Psychologie sociale expérimentale de l'usage du langage Figures de l'Interaction Collection dirigée par Alain Trognon et Michel Musiol Les ouvrages publiés ressortent principalement du champ des interactions langagières et des actions de communication. La perspective est pluridisciplinaire mais l'approche est résolument micro-sociale. De plus en plus de travaux qui concernent à la fois les interactions et la cognition fleurissent dans le paysage scientifique et répondent au moins partiellement à la demande sociale qui aspire à une meilleure compréhension de phénomènes aussi complexes et divers que l'apprentissage dans et par le groupe en pédagogie, ou bien encore les processus de coordination de l'action en psychologie du travail et en psychologie sociale. En plus d'enrichir les connaissances relatives à l'interaction comme domaine empirique, la collection proposera des instruments de travail novateurs et critiques à destination des experts d'un maximum de domaines d'application correspondants. C'est en faisant interagir les disciplines, leurs concepts et leurs méthodes, que l'on veut réinterroger les comportements aux confins du paradigme de l'interaction. Un dialogue fructueux naîtra de la confrontation de la psychologie et ses sous-disciplines avec l'intelligence artificielle, la philosophie, la linguistique, la logique et la neurobiologie. Déjà parus PERRET Jean-François, PERRET-CLERMONT Anne-Nelly, Apprendre un métier dans un contexte de mutations technologiques (nouvelle édition mise àjour), 2004. COLLECTIF, Apprendre à parler: influence du mode de garde, 2004. Benoît SCHNEIDER (dir.), Emotions, interactions et développement, 2002. A-N. PERRET-CLERMONT et M. NICOLET, Interagir et connaître, 2001. Virginie LAVAL, La promesse chez l'enfant, 1999. Haydée MARCOS, De la communication prélinguistique au langage: formes etfonctions, 1998. COLLECTIF, Machine, langage et dialogue, 1997. Edith Sales-Wuillemin Psychologie sociale expérimentale de l'usage du langage Représentations et attitudes: L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE sociales, catégorisation perspectives nouvelles L'Harmattan Hongrie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L'Harmattan Italia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino ITALIE Un grand merci à l'ensemble de mes collègues et plus particulièrement à ceux du Groupe de Psychologie Sociale (GPSD) du Laboratoire de Psychologie Clinique et Sociale (LPCS-EA3658) de l'Université de Bourgogne et du Laboratoire de Psychologie Sociale (LPS-EA351) de l'Université Paris 8, qui m'ont permis dans cet ouvrage, version modifiée de mon HDR, de faire état des recherches, présentes, passées, ou en cours de réalisation. Une pensée toute particulière pour mes proches et plus spécialement pour mon mari et ma fille, Raymond-Philippe et Marie-Mathilde Wuillemin, mes plus grands supporters, à qui je dois beaucoup. Je leur dédie ce livre. @ L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-8338-4 EAN: 9782747583381 INTRODUCTION « Nous passons une grand partie de notre vie sociale à communiquer aussi bien par la parole, par le geste ou encore par l'écrit, et bien que nous le fassions le plus souvent sans y penser, toute cette activité a pour but unique de faire connaître, dans une certaine mesure, à autrui ce que nous pensons, croyons, ressentons vis-à-vis des objets du monde ainsi que lafaçon dont nous avons l'intention d'agir sur -ou vis-à-vis- de ces objets. Ainsi, grâce au langage, nous pouvons agir sur le monde mais aussi surtout partager nos pensées avec autrni » Bromberg et Trognon (2004, p.l). 1. Objectif de l'ouvrage L'objectif de cet ouvrage est de présenter un ensemble de travaux de psychologie sociale qui s'inscrivent dans une approche novatrice. La psychologie sociale du langage et de la communication a pour objectif la mise en lumière et la compréhension des processus sociocognitifs en jeu dans les situations d'interaction sociale, grâce à l'analyse de l'usage du langage que font les sujets sociaux au sein de ces situations. Il s'agit ainsi de mettre en correspondance des recherches de psychologie sociale dans le champ de la cognition et de l'influence sociale, avec d'autres disciplines comme la linguistique, la psycholinguistique, la sociolinguistique ou encore la philosophie du langage, qui ont pour objet l'étude du langage et de la communication. Cette voie d'approche n'est pas aisée, elle est encore aussi souvent méconnue, mais elle constitue à notre sens une contribution pertinente. L'idée défendue est que l'accès par le langage permet d'affiner l'analyse des processus cognitifs en jeu dans les situations sociales analysées. L'objectif n'est pas ici de dresser un panorama exhaustif de l'ensemble des travaux réalisés, mais de donner un éclairage tout particulier à des études qui font précisément le lien entre des processus sociocognitifs et leur traduction 5 au travers de l'utilisation particulière du langage que font les individus dans les situations d'interaction sociale. Après avoir caractérisé ce qui fait la particularité du « regard psychosocial », nous montrerons l'intérêt d'une approche du sujet social par l'analyse de ses productions discursives. 2. La particularité du" regard" psychosocial C'est avec pour objet l'étude des interactions sujet/société et plus récemment des relations que le sujet entretient avec les objets sociaux que la psychologie sociale s'est constituée. Mais, s'il s'agit à l'origine, comme le rappelle Stoetzel (1978), dans le cadre de la philosophie, d'appréhender dans une dualité lancinante, l'incidence que l'environnement social a sur le sujet ou au contraire que le sujet a sur le fonctionnement social, opposition qui se traduira sous la forme d'un débat entre deux points de vue antagonistes: 1- il existe un homomorphisme entre le mode de fonctionnement individuel et le mode de fonctionnement collectif; 2- les conditions sociales déterminent le fonctionnement individuel; les préoccupations se tourneront rapidement et plus simplement, dès le début du 20èmesiècle, vers l'analyse des faits sociaux, c'est-à-dire l'étude des lois qui régissent le sujet social, sa façon de comprendre, de réagir émotionnellement et de se comporter dans un environnement particulier et ce dès le plus jeune âge. De nombreux auteurs, issus d'horizons très divers, marqueront le début de cette réflexion, Mac Dougall, Tarde, Allport, Mead, Lewin, Mayo... pour n'en citer que quelques-uns. Ils auront en commun une manière particulière d'analyser le fonctionnement de l'individu qui permettra à la psychologie sociale de se démarquer d'autres disciplines limitrophes. Existe depuis, un mode d'appréhension du fonctionnement du sujet spécifique à la psychologie sociale. Ce "regard" que bien des années plus tard, Moscovici (1984) qualifiera de " ternaire" a pour particularité d'unir le sujet individuel, le sujet social et l'objet, dit autrement, l'Ego, l'Alter et l'Objet. Dans cette conception, l'image que le sujet a de l'objet ne se constitue pas dans une relation duelle, elle se crée en relation à autrui (un Alter) qui peut être un autre individu (ou un groupe) semblable (autre Ego) ou différent du sujet (autre Alter)). 6 C'est cette conception, fondée sur une "tiercéité", qui permet à la psychologie sociale de s'opposer de manière radicale au regard binaire caractérisant les approches strictement psychologique et sociologique. Cette optique a deux conséquences fondamentales: 1- L'objet n'est pas analysé en lui-même et pour lui-même, comme une entité isolée, mais au travers de la perception, de l'image, qu'en a le sujet. De ce point de vue, il n'y a aucune frontière entre la réalité intérieure de l'individu et la réalité extérieure (Moscovici, 1976); 2- La relation qui unit le sujet à l'objet et à autrui ne peut être conçue comme statique mais au contraire en perpétuelle dynamique. Elle doit être entendue comme une véritable inter-action (d'autant plus dynamique que l'alter est différent du sujet et que sont mises enjeu les appartenances groupales de chacun d'eux). 3. Intérêt de l'étude des productions langagières pour accéder aux processus socio psychologiques en jeu dans les interactions sociales Traditionnellement, l'étude du langage se situe au cœur de la linguistique au sein de sous disciplines comme la sémantique, la pragmatique, la phonologie, ou la syntaxe... Pour ce qui concerne l'étude du langage tel qu'il est utilisé dans des situations de communication sociale, l'approche de la linguistique est néanmoins considérée par bon nombre d'auteurs comme réductrice, aussi elle a été discutée et adaptée notamment dans le cadre de la psychologie sociale de la communication et du langage. Dans cette optique, il apparaît essentiel de ne pas étudier la langue comme une structure isolée, mais de prendre en compte les productions discursives des individus (sujets sociaux) et de les situer au sein d'un contexte social de production. Le contexte n'est néanmoins pas considéré comme une entité globale qui, lorsque l'on s'y réfère, permet de mieux comprendre le sens du discours produit, mais comme un ensemble spécifique de paramètres pris en compte par les sujets, ce qui a une influence sur leurs productions discursives. Il s'agit dès lors non seulement de définir précisément l'ensemble des paramètres situationnels qui ont un effet, mais également d'analyser de manière systématique la portée de chacun d'eux sur le discours produit. Cette distinction fondamentale entre l'approche linguistique et celle de la psychologie sociale de l'usage du langage se cristallisera sur quelques choix théoriques et empiriques. 7 3.1 Langue et Parole, Sens et signification dans le cadre de la linguistique La linguistique a durant de nombreuses années été partagée par un débat. Ce débat, initié à l'origine par Saussure (1916), concernait la définition de l'objet premier d'étude de la linguistique. Saussure, présente une distinction fondamentale entre deux objets: la Langue (système de signes, stable, partagé, cohérent donc prévisible et autonome) et la Parole (le produit de l'utilisation de ce système par les sujets parlants, donc par nature un objet instable, unique, imprévisible et subordonné). Il propose aux linguistes de s'attacher à l'étude de la langue et de laisser à d'autres disciplines, notamment aux sciences humaines, le soin de traiter de la Parole. Linguistique de la Langue et linguistique de la Parole apparaîtront désormais comme "deux routes qu'il est impossible de prendre en même temps" (1972, p. 38). Mais, en limitant ainsi l'objet d'étude de la linguistique, Saussure restreindra par contre coup l'étude du sens à celle du Signe. Il assimilera dès lors le sens au résultat de l'association entre un Signifiant (forme acoustique ou graphique) et un Signifié (concept), considérée à l'intérieur d'un système de signes. Le contexte de production et les caractéristiques des interlocuteurs se trouvant par voie de conséquence relégués au second plan. La linguistique a néanmoins connu depuis Saussure de nombreuses évolutions chacune se singularisant par un accès particulier au sens. L'étude du sens: la sémantique La sémantique constitue l'un des principaux domaines de la linguistique contemporaine (Moeschler et Auchlin, 1997). Elle ne concerne pas la forme de la langue, elle est entièrement consacrée à l'étude du sens. La définition du sens tel qu'il est étudié par la sémantique pose néanmoins un problème similaire à celui que l'on retrouve dans l'opposition LanguelParole faite par Saussure. Il s'agit là aussi de définir les limites de l'objet d'étude: doit-on se contenter de l'étude "interne" du sens, c'est-à-dire le sens qu'aura en soi un mot ou une phrase? Ou doit-on adopter une conception "extensionnelle" dans laquelle il importe surtout d'analyser quels sont les objets, éléments de la réalité (ou référents), que les mots ou les phrases servent à désigner? Il semble que les linguistes actuels optent communément pour la deuxième solution. Il s'agit ainsi de définir le sens comme ce qui renvoie "à un état de choses, à une situation, à un événement" (Moeschler et Auchlin, 1997, p. 106). 8 Mais il sera également question d'opérer une distinction entre l'étude du sens et de la signification. Le sens renvoie à la signification d'un mot sui generis alors que la signification correspond au sens d'un mot ou d'une phrase produite par un sujet parlant. Si l'étude du sens reste dominante dans le champ de la sémantique linguistique, l'étude de la signification est ce qui caractérise plus particulièrement l'approche de la pragmatique linguistique. Les conditions d'énonciation linguistique déterminantes du sens: la pragmatique La pragmatique linguistique se définit comme l'étude des éléments d'une langue (mots, phrases...) dans les relations qu'ils entretiennent avec le monde réel, dans le cadre du discours, c'est-à-dire lorsqu'ils sont employés concrètement par un individu dans une situation donnée. Dans ce contexte, tout énoncé, tout discours est considéré comme une énonciation c'est-à-dire "une mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation" (Benveniste, 1974, p.80). C'est dans cette perspective que se positionne l'apparition de la linguistique énonciative (Benveniste, Ducrot, ...) pour laquelle le sens d'un mot ne dépend pas seulement de ses conditions de production (contexte d'énonciation) mais également d'une relation intersubjective « Je me situe vis-à-vis d'autrui non seulement par ce que je lui dis mais par le fait de lui parler, et par le niveau où je situe mon dialogue» (Ducrot, 1989, p. 160). Sont dans ce cadre plus particulièrement considérés les éléments de la langue dont le sens dépend totalement de ces paramètres, comme par exemple: II les pronoms personnels qui ne prennent sens qu'en relation aux individus impliqués dans l'acte de parole; 21 les indications de temps, de lieu, qui marquent l'ancrage du discours dans un contexte donné; 31 les modalisations qui expriment le degré de vérité de l'énonciation et sa prise en charge par un énonciateur, etc. C'est donc l'actualisation d'une langue par des individus dans un contexte de intersubjectif de production qu'il s'agit de mettre en évidence. Cependant, selon certains auteurs, le contexte est trop souvent entendu de façon restreinte, il s'agit en effet de ne prendre en compte que de façon vague les paramètres de la situation de communication dans laquelle sont insérés les interlocuteurs qui sont en relation. Il appartient à la sociolinguistique de décrire et d'analyser l'influence du contexte social. 9 3.2 Le contexte social comme élément déterminant guistique du sens: la sociolin- L'enfermement des linguistes dans un système tripartite locuteur/système de signes/réalité -ignorant les déterminismes sociaux qui pèsent sur le sujet et son discours- fera l'objet de nombreuses critiques de la part de certains sociolinguistes comme Hymes ou Labov par exemple (cf. à ce sujet Bachman, Lindenfeld et Simonin, 1981). Il s'agit en effet selon eux de mettre l'accent sur les rapports systématiques existant entre le langage et les facteurs sociaux. Labov (1966) montrera par exemple la présence d'indicateurs linguistiques caractérisant l'appartenance des individus à une classe sociale. Il mettra en évidence l'existence de différences codiques d'une classe sociale à l'autre, d'une communauté à l'autre (ce qui se traduit par exemple par des variations au niveau de l'étendue du lexique ou de la complexité syntaxique). Sont également décrits des marqueurs de prononciation qui ont pour caractéristique de varier en fonction du groupe social et du contexte de production. L'auteur montre ainsi que les membres de la petite bourgeoisie se singularisent par une « insécurité linguistique» qui se traduit directement au niveau phono logique : ces individus connaissent les formes de prestige (parce qu'ils sont en contact avec la haute bourgeoisie) mais sans vraiment les réaliser, ou en les réalisant mais de façon disproportionnée. Ce phénomène appelé "hypercorrection" se retrouve par exemple dans l'emploi du «r» dont les modalités de prononciation sont connues au sein de cette population pour être un indicateur social. Il apparaît ainsi que dans les situations formelles, ces individus sont conduits à surpasser la classe plus élevée en prononçant les "r" de manière encore plus corrigée. Bien que Labov ait mis l'accent sur les variations situationnelles dans l'utilisation du langage, il se situe dans une perspective qui peut être qualifiée de "macro sociale" par conséquent "le fait de l'interaction n'est pas véritablement pris en compte en tant que constitutif d'une étude des productions linguistiques" (Bachman, Lindenfeld, Simonin, 1981, p. 111). Plus encore, s'il s'agit bien de mettre en évidence les aspects sociaux qui ont une incidence sur l'utilisation de la langue (celle-ci est analysée comme une trace d'une insertion sociale, d'une appartenance à un groupe social) ces recherches restent somme toute assez souvent descriptives et rares sont celles qui mettent en évidence les processus psychologiques en jeu. Par ailleurs, les paramètres de la situation de communication sont décrits de façon assez générale, même si certaines grilles d'observation (comme celle 10 proposée par Hymes en 19721), en s'appuyant sur la prise en compte d'éléments précis, débouchent sur une analyse plus systématique de ces paramètres. 3.3 Le sujet social comme élément déterminant du sens: la psychologie sociale de l'usage du langage et de la communication, un nouvel axe de recherche La psychologie sociale de l'usage du langage et de la communication constitue un axe de recherche récent au sein de la psychologie sociale. Spécificités de l'approche Elle peut être considérée à la fois comme un domaine particulier centré sur les interactions sociales et plus particulièrement sur l'analyse des communications interindividuelles, et comme une méthode de recueil et d'analyse des données verbales visant la mise en évidence et l'analyse des processus sociocognitifs qui sous-tendent les productions discursives des sujets en situation. Cette approche permet ainsi l'appréhension de l'ensemble des concepts de la psychologie sociale qu'ils se situent dans le cadre de la cognition sociale ou de l'influence sociale. Dans ce cadre, l'attention est portée sur l'étude des productions langagières des sujets à propos de différents objets ou événements de la réalité sociale. Ces productions sont considérées comme des indicateurs de l'activité psychologique mise en oeuvre par les sujets en relation avec l'objet, l'interlocuteur et les éléments de la situation. En effet, "parler de quelque chose, d'un objet, ne consiste pas seulement à décrire cette chose, cet objet, ou à mettre en scène discursivement des éléments de la situation dont on parle, mais à marquer aussi la nature de la relation que l'énonciateur entretient avec l'objet. Ce fait renvoie aux propriétés réflexives de la parole, parler de quelque chose, c'est aussi parler -plus ou moins- de soi ou plus précisément du mode d'appropriation du monde" (Bromberg, Trognon, 2000, p. 295). Les recherches réalisées dans cette optique se sont au départ plus particulièrement centrées sur les liens existant entre le sujet et l'objet social et sur 1 Hymes propose une prise en compte systématique des composantes de la situation grâce à un schéma appelé « SPEAKING» qui se décline comme suit: Situation, Participants, Ends (finalité de la communication), Acts (contenu et forme des prises de parole), Key (tonalité), Instrumentalities (moyens de communication), Norms (normes applicables à l'interaction), Genre (format de communication). Il l'actualisation de ce lien dans une situation de communication (un contrat de communication) donné. La théorie du contrat de communication Les travaux de Ghiglione et de ses collaborateurs2 sont depuis 1981 à l'origine de cet axe de recherche (Ghiglione, 1981, 1983, 1984, 1985, 1986; Ghiglione, Bromberg, Doma, 1986; Bromberg, 1981; Bromberg, Doma, Ghiglione, 1983; Bromberg, Doma, 1985; Doma, Bromberg, 1985; Trognon, 1986 ... et plus récemment, Ghiglione, Chabrol, 2000; Bromberg, 2004; Bromberg, Trognon, 2004 ; Burguet, 2000 ; Burguet, Hilton, 2004 ; Frigout, 2000, 2004; Georget, Chabrol, 2000; Georget, 2004; Marchand, 2004; Masse, 2000, 2004 ; Sales- Wuillemin, Lacassagne, 2000 ; Sales-Wuillemin, Gilibert, 2004 ; Trognon, Batt, 2004...). Il s'agit tout d'abord de défmir la situation de communication à partir des paramètres qui la constituent, ces paramètres ont une incidence sur le contrat de communication qui s'établit entre les interlocuteurs. La situation de communication est décrite comme une interaction qui unit deux intra locuteurs (sujets sociaux) reliés au départ par une Situation Potentiellement Communicative (SPC) c'est-à-dire l'existence d'enjeux communs. Les intra locuteurs passent au statut d'interlocuteurs dès lors qu'ils mettent en œuvre leur compétence linguistique, communicative, persuasive et sociale, bref qu'ils entrent en communication. Mais ce changement de statut traduira l'endossement d'un rôle (au sens de Goffman, 19593) adapté par le sujet en fonction de la représentation qu'il a de la situation particulière dans laquelle il est engagé. Les interventions des interlocuteurs, leurs intonations, gestes, postures, occupation de l'espace, dépendront donc du rôle endossé dans l'interaction et seront interprétées en relation avec ce rôle. Par ailleurs, selon les auteurs, l'entrée dans cette situation implique de facto l'acceptation des principes de pertinence (doter a priori les propos de son interlocuteur d'une certaine validité) et de réciprocité (accorder un statut de partenaire de communication à son interlocuteur). 2 Ces travaux se trouvent recensés au travers de la publication de plusieurs numéros spéciaux et ouvrages coordonnés par Rodolphe Ghiglione et ses collaborateurs. Ces numéros sont parus dans la revue Champs Educatifs (1981, 1983), Psychologie Française (1985), et la Revue Internationale de Psychologie Sociale (2000) les deux ouvrages collectif sont parus chez Dunod éditeur en 1986 et en 2004. 3 Selon Goffman (1987) toute interaction verbale se déroule comme une représentation théâtrale, chaque acteur y joue un rôle déterminé. Un rôle ou « routine» est « un modèle d'action pré-établi que l'on développe durant une représentation et que l'on peut présenter ou utiliser dans d'autres occasions» p. 23. 12 Dès l'acceptation effective, les interlocuteurs admettent le principe de contractualisation, en d'autres termes la nécessité de mettre en place un « contrat de communication» liant les deux partenaires (Ghiglione, 1984). Les premières paroles des interlocuteurs viseront d'ailleurs, par le jeu des marques d'accord que sont les quasi-validations, les validations et les non validations, à paramétrer directement ce contrat. Il s'agit ainsi de fixer ce qui est disible par les partenaires que ce soit au niveau explicite ou implicite (Sales-Wuillemin, 1991a, 1994) et la manière dont cela peut être dit, compte tenu des caractéristiques de l'objet, de la situation d'interaction (degré de formalisme, objectifs, ...) et des interlocuteurs (statuts sociaux, rôle et place des interlocuteurs, enjeux individuels, collectifs...). Une fois ces paramètres fixés, les interlocuteurs pourront entrer dans un dialogue régulier, c'est-à-dire dans une phase de co-construction de la référence qui se traduira par une réorganisation de la réalité, dans un processus permanent de co-construction et de reconstruction avec l'interlocuteur. Cette phase se fonde sur une coopération nécessaire des partenaires qui peut (sans que cela soit obligatoire) déboucher sur un monde commun parmi un ensemble de possibles. Mais ce processus suppose, pour les auteurs, la mise en œuvre simultanée d'un second principe qui serait fondamental, il s'agit du principe d'influence ou de compétition (Ghiglione, Bromberg, 1984). Dans cette optique, la coconstruction décrite ci-dessus ne se ferait pas dans une totale collaboration, mais serait en réalité sous-tendue par une âpre négociation entre les partenaires qui se traduirait par une tentative d'influencer l'autre pour lui donner à voir un monde comme meilleur, préférable, plus vrai qu'un autre (Casari, Sales-Wuillemin, Bromberg, 1989). Cette réorganisation en perpétuelle mouvance entre ['agir avec et l'agir sur fait émerger des mises en scènes du référent qui sont fonction de l'attitude, de la catégorie d'appartenance des individus en présence, de la représentation qu'ils ont du référent et de la situation même d'interlocution (cf. Ghiglione 1986, pour un aperçu de ces différents facteurs). Ce jeu de langage a toutefois également en retour un impact sur le locuteur qui «acteur du monde possible qu'il met en scène, se co-construit en coconstruisant la référence» (Ghiglione, 1986, p. 97). Dit autrement, ce jeu de « l'agir sur» et de « l'agir avec» laisse (par une sorte d'effet de rationalisation) des traces sur le sujet, et ce quelle que soit la force de l'influence exercée sur son partenaire. 13 L'approche qui caractérise la psychologie sociale du langage et de la communication présente un intérêt certain, l'accent est mis sur "la nécessité d'interroger la production interlocutoire comme lieu des traces de l'activité cognitive des interlocuteurs et comme lieu des structures cognitives des intra locuteurs" (Ghiglione, 1986, p. 105). C'est dans cette optique que les travaux de Beauvois et Ghiglione se sont centrés à l'origine sur l'Attitude (Beauvois et Ghiglione, 1981). Elle se décompose en deux formes: l'attitude paradigmatique et l'attitude syntagmatique. L'attitude paradigmatique consiste pour un sujet à se positionner sur l'axe des substitutions (synonymes) lorsqu'il évoque un objet de la réalité, alors que l'attitude syntagmatique réside dans le positionnement sur l'axe des contiguïtés (contexte sémantique et pragmatique évoqués à propos de l'objet). D'un point de vue plus socio psychologique, on observerait un «déterminisme attitudinel» (consistance individuelle avec effets situationnels): les sujets paradigmatiques auraient une organisation cognitive qui les conduirait à utiliser le langage comme un outil de médiation au monde, alors que les sujets syntagmatiques privilégieraient la relation à autrui (Beauvois, 2001). Une perspective analogue oriente les développements actuels de la psychologie sociale du langage et de la communication (Bromberg, 2001, 2004; Bromberg, Trognon, 2000, 2004). Il s'agit d'interroger les rapports existant entre le sujet et les objets au travers de l'utilisation qu'il fait du langage: "on est amené à s'interroger sur la façon dont un sujet social peut fournir de manière non intentionnelle des indices langagiers de son attitude à l'égard d'objets du monde. Comme il ne peut y avoir de jeux attitudinaux sans référence à un objet -puisqu'il n'y a pas d'attitude sans objet- ces jeux ne peuvent s'exercer indépendamment des jeux sur l'existence plus ou moins avérée de cet objet dans le monde." (Bromberg et Trognon, 2000, p. 295). C'est en ce sens que «faire une psychologie dans une perspective psycho/socio/pragmatique ciale de l'usage du langage (... ) nécessite recherche articulant tout à la fois l'interaction tion » (Bromberg, 2004, p. 95). sociale de la communication et donc une psychologie sod'adopter une stratégie de sociale, le langage, la cogni- 4. Contribution à une articulation entre les concepts de catégorisation, d'attitudes, et de représentations sociales Les études présentées dans cet ouvrage visent précisément cet objectif. Il s'agit de mettre en évidence les relations entre une appartenance catégorielle, une attitude, une représentation sociale, et l'utilisation que le sujet 14 fait du langage à propos d'un objet, dans une situation d'énonciation spécifique, face à un interlocuteur réel ou virtuel. Ces trois concepts ont donné chacun lieu, depuis maintenant plus de 80 ans, à la réalisation d'un grand nombre d'études de psychologie sociale avec des objectifs tant théoriques qu'empiriques. Cependant, bien qu'elles convergent vers le même but, c'est-à-dire la mise en évidence de l'organisation cognitive résultant de l'interaction entre l'individu et l'environnement, les recherches traitant de ces concepts ont traditionnellement été réalisées de façon indépendante au sein de domaines assez déconnectés les uns des autres, qui s'ignorent tout simplement aussi parfois. Aussi, même si ce type d'approche serait en soi très prometteur, aucun travail à notre connaissance, ne porte sur une articulation de ces trois concepts: les quelques tentatives de mise en parallèle existantes se font par binômes, celui qui relie « attitude et représentation sociale» étant le plus considéré. Voici pourquoi, avant de présenter plus en détail les études consacrées à chacun de ces concepts, nous proposons un rapprochement théorique. 4.1 Attitude et représentation Certaines propositions ont été avancées concernant les liens pouvant être établis entre les concepts d'attitude et de représentation sociale. Trois réflexions différentes vont se succéder: la première se situe dans une perspective que l'on pourrait appeler « structurale », la deuxième dans une approche qui pourrait être qualifiée de « systémique », la troisième dans une conception « dimensionnelle ». D'un point de vue structural, l'attitude serait hiérarchiquement inférieure à la représentation sociale. Dans cette perspective, les représentations sociales dépendraient de systèmes idéologiques plus larges, et impliqueraient donc un niveau collectif. En ce sens, elles seraient révélatrices du rapport qu'un groupe entretient avec un ensemble social. Alors que les attitudes correspondraient à des modulations de nature plus particulière. Dans cet esprit, elle traduiraient le rapport qu'un individu entretient avec un ensemble social (Doise 1982, 1985, 1986, 1989, 1990). Cette distinction entre attitudes et représentations sociales sur la base de leur caractère plus ou moins consensuel ne pourra toutefois être maintenue et ce parce que ces deux concepts témoignent en réalité d'une assise collective avec des modulations individuelles: 15 Les attitudes ne sont pas réductibles à des prises de positions individuelles, elles peuvent aussi correspondre à des réactions collectivement partagées par un ensemble social face à un objet, ce qui les rapproche indubitablement des représentations sociales. L'histoire de l'étude des attitudes, depuis la maintenant très célèbre recherche conduite par Thomas et Znaniecki (1918-20), est d'ailleurs riche d'exemples. C'est aussi ce caractère partagé que mettent en avant les travaux sur le conformisme et la déviance: la possession d'une attitude commune facilite l'acceptation du sujet dans un groupe et peut même pour certains être un signe distinctif d'appartenance (Kelman, 1958). D'un autre côté, si l'on considère les représentations sociales, on ne peut affirmer qu'elles sont toujours communes: de nombreuses études (y compris celle réalisée par Moscovici en 1961) montrent qu'elles peuvent aussi varier entre les individus au sein d'un même groupe. Il y a une modulation individuelle de la représentation sociale qui se fait par une intégration de l'histoire du sujet et de ses expériences passées. C'est d'ailleurs ce qui lui permet d'accommoder et donc de s'approprier à un niveau individuel la représentation que son groupe a de l'objet. C'est sur ces similitudes entre les attitudes et les représentations sociales que s'appuient Jaspar et Fraser (1984) lorsqu'ils proposent d'introduire la notion "d'attitudes sociales". C'est également cette idée particulière4 que l'on retrouve chez Fraser (1994) selon qui les attitudes devraient être étudiées comme des ensembles de « croyances partagées» structurés collectivement, ce qui permettrait de les rapprocher de l'étude des représentations sociales. D'un point de vue que l'on pourrait qualifier de « systémique », l'attitude est considérée comme une concrétisation ponctuelle d'une représentation sociale ou d'une combinaison de représentations (Rouquette, 1996; Rouquette et Rateau 1998) sans toutefois que l'une soit préexistante à l'autre: la représentation se construisant en lien avec l'attitude, et cette dernière pouvant être conçue comme une rationalisation de la représentation. Dit autrement, les représentations sociales formeraient "l'instance de raison" des attitudes, tandis que ces dernières constitueraient "l'instance de cohésion" des opinions (Rouquette et Rateau, 1998). 4 Cette proposition a toutefois fait l'objet d'une réponse réservée de Doise, Clémence et Lorenzi-Cioldi (1994), selon qui, s'il est indéniable que les attitudes peuvent présenter un caractère consensuel, leur étude, contrairement à celle des représentations sociales, reste incomplète. Elle ne permet en effet pas de prendre en compte les principes organisateurs qui régissent les variations interindividuelles et intergroupes. Or il se trouve que l'analyse de ces principes organisateurs est constitutive de l'étude des représentations sociales. 16 Ce point de vue, permet de rapprocher les deux concepts dans une relation globale de complémentarité, sans toutefois décrire plus avant la dynamique du rapport qui les unit. Une autre conception sera développée, elle se situera dans une perspective dimensionnelle. Les recherches réalisées dans ce cadre permettront de conclure à l'existence d'une forte similitude et d'une importante dynamique entre ces deux concepts. Dans la conception dimensionnelle, toute représentation sociale est de fait constituée d'éléments évaluatifs, descriptifs et conatifs. Cette approche s'appuie sur les réflexions de Moscovici (1973) pour qui une représentation sociale correspond à un système de valeurs, d'idées et de pratiques. Dans cette optique mobiliser la représentation d'un objet c'est évoquer tout à la fois un ensemble de jugements vis-à-vis de cet objet, de traits caractéristiques de l'objet, et de pratiques reliées à cet objet. De façon convergente, cette approche souligne que ces mêmes dimensions se retrouvent dans l'attitude (cf. la "théorie tri- componentielle des attitudes", Rosenberg et Hovland, 1960, chapitre 3). Dans cette optique l'attitude recouvrirait trois dimensions: cognitive, affective et conative. La dimension cognitive (aussi appelée perceptuelle, informationnelle ou sociale) réfèrerait aux connaissances que le sujet a sur l'objet attitudinal et donc à la façon dont le sujet le conçoit. La dimension affective (appelée également sensation ou dimension émotionnelle) serait en rapport avec les sentiments d'amour ou de haine, d'acceptation ou de rejet, c'est-à-dire avec ce qu'éprouve le sujet vis-àvis de l'objet attitudinal. Pour certains auteurs, cette dimension serait centrale. La dimension conative enfin, correspondrait à la façon dont le sujet se comporte vis-à-vis de l'objet attitudinal. Quelques résultats empiriques permettent d'ores et déjà d'argumenter en faveur d'une relation très étroite entre attitude et représentation sociale. Ainsi, Rateau (2000) montre que la remise en cause d'un élément central d'une représentation entraîne un changement d'attitude des sujets. Moliner et Tafani (1997) révèlent par ailleurs que l'attitude vis-à-vis de l'objet et la représentation que le sujet a de cet objet sont à ce point liées qu'un changement attitudinal a des répercussions immédiatement visibles au niveau de la dimension évaluative de la représentation sociale. Perspectives nouvelles Cette série de réflexions argumente en faveur d'un ensemble de ressemblances mais aussi de différences essentielles entre attitude et représentation. Les recherches que nous avons pu réaliser à ce propos nous conduisent à penser que si les attitudes et les représentations semblent s'ordonner autour 17 des mêmes dimensions, elles ne paraissent pas cependant se situer au même point du rapport à l'objet. Nous soutenons l'idée que la différence réside dans le niveau de relation auquel se positionne le sujet vis-à-vis de l'objet. Nos recherches tendent à montrer que le rapport que le sujet entretient avec l'objet a une incidence directe sur les éléments mis en saillance par le sujet en situation d'évocation d'une représentation. Cette option revient à conclure que la représentation évoquée en situation est 1- temporaire; 2-le fruit d'une adaptation; 3- et qu'elle peut donc différer de celle qui est stockée en mémOIre. Le sujet prend ainsi en compte les paramètres de la situation (buts, enjeux, protagonistes, consignes...) pour adapter la représentation mobilisée aux caractéristiques spécifiques de la situation. Les éléments mobilisés diffèrent donc s'il s'agit par exemple d'exprimer une image globale (ou une simple réaction) vis-à-vis de cet objet, ou s'il apparaît essentiel que l'image ou la réaction évoquée apparaisse individuelle, groupale ou collective, c'est-à-dire distinctive ou partagée. De la même manière, les objectifs du recueil et la tâche assignée au sujet dans la situation, le cadre général du recueil transmis au sujet (enquête versus expérimentation versus explicitation des pratiques... ), les consignes données, peuvent le conduire à penser qu'il doit faire état essentiellement de son point de vue, de sa compréhension de l'objet, ou plus généralement de l'idée qu'on s'en fait. Dans cet esprit, il est également nécessaire de tenir compte des attentes du chercheur qui fait le recueil et l'analyse des productions d'un ensemble d'individus. Il peut se concentrer sur les réactions qu'ils ont vis-à-vis de l'objet, ou sur l'analyse exhaustive de l'ensemble des éléments qui englobent cette réaction. Plus directement encore, par des effets de consignes et de manipulation du contexte, il pourra s'agir pour lui de conduire les sujets à se focaliser sur l'un ou l'autre de ces types de rapport à l'objet. Dans un contexte expérimental, une des façons d'opérationnaliser l'induction d'une relation à l'objet consiste par exemple à conduire le sujet à mobiliser une appartenance catégorielle au moment de l'évocation de l'objet. Attitude et représentation sociale se situent donc pour nous à deux niveaux du rapport à l'objet, un niveau individuel versus un niveau groupaI. Le niveau adopté par le sujet dépend ainsi directement des paramètres de la situation dans laquelle l'objet est évoqué. Par ailleurs, ces deux niveaux se retrouvent au moment de l'analyse des données verbales recueillies, il s'agit donc de les différencier en fonction des objectifs de la recherche. 18 A ce point de la réflexion il est fondamental de se pencher sur le concept de catégorisation sociale. Il occupe en effet une position centrale dans la proposition d'articulation que nous faisons entre attitude et représentation. 4.2 Catégorisation, attitude et représentation L'articulation entre catégorisation, attitude et représentation se situe pour nous au moins à deux niveaux: 1- dans la relation sujet/objet qui transparaît au moment de la mobilisation; et 2- dans les modalités qui président à la constitution de l'image de cet objet. Mise en perspective de la relation sujet - objet Notons dans un premier temps que c'est l'appartenance catégorielle du sujet qui donne de toute façon une orientation générale à l'attitude et à la représentation sociale. L'attitude du sujet se construit en grande partie en référence à autrui, par relais social. De même, la représentation qu'il a de l'objet diffère de fait selon son appartenance groupale (par exemple « communiste », « catholique » ou « autres» dans l'étude de Moscovici sur la représentation de la psychanalyse ). En d'autres termes, si l'attitude et la représentation sociale peuvent se construire au contact de l'objet, notamment au travers des pratiques du sujet, elles dépendent également très largement des contacts sociaux, des valeurs considérées comme centrales par le groupe: la relation sujet-objet étant quoi qu'il en soit médiatisée (nous pourrions dire « ternarisée ») par autrui (Moscovici, 1984). Dans un deuxième temps, il nous faut souligner que le contenu extériorisé de l'attitude et de la représentation (au moment du recueil) dépend aussi de la mobilisation que le sujet fait (ou pas) d'une appartenance sociale et donc du rôle qu'il est censé endosser en cohérence avec cette appartenance. En effet, si ces appartenances sociales peuvent être dans l'absolu multiples, elles se trouvent de fait restreintes par la situation. Différents facteurs vont avoir dans ce cadre une incidence, par exemple: 1- le lieu et donc l'environnement direct dans lequel se déroule le recueil de données: un lieu privé (versus public) peut ainsi conduire le sujet à endosser un rôle particulier et donc un discours officiel ou au contraire personnel. 2- les modalités de la situation: si le cadre du recueil est la réalisation d'une enquête, les consignes transmises au sujet peuvent en effet l'inciter à penser qu'il doit répondre en tant que membre d'un groupe social. Et dans ce cas, un sujet que l'on interroge pour connaître l'attitude, ou la représentation qu'il a d'un quelconque objet social, "l'avortement" par exemple, évoquera une image plus ou moins contrastée selon qu'il sait (ou pas) être consulté en tant 19 que membre d'un groupe sexuel (une femme versus un homme), d'âge Geune versus âgé), professionnel (médecin versus psychologue) ou religieux (catholique versus athée) 5. 3-le statut et l'appartenance catégorielle des interlocuteurs réels ou potentiels : les individus qui se trouvent en place d'interlocuteur direct au moment du recueil peuvent avoir différents statuts (interviewer, enquêteur, expérimentateur ...) et plus largement dans les situations d'observation en milieu naturel, il peut s'agir d'un ami, parent, collègue D'autres individus peuvent également avoir une incidence de par leur statut d'interlocuteurs potentiels. Ces interlocuteurs, directs ou indirects, peuvent en outre faire partie de la même communauté versus d'une communauté différente de celle du sujet. Un même individu pourra dans ces circonstances exprimer une relation à l'objet qui diffèrera considérablement selon qu'il est dans un rapport symétrique ou asymétrique, qu'il est face à un membre de l'endogroupe ou de l'exogroupe (cf. chapitre 1). Il nous faut conclure que le sujet s'adapte aux paramètres de la situation, ce qui l'amène à présenter un certain rapport à l'objet, et donc à mobiliser au sein de la représentation ou de l'attitude, certains éléments, certaines dimensions, plus que d'autres. Néanmoins, il faut souligner que cette relation n'est que temporaire, ni l'attitude réelle qu'il a 'vis-à-vis de l'objet ni sa représentation, ne varie pour autant (dans un premier temps tout au moins6). Simplement, il y a certaines adaptations entre l'attitude et la représentation du sujet et la façon dont il les exprime dans un contexte donné. Ces «adaptations» sont maintenant assez bien répertoriées, même si elles apparaissent sous l'appellation injuste de « biais de recueil » (dans une perspective méthodologique ayant pour objectif de les contrôler parce qu'elles introduisent des turbulences dans les réponses des sujets) : biais de conformité, d'estime de soi, de cohérence, de complaisance... pour n'en citer que quelques-uns. 5 « La parole d'un acteur social et les interlocutions produites (...) révèlent non seulement que les sujets communiquants tentent de définir leur position (se définir) par rapport à celles qu'elle leur semble exclure (par différenciation plus ou moins polarisée ou par composition plus ou moins équilibrée) mais aussi qu'ils sont souvent simultanément ou successivement « pris» dans le jeu de ces positions différentes et parfois même incompatibles» (Chabrol, 1992, 1994). 6 Les réflexions théoriques et études empiriques sur le changement d'attitude ainsi que sur la dynamique des représentations sociales montrent en effet qu'à terme et dans le respect d'un certain nombre de conditions, par effet de rationalisation, il peut y avoir une incidence sur l'attitude et la représentation du sujet. 20