Psychologie sociale expérimentale de l`usage du langage

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Psychologie sociale expérimentale
de l'usage du langage
Figures de l'Interaction
Collection dirigée par Alain Trognon et Michel Musiol
Les ouvrages publiés ressortent principalement du champ des
interactions langagières et des actions de communication. La
perspective est pluridisciplinaire mais l'approche est résolument
micro-sociale. De plus en plus de travaux qui concernent à la fois les
interactions et la cognition fleurissent dans le paysage scientifique et
répondent au moins partiellement à la demande sociale qui aspire à
une meilleure compréhension de phénomènes aussi complexes et
divers que l'apprentissage dans et par le groupe en pédagogie, ou bien
encore les processus de coordination de l'action en psychologie du
travail et en psychologie sociale. En plus d'enrichir les connaissances
relatives à l'interaction comme domaine empirique, la collection
proposera des instruments de travail novateurs et critiques à
destination des experts d'un maximum de domaines d'application
correspondants.
C'est en faisant interagir les disciplines, leurs concepts et leurs
méthodes, que l'on veut réinterroger les comportements aux confins
du paradigme de l'interaction. Un dialogue fructueux naîtra de la
confrontation de la psychologie et ses sous-disciplines avec
l'intelligence artificielle, la philosophie, la linguistique, la logique et
la neurobiologie.
Déjà parus
PERRET Jean-François, PERRET-CLERMONT Anne-Nelly,
Apprendre un métier dans un contexte de mutations
technologiques (nouvelle édition mise àjour), 2004.
COLLECTIF, Apprendre à parler: influence du mode de garde,
2004.
Benoît SCHNEIDER (dir.), Emotions, interactions et
développement, 2002.
A-N. PERRET-CLERMONT et M. NICOLET, Interagir et
connaître, 2001.
Virginie LAVAL, La promesse chez l'enfant, 1999.
Haydée MARCOS, De la communication prélinguistique au
langage: formes etfonctions, 1998.
COLLECTIF, Machine, langage et dialogue, 1997.
Edith Sales-Wuillemin
Psychologie
sociale expérimentale
de l'usage du langage
Représentations
et attitudes:
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
sociales, catégorisation
perspectives nouvelles
L'Harmattan Hongrie
Konyvesbolt
Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest
L'Harmattan Italia
Via Degli Artisti, 15
10124 Torino
ITALIE
Un grand merci à l'ensemble de mes collègues et plus particulièrement à
ceux du Groupe de Psychologie Sociale (GPSD) du Laboratoire de Psychologie Clinique et Sociale (LPCS-EA3658) de l'Université de Bourgogne et
du Laboratoire de Psychologie Sociale (LPS-EA351) de l'Université Paris 8,
qui m'ont permis dans cet ouvrage, version modifiée de mon HDR, de faire
état des recherches, présentes, passées, ou en cours de réalisation.
Une pensée toute particulière pour mes proches et plus spécialement pour
mon mari et ma fille, Raymond-Philippe et Marie-Mathilde Wuillemin, mes
plus grands supporters, à qui je dois beaucoup. Je leur dédie ce livre.
@ L'Harmattan,
2005
ISBN: 2-7475-8338-4
EAN: 9782747583381
INTRODUCTION
« Nous passons une grand partie de notre vie sociale à communiquer aussi bien par la
parole, par le geste ou encore par l'écrit, et bien que nous le fassions le plus souvent sans
y penser, toute cette activité a pour but unique de faire connaître, dans une certaine mesure, à autrui ce que nous pensons, croyons, ressentons vis-à-vis des objets du monde
ainsi que lafaçon dont nous avons l'intention d'agir sur -ou vis-à-vis- de ces objets. Ainsi, grâce au langage, nous pouvons agir sur le monde mais aussi surtout partager nos
pensées avec autrni » Bromberg et Trognon (2004, p.l).
1. Objectif de l'ouvrage
L'objectif de cet ouvrage est de présenter un ensemble de travaux de psychologie sociale qui s'inscrivent dans une approche novatrice.
La psychologie sociale du langage et de la communication a pour objectif la
mise en lumière et la compréhension des processus sociocognitifs en jeu
dans les situations d'interaction sociale, grâce à l'analyse de l'usage du langage que font les sujets sociaux au sein de ces situations.
Il s'agit ainsi de mettre en correspondance des recherches de psychologie sociale dans le champ de la cognition et de l'influence sociale, avec d'autres
disciplines comme la linguistique, la psycholinguistique, la sociolinguistique
ou encore la philosophie du langage, qui ont pour objet l'étude du langage et
de la communication.
Cette voie d'approche n'est pas aisée, elle est encore aussi souvent méconnue, mais elle constitue à notre sens une contribution pertinente. L'idée
défendue est que l'accès par le langage permet d'affiner l'analyse des processus cognitifs en jeu dans les situations sociales analysées.
L'objectif n'est pas ici de dresser un panorama exhaustif de l'ensemble des
travaux réalisés, mais de donner un éclairage tout particulier à des études qui
font précisément le lien entre des processus sociocognitifs et leur traduction
5
au travers de l'utilisation particulière du langage que font les individus dans
les situations d'interaction sociale.
Après avoir caractérisé ce qui fait la particularité du « regard psychosocial »,
nous montrerons l'intérêt d'une approche du sujet social par l'analyse de ses
productions discursives.
2. La particularité
du" regard" psychosocial
C'est avec pour objet l'étude des interactions sujet/société et plus récemment
des relations que le sujet entretient avec les objets sociaux que la psychologie sociale s'est constituée.
Mais, s'il s'agit à l'origine, comme le rappelle Stoetzel (1978), dans le cadre
de la philosophie, d'appréhender dans une dualité lancinante, l'incidence que
l'environnement social a sur le sujet ou au contraire que le sujet a sur le fonctionnement social, opposition qui se traduira sous la forme d'un débat entre
deux points de vue antagonistes:
1- il existe un homomorphisme entre le mode de fonctionnement individuel
et le mode de fonctionnement collectif;
2- les conditions sociales déterminent le fonctionnement individuel;
les préoccupations se tourneront rapidement et plus simplement, dès le début
du 20èmesiècle, vers l'analyse des faits sociaux, c'est-à-dire l'étude des lois
qui régissent le sujet social, sa façon de comprendre, de réagir émotionnellement et de se comporter dans un environnement particulier et ce dès le plus
jeune âge.
De nombreux auteurs, issus d'horizons très divers, marqueront le début de
cette réflexion, Mac Dougall, Tarde, Allport, Mead, Lewin, Mayo... pour
n'en citer que quelques-uns. Ils auront en commun une manière particulière
d'analyser le fonctionnement de l'individu qui permettra à la psychologie sociale de se démarquer d'autres disciplines limitrophes.
Existe depuis, un mode d'appréhension du fonctionnement du sujet spécifique à la psychologie sociale. Ce "regard" que bien des années plus tard,
Moscovici (1984) qualifiera de " ternaire" a pour particularité d'unir le sujet
individuel, le sujet social et l'objet, dit autrement, l'Ego, l'Alter et l'Objet.
Dans cette conception, l'image que le sujet a de l'objet ne se constitue pas
dans une relation duelle, elle se crée en relation à autrui (un Alter) qui peut
être un autre individu (ou un groupe) semblable (autre Ego) ou différent du
sujet (autre Alter)).
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C'est cette conception, fondée sur une "tiercéité", qui permet à la psychologie sociale de s'opposer de manière radicale au regard binaire caractérisant
les approches strictement psychologique et sociologique.
Cette optique a deux conséquences fondamentales:
1- L'objet n'est pas analysé en lui-même et pour lui-même, comme une entité isolée, mais au travers de la perception, de l'image, qu'en a le sujet. De
ce point de vue, il n'y a aucune frontière entre la réalité intérieure de l'individu et la réalité extérieure (Moscovici, 1976);
2- La relation qui unit le sujet à l'objet et à autrui ne peut être conçue
comme statique mais au contraire en perpétuelle dynamique. Elle doit
être entendue comme une véritable inter-action (d'autant plus dynamique
que l'alter est différent du sujet et que sont mises enjeu les appartenances
groupales de chacun d'eux).
3. Intérêt de l'étude des productions langagières pour accéder aux processus socio psychologiques en jeu dans les interactions sociales
Traditionnellement, l'étude du langage se situe au cœur de la linguistique au
sein de sous disciplines comme la sémantique, la pragmatique, la phonologie, ou la syntaxe... Pour ce qui concerne l'étude du langage tel qu'il est
utilisé dans des situations de communication sociale, l'approche de la linguistique est néanmoins considérée par bon nombre d'auteurs comme
réductrice, aussi elle a été discutée et adaptée notamment dans le cadre de la
psychologie sociale de la communication et du langage.
Dans cette optique, il apparaît essentiel de ne pas étudier la langue comme
une structure isolée, mais de prendre en compte les productions discursives
des individus (sujets sociaux) et de les situer au sein d'un contexte social de
production. Le contexte n'est néanmoins pas considéré comme une entité
globale qui, lorsque l'on s'y réfère, permet de mieux comprendre le sens du
discours produit, mais comme un ensemble spécifique de paramètres pris en
compte par les sujets, ce qui a une influence sur leurs productions discursives.
Il s'agit dès lors non seulement de définir précisément l'ensemble des paramètres situationnels qui ont un effet, mais également d'analyser de manière
systématique la portée de chacun d'eux sur le discours produit.
Cette distinction fondamentale entre l'approche linguistique et celle de la
psychologie sociale de l'usage du langage se cristallisera sur quelques choix
théoriques et empiriques.
7
3.1 Langue et Parole, Sens et signification dans le cadre de la linguistique
La linguistique a durant de nombreuses années été partagée par un débat. Ce
débat, initié à l'origine par Saussure (1916), concernait la définition de l'objet premier d'étude de la linguistique.
Saussure, présente une distinction fondamentale entre deux objets: la Langue (système de signes, stable, partagé, cohérent donc prévisible et
autonome) et la Parole (le produit de l'utilisation de ce système par les sujets
parlants, donc par nature un objet instable, unique, imprévisible et subordonné). Il propose aux linguistes de s'attacher à l'étude de la langue et de laisser
à d'autres disciplines, notamment aux sciences humaines, le soin de traiter de
la Parole. Linguistique de la Langue et linguistique de la Parole apparaîtront
désormais comme "deux routes qu'il est impossible de prendre en même
temps" (1972, p. 38).
Mais, en limitant ainsi l'objet d'étude de la linguistique, Saussure restreindra
par contre coup l'étude du sens à celle du Signe. Il assimilera dès lors le sens
au résultat de l'association entre un Signifiant (forme acoustique ou graphique) et un Signifié (concept), considérée à l'intérieur d'un système de signes.
Le contexte de production et les caractéristiques des interlocuteurs se trouvant par voie de conséquence relégués au second plan.
La linguistique a néanmoins connu depuis Saussure de nombreuses évolutions chacune se singularisant par un accès particulier au sens.
L'étude du sens: la sémantique
La sémantique constitue l'un des principaux domaines de la linguistique
contemporaine (Moeschler et Auchlin, 1997). Elle ne concerne pas la forme
de la langue, elle est entièrement consacrée à l'étude du sens.
La définition du sens tel qu'il est étudié par la sémantique pose néanmoins un
problème similaire à celui que l'on retrouve dans l'opposition LanguelParole
faite par Saussure. Il s'agit là aussi de définir les limites de l'objet d'étude:
doit-on se contenter de l'étude "interne" du sens, c'est-à-dire le sens qu'aura
en soi un mot ou une phrase? Ou doit-on adopter une conception "extensionnelle" dans laquelle il importe surtout d'analyser quels sont les objets,
éléments de la réalité (ou référents), que les mots ou les phrases servent à désigner? Il semble que les linguistes actuels optent communément pour la
deuxième solution. Il s'agit ainsi de définir le sens comme ce qui renvoie "à
un état de choses, à une situation, à un événement" (Moeschler et Auchlin,
1997, p. 106).
8
Mais il sera également question d'opérer une distinction entre l'étude du sens
et de la signification. Le sens renvoie à la signification d'un mot sui generis
alors que la signification correspond au sens d'un mot ou d'une phrase produite par un sujet parlant.
Si l'étude du sens reste dominante dans le champ de la sémantique linguistique, l'étude de la signification est ce qui caractérise plus particulièrement
l'approche de la pragmatique linguistique.
Les conditions d'énonciation
linguistique
déterminantes
du sens:
la pragmatique
La pragmatique linguistique se définit comme l'étude des éléments d'une
langue (mots, phrases...)
dans les relations qu'ils entretiennent avec le
monde réel, dans le cadre du discours, c'est-à-dire lorsqu'ils sont employés
concrètement par un individu dans une situation donnée. Dans ce contexte,
tout énoncé, tout discours est considéré comme une énonciation c'est-à-dire
"une mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation" (Benveniste, 1974, p.80).
C'est dans cette perspective que se positionne l'apparition de la linguistique
énonciative (Benveniste, Ducrot, ...) pour laquelle le sens d'un mot ne dépend pas seulement de ses conditions de production (contexte d'énonciation)
mais également d'une relation intersubjective « Je me situe vis-à-vis d'autrui
non seulement par ce que je lui dis mais par le fait de lui parler, et par le niveau où je situe mon dialogue» (Ducrot, 1989, p. 160).
Sont dans ce cadre plus particulièrement considérés les éléments de la langue
dont le sens dépend totalement de ces paramètres, comme par exemple: II
les pronoms personnels qui ne prennent sens qu'en relation aux individus
impliqués dans l'acte de parole; 21 les indications de temps, de lieu, qui marquent l'ancrage du discours dans un contexte donné; 31 les modalisations qui
expriment le degré de vérité de l'énonciation et sa prise en charge par un
énonciateur, etc.
C'est donc l'actualisation d'une langue par des individus dans un contexte de
intersubjectif de production qu'il s'agit de mettre en évidence.
Cependant, selon certains auteurs, le contexte est trop souvent entendu de façon restreinte, il s'agit en effet de ne prendre en compte que de façon vague
les paramètres de la situation de communication dans laquelle sont insérés
les interlocuteurs qui sont en relation.
Il appartient à la sociolinguistique de décrire et d'analyser l'influence du
contexte social.
9
3.2 Le contexte social comme élément déterminant
guistique
du sens: la sociolin-
L'enfermement des linguistes dans un système tripartite locuteur/système de
signes/réalité -ignorant les déterminismes sociaux qui pèsent sur le sujet et
son discours- fera l'objet de nombreuses critiques de la part de certains sociolinguistes comme Hymes ou Labov par exemple (cf. à ce sujet Bachman,
Lindenfeld et Simonin, 1981). Il s'agit en effet selon eux de mettre l'accent
sur les rapports systématiques existant entre le langage et les facteurs sociaux.
Labov (1966) montrera par exemple la présence d'indicateurs linguistiques
caractérisant l'appartenance des individus à une classe sociale.
Il mettra en évidence l'existence de différences codiques d'une classe sociale
à l'autre, d'une communauté à l'autre (ce qui se traduit par exemple par des
variations au niveau de l'étendue du lexique ou de la complexité syntaxique).
Sont également décrits des marqueurs de prononciation qui ont pour caractéristique de varier en fonction du groupe social et du contexte de production.
L'auteur montre ainsi que les membres de la petite bourgeoisie se singularisent par une « insécurité linguistique» qui se traduit directement au niveau
phono logique : ces individus connaissent les formes de prestige (parce qu'ils
sont en contact avec la haute bourgeoisie) mais sans vraiment les réaliser, ou
en les réalisant mais de façon disproportionnée. Ce phénomène appelé "hypercorrection" se retrouve par exemple dans l'emploi du «r» dont les
modalités de prononciation sont connues au sein de cette population pour
être un indicateur social. Il apparaît ainsi que dans les situations formelles,
ces individus sont conduits à surpasser la classe plus élevée en prononçant
les "r" de manière encore plus corrigée.
Bien que Labov ait mis l'accent sur les variations situationnelles dans l'utilisation du langage, il se situe dans une perspective qui peut être qualifiée de
"macro sociale" par conséquent "le fait de l'interaction n'est pas véritablement pris en compte en tant que constitutif d'une étude des productions
linguistiques" (Bachman, Lindenfeld, Simonin, 1981, p. 111).
Plus encore, s'il s'agit bien de mettre en évidence les aspects sociaux qui ont
une incidence sur l'utilisation de la langue (celle-ci est analysée comme une
trace d'une insertion sociale, d'une appartenance à un groupe social) ces recherches restent somme toute assez souvent descriptives et rares sont celles
qui mettent en évidence les processus psychologiques en jeu.
Par ailleurs, les paramètres de la situation de communication sont décrits de
façon assez générale, même si certaines grilles d'observation (comme celle
10
proposée par Hymes en 19721), en s'appuyant sur la prise en compte
d'éléments précis, débouchent sur une analyse plus systématique de ces paramètres.
3.3 Le sujet social comme élément déterminant du sens: la psychologie
sociale de l'usage du langage et de la communication, un nouvel axe de
recherche
La psychologie sociale de l'usage du langage et de la communication constitue un axe de recherche récent au sein de la psychologie sociale.
Spécificités de l'approche
Elle peut être considérée à la fois comme un domaine particulier centré sur
les interactions sociales et plus particulièrement sur l'analyse des communications interindividuelles, et comme une méthode de recueil et d'analyse des
données verbales visant la mise en évidence et l'analyse des processus sociocognitifs qui sous-tendent les productions discursives des sujets en
situation.
Cette approche permet ainsi l'appréhension de l'ensemble des concepts de la
psychologie sociale qu'ils se situent dans le cadre de la cognition sociale ou
de l'influence sociale.
Dans ce cadre, l'attention est portée sur l'étude des productions langagières
des sujets à propos de différents objets ou événements de la réalité sociale.
Ces productions sont considérées comme des indicateurs de l'activité psychologique mise en oeuvre par les sujets en relation avec l'objet,
l'interlocuteur et les éléments de la situation. En effet, "parler de quelque
chose, d'un objet, ne consiste pas seulement à décrire cette chose, cet objet,
ou à mettre en scène discursivement des éléments de la situation dont on
parle, mais à marquer aussi la nature de la relation que l'énonciateur entretient avec l'objet. Ce fait renvoie aux propriétés réflexives de la parole, parler
de quelque chose, c'est aussi parler -plus ou moins- de soi ou plus précisément du mode d'appropriation du monde" (Bromberg, Trognon, 2000, p.
295).
Les recherches réalisées dans cette optique se sont au départ plus particulièrement centrées sur les liens existant entre le sujet et l'objet social et sur
1 Hymes propose une prise en compte systématique des composantes de la situation grâce à
un schéma appelé « SPEAKING» qui se décline comme suit: Situation, Participants, Ends
(finalité de la communication), Acts (contenu et forme des prises de parole), Key (tonalité),
Instrumentalities (moyens de communication), Norms (normes applicables à l'interaction),
Genre (format de communication).
Il
l'actualisation de ce lien dans une situation de communication (un contrat de
communication) donné.
La théorie du contrat de communication
Les travaux de Ghiglione et de ses collaborateurs2 sont depuis 1981 à
l'origine de cet axe de recherche (Ghiglione, 1981, 1983, 1984, 1985, 1986;
Ghiglione, Bromberg, Doma, 1986; Bromberg, 1981; Bromberg, Doma,
Ghiglione, 1983; Bromberg, Doma, 1985; Doma, Bromberg, 1985; Trognon,
1986 ... et plus récemment, Ghiglione, Chabrol, 2000; Bromberg, 2004;
Bromberg, Trognon, 2004 ; Burguet, 2000 ; Burguet, Hilton, 2004 ; Frigout,
2000, 2004; Georget, Chabrol, 2000; Georget, 2004; Marchand, 2004;
Masse, 2000, 2004 ; Sales- Wuillemin, Lacassagne, 2000 ; Sales-Wuillemin,
Gilibert, 2004 ; Trognon, Batt, 2004...).
Il s'agit tout d'abord de défmir la situation de communication à partir des paramètres qui la constituent, ces paramètres ont une incidence sur le contrat
de communication qui s'établit entre les interlocuteurs.
La situation de communication est décrite comme une interaction qui unit
deux intra locuteurs (sujets sociaux) reliés au départ par une Situation Potentiellement Communicative (SPC) c'est-à-dire l'existence d'enjeux communs.
Les intra locuteurs passent au statut d'interlocuteurs dès lors qu'ils mettent
en œuvre leur compétence linguistique, communicative, persuasive et sociale, bref qu'ils entrent en communication. Mais ce changement de statut
traduira l'endossement d'un rôle (au sens de Goffman, 19593) adapté par le
sujet en fonction de la représentation qu'il a de la situation particulière dans
laquelle il est engagé. Les interventions des interlocuteurs, leurs intonations,
gestes, postures, occupation de l'espace, dépendront donc du rôle endossé
dans l'interaction et seront interprétées en relation avec ce rôle.
Par ailleurs, selon les auteurs, l'entrée dans cette situation implique de facto
l'acceptation des principes de pertinence (doter a priori les propos de son interlocuteur d'une certaine validité) et de réciprocité (accorder un statut de
partenaire de communication à son interlocuteur).
2 Ces travaux se trouvent recensés au travers de la publication de plusieurs numéros spéciaux
et ouvrages coordonnés par Rodolphe Ghiglione et ses collaborateurs. Ces numéros sont parus
dans la revue Champs Educatifs (1981, 1983), Psychologie Française (1985), et la Revue Internationale de Psychologie Sociale (2000) les deux ouvrages collectif sont parus chez Dunod
éditeur en 1986 et en 2004.
3 Selon Goffman (1987) toute interaction verbale se déroule comme une représentation théâtrale, chaque acteur y joue un rôle déterminé. Un rôle ou « routine» est « un modèle d'action
pré-établi que l'on développe durant une représentation et que l'on peut présenter ou utiliser
dans d'autres occasions» p. 23.
12
Dès l'acceptation effective, les interlocuteurs admettent le principe de
contractualisation, en d'autres termes la nécessité de mettre en place un
« contrat de communication» liant les deux partenaires (Ghiglione, 1984).
Les premières paroles des interlocuteurs viseront d'ailleurs, par le jeu des
marques d'accord que sont les quasi-validations, les validations et les non
validations, à paramétrer directement ce contrat.
Il s'agit ainsi de fixer ce qui est disible par les partenaires que ce soit au niveau explicite ou implicite (Sales-Wuillemin, 1991a, 1994) et la manière
dont cela peut être dit, compte tenu des caractéristiques de l'objet, de la situation d'interaction (degré de formalisme, objectifs, ...) et des
interlocuteurs (statuts sociaux, rôle et place des interlocuteurs, enjeux individuels, collectifs...).
Une fois ces paramètres fixés, les interlocuteurs pourront entrer dans un dialogue régulier, c'est-à-dire dans une phase de co-construction de la référence
qui se traduira par une réorganisation de la réalité, dans un processus permanent de co-construction et de reconstruction avec l'interlocuteur.
Cette phase se fonde sur une coopération nécessaire des partenaires qui peut
(sans que cela soit obligatoire) déboucher sur un monde commun parmi un
ensemble de possibles.
Mais ce processus suppose, pour les auteurs, la mise en œuvre simultanée
d'un second principe qui serait fondamental, il s'agit du principe d'influence
ou de compétition (Ghiglione, Bromberg, 1984). Dans cette optique, la coconstruction décrite ci-dessus ne se ferait pas dans une totale collaboration,
mais serait en réalité sous-tendue par une âpre négociation entre les partenaires qui se traduirait par une tentative d'influencer l'autre pour lui donner à
voir un monde comme meilleur, préférable, plus vrai qu'un autre (Casari, Sales-Wuillemin, Bromberg, 1989).
Cette réorganisation en perpétuelle mouvance entre ['agir avec et l'agir sur
fait émerger des mises en scènes du référent qui sont fonction de l'attitude,
de la catégorie d'appartenance des individus en présence, de la représentation qu'ils ont du référent et de la situation même d'interlocution (cf.
Ghiglione 1986, pour un aperçu de ces différents facteurs).
Ce jeu de langage a toutefois également en retour un impact sur le locuteur
qui «acteur du monde possible qu'il met en scène, se co-construit en coconstruisant la référence» (Ghiglione, 1986, p. 97).
Dit autrement, ce jeu de « l'agir sur» et de « l'agir avec» laisse (par une
sorte d'effet de rationalisation) des traces sur le sujet, et ce quelle que soit la
force de l'influence exercée sur son partenaire.
13
L'approche qui caractérise la psychologie sociale du langage et de la communication présente un intérêt certain, l'accent est mis sur "la nécessité
d'interroger la production interlocutoire comme lieu des traces de l'activité
cognitive des interlocuteurs et comme lieu des structures cognitives des intra
locuteurs" (Ghiglione, 1986, p. 105).
C'est dans cette optique que les travaux de Beauvois et Ghiglione se sont
centrés à l'origine sur l'Attitude (Beauvois et Ghiglione, 1981).
Elle se décompose en deux formes: l'attitude paradigmatique et l'attitude
syntagmatique. L'attitude paradigmatique consiste pour un sujet à se positionner sur l'axe des substitutions (synonymes) lorsqu'il évoque un objet de
la réalité, alors que l'attitude syntagmatique réside dans le positionnement
sur l'axe des contiguïtés (contexte sémantique et pragmatique évoqués à
propos de l'objet). D'un point de vue plus socio psychologique, on observerait un «déterminisme attitudinel» (consistance individuelle avec effets
situationnels): les sujets paradigmatiques auraient une organisation cognitive qui les conduirait à utiliser le langage comme un outil de médiation au
monde, alors que les sujets syntagmatiques privilégieraient la relation à autrui (Beauvois, 2001).
Une perspective analogue oriente les développements actuels de la psychologie sociale du langage et de la communication (Bromberg, 2001, 2004;
Bromberg, Trognon, 2000, 2004). Il s'agit d'interroger les rapports existant
entre le sujet et les objets au travers de l'utilisation qu'il fait du langage:
"on est amené à s'interroger sur la façon dont un sujet social peut fournir de
manière non intentionnelle des indices langagiers de son attitude à l'égard
d'objets du monde. Comme il ne peut y avoir de jeux attitudinaux sans référence à un objet -puisqu'il n'y a pas d'attitude sans objet- ces jeux ne peuvent
s'exercer indépendamment des jeux sur l'existence plus ou moins avérée de
cet objet dans le monde." (Bromberg et Trognon, 2000, p. 295).
C'est en ce sens que «faire une psychologie
dans une perspective psycho/socio/pragmatique
ciale de l'usage du langage (... ) nécessite
recherche articulant tout à la fois l'interaction
tion » (Bromberg, 2004, p. 95).
sociale de la communication
et donc une psychologie sod'adopter une stratégie de
sociale, le langage, la cogni-
4. Contribution à une articulation entre les concepts de catégorisation,
d'attitudes, et de représentations sociales
Les études présentées dans cet ouvrage visent précisément cet objectif. Il
s'agit de mettre en évidence les relations entre une appartenance catégorielle, une attitude, une représentation sociale, et l'utilisation que le sujet
14
fait du langage à propos d'un objet, dans une situation d'énonciation spécifique, face à un interlocuteur réel ou virtuel.
Ces trois concepts ont donné chacun lieu, depuis maintenant plus de 80 ans,
à la réalisation d'un grand nombre d'études de psychologie sociale avec des
objectifs tant théoriques qu'empiriques. Cependant, bien qu'elles convergent
vers le même but, c'est-à-dire la mise en évidence de l'organisation cognitive
résultant de l'interaction entre l'individu et l'environnement, les recherches
traitant de ces concepts ont traditionnellement été réalisées de façon indépendante au sein de domaines assez déconnectés les uns des autres, qui
s'ignorent tout simplement aussi parfois.
Aussi, même si ce type d'approche serait en soi très prometteur, aucun travail
à notre connaissance, ne porte sur une articulation de ces trois concepts: les
quelques tentatives de mise en parallèle existantes se font par binômes, celui
qui relie « attitude et représentation sociale» étant le plus considéré.
Voici pourquoi, avant de présenter plus en détail les études consacrées à
chacun de ces concepts, nous proposons un rapprochement théorique.
4.1 Attitude et représentation
Certaines propositions ont été avancées concernant les liens pouvant être
établis entre les concepts d'attitude et de représentation sociale.
Trois réflexions différentes vont se succéder: la première se situe dans une
perspective que l'on pourrait appeler « structurale », la deuxième dans une
approche qui pourrait être qualifiée de « systémique », la troisième dans une
conception « dimensionnelle ».
D'un point de vue structural, l'attitude serait hiérarchiquement inférieure à
la représentation sociale.
Dans cette perspective, les représentations sociales dépendraient de systèmes
idéologiques plus larges, et impliqueraient donc un niveau collectif. En ce
sens, elles seraient révélatrices du rapport qu'un groupe entretient avec un
ensemble social.
Alors que les attitudes correspondraient à des modulations de nature plus
particulière. Dans cet esprit, elle traduiraient le rapport qu'un individu entretient avec un ensemble social (Doise 1982, 1985, 1986, 1989, 1990).
Cette distinction entre attitudes et représentations sociales sur la base de leur
caractère plus ou moins consensuel ne pourra toutefois être maintenue et ce
parce que ces deux concepts témoignent en réalité d'une assise collective
avec des modulations individuelles:
15
Les attitudes ne sont pas réductibles à des prises de positions individuelles, elles peuvent aussi correspondre à des réactions collectivement
partagées par un ensemble social face à un objet, ce qui les rapproche
indubitablement des représentations sociales. L'histoire de l'étude des
attitudes, depuis la maintenant très célèbre recherche conduite par Thomas et Znaniecki (1918-20), est d'ailleurs riche d'exemples. C'est aussi
ce caractère partagé que mettent en avant les travaux sur le conformisme et la déviance: la possession d'une attitude commune facilite
l'acceptation du sujet dans un groupe et peut même pour certains être un
signe distinctif d'appartenance (Kelman, 1958).
D'un autre côté, si l'on considère les représentations sociales, on ne peut
affirmer qu'elles sont toujours communes: de nombreuses études (y
compris celle réalisée par Moscovici en 1961) montrent qu'elles peuvent
aussi varier entre les individus au sein d'un même groupe. Il y a une
modulation individuelle de la représentation sociale qui se fait par une
intégration de l'histoire du sujet et de ses expériences passées. C'est
d'ailleurs ce qui lui permet d'accommoder et donc de s'approprier à un
niveau individuel la représentation que son groupe a de l'objet.
C'est sur ces similitudes entre les attitudes et les représentations sociales que
s'appuient Jaspar et Fraser (1984) lorsqu'ils proposent d'introduire la notion
"d'attitudes sociales". C'est également cette idée particulière4 que l'on retrouve chez Fraser (1994) selon qui les attitudes devraient être étudiées
comme des ensembles de « croyances partagées» structurés collectivement,
ce qui permettrait de les rapprocher de l'étude des représentations sociales.
D'un point de vue que l'on pourrait qualifier de « systémique », l'attitude
est considérée comme une concrétisation ponctuelle d'une représentation sociale ou d'une combinaison de représentations (Rouquette, 1996; Rouquette
et Rateau 1998) sans toutefois que l'une soit préexistante à l'autre: la représentation se construisant en lien avec l'attitude, et cette dernière pouvant être
conçue comme une rationalisation de la représentation. Dit autrement, les
représentations sociales formeraient "l'instance de raison" des attitudes, tandis que ces dernières constitueraient "l'instance de cohésion" des opinions
(Rouquette et Rateau, 1998).
4 Cette proposition a toutefois fait l'objet d'une réponse réservée de Doise, Clémence et Lorenzi-Cioldi (1994), selon qui, s'il est indéniable que les attitudes peuvent présenter un
caractère consensuel, leur étude, contrairement à celle des représentations sociales, reste incomplète. Elle ne permet en effet pas de prendre en compte les principes organisateurs qui
régissent les variations interindividuelles et intergroupes. Or il se trouve que l'analyse de ces
principes organisateurs est constitutive de l'étude des représentations sociales.
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Ce point de vue, permet de rapprocher les deux concepts dans une relation
globale de complémentarité, sans toutefois décrire plus avant la dynamique
du rapport qui les unit.
Une autre conception sera développée, elle se situera dans une perspective
dimensionnelle. Les recherches réalisées dans ce cadre permettront de
conclure à l'existence d'une forte similitude et d'une importante dynamique
entre ces deux concepts.
Dans la conception dimensionnelle, toute représentation sociale est de fait
constituée d'éléments évaluatifs, descriptifs et conatifs.
Cette approche s'appuie sur les réflexions de Moscovici (1973) pour qui une
représentation sociale correspond à un système de valeurs, d'idées et de pratiques. Dans cette optique mobiliser la représentation d'un objet c'est évoquer
tout à la fois un ensemble de jugements vis-à-vis de cet objet, de traits caractéristiques de l'objet, et de pratiques reliées à cet objet.
De façon convergente, cette approche souligne que ces mêmes dimensions se
retrouvent dans l'attitude (cf. la "théorie tri- componentielle des attitudes",
Rosenberg et Hovland, 1960, chapitre 3). Dans cette optique l'attitude recouvrirait trois dimensions: cognitive, affective et conative. La dimension
cognitive (aussi appelée perceptuelle, informationnelle ou sociale) réfèrerait
aux connaissances que le sujet a sur l'objet attitudinal et donc à la façon dont
le sujet le conçoit. La dimension affective (appelée également sensation ou
dimension émotionnelle) serait en rapport avec les sentiments d'amour ou de
haine, d'acceptation ou de rejet, c'est-à-dire avec ce qu'éprouve le sujet vis-àvis de l'objet attitudinal. Pour certains auteurs, cette dimension serait centrale. La dimension conative enfin, correspondrait à la façon dont le sujet se
comporte vis-à-vis de l'objet attitudinal.
Quelques résultats empiriques permettent d'ores et déjà d'argumenter en faveur d'une relation très étroite entre attitude et représentation sociale. Ainsi,
Rateau (2000) montre que la remise en cause d'un élément central d'une représentation entraîne un changement d'attitude des sujets. Moliner et Tafani
(1997) révèlent par ailleurs que l'attitude vis-à-vis de l'objet et la représentation que le sujet a de cet objet sont à ce point liées qu'un changement
attitudinal a des répercussions immédiatement visibles au niveau de la dimension évaluative de la représentation sociale.
Perspectives nouvelles
Cette série de réflexions argumente en faveur d'un ensemble de ressemblances mais aussi de différences essentielles entre attitude et représentation.
Les recherches que nous avons pu réaliser à ce propos nous conduisent à
penser que si les attitudes et les représentations semblent s'ordonner autour
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des mêmes dimensions, elles ne paraissent pas cependant se situer au même
point du rapport à l'objet.
Nous soutenons l'idée que la différence réside dans le niveau de relation auquel se positionne le sujet vis-à-vis de l'objet.
Nos recherches tendent à montrer que le rapport que le sujet entretient avec
l'objet a une incidence directe sur les éléments mis en saillance par le sujet
en situation d'évocation d'une représentation. Cette option revient à conclure
que la représentation évoquée en situation est 1- temporaire; 2-le fruit d'une
adaptation; 3- et qu'elle peut donc différer de celle qui est stockée en mémOIre.
Le sujet prend ainsi en compte les paramètres de la situation (buts, enjeux,
protagonistes, consignes...) pour adapter la représentation mobilisée aux caractéristiques spécifiques de la situation. Les éléments mobilisés diffèrent
donc s'il s'agit par exemple d'exprimer une image globale (ou une simple
réaction) vis-à-vis de cet objet, ou s'il apparaît essentiel que l'image ou la
réaction évoquée apparaisse individuelle, groupale ou collective, c'est-à-dire
distinctive ou partagée.
De la même manière, les objectifs du recueil et la tâche assignée au sujet
dans la situation, le cadre général du recueil transmis au sujet (enquête versus expérimentation versus explicitation des pratiques... ), les consignes
données, peuvent le conduire à penser qu'il doit faire état essentiellement de
son point de vue, de sa compréhension de l'objet, ou plus généralement de
l'idée qu'on s'en fait.
Dans cet esprit, il est également nécessaire de tenir compte des attentes du
chercheur qui fait le recueil et l'analyse des productions d'un ensemble d'individus. Il peut se concentrer sur les réactions qu'ils ont vis-à-vis de l'objet,
ou sur l'analyse exhaustive de l'ensemble des éléments qui englobent cette
réaction. Plus directement encore, par des effets de consignes et de manipulation du contexte, il pourra s'agir pour lui de conduire les sujets à se
focaliser sur l'un ou l'autre de ces types de rapport à l'objet. Dans un
contexte expérimental, une des façons d'opérationnaliser l'induction d'une
relation à l'objet consiste par exemple à conduire le sujet à mobiliser une
appartenance catégorielle au moment de l'évocation de l'objet.
Attitude et représentation sociale se situent donc pour nous à deux niveaux
du rapport à l'objet, un niveau individuel versus un niveau groupaI. Le niveau adopté par le sujet dépend ainsi directement des paramètres de la
situation dans laquelle l'objet est évoqué. Par ailleurs, ces deux niveaux se
retrouvent au moment de l'analyse des données verbales recueillies, il s'agit
donc de les différencier en fonction des objectifs de la recherche.
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A ce point de la réflexion il est fondamental de se pencher sur le concept de
catégorisation sociale. Il occupe en effet une position centrale dans la proposition d'articulation que nous faisons entre attitude et représentation.
4.2 Catégorisation,
attitude et représentation
L'articulation entre catégorisation, attitude et représentation se situe pour
nous au moins à deux niveaux: 1- dans la relation sujet/objet qui transparaît
au moment de la mobilisation; et 2- dans les modalités qui président à la
constitution de l'image de cet objet.
Mise en perspective de la relation sujet - objet
Notons dans un premier temps que c'est l'appartenance catégorielle du sujet
qui donne de toute façon une orientation générale à l'attitude et à la représentation sociale. L'attitude du sujet se construit en grande partie en référence à
autrui, par relais social. De même, la représentation qu'il a de l'objet diffère
de fait selon son appartenance groupale (par exemple « communiste », « catholique » ou « autres» dans l'étude de Moscovici sur la représentation de la
psychanalyse ).
En d'autres termes, si l'attitude et la représentation sociale peuvent se construire au contact de l'objet, notamment au travers des pratiques du sujet, elles
dépendent également très largement des contacts sociaux, des valeurs considérées comme centrales par le groupe: la relation sujet-objet étant quoi qu'il
en soit médiatisée (nous pourrions dire « ternarisée ») par autrui (Moscovici,
1984).
Dans un deuxième temps, il nous faut souligner que le contenu extériorisé de
l'attitude et de la représentation (au moment du recueil) dépend aussi de la
mobilisation que le sujet fait (ou pas) d'une appartenance sociale et donc du
rôle qu'il est censé endosser en cohérence avec cette appartenance. En effet,
si ces appartenances sociales peuvent être dans l'absolu multiples, elles se
trouvent de fait restreintes par la situation.
Différents facteurs vont avoir dans ce cadre une incidence, par exemple:
1- le lieu et donc l'environnement direct dans lequel se déroule le recueil de
données: un lieu privé (versus public) peut ainsi conduire le sujet à endosser
un rôle particulier et donc un discours officiel ou au contraire personnel.
2- les modalités de la situation: si le cadre du recueil est la réalisation d'une
enquête, les consignes transmises au sujet peuvent en effet l'inciter à penser
qu'il doit répondre en tant que membre d'un groupe social. Et dans ce cas,
un sujet que l'on interroge pour connaître l'attitude, ou la représentation qu'il
a d'un quelconque objet social, "l'avortement" par exemple, évoquera une
image plus ou moins contrastée selon qu'il sait (ou pas) être consulté en tant
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que membre d'un groupe sexuel (une femme versus un homme), d'âge Geune
versus âgé), professionnel (médecin versus psychologue) ou religieux (catholique versus athée) 5.
3-le statut et l'appartenance catégorielle des interlocuteurs réels ou potentiels : les individus qui se trouvent en place d'interlocuteur direct au moment
du recueil peuvent avoir différents statuts (interviewer, enquêteur, expérimentateur ...) et plus largement dans les situations d'observation en milieu
naturel, il peut s'agir d'un ami, parent, collègue
D'autres individus peuvent également avoir une incidence de par leur statut d'interlocuteurs
potentiels.
Ces interlocuteurs, directs ou indirects, peuvent en outre faire partie de la
même communauté versus d'une communauté différente de celle du sujet.
Un même individu pourra dans ces circonstances exprimer une relation à
l'objet qui diffèrera considérablement selon qu'il est dans un rapport symétrique ou asymétrique, qu'il est face à un membre de l'endogroupe ou de
l'exogroupe (cf. chapitre 1).
Il nous faut conclure que le sujet s'adapte aux paramètres de la situation, ce
qui l'amène à présenter un certain rapport à l'objet, et donc à mobiliser au
sein de la représentation ou de l'attitude, certains éléments, certaines dimensions, plus que d'autres.
Néanmoins, il faut souligner que cette relation n'est que temporaire, ni l'attitude réelle qu'il a 'vis-à-vis de l'objet ni sa représentation, ne varie pour
autant (dans un premier temps tout au moins6). Simplement, il y a certaines
adaptations entre l'attitude et la représentation du sujet et la façon dont il les
exprime dans un contexte donné.
Ces «adaptations» sont maintenant assez bien répertoriées, même si elles
apparaissent sous l'appellation injuste de « biais de recueil » (dans une perspective méthodologique ayant pour objectif de les contrôler parce qu'elles
introduisent des turbulences dans les réponses des sujets) : biais de conformité, d'estime de soi, de cohérence, de complaisance... pour n'en citer que
quelques-uns.
5 « La parole d'un acteur social et les interlocutions produites (...) révèlent non seulement
que les sujets communiquants tentent de définir leur position (se définir) par rapport à celles
qu'elle leur semble exclure (par différenciation plus ou moins polarisée ou par composition
plus ou moins équilibrée) mais aussi qu'ils sont souvent simultanément ou successivement
« pris» dans le jeu de ces positions différentes et parfois même incompatibles» (Chabrol,
1992, 1994).
6 Les réflexions théoriques et études empiriques sur le changement d'attitude ainsi que sur la
dynamique des représentations sociales montrent en effet qu'à terme et dans le respect d'un
certain nombre de conditions, par effet de rationalisation, il peut y avoir une incidence sur
l'attitude et la représentation du sujet.
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