Actualité ostéo-articulaire RUPTURE DU TENDON D’ACHILLE : kinésithérapie après traitement conservateur JACQUES VAILLANT L E traitement de choix des ruptures du tendon d’Achille, après avoir été à l’origine (et par défaut) exclusivement orthopédique, a été pendant 80 ans chirurgical. La publication de Léa et Smith en 1968 fut la première à rediscuter de l’intérêt d’un traitement conservateur. Depuis, de nombreuses publications ont vu le jour prônant l’une ou l’autre des méthodes. La chirurgie a pour avantage de permettre un ajustement précis de la longueur du tendon, mais elle expose en contrepartie au risque anesthésique, à la nécrose locale et au sepsis. Le traitement conservateur, à l’inverse, ne présente pas ces risques mais occasionne, en revanche, des délais plus longs de reprise fonctionnelle et sportive, un potentiel allongement du tendon et un fort taux de ruptures itératives. Evolution des traitements La meilleure connaissance de ces risques potentiels a permis durant ces 40 dernières années de faire évoluer les méthodes thérapeutiques. Côté traitement chirurgical, la ténorraphie percutanée préserve l’hématome périlésionnel (dont le rôle est important dans l’élaboration du cal primaire), assure une meilleure réduction anatomique que le traitement orthopédique et permet la dynamisation précoce du cal. Cependant, selon des études, il persiste encore certains cas de nécrose, des réactions inflammatoires persistantes, voire parfois des ruptures itératives. Côté traitement orthopédique, la proposition d’immobilisation suffisamment longue (10 à 12 semaines) et la remise en contrainte très progressive permettent de réduire le risque de rupture itérative. Le positionnement de l’immobilisation en équin submaximal atténue le risque d’allongement relatif du tendon d’Achille. Certains auteurs, notamment en Allemagne et en Suisse, préconisent le traitement fonctionnel. Dans ce cas, la botte plâtrée n’est portée que quelques jours, voire 2 semaines tout au plus. Puis orthèse variable ou chaussures orthopédiques avec des talonnettes sont prescrites pour une période de 7 à 10 semaines. L’appui est autorisé sous couvert de deux cannes béquilles dès 15 jours. L’appui total est retrouvé au bout d’un mois en moyenne. Le traitement orthopédique (méthode Saint-Maurice) L’équipe de traumatologie du sport de l’hôpital national de Saint-Maurice propose une procédure particulière de prise en charge des ruptures 52 Cadre kinésithérapeute. Ecole de Kinésithérapie. Centre hospitalier universitaire de Grenoble (38). du tendon d’Achille. Celle-ci repose sur l’analyse des travaux anatomo-pathologiques et sur les études cliniques. Les travaux anatomo-pathologiques portant sur la cicatrisation tendineuse ont mis en évidence l’intérêt de la mécanisation progressive du cal fibreux primaire pour faciliter l’orientation spatiale des fibres de collagène. La remise en contrainte progressive du tendon est obtenue à la fois par : – une diminution régulière de l’angle de flexion plantaire ; – ou une mobilisation active en secteur protégé. Les études cliniques, dérivées du protocole initial de Léa et Smith, ont démontré les deux principaux écueils du traitement conservateur : – le déficit de puissance tricipitale secondaire à l’allongement du tendon d’Achille ; – et le risque de rupture itérative. L’examen clinique montre, dans le premier cas, une augmentation de la flexion dorsale de la cheville. Les précautions à prendre pour éviter ces écueils sont : – une durée d’immobilisation d’au moins 8 semaines ; – une grande prudence durant les 2 semaines qui suivent l’ablation de la contention. A partir de ces données, J. Rodineau et coll. ont étudié rétrospectivement les résultats de 39 patients traités dans leur service. Il est apparu que les patients ayant bénéficié d’une immobilisation longue (10 à 12 semaines) avec une mécanisation progressive et une position initiale d’immobilisation plus stricte (équin submaximal) ont un risque de rupture itérative plus faible et une meilleure capacité tricipitale. A partir de ces éléments, le traitement orthopédique des ruptures du tendon d’Achille repose sur une procédure stricte (tableau 1). Dans un premier temps, le patient porte une botte rigide inamovible en résine mixte réalisée en équin submaximal et en discret varus. Celle-ci est confectionnée patient installé en procubitus, genou à 90° de flexion, afin de détendre les jumeaux. Pendant ce temps, la déambulation est autorisée sans appui. Cette première contention est gardée 6 semaines. Durant les 6 semaines suivantes, une nouvelle orthèse est confectionnée dans une position de semi-équin sans varus. L’équin est progressivement réduit (tous les 10 jours) pour se rapprocher d’une position du pied à angle droit. En cas de perte de l’équin spontané ou de discrète augmentation de la flexion dorsale de cheville, on revient à la position antérieure. A l’ablation de cette dernière contention, c’està-dire en moyenne à la fin de la dixième ou de la douzième semaine, un certain nombre de précautions s’imposent. Pendant encore 2 mois, le patient doit strictement s’interdire (tableau 2) : – toute marche pieds nus ; – la descente des escaliers de manière symétrique ; – de monter sur la pointe des pieds ; – et de marcher en terrain accidenté. J0 à J45 Botte rigide inamovible en varus équin submaximal Marche sans appui J45 à J60 Botte en semi-équin sans varus Marche sans appui J60 à J75-90 Poursuite de la correction de l’équin (pied rapprochant progressivement de l’angle droit) Remise en charge partielle progressive à la marche J75-90 à J105 Ablation de la botte vers la dixième ou douzième semaine Utilisation pour la marche de chaussures avec talonnettes, ainsi que de deux cannes béquilles J105 à J135-150 Début de kinésithérapie proprement dite Remise en charge complète progressive ■ Tableau 1 : les grandes étapes du traitement orthopédique de Saint-Maurice [1, 2]. KS n° 413 Juillet 2001 Actualité ostéo-articulaire J0 à J75-90 (10-12 semaines) Apprentissage du béquillage en décharge Contrôle tégumentaire, sensitif et circulatoire J75-90 à J105-120 Pas de marche pieds nus (14-16 semaines) Pas de descente d’escaliers de façon symétrique Ne pas monter sur la pointe des pieds Ne pas marcher en terrain accidenté Apprentissage de la marche Prescriptions d’exercices d’auto-entretien J105-120 à J135-150 (18-20 semaines) A partir de J135-150 Pas de marche pieds nus Pas de descente d’escaliers de façon symétrique Ne pas monter sur la pointe des pieds Ne pas marcher en terrain accidenté Amélioration de la trophicité de la cicatrice tendineuse Réentraînement des muscles de la cheville Reprogrammation sensori-motrice de la cheville Renforcement spécifique du triceps en chaîne ouverte Amélioration de la trophicité de la cicatrice tendineuse Réentraînement des muscles de la cheville Reprogrammation sensori-motrice de la cheville Renforcement spécifique du triceps en chaîne fermée évitée. Durant le premier mois, le travail n’est fait qu’en chaîne ouverte. Ce n’est qu’après cette date qu’un travail en chaîne cinétique fermée est envisagé. La progression, travail statique, travail concentrique et enfin, travail excentrique est également respectée. Conclusion Le traitement conservateur, grâce à l’application d’une procédure stricte, autorise un résultat de qualité sans augmentation du risque de rupture itérative et sans allongement du tendon d’Achille. Cependant, les durées de reprise fonctionnelle et sportive restent supérieures à celles obtenues par le traitement chirurgical. Les auteurs [1, 2] de ce protocole de traitement conservateur suggèrent une utilisation pour des sportifs moyens n’ayant pas d’impératif de délai de reprise. On peut également noter son intérêt pour des sujets non sportifs.■ ■ Tableau 2 : principes et objectifs de la kinésithérapie pour le traitement orthopédique. BIBLIOGRAPHIE La kinésithérapie pendant le traitement orthopédique La kinésithérapie pendant toute la durée d’immobilisation se limite à une surveillance des complications éventuelles des plâtres, à un apprentissage de la déambulation sans appui sous couvert de deux cannes béquilles et à un entretien des segments sains. A l’ablation de la contention, la kinésithérapie n’est pas encore prescrite par les auteurs de la méthode [1]. Pourtant, on pourrait envisager qu’à ce stade le kinésithérapeute ait pour tâche d’éduquer le patient selon deux axes : – intégration des gestes et actes interdits pendant 2 mois ; – apprentissage d’exercices d’autorééducation (automobilisation en secteur protégé). Ces derniers exercices sont destinés à améliorer la réorganisation spatiale des fibres de collagène. Le patient est incité à pratiquer des flexions plantaires actives sans résistance, d’abord en course interne, puis en course intermédiaire, genou fléchi, puis genou en extension à partir d’une position en procubitus. A ce stade, aucun gain en flexion dorsale de la cheville n’est recherché. Le patient est autorisé à marcher, jour et nuit, avec des chaussures munies de talonnettes rajoutées par un cordonnier. Il est à noter que les talonnettes sont apposées sur les deux chaussures pour prévenir une souffrance lombaire. La hauteur des talonnettes est progressivement réduite en fonction du seuil de mise en tension douloureuse. Durant la marche, et plus particulièrement lors du pas postérieur, le patient ne doit ressentir aucune douleur par mise en tension du triceps. Un mois après l’ablation de la contention, la kinésithérapie proprement dite commence. Elle vise à faciliter la cicatrisation et à poursuivre la dynamisation douce du tendon. Selon les résultats de l’examen kinésithérapique, diverses techniques peuvent être proposées. Des massages à visée cutanée et extéroceptive trouvent toute leur indication (massage plantaire, manœuvres rétromalléolaires notamment). Les massages à but cicatriciel (mobilisation manuelle douce du tendon, pincés-roulés des tissus péri-achilléens et massage transversal profond d’abord à distance puis localement) sont également pratiqués. 1. DUPRE J.-P., PEYRE M., FRACHON H., BESCH S., RODINEAU J. Rupture du tendon d’Achille : évolution du traitement conservateur. J. Traumatol. Sport 2000;17: 103107. 2. PEYRE M., DUPRE J.-P., MEGRET-FRACHON H., RODINEAU J. La rupture du tendon d’Achille : évolution du traitement orthopédique. Journées de médecine orthopédique et de rééducation 2000. Paris : Expansion Scientifique Française 2000 : 185-191. INDEXATION MINITEL : Rééducation – Tendon – Traumatologie Un travail musculaire de tous les muscles de la cheville, d’abord statique (dit “évoqué à distance”), puis concentrique et, enfin, excentrique est très progressivement proposé dans le secteur de non-douleur. Les exercices de flexion plantaire de chevilles sont réalisés contre résistance manuelle, genou en demi-flexion, puis genou en extension. Une reprogrammation sensori-motrice de la cheville est réalisée. Elle réentraîne le sujet à distinguer les différentes caractéristiques du mouvement (sens, vitesse, secteur angulaire). Le contrôle du mouvement est également travaillé. Le renforcement spécifique du triceps sural est débuté plus de 4 mois après l’accident initial. Jusqu’à la fin du 5e mois, la course externe est KS n° 413 Juillet 2001 53