Exposé 8 Autoriser l’euthanasie en fin de vie ? 18 mai 2015 Un débat idéologique sans solution L’opposition entre spiritualistes et naturalistes est trop tranchée pour offrir de perspective de compromis dans un débat. Pour les uns, l’âme ou l’esprit qui ont une portée globale sont prépondérants et ne doivent pas être entravés dans leur évolution. Pour les autres, chacun reste responsable de l’assemblage biochimique complexe dont il n’est que le point de conscience ultime et localisé. 2 Point de vue médical Comment se situer entre deux tyrans ? Maladie et médecine sont deux tyrans. La médecine est soit tentée de pratiquer « l’acharnement thérapeutique » au nom de l’urgence vitale, soit la coupure de l’alimentation et de l’hydratation sans certitude de l’arrêt de l’activité cérébrale. A l’hôpital, il n’y a plus de choix possible. La maladie, lorsqu’elle est incurable et s’accompagne de souffrance insupportable est une torture injustifiable et inutile. La loi peut-elle imposer des règles à la médecine ? (*1) La mort naturelle existe-t-elle ? Mortalité en France en 2011 : 540 000 personnes L’amélioration de l’hygiène et l’allongement de la durée de vie d’une part et l’accroissement de l’activité dont les déplacements d’autre part, nous exposent davantage aux accidents divers et à une mort brutale … De nombreuses maladies sont par ailleurs dues aux différents produits chimiques présents dans notre alimentation et dans l’atmosphère. 3 Qu’est-ce que mourir naturellement quand nous sommes la cause de notre propre mort ? La souffrance est plus intolérable que la mort La société moderne a insufflé une intolérance à la souffrance. Nous vivons dans des sociétés de confort où : - à la fois le désir est insupportable et doit être assouvi dans une consommation immédiate, - à la fois la moindre douleur fait appel à une consommation d’antalgiques disproportionnée. Abréger à défaut d’accompagner ? La loi Leonetti de 2005 destinée à lutter à la fois contre l’euthanasie et « l’obstination déraisonnable » de la médecine, préconisait l’instauration des soins palliatifs. Comme les mourants et les morts ne constituent pas un corps électoral très revendicatif, les moyens n’ont jamais été mis en place pour que l’offre de soins palliatifs soit à la hauteur de la demande potentielle de ces soins palliatifs. 4 La médecine et la mort volontaire La médecine est d’abord un art d’accompagnement, éventuellement de guérison si c’est possible. Il y a d’ailleurs des maladies que l’on soigne sans guérir. Donner la mort pourrait-il être considéré comme un soin ? Ou la clause de conscience serait-elle invoquée fréquemment ? Une éventuelle loi sur l’euthanasie obligerait-elle à donner la mort ou la permettraitelle seulement ? (*1) Point de vue éthique et moral Y a-t-il une morale absolue ? L’euthanasie est une question morale, puisque la seule morale qui vaille est celle des droits de l’homme. Cette morale des droits de l’homme n’autorise pas le fait de donner la mort à quelqu’un d’autre, mais elle ne condamne pas explicitement le suicide. Cette morale est néanmoins variable selon les époques : Nous acceptons des choses qui étaient interdites autrefois … comme le mariage homosexuel. Nous refusons des choses autorisées autrefois… comme l’esclavage. La morale varie selon les lieux En Europe, la Belgique et les Pays-Bas autorisent l’euthanasie et le suicide assistés. Ces Etats prennent le parti de faire confiance aux individus et aux moeurs même si certaines dérives en sont le prix. 5 A l’autre extrême, l’Irlande, la Pologne ou la Roumanie interdisent toute forme d’aide à mourir, la religion catholique continuant de s’imposer aux individus quels que puissent être leurs désirs personnels. Les autres Etats européens, dont la France, oscillent entre la satisfaction de besoins individuels en accord avec l’évolution de la société et le respect de normes communes au prix de brider les choix personnels. (*2) Y a-t-il du sacré en l’homme ? De tout temps, le corps est apparu comme étant dépositaire d’une sagesse, l’expression d’un mystère, le résultat d’une perfection qui lui conféraient un statut de sacré, d’un sanctuaire ne devant en aucun cas être transgressé. Aussi faut-il se demander si interrompre une vie, même si c’est avec l’accord de celui ou celle qui la porte, pour échapper à la souffrance, est-ce transgresser quelque chose ? Est-ce violer une loi, un tabou ? Est-ce renoncer à ce qu’il y a d’humain en nous ? Une transgression originelle Bien qu’enracinés dans la sphère vivante, nous avons subi un déracinement proprement humain qui fait que nous sommes à la fois dans et hors de la nature par les productions de notre univers mental. Nous nous sommes développés au-delà du monde biophysique vers le psycho-socioculturel c’est-à-dire la culture. 6 C’est à proprement parler une transgression, un dépassement de limites qui semble aller à l’encontre du « naturel ». (*3) Le contrôle de la Nature Les progrès scientifiques rendent possibles toutes sortes de manipulations biologiques … Comme l’indique le philosophe Michel Serres, tout ce qui peut être fait se fera. La nature procède par essais et erreurs, seuls les essais réussis pourront perdurer. Nos morales relatives ne peuvent rien face au mouvement en cours et nous sommes impuissants à contrôler ces tendances en expansion. Transgresser est le propre de l’homme Il sélectionne les espèces animales et végétales, Il intervient chirurgicalement sur son propre corps, Il est sur le point de cultiver des cellules souches comme réserves de réparation du corps, Il prépare des thérapies géniques par modification du patrimoine génétique dans l'être vivant (par l'emploi de virus modifiés). Son évasion par la Culture hors de la Nature lui a donné la capacité de modifier la Nature et la Vie elle-même. 7 Obéir à la vie tout en la guidant ? L’être humain s’autorise à orienter la vie à sa convenance, à la guider vers un devenir autre… - procréation médicale assistée (PMA), - gestation pour autrui (GPA), - clonage de cellules, - thérapie génique… - Euthanasie ? Il ne peut néanmoins échapper aux lois de la vie elle-même… - naissance, croissance, - vieillissement, mort… (*3) Point de vue juridique Une nouvelle définition de la mort On a longtemps considéré la mort comme avérée lorsqu’il y a arrêt cardiaque. Aujourd’hui, il y a mort dès lors que le cerveau n’est plus irrigué, même si le corps fonctionne encore, grâce à une assistance mécanique. (Décret du 2 décembre 1996) On distingue ainsi la matière (le corps), de l’intériorité (le cerveau), de la conscience (ressentir, penser, agir) c’est-à-dire de l’esprit. « La médecine a inventé cet état métaphysique qu’est la mort cérébrale, suspendue entre vie et mort cardiaque, espace-temps sacré, transitoire, sans droit et sans catégorie. » (*4) 8 Naissance médicalisée, mort naturelle ? La naissance n’est déjà plus naturelle, elle est totalement médicalisée : tests et eugénisme prénataux (avortements), césariennes, PMA, GPA… Il en est résulté une explosion de la filiation en des phases différentes qui correspondent à la transmission du capital génétique, du patronyme (en fait le nom du père ou de la mère), de l’éducation. Pourra-t-on encore refuser la médicalisation de la mort ? Un droit au suicide ? Le suicide ne peut pas être interdit par la loi, puisque par nature on ne peut condamner efficacement quelqu’un qui est mort ! Il n’est pas non plus autorisé, ce n’est pas un droit, car on préfère essayer d’agir en amont afin de l’empêcher. A cet égard, le suicide des jeunes reste un drame. On comprend donc qu’il peut être périlleux pour la société de légiférer en faveur du suicide, car la nécessaire constitutionnalité de la loi impliquerait de l’autoriser pour tous. Un droit à donner la mort ? Accepterait-on qu’une personne donne la mort à une autre en bonne santé mais le lui ayant demandé? Est-il acceptable de donner la mort à quelqu’un qui ne l’a pas demandé et qui est en état de faiblesse ? Ces deux cas : suicide assisté et meurtre vont au-delà de ce qui semble admissible. 9 Comment légiférer ? La loi Claeys-Leonetti adoptée par l’Assemblée Nationale en mars 2015 et soumise au Sénat mécontente à la fois : - les opposants pour qui le fait de pouvoir couper l’alimentation et l’hydratation est déjà un suicide assisté, - mais aussi les tenants pour qui les exceptions que sont l’urgence vitale et les directives du patient bloquent la voie vers une vraie euthanasie. La sédation profonde devient légale avec arrêt de la nutrition. Ceci se fera en accord avec le malade et par une décision collégiale dans le cas de comas dépassés, morts cérébrales, cancers effroyables. Cette loi reconnaît ainsi que la souffrance n’est pas rédemptrice. (*6) Etre à mi-chemin entre les opinions extrêmes n’est-il pas un bon signe de compromis ? (*5) Les dérives possibles La médecine victime de ses progrès ? Les progrès incessants de la médecine sont à l’origine de la création d’un 4° âge où les gens meurent dans un grand état de faiblesse. Ces personnes sont dans un état où elles ne peuvent plus être accueillies nulle part. Ce 4° âge ne risque-t-il pas d’être la victime d’une loi sur l’euthanasie puisque la tentation d’abréger la vie sera grande ? Jusqu’où ne pas aller trop loin avec l’euthanasie ? (*1) 10 Vérité individuelle - Vérité collective Les individus voudraient vivre et font appel à la société et donc à la médecine et à la protection sociale pour prolonger leur vie en atténuant leurs douleurs. La société de son côté supporte une inflation des coûts résultants et cherche à les réduire. Eliminer les plus vieux qui ne sont plus productifs et sont une charge pour cette société sera donc une tentation irrésistible. Le tout économique En cas de baisse d’efficacité du système de santé, (qui fonctionne à crédit aujourd’hui), ne risque-t-on pas de chercher à supprimer les personnes inutiles et donc non rentables ? Toutes les personnes en état de fragilité (maladie, chômage, solitude…) pourraient devenir des victimes non consentantes d’escrocs en recherche de gains économiques, comme c’est déjà le cas avec les passeurs pour les migrants qui traversent la mer Méditerranée. Rédigé par Serge Naud Références : (*1) Bernard Marie Dupont - Euthanasie - ARTE TV Philosophie - 2014 (*2) Caroline Eliacheff - Exeption française - France culture - Sept 2014 (*3) Edgar Morin - Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur - UNESCO 1999 Seuil 2000 (*4) Baptiste Morizot - Le voyage des morts - Philosophie Magazine - Novembre 2012 (*5) Dominique Richard - Fin de vie, la loi avance sur le fil du rasoir - Sud-Ouest - 10 mars 2015 (*6) Patrick Pelloux – Charlie Hebdo – mars 2015