L’élaboration de la dissertation : la problématique et le plan
Phase 4 : Elaborer une problématique.
La démarche de la dissertation consiste toujours à partir de la question posée, à élaborer un
problème et un seul. Il s’agit de transformer la question en problème.
Qu'est-ce qu'un problème philosophique ?
-Un problème philosophique est une contradiction ou une difficulté à laquelle on ne peut pas
trouver une réponse immédiate. Ce n'est pas non plus un problème scientifique comparable à un
problème de mathématiques ou de physique, par exemple.
Certaines questions appellent une réponse immédiate, sans détour. Exemple : « quel temps fait-
il ? » Réponse: « il pleut », etc. Y répondre, c'est rappeler un fait, un constat. On n'a besoin pour
cela d'aucune connaissance théorique. Il s'agit de questions de fait.
Mais il n'en est pas toujours ainsi ; si l'on se demande « quelle est la vitesse à l'arrivée au sol
d'un corps qui tombe du 1er étage d'un immeuble ? » Pour y répondre, il faut connaître certains
éléments qui n'ont pas été indiqués : la hauteur du 1er étage, la nature de la chute, la valeur de
l'accélération de la pesanteur sur le lieu l'on se trouve, ce qui fait appel à des notions de
physique. Le problème posé ne peut être résolu que si l'on possède un savoir scientifique.
On peut se poser toutefois un autre type de question. Si l'on se demande « quelle est l'origine de
l'univers ? », « Peut-on manipuler un être vivant (cas des OGM par exemple) » ?, on s'aperçoit
que la science pose des questions qui dépassent le cadre de la recherche scientifique mais qui font
appel à une réflexion (métaphysique, morale, etc) ; de même, si l'on se demande « la vie at-elle
un sens ? », ou « quelle attitude adopter face à la mort » ?, aucun savoir scientifique ne permet
de trouver une réponse acceptable par tous ; chacun peut choisir le sens et la réponse qu’il va
donner à de telles questions (en fonction de ses convictions personnelles, et de sa propre
réflexion). Cela ne veut pas dire qu'il faille instaurer une hiérarchie entre la science et la
philosophie ou vice versa, mais que les questions scientifiques et philosophiques appartiennent à
des domaines différents de la pensée.
Le registre de la philosophie n’est pas celui du savoir scientifique, du vrai ou du faux, de
l’exactitude ou de l’erreur ; ce qui est important, c’est le sens que l’on donne à un problème, ce
qu’il signifie pour notre intelligence. Face à une question philosophique, la question à se poser est
« comment puis-je comprendre le sens de ce problème ? ». On n’attend pas que l’on réponde par
des vérités incontestables ou en cherchant une réponse définitive mais en montrant que l’on a
compris que la question posée présente une difficulté qu’il faudra formuler et approfondir
clairement afin de la rendre compréhensible. Les mauvaises copies nous font perdre de vue le
problème en faisant défiler des connaissances sans fil directeur, ou en restant au niveau des faits,
de la description, et, dans ce cas, l’élève oublie que c’est à lui à penser, à réfléchir, à
problématiser.
Les bonnes copies au contraire, sont celles qui mettent à jour une difficulté essentielle, en
l’approfondissant, en montrant qu’elle nous résiste (ex.la mort, le sens de la vie, le bonheur, etc)
et qu'il faut tenter d'élucider à défaut de pouvoir la résoudre. En philosophie, la formulation d'un
problème est souvent plus importante que les réponses. Contrairement aux questions immédiates
(« quelle heure est-il ? ») ou scientifiques qui appellent une réponse tranchée juste ou fausse (ex.
2+2=4), l'exercice philosophique est réussi lorsque le problème est clairement formulé, et que l'on
trouvé des pistes argumentées pour l'élucider ; (On en revient toujours à Socrate, qui faisait aveu
de son ignorance pour mieux stimuler la réflexion, et se contentait de questionner pour mettre à
l’épreuve sa pensée, plutôt que de rechercher des réponses toutes faites).
Comment problématiser ?
Le sort d’une dissertation se joue dans sa problématique. Si celle-ci parvient, de manière
suffisamment précise, à formuler le problème philosophique contenu dans le sujet. Il s'agit de
mettre en question ce qui semble aller de soi en posant une question, en soulevant une
contradiction, un problème.
En formulant par une phrase cette contradiction, vous envisagez plusieurs hypothèses de départ
qui permettent de lancer la réflexion. Le corps de la réflexion dispose alors d’un fil directeur
solide pour une organisation cohérente de l’argumentation, qui se soutiendra jusqu’à la résolution
du problème.
La problématique est donc l'orientation, le fil directeur de l'argumentation, qui permet à celle-
ci de progresser rigoureusement d'un argument ou d'une partie à l'autre. Quand les enseignants
déplorent l'absence de problématique dans un devoir, ils veulent dire par qu'il n'y pas de
cohérence de l'argumentation, ou que celle-ci est trop décousue.
La problématique est donc à la fois une question qui soulève une difficulté, une
contradiction entre deux réponses possibles (le problème) et une question directrice qui
donne l'orientation de votre argumentation. Ce n'est pas une question qui appelle une
réponse immédiate (comme dans la question quelle heure est-il ?) ni un problème
scientifique que l'on pourrait résoudre en possédant un savoir théorique mais une question
qui suscite une discussion car elle pose un problème essentiel pour la condition humaine
(question de justice, de morale, de psychologie, etc). L'introduction devra la formuler et le
développement devra détailler et discuter des deux points de vue opposés.
A°) Quand le sujet est formulé sous la forme d'une question
Certains sujets appellent une réponse tranchée « oui » ou « non ». On peut donc y répondre
facilement. Toutefois, il ne faut pas oublier que si l'on pose une question, c'est que la réponse
ne va pas de soi.
1-Face à une question, il faut admettre que plusieurs réponses (contradictoires) sont
possibles. Il faut se poser les questions suivantes :
-Quel est le sens exact de la question ? De quel champ de réflexion relève-t-elle (science, morale,
politique, esthétique, etc) ? Dans quel contexte se pose-t-elle ?
-Quelle est la réponse spontanée à cette question ? (réponse du sens commun, la première réponse
qui nous vient à l'esprit, notre première réaction, notre opinion personnelle face à la question ;
-Que faut-il penser d'une telle réponse ? Est-elle indiscutable ? Quelles objections peut-on lui
faire ? On cherchera ensuite une objection qui permettra ensuite de se défaire de cette première
opinion, de ce parti-pris. Si l'on se pose une question, c'est que sa réponse ne va pas de soi ; on
est donc amené à s'interroger sur le problème qu'elle pose ;
2-On peut ensuite transformer la question en affirmation en se demandant :
-quelles sont les raisons qui conduisent à l'affirmer ? Y-a-t-il des philosophes qui l'ont fait ?
Quels sont leurs arguments ?
-Quels sont au contraire les arguments qui conduisent à la rejeter comme fausse ou comme
insuffisante ? Y-a-t-il des philosophes qui l'ont fait ? Quels sont leurs arguments et la réponse
différente qu'ils apportent à la question ?
Il faut trouver des idées qui serviront de preuve pour justifier la réponse immédiate et l'objection
que vous vous posez.. Il est essentiel dans la démarche philosophique de « donner des raisons »
de ce que l'on avance.
Exemples :
Sujet : « l'Etat est-il un obstacle à la liberté individuelle ? »
Cette question appelle une réaction différente selon nos convictions politiques. Un partisan de
l'ultra-libéralisme répondra que l'Etat est une contrainte et qu'il faut s'en remettre à l'initiative
privée et laisser faire le marché. Un partisan de « l'Etat-Providence » répondra au contraire que
l'Etat doit protéger les libertés individuelles, il est le garant des droits des citoyens et doit
introduire une régulation des marchés pour protéger les droits des travailleurs. La difficulté de ce
type de sujet sera de tomber dans un débat stérile entre deux opinions politiques opposées. Pour
sortir de la polémique « oui » ou « non », il faut rechercher les raisons invoquées par les uns et
par les autres en évitant la caricature ; si l'on prend parti pour le « oui » ou le « non », il faudra
chercher des arguments que pourrait donner un interlocuteur qui donnerait une réponse opposée.
Dans tous les cas, il est indispensable de « donner des raisons de ce que l'on avance ». Le but de
cet exercice est de transformer la question en alternative. On voit ici clairement que la
philosophie est un apprentissage de la vie démocratique !!!
Sujet : « L’histoire est-elle une science ? »
a°) A première vue l’histoire est une science. L’historien doit étudier le passé à partir de traces, à
l’aide d’un ensemble de méthodes. Il ne peut étudier telle ou telle période que si une hypothèse
guide son travail. On peut, de ce point de vue, comparer le travail de l’historien à celui du
physicien (c’est la thèse de Marc Bloch, dans son livre « Apologie pour l’histoire ou le métier
d’historien »).
b°) Pourtant, le regard que l’historien porte sur le passé est souvent guidé par des intérêts présents
qui orientent son travail ; l’objectivité en histoire est donc difficile car on ne cesse de réécrire et
d’interpréter l’histoire. L’historien n’a affaire qu’à des archives, c’est à dire à un passé déjà
interpété par des témoins antérieurs ; d’où la difficulté de saisir dans leur réalité les faits, les
institutions. Dans le meilleur des cas, l’histoire est la somme de toutes les interprétations du
passé.
D'autres sujets appellent une réponse plus nuancée « peut-être », « ça dépend ».
NB : Si la réponse spontanée est « ça dépend » ou « peut-être », il faudra imaginer quelle
serait la question si la réponse était oui ou non. C’est en fonction de la thèse retenue que les
éléments trouvés deviendront arguments apparaissant comme favorables ou défavorables à l’un
ou l’autre des points de vue.
Exemple :
La question : « dans quelle mesure l'homme est-il prisonnier de son passé ? » apparaît comme un
sujet moins polémique. Pourtant, on ne peut pas attendre de vous que vous donniez une réponse
neutre, du style « ça dépend ». Dans ce cas, il faut radicaliser sa réponse et chercher des réponses
« oui » ou « non » en recherchant des arguments.
a°) l'homme est prisonnier de son passé car tout ce qu’il est et tout ce qu’il fait est lié à ce qui l’a
précédé ; cela veut dire que l’homme est soumis à des lois de cause à effet ; c’est peut-être
inconsciemment, parce qu’on adhère à cette thèse philosophique que l’on se représente le passé
comme à quoi l’être humain ne peut pas échapper.
b°) L’homme peut cependant se libérer du passé parce qu’étant libre, il peut à tout instant
reconnaître, choisir une autre voie que celle de la tradition ; si l’on adhère à cette thèse
progressiste, si l’on invoque le passé, ce sera pour nier la responsabilité humaine.
Ces deux réponses sont chacune liées à une prise de position philosophique :
-si l’homme est prisonnier de son passé, on considère que la liberté est une illusion ;
-si l’homme peut s’affranchir de son passé, on considère au contraire qu’il est libre parce qu’il
existe sur un autre mode que celui d’un objet matériel ;
B°) Lorsque le sujet est constitué d'une affirmation sur laquelle on vous interroge
Dans cette catégorie, les sujets proposant de discuter d'une opinion admise, etc (Est-il vrai de dire
que...?, En quels sens peut-on affirmer...? Dans quels sens peut-on dire que... ?). Ici, la
transformation de l'affirmation est déjà faite. La façon d'analyser le sujet n'est pas très différente.
Toutefois, le travail consiste à :
-partir de l'affirmation pour remonter au problème auquel elle correspond et à le formuler ;
-expliquer cette affirmation, c'est à dire établir son sens ou ses sens possibles et à comprendre ce
qui la justifie
-apprécier la valeur, c'est à dire la discuter. Après avoir rappelé ce que signifie cette affirmation
pour le sens commun, il faudra s'interroger sur ce qui semble la justifier, ce qui la rend discutable.
C°) Lorsque le sujet demande la production d'une définition.
La question invite à préciser le sens d'une notion (Ex. Qu'est-ce qu'être normal ?) à préciser la
nature d'un objet qui nous paraît familier (Ex. qu'est-ce qu'une oeuvre d'art ?)
il va de soi qu'on ne nous demande pas de faire une analyse de sémantique. Il faut encore faire
apparaître un problème. Si la question est posée, c'est qu'il y a une difficulté, que le sens apparent
cache des significations plus essentielles.
Il faut se demander :
-quelle est la signification courante de cette notion dans l'usage habituel de la langue ? ;
-cette définition courante comporte-t-elle des ambiguités ou des difficultés ? ;
-quelle est la question fondamentale qui nous invite à réfléchir ?
Phase 5 : Elaborer une thèse.
Après avoir étudié tous les arguments, on élaborera ensuite une réponse plus réfléchie (qui sera
notre conclusion ou notre thèse).
Il faut donc déterminer la thèse (réponse réfléchie que l’on veut défendre, ce que l’on veut
démontrer) en s’assurant :
-qu’elle répond à la question posée ;
-qu’elle repose sur l’exploration du champ argumentatif ;
-qu’elle s’articule sur un développement progressif et dynamique.
Il faut se poser la question : « quelle idée vais-je soutenir ? » Qu’est-ce que je finirai par
conclure ? » Ces questions doivent animer toute la démarche, lui fournir son fil directeur et
son unité.
Un temps de mise au point
En reformulant l'énoncé, en transformant la question en alternative ou en problème, on parvient à
organiser un développement. Pour être cohérent, ce développement doit être organisé en fonction
du but que l’on veut démontrer, de la résolution du problème que l’on a identifié. Trois moments
sont nécessaires : 1/ la formulation du problème (introduction), 2/ le développement (ou corps du
devoir divisé en parties et parvenant à la fin à la résolution du problème), 3/ enfin la conclusion.
Il n'existe pas de recette absolue pour bâtir son plan. Il faut se méfier des plans « passe-partout »
et se préoccuper davantage de la qualité de la réflexion que de la perfection formelle du plan. Il
faudra donc chercher des arguments, car il est impossible de répondre à une question
philosophique en se contentant d'énumérer des exemples qui se terminerait par l'affirmation « ça
dépend », « des fois oui, des fois non ». Il faudra aussi veiller aux transitions. Leur caractère
progressif, clair et rigoureux, est le signe d’un exercice réussi. C’est pourquoi, il ne s’agit jamais
d’énumérer des points de vue, de décrire les aspects d’un problème ou d’en faire l’historique. Il
s’agit de réfléchir à un problème de manière conceptuelle. L’argumentation se dirige vers une
forme de solution –qui bien sûr (la rigueur de la philosophie n’est pas celle d’une science exacte)
consistera le plus souvent en une autre formulation, plus approfondie des termes du problème, ou
dans la découverte d’une difficulté que l’on précisera, qui interdit toute résolution.
La Rédaction de l’introduction : formuler le problème
L’introduction doit être rédigée dès que l’on a une vision suffisamment précise de la question et
de la problématique. Elle a une double fonction :
Montrer que la question posée fait problème et qu’il n’est pas possible de donner une seule
réponse, mais deux réponses contradictoires ;
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