Faut-il conserver les ovaires lors d une hystérectomie ?

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La Lettre du Gynécologue - n° 296 - novembre 2004
aut-il, à l’occasion d’une autre intervention au voisinage
des ovaires, qu’il s’agisse d’une hystérectomie ou d’une
kystectomie ovarienne pour lésion bénigne, réaliser une
ovariectomie bilatérale ? Ce problème reste encore très contro-
versé et ce geste de prévention primaire du cancer de l’ovaire doit
être évalué selon chaque patiente.
L’ÉTAT DES PRATIQUES
Les opérateurs ont des convictions plus ou moins tranchées, par-
fois guidées par la faisabilité ou non de l’ovariectomie, elle-même
liée à leur expérience. Un travail irlandais de Geary en 1997 notait
qu’entre 40 et 44 ans, 6 % des gynécologues feraient une ovariec-
tomie prophylactique en cas d’hystérectomie voie haute pour
lésion bénigne. Les taux montaient à 43 % des gynécologues pour
des patientes entre 45 et 49 ans pour culminer à 88 % chez les
patientes ménopausées (1). Le travail de Fignon, en 1998, concer-
nant l’attitude des gynécologues français de 50 centres hospita-
liers universitaires et généraux, montrait que l’ovariectomie pro-
phylactique n’était jamais réalisée avant 45 ans, que 20 % des
gynécologues français la réalisaient entre 46 et 49 ans contre 63%
pour les patientes de plus de 50 ans (2).
L’ARGUMENT MAJEUR :
LA PRÉVENTION DU CANCER DE L’OVAIRE
Il s’agit d’un cancer peu fréquent avec un taux d’incidence stan-
dardisé en France en 2000 de 9 pour 100000 personnes-années
(par comparaison, pour le cancer du sein le taux est à 88,9 pour
100000 personnes-années). Il se situe au cinquième rang des can-
cers féminins en France en 2000 avec un nombre de nouveaux cas
annuel estimé à 4488. Le taux d’incidence augmente régulière-
ment pour atteindre un maximum de 43/100 000 à 74 ans puis ne
décroît que très lentement jusqu’à 36/100 000 après 85 ans.
Tout le monde reconnaît le pronostic redoutable de ce cancer,
d’autant plus qu’il est habituellement diagnostiqué au stade III
avec des taux de survie à 5 ans voisins de 15 à 20 % dans la plu-
part des séries. Avec 3508 décès par an, le cancer de l’ovaire se
situe au quatrième rang des décès féminins en France (3). Le
risque sur la vie de développer un cancer de l’ovaire est de l’ordre
de 1,4% (4).
LES FACTEURS DE RISQUE DE CANCER DE L’OVAIRE
Certains facteurs augmentent le risque de cancer de l’ovaire. Le
risque de cancer de l’ovaire chez les patientes porteuses de muta-
tions génétiques dépend du type de mutation. Ainsi, en cas de
mutation du gène BRCA1, Easton en 1995 rapportait un risque
cumulé de cancer de l’ovaire à 60 ans de 11 % à 42 % selon
l’allèle muté (5), tandis que Whitmore, en 1997, relatait des
chiffres de 9,4 % à 21,5 % (6). Struewing, en 1997, rapportait un
risque cumulé à 70 ans de 16 % seulement pour une mutation de
BRCA1 ou BRCA2 (7). La mutation du gène HNPCC du syn-
drome de Lynch II est également à l’origine d’une augmentation
du risque ovarien. Ce risque génétique reconnu a été à l’origine de
propositions d’ovariectomie prophylactique par différentes ins-
tances médicales, en cas d’antécédents familiaux de cancers ova-
riens. Ainsi, les critères de l’ACOG (1999) retiennent deux can-
cers ovariens chez des parents au premier degré (8) tandis que les
critères de l’IGR retiennent un cancer ovarien au premier degré
et/ou au deuxième degré. L’âge recommandé de l’ovariectomie
est habituellement de 35 ans avec extraction des ovaires dans un
sac lorsque l’intervention est menée par cœlioscopie.
LES FACTEURS PROTECTEURS DE CANCER DE L’OVAIRE
Certains facteurs diminuent cependant le risque de cancer de
l’ovaire comme la prise d’estroprogestatifs, l’allaitement
maternel, l’ovariectomie unilatérale et l’hystérectomie conser-
vatrice.
Les estroprogestatifs diminuent le risque de 40 % dès 6 mois
d’utilisation pour culminer à 80 % de diminution pour plus de
10 ans de traitement. L’hypothèse mécanique de M.F. Fathalla
retient que le risque serait lié à la fréquence des ovulations qui
est diminuée en cas de prise d’estroprogestatifs (9).
La conservation d’un seul ovaire semble avoir un rôle protec-
teur sur l’ovaire restant avec un risque relatif de 0,7.
L’influence de l’âge de la ménopause dans cette situation peut
être évoquée.
Le rôle protecteur de l’hystérectomie conservatrice sur la sur-
venue du cancer de l’ovaire est relaté par plusieurs études.
Parazzini, en 1993, montre ainsi que le risque relatif de cancer
de l’ovaire est diminué de façon significative de 50 % (IC 95
% : 0,3-0,8 %) lorsqu’une hystérectomie conservatrice a été
réalisée il y a au moins 15 ans (10). Pour des délais moindres,
D
OSSIER
Faut-il conserver les ovaires lors d’une hystérectomie ?
F
Should we keep ovaries during hysterectomy?
D. Raudrant*, F. Golfier**
* Centre hospitalier Lyon-Sud, service de chirurgie gynécologique et cancéro-
logie, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Bénite.
** Hôtel-Dieu, service de gynécologie obstétrique (Pr D. Raudrant), 1, place de
l’Hôpital, 69002 Lyon.
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La Lettre du Gynécologue - n° 296 - novembre 2004
la diminution du risque n’est pas significative (tableau I).
QUELLE RÉDUCTION DU RISQUE DE CANCER DE L’OVAIRE
APRES OVARIECTOMIE PROPHYLACTIQUE ?
Averette en 1993 montrait que sur 12316 cancers de l’ovaire,
18,2% avaient été précédés d’une hystérectomie conservatrice des
ovaires et que 57,4 % de celles-ci avaient été réalisées après
40 ans. Ainsi, 1286 cancers auraient été évités si l’ovariectomie
avait été réalisée à partir de 40 ans (11). Le travail de Rozario en
1997 montrait que 10,9 % des cancers ovariens auraient pu être
évités si les femmes opérées entre 40 et 45 ans d’une chirurgie
pelvienne ou abdominale avaient eu dans le même temps une ova-
riectomie prophylactique. En revanche, en s’intéressant aux
femmes qui avaient alors entre 45 et 50 ans et aà celles qui avaient
plus de 50 ans, le pourcentage de cancers évités n’aurait été res-
pectivement que de 6,7 % et 4 % (4).
Si une ovariectomie prophylactique systématique était réalisée
lors de toute hystérectomie après 40 ans, on attendrait une réduc-
tion du nombre de cancers de l’ovaire de 2,2 % au Japon et de
7,9% aux États-Unis (2 000/26000). Il apparaît clairement que
cette réduction dépend de la fréquence de l’hystérectomie dans
chaque pays.
Une autre façon de présenter les choses est de calculer le nombre
d’ovariectomies prophylactiques nécessaires pour éviter un cancer
de l’ovaire. Ces estimations sont très variables, de 2500 pour
Rochet en 1984 (12) à 60 ou 120 ovariectomies pour Li en 1994
(13). La vérité est probablement intermédiaire, Studd rapporte
ainsi en 1989 que 300 à 500 ovariectomies sont nécessaires pour
éviter un cancer ovarien (14).
LA SÉCRÉTION HORMONALE DE L’OVAIRE MÉNOPAUSIQUE
La sécrétion de testostérone est de l’ordre de 60 µg par jour, ce
taux restant identique avant et immédiatement après la ménopause
puis diminuant très progressivement. En revanche, pour la β4-
androstènedione, il y a une diminution plus marquée à la méno-
pause de 1,5 à 0,3-0,6 ng par jour (15, 16). La castration après la
ménopause diminue de 50 % le taux de testostérone et de 20 % le
taux de β4-androstènedione tandis que le taux d’E2 ne subit pas
de modifications (conservation de la faible conversion périphé-
rique). Personne ne peut dire actuellement les inconvénients, s’ils
existent, à cette variation hormonale induite par la castration.
L’étude de Shifren est intéressante à ce sujet même si elle est de
petit effectif et non concluante de façon définitive. Soixante-cinq
femmes ayant subi une hystérectomie sans conservation ova-
rienne entre 31 et 56 ans, avec un taux de testostérone de moins
de 30 ng/ml et sous traitement estrogénique substitutif seul ont
reçu ou non des patchs de testostérone. Le nombre de patientes
avec plus d’un rapport sexuel tous les 7 jours a été étudié. Dans le
bras placébo, ce taux était de 23 % ; dans le bras patch de testosté-
rone à 150 µg, le taux était de 35 % alors qu’il était de 41 % dans
le bras patch de testostérone à 300 µg (17).
LES OVAIRES FONCTIONNENT-ILS APRES HYSTÉRECTOMIE
CONSERVATRICE ?
Il semble bien que la ménopause soit plus précoce de 2 à 4 ans et
qu’elle le soit encore plus s’il y a conservation d’un seul ovaire.
Ce dysfonctionnement prématuré de l’ovaire dépend certainement
du type de vascularisation ovarienne. Si l’apport sanguin se fait
préférentiellement par l’artère ovarienne (vascularisation de type
IV), l’hystérectomie ne retentira pas sur le fonctionnement ova-
rien. À l’inverse, si l’apport sanguin se fait préférentiellement par
l’artère utérine (vascularisation de type III), l’hystérectomie va
engendrer une hypoxie sévère de l’ovaire et son dysfonctionne-
ment en sera accéléré. L’étude de Bukovsky sur 40 femmes de 38
à 45 ans montre que 6 mois après l’ablation d’un ovaire, 35 % des
femmes ont un dysfonctionnement ovarien avéré biologiquement
tandis qu’aucune ne l’a si les deux ovaires ont été conservés (18).
LE FACTEUR INFLUENÇANT L’OVARIECTOMIE PROPHY-
LACTIQUE RESTE ESSENTIELLEMENT LA VOIE D’ABORD !
Dans notre série de l’Hôtel-Dieu, de 1992 à 1996, le taux d’ova-
riectomies était toujours plus fort en cas d’hystérectomie voie
haute que voie basse (hors endométriose), quel que soit l’âge de
réalisation de l’hystérectomie (tableau II). Dans la série
d’Anquetil et Fernandez (19) les taux sont à nouveau plus élevés
pour la voie haute (32,8 %) que pour la voie basse (10 %). Dans
la série de Gross, en 1999, concernant 6 227 hystérectomies
totales après 50 ans, de 1994 à 1996, le principal facteur à l’ori-
gine d’une ovariectomie est encore la voie d’abord. Ainsi, 89 %
des patientes opérées par la voie haute contre 27 % des patientes
opérées par la voie basse ont eu une ovariectomie dans le même
temps que leur hystérectomie (20). L’expérience du chirurgien en
voie vaginale est le principal facteur de réalisation par la voie
basse ; interviennent également des facteurs individuels non
médicaux liés aux médecins et aux patientes.
La faisabilité de l’ovariectomie par voie vaginale est pourtant éle-
vée quand elle est réalisée par une équipe entraînée. Ainsi, Davies
(21) rapporte une faisabilité de 97,5 % avec une durée opératoire
allongée de 23 mn par rapport à l’hystérectomie vaginale conser-
vatrice (88 mn versus 65 mn ; p < 0,001). Il ne rapporte pas de
complication particulière, pas de recours supplémentaire à la lapa-
D
OSSIER
Risque relatif IC 95 %
de cancer
Toutes patientes 0,7 0,5-0,9
Délai HC < 4 ans 0,9 0,4-1,7
Délai HC 5-9 ans 0,7 0,3-1,6
Délai HC 10-14 ans 0,7 0,3-1,4
Délai HC > 15 ans 0,5 0,3-0,8
Tableau I. Diminution du risque de cancer de l’ovaire après
hystérectomie conservatrice (HC).
D’après Parazzini (10)
n* < 45 ans 45 à 50 ans
Voie haute 207 5,6 % 25,7 %
Voie basse 228 0,8 % 10,6 %
Tableau II. Fréquence de l’ovariectomie prophylactique selon
la technique d’hystérectomie (Hôtel-Dieu, Lyon 1992-1996).
* Endométriose exclue.
21
La Lettre du Gynécologue - n° 296 - novembre 2004
rotomie et pas d’augmentation du risque hémorragique. Il existe
certainement une courbe d’apprentissage de la technique d’ova-
riectomie qui, largement codifiée et diffusée, ne devrait plus être
un frein si l’indication de l’ovariectomie a été posée en pré-opéra-
toire.
LES AVANTAGES DE L’OVARIECTOMIE PROPHYLACTIQUE
EN CAS D’HYSTÉRECTOMIE
Cinq avantages peuvent être avancés à la réalisation d’une ova-
riectomie prophylactique en cas d’hystérectomie : l’ovariectomie
prévient les tumeurs malignes de l’ovaire, supprime les douleurs
pelviennes chroniques en cas d’adhérences péri-tubo-ovariennes,
supprime le syndrome prémenstruel de la préménopause, les
pathologies ovariennes bénigne, fonctionnelle ou organique
(1,8% des patientes seront réopérées pour cela) et, enfin, diminue
le risque de cancer du sein.
LES INCONVÉNIENTS DE L’OVARIECTOMIE
PROPHYLACTIQUE EN CAS D’HYSTÉRECTOMIE
Six inconvénients peuvent être opposés à cette intervention pré-
ventive. Techniquement, l’ovariectomie peut être difficile par la
voie vaginale exposant à une augmentation potentielle de la mor-
bidité de l’hystérectomie. Psychologiquement, la patiente peut
être déstabilisée par l’ovariectomie en sus d’une hystérectomie
qu’elle avait déjà dû admettre, parfois moins facilement qu’il n’y
paraît. En l’absence de traitement hormonal substitutif (THS), elle
induit une ménopause chirurgicale brutale, avec son cortège
d’intolérances probablement majorées. L’observance du THS est
médiocre en France, d’autant plus que les publications alarmantes
sur le sujet ont eu tendance à gommer les résultats plus rassurants
du bras estrogènes seuls de la WHI en ce qui concerne le cancer
du sein. En l’absence de THS, l’augmentation du risque ostéopo-
rotique induit par une ménopause avancée doit être prise en
compte et évaluée. Enfin, le risque de cancer de l’ovaire est déjà
réduit par l’hystérectomie, surtout si les estroprogestatifs ont été
pris pendant de nombreuses années.
AU TOTAL
Après la ménopause, l’ovariectomie prophylactique doit toujours
être proposée. Le bénéfice de la conservation est difficile à prou-
ver, la supplémentation en androgène est techniquement possible
si l’on y croit. Il est également raisonnable de ne pas s’acharner
par la voie vaginale si la patiente est âgée (l’âge moyen de surve-
nue du cancer de l’ovaire est de 59 ans).
Avant la ménopause, l’analyse des facteurs de risque est l’élément
premier de la décision. Il faut savoir rechercher un antécédent
familial de cancer de l’ovaire ou du sein, un antécédent familial
ou personnel de cancer du sein ou de l’appareil digestif, un anté-
cédent d’infertilité (l’infertilité semble bien plus en cause que les
inductions d’ovulation qu’elle implique) ou une absence de prise
de pilule estroprogestative. En présence de facteurs de risque, pro-
poser l’ovariectomie prophylactique dès 40 ans paraît logique, en
prenant soin de l’expliquer, voire de l’argumenter selon l’impor-
tance de ce facteur de risque. S’il n’existe pas de facteur de risque,
la proposer dès 45 ans semble également raisonnable ; il est
nécessaire alors de prendre le temps d’abord d’informer sur les
raisons de cette proposition puis de prendre encore du temps pour
expliquer les avantages attendus et les risques du THS, sur son
observance médiocre au long cours et les risques d’ostéoporose
corrélés. Ne pas imposer l’ovariectomie semble relever du bon
sens relationnel indispensable en l’absence d’impératif médicale-
ment justifié.
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