoi ?
LUBIN
Mon Dieu ! parce.
GEORGE DANDIN
Mais encore ?
LUBIN
Doucement. J’ai peur qu’on ne nous écoute.
GEORGE DANDIN
Point, point.
LUBIN
C’est que je viens de parler à la maîtresse du logis, de la part d’un certain Monsieur qui lui fait les
doux yeux, et il ne faut pas qu’on sache cela ; entendez-vous 12 ?
GEORGE DANDIN
Oui.
LUBIN
Voilà la raison. On m’a chargé de prendre garde que personne ne me vît, et je vous prie au moins de ne
pas dire que vous m’ayez vu.
GEORGE DANDIN
Je n’ai garde.
LUBIN
Je suis bien aise de faire les choses secrètement comme on m’a recommandé.
GEORGE DANDIN
C’est bien fait.
LUBIN
Le mari, à ce qu’ils disent, est un jaloux qui ne veut pas qu’on fasse l’amour 13 à sa femme, et il ferait
le diable à quatre 14 si cela venait à ses oreilles : vous comprenez bien ?
GEORGE DANDIN
Fort bien.
LUBIN
Il ne faut pas qu’il sache rien 15 de tout ceci.
GEORGE DANDIN
16
Sans doute .
LUBIN
On le veut tromper tout doucement : vous entendez bien 17 ?
GEORGE DANDIN
Le mieux du monde.
LUBIN
Si vous alliez dire que vous m’avez vu sortir de chez lui, vous gâteriez toute l’affaire : vous
comprenez bien ?
GEORGE DANDIN
Assurément. Hé ? comment nommez-vous celui qui vous a envoyé là-dedans 18 ?
LUBIN
C’est le seigneur de notre pays, Monsieur le vicomte de chose… Foin 19 ! je ne me souviens jamais
comment diantre 20, ils baragouinent 21 ce nom-là. Monsieur Cli… Clitandre.
GEORGE DANDIN
22
Est-ce ce jeune courtisan qui demeure…
LUBIN
Oui : auprès de ces arbres.
GEORGE DANDIN[à
23
part]
C’est pour cela que depuis peu ce damoiseau poli s’est venu loger contre moi ; j’avais bon nez 24 sans
doute, et son voisinage déjà m’avait donné quelque soupçon.
LUBIN
25
Testigué ! c’est le plus honnête homme que vous ayez jamais vu. Il m’a donné trois pièces d’or pour
aller dire seulement à la femme qu’il est amoureux d’elle, et qu’il souhaite fort l’honneur de pouvoir
lui parler. Voyez s’il y a là une grande fatigue pour me payer si bien, et ce qu’est au prix de cela une
journée de travail où je ne gagne que dix sols 26.
GEORGE DANDIN
Hé bien ! avez-vous fait votre message ?
LUBIN
Oui, j’ai trouvé là-dedans une certaine Claudine, qui tout du premier coup a compris ce que je voulais,
et qui m’a fait parler à sa maîtresse.
GEORGE DANDIN [à
part]
Ah ! Coquine de servante !
LUBIN
28
27
Morguène ! cette Claudine-là est tout à fait jolie , elle a gagné mon amitié 29, et il ne tiendra qu’à
elle que nous ne soyons mariés ensemble.
GEORGE DANDIN
Mais quelle réponse a fait la maîtresse à ce Monsieur le courtisan ?
LUBIN
Elle m’a dit de lui dire… attendez, je ne sais si je me souviendrai bien de tout cela… qu’elle lui est
tout à fait obligée de l’affection qu’il a pour elle, et qu’à cause de son mari, qui est fantasque, il garde
d’en rien faire paraître, et qu’il faudra songer à chercher quelque invention pour se pouvoir entretenir
tous deux 30.
GEORGE DANDIN [à
part]
31
Ah ! pendarde de femme !
LUBIN
32
Testiguiène ! cela sera drôle ; car le mari ne se doutera point de la manigance, voilà ce qui est de
bon ; et il aura un pied de nez 33 avec sa jalousie : est-ce pas 34 ?
GEORGE DANDIN
Cela est vrai.
LUBIN
Adieu. Bouche cousue au moins. Gardez bien le secret, afin que le mari ne le sache pas.
GEORGE DANDIN
Oui, oui.
LUBIN
Pour moi, je vais faire semblant de rien : je suis un fin matois 35, et l’on ne dirait pas que j’y touche.
Scène 3
GEORGE DANDIN
Hé bien ! George Dandin, vous voyez de quel air 36 votre femme vous traite. Voilà ce que c’est d’avoir
voulu épouser une demoiselle 37 : l’on vous accommode 38 de toutes pièces, sans que vous puissiez vous
venger, et la gentilhommerie 39 vous tient les bras liés. L’égalité de condition laisse du moins à
l’honneur d’un mari liberté de ressentiment ; et si c’était une paysanne, vous auriez maintenant toutes
vos coudées franches 40 à vous en faire la justice à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de
la noblesse, et il vous ennuyait d’être maître chez vous. Ah ! j’enrage de tout mon cœur, et je me
donnerais volontiers des soufflets 41. Quoi ? écouter impudemment l’amour d’un damoiseau, et y
promettre en même temps de la correspondance 42 ! Morbleu 43 ! je ne veux point laisser passer une
occasion de la sorte. Il me faut de ce pas aller faire mes plaintes au père et à la mère, et les rendre
témoins, à telle fin que de raison 44, des sujets de chagrin 45 et de ressentiment que leur fille me donne.
Mais les voici l’un et l’autre fort à propos.
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