4 | La Lettre du Gynécologue • n° 345 - octobre 2009
Éditorial
Ovariectomie prophylactique :
une vraie fausse bonne idée ?
Prophylactic ovariectomy: a true pseudo good idea?
B. Raccah Tebeka*
L
’ovariectomie bilatérale prophylactique
est souvent proposée lors d’une hysté-
rectomie pour pathologie bénigne dans le
but de prévenir le développement d’un cancer
de l’ovaire. Dans cette optique, aux États-Unis,
300 000 ovariectomies prophylactiques sont
réalisées chaque année, et concernent 50 % des
femmes hystérectomisées entre 40 et 44 ans
et 78 % des 45-64 ans. Il est bien établi qu’un
âge plus tardif à la ménopause est associé à
une diminution du risque de décès par maladie
coronarienne et accident vasculaire cérébral
(AVC). On sait, de plus, que la mortalité par
coronaropathie et AVC représente respective-
ment 22 et 6 fois celle attribuée au cancer de
l’ovaire. Par ailleurs, l’ovaire après la ménopause
continue à sécréter de faibles quantités d’andro-
gènes convertis en périphérie en estrogènes. La
conservation ovarienne pourrait donc peut-être
améliorer la survie globale des femmes non à
risque de cancer de l’ovaire.
De précieuses données issues de la cohorte de
la Nurses Health Study (1) permettent de donner
des chiffres sur la survie globale à long terme
de femmes ayant subi ou non une ovariectomie
bilatérale lors de leur hystérectomie. Entre
1976 et 2002, 29 380 infirmières avaient été
hystérectomisées : 55,6 % avec ovariectomie
prophylactique associée et 44,4 % avec conser-
vation ovarienne. Ces femmes ont été suivies
jusqu’en 2004 avec mises à jour des facteurs de
risque, des pathologies et divers événements
médicaux tous les 2 ans.
Après ajustement sur de très nombreux
facteurs de risque, l’ovariectomie était
associée à un risque accru de maladies coro-
nariennes (RR : 1,17 ; IC95 : 1,02-1,35), en
particulier si elle avait été réalisée avant l’âge
de 45 ans. À l’inverse, le risque de cancer du
sein était diminué (RR : 0,75 ; IC95 : 0,68-
0,84) ainsi que, comme attendu, celui du
cancer de l’ovaire (RR : 0,04 ; IC95 : 0,04-0,09)
alors qu’on assistait à une augmentation inex-
pliquée du risque de cancer pulmonaire (RR :
1,26 ; IC
95
: 1,02-1,56). Globalement, le risque
carcinologique, tous cancers confondus, était
abaissé (RR : 0,90 ; IC95 : 0,84-0,96). Aucune
différence significative n’apparaissait concer-
nant le risque de cancer colorectal, d’AVC, de
fracture du col fémoral. Dans l’analyse multi-
variée, l’ovariectomie constituait un facteur de
risque de décès toutes causes confondues (RR :
1,12 ; IC
95
: 1,03-1,21). Le risque de décès par
coronaropathie (RR : 1,28 ; IC
95
: 1,00-1,64), par
cancer pulmonaire (RR : 1,31 ; IC
95
: 1,02-1,68) et
par cancer quelle qu’en soit la cause (RR : 1,17 ;
IC95 : 1,04-1,32) était accru chez les femmes
ayant subi une hystérectomie non conserva-
trice. À l’opposé, le risque de décès par cancer
de l’ovaire était considérablement abaissé alors
qu’il n’apparaissait pas de différence significa-
tive pour les décès liés au cancer du sein, au
cancer colorectal et à un AVC. Le risque de
décès toutes causes confondues apparaissait
comme étant le plus élevé chez les femmes
ovariectomisées avant l’âge de 50 ans. Quand
l’intervention avait été pratiquée avant cet âge,
il était retrouvé un surrisque de coronaropathie
et de décès toutes causes confondues chez les
femmes n’ayant pas bénéficié d’une estrogé-
nothérapie.
Dans cette large étude prospective d’observation,
il apparaît clairement qu’à long terme (24 ans
de suivi), l’ovariectomie prophylactique réalisée
à l’occasion d’une hystérectomie pour patho-
logie bénigne augmente, certes modestement,
la mortalité toutes causes confondues surtout
d’origine coronarienne, et que la survie globale
n’est pas prolongée quel que soit l’âge auquel est
pratiquée l’intervention. Malgré la diminution du
risque total de cancers, et en particulier pour les
cancers du sein et de l’ovaire, le risque global de
décès par cancer était curieusement plus élevé
après ovariectomie. Toutes ces données apparais-
saient avec d’autant plus de puissance lorsque les
femmes étaient opérées avant l’âge de 45 ans et
chez celles ovariectomisées avant l’âge de 50 ans
n’ayant jamais eu de traitement estrogénique par
la suite. Ces résultats sont concordants avec les
données biologiques et les études expérimen-
tales qui montrent que la carence estrogénique
augmente le taux des lipides, réduit le flux caro-
tidien et accroît l’athérosclérose subclinique avec
augmentation de l’épaisseur de l’intima-média.
Dans le même sens, des données antérieures
issues d’une méta-analyse (2) montrent un
* Service de gynécologie obstétrique,
hopital Robert-Debré, 48, bd Sérurier,
75019 Paris.