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FOCUS
FRANCE
LA MENACE TERRORISTE AURA UNE INCIDENCE ÉCONOMIQUE
À long terme et au-delà des mesures sécuritaires annoncées pour 2016, le risque d’enlisement du conflit avec « l’ennemi
invisible » pourrait entraîner une hausse exponentielle des dépenses de défense et avec elle des dérives budgétaires. Il
faut éviter aux marchés financiers qui financent la dette de la France de s’emparer du sujet.
Depuis quelques mois, la France semblait aller mieux. Ses
indicateurs se redressaient peu à peu. Même le plus récalcitrant
de nos paramètres économiques, l’investissement, commençait
enfin à sortir la tête de l’eau avec un léger rebond de 0,1 %
au troisième trimestre. L’activité économique semblait être en
bonne voie. Le gouvernement, rassuré, se targuait auprès de
Bruxelles de respecter la trajectoire prévue pour son déficit
public et annonçait déjà la baisse des impôts pour les revenus les
plus modestes.
Mais, depuis le drame du 13 novembre, les cartes sont
rebattues. Comment appréhender l’année 2016 avec cette
nouvelle contrainte, celle que représente la menace terroriste ?
Le conjoncturiste dévoile habituellement ses prévisions
économiques selon le scénario le plus probable. C’est-à-dire
que ses anticipations sont livrées sous certaines hypothèses
en écartant les événements imprévisibles. Ainsi, est d’emblée
retiré des hypothèses de départ dans les modèles de prévisions,
l’avènement d’un tremblement de terre ou encore d’un tsunami
par exemple. Pour autant, on sait que ces catastrophes naturelles
ne peuvent être sans incidence sur l’activité économique et
exigent de remettre à plat ensuite les conditions préalablement
établies pour chiffrer les conséquences de ces événements sur
la croissance. Il en est de même pour l’apparition de conflits et de
tensions géopolitiques.
Les conséquences d'une intervention militaire
Regardons, en effet, un exemple relativement proche avec le
conflit ukrainien déclenché à partir de fin 2013. L’intervention
militaire russe a localement déstabilisé la croissance naissante.
Dans son rapport sur les perspectives de l’économie mondiale
d’octobre 2013, le FMI prévoyait une hausse du PIB de la Russie
en 2014 de 3 % contre 1,5 % l’année précédente. Mais, les
opérations militaires ont changé la donne et l’environnement
économique s’est assombri. La fuite des capitaux en Russie a
entraîné l’affaiblissement du Rouble avec un durcissement des
conditions de financement. Les taux d’intérêt ont grimpé. Au
final, la croissance russe n’aura été que de 0,6 % en 2014. Pour
2015, la situation s’enlise avec la chute du cours des matières
premières qui a précipité le pays dans la récession.
En revanche, si on regarde les attaques terroristes aux États-
Unis en septembre 2001, en Espagne en mars 2014 et en
Grande-Bretagne en juillet 2005, on constate qu’il n’y a pas
eu d’impact majeur de déséquilibres sur la croissance interne.
C’est pourquoi, aujourd’hui, de nombreux économistes tirent
le trait. Ils expliquent que les effets des attentats de janvier
à Paris n’ont pas déstabilisé la consommation et qu’il devrait
en être de même pour le drame du 13 novembre. Pour autant,
le gouvernement nous a déjà annoncé qu’il y aura d’autres
événements dramatiques. Manuel Valls prédit en effet « d’autres
répliques ». Et de préciser, « ce que je veux dire aux Français, c’est
que nous sommes en guerre ».
La menace terroriste n'est plus un risque
imposable
Face à ces informations, doit-on négliger le risque économique à
venir ? Et doit-on faire comme à l’accoutumée, mettre les risques
dits imprévisibles de côté en considérant la menace terroriste de
la même manière que les catastrophes naturelles, que les conflits
imprévus ou que les épidémies incontrôlables ? Il est vrai qu’il
n’existe pas une année sans qu’un de ces événements dans le
monde ne se produise pour venir contredire les prévisions.
Toutefois, on sait par avance que l’intervention en Syrie et les
premières mesures visant à améliorer la sécurité du territoire
vont avoir un coût. D’après le ministère de la Défense, le
déploiement des forces militaires au Mali avait engendré un
surcoût de 650 millions d’euros en 2013. On peut déjà envisager
qu’il en sera au moins de même pour le coût des opérations
menées en Syrie en 2016. En outre, le gouvernement a déjà
annoncé, pour assurer la sécurité intérieure, la création de 8 500
postes supplémentaires dans les missions régaliennes (police,
gendarmerie, justice, douane). Le montant annuel de la création
de ces emplois a été estimé à 600 millions d’euros. Si le cumul de
ces deux dépenses ne représente que très peu sur l’ensemble
de la dépense publique qui atteint 1 100 milliards d’euros, reste
le risque d’enlisement du conflit contre un ennemi « invisible ».
On ne peut oublier les conflits qui ont découlé directement ou
indirectement des événements du 11 septembre, et qui ont
entraîné une augmentation exponentielle des dépenses de la
défense aux États-Unis.
L'explosion des dépenses de la défense à
prévoir
Pour l'économiste américain, Joseph Stiglitz, les guerres lancées
au lendemain du 11 septembre en Afghanistan (octobre-
novembre 2001) et en Irak (mars 2003) ont conduit à une hausse
spectaculaire des dépenses militaires américaines estimée à
100 milliards de dollars par an. À ceci s'ajoute le supplément
de dépenses allouées à la sécurité intérieure. Ce surcoût a été
estimé à 450 milliards de dollars.
Ainsi, en France, force est d’admettre que le poids de la défense
dans la dépense publique risque de peser plus lourdement que les
premières estimations officielles. Si l’Etat régalien doit assurer
la sécurité, rappelons que la France n’est pas en situation de
force au niveau budgétaire. Elle va devoir financer ses nouvelles
dépenses publiques sur les marchés financiers. Pour l’heure,
Bruxelles accepte les dérives exceptionnelles du déficit public
liées à ce drame du 13 novembre. Mais, quid des budgets à
venir si la menace terroriste s’éternise ? La France pourrait-elle
faire face, seule, au coût que va engendrer la sécurité dans les
prochaines années ?
Par ailleurs, les gouvernements à venir risquent d’être tentés
d’augmenter les transferts sociaux pour compenser les
conséquences économiques des éventuelles nouvelles tragédies.
Mais, les capacités de financement s’amenuisent et laissent
craindre une désaffection des créanciers internationaux pour un
pays piégé dans des conflits récurrents. Pour éviter un éventuel
durcissement de la notation de la France qui pourrait entraîner
une fuite des capitaux, deux alternatives restent envisageables.
Soit les dépenses sociales qui représentent les deux tiers des
dépenses totales sont diminuées pour compenser la hausse
des dépenses de la défense, soit la sécurité devient une priorité
commune en Europe et sa charge est répartie équitablement
entre chaque pays membre de l’Union européenne dans un
budget de défense commun. n