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A la grâce de cette sagesse espiègle, Socrate interrogeait le premier venu,
en lui demandant par exemple : pourquoi vivez-vous ? Chacun s’empressait
alors de faire valoir ses certitudes que l’ironie questionnante de Socrate
déconstruisait avec l’arme de la contradiction. Chacun était à fuir à la hâte la
question, à l’oublier, en refusant de voir que le savoir ne répondait pas, qu’on
ne savait pas répondre. Et regagnait ensommeillé la comédie du monde.
L’incertitude socratique était ainsi révélée, cultivée au l du questionnement
comme étant le lieu de la pensée. Tout en insistant sur le fait qu’une vie sans
examen ne vaut pas d’être vécue.
Socrate, au gré de sa libre ironie, artisan d’incertitude, a renversé les valeurs
en substituant à l’avoir l’inquiétude de l’être. Avec lui, la philosophie est une
errance rééchie en quête de vérité. Elle est la certitude de la quête, de devoir
quêter la vérité, au cœur même de l’incertitude sue.
Philosophie et incertitude se conjuguent au l de la maïeutique socratique
qui conduit à l’aporie souvent. Naître à son esprit c’est naître à l’incertitude.
Penser c’est savoir que l’on n’est sage que par la conscience de n’être pas sage.
L’incertitude est une privation qui fait naître le désir de vérité chez l’éternel
vagabond qu’est le philosophe, philosophe que se doit d’être tout homme.
Mais peut-être que nous ne pouvons pas même savoir avec certitude que
nous ne savons rien.
En effet Montaigne se demandait : que sais-je?
Sans pouvoir être assuré de son ignorance, de sa nescience.
Il faisait le constat sceptique suivant : rien n’est vrai, rien n’est faux. Il n’ya ni
vérité ni fausseté en soi, ni des choses en elles-mêmes.
La vérité n’est que de l’homme, sans quête possible d’un absolu.
Toutes les vérités se contredisent. Alors la contradiction est vérité.
La pensée humaine n’est pas la clef du monde, ni le secret de quelques raisons
de l’univers, en lui cachée.
Les choses nous laissent à nous-mêmes depuis leur silence.
Montaigne murmure à l’homme, avec ironie et lucidité :
Il n’est une chose si vide et nécessiteuse que toi, qui embrasses l’univers.
Tu es le scrutateur sans connaissance, le magistrat sans juridiction, le badin
de la farce.
Par notre conscience, nous pouvons faire de toute chose un mot, un objet de
pensée, et faire tenir l’innité bleue du ciel en un mot, une expression, une
idée. La conscience devient toute chose, quoi que ce soit, pense toute chose.
Elle se fait elle-même, exilée en face du monde et au monde, mais se saisissant
de lui symboliquement.
Cependant ses mots ne sont que de l’absolu, le silence. Sa souveraineté est
celle de la solitude.
Ainsi être conscient c’est être ailleurs, dans l’abstraction des mots et des idées,
dans leur intransitivité. Les mots ne sont pas les choses ni leurs condents.
La chasse est sans prise. La pensée est toujours errante. Il n’y a pas de conclusion
rassurante. Tout savoir multiplie les questions, obscurcit ce qu’il veut éclaircir.