La Dissertation Philosophique. Quelques conseils de méthode
Quelques rappels pour commencer
« Il n'y a pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd'hui par
la polémique. Le XXeme siècle est le siècle de la polémique et de l'insulte. Elle tient, entre les nations et les
individus, et au niveau même des disciplines autrefois désintéressées, la place que tenait traditionnellement le
dialogue réfléchi. Des milliers de voix, jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue,
déversent sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices, attaques, défenses, exaltations. Mais quel est le
mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l'adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et
à refuser de le voir. Celui que j'insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s'il lui arrive de sourire et
de quelle manière. Devenus aux trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi
des hommes, mais dans un monde de silhouettes. »
Albert Camus (extrait d'une conférence de 1948, in Actuelles 1, Gallimard). Cité par A.Boissinot, Les textes
argumentatifs, p.11).
Dans cet extrait, Albert Camus nous rappelle l'importance du dialogue pour la réflexion, la
vie sociale, et la démocratie ; n'est-ce pas par la discussion que nous pouvons progresser ? Le
dialogue n'est-il pas un moyen incontournable d'arbitrer toutes sortes de conflits ? Celui qui
recherche le dialogue est nécessairement respectueux d'autrui et convaincu de la nécessité de
confronter les arguments, il ne craint pas de se remettre en question ; il pense que les conflits
peuvent se résoudre par la parole, non par la force (d'où le rôle essentiel du dialogue dans les
relations diplomatiques). C'est pourquoi le dialogue est très difficile à construire et souvent
supplanté par la polémique qui est une dispute ; dans cette joute verbale, chacun campe
dogmatiquement sur ses positions (opinions, idées reçues, etc), contredit l'autre sans écouter
ses arguments, quitte à invoquer des arguments faux et trompeurs qui destabilisent
l'adversaire et ne conduisent le plus souvent qu'à un « dialogue de sourds ». La polémique est
une absence de dialogue.
C'est ce dialogue réfléchi, non polémique que pratiquait Socrate au Vie siècle av.JC en
s'adressant aux habitants d'Athènes pour les inviter au questionnement philosophique. La
philosophie est contenue toute entière dans la formule « connais-toi toi-même » dont il faisait
sa devise, et qui était inscrite sur le fronton du temple de Delphes. Elle est d’abord une
invitation à s’examiner soi-même, à dialoguer avec soi-même et avec ses semblables pour
devenir son propre maître, autonome et libre. Parce qu’elle est avant tout un « dialogue
intérieur de l’âme avec elle-même »1, la pensée réfléchie est une conversation intérieure, qui
bouscule des idées arrêtées, des évidences jamais interrogées, et qui nous pousse à dépasser
l’attitude dogmatique (qui se contente de croire sans jamais se soumettre aux exigences du
questionnement et de la raison). Au lieu de vivre en aveugles, en se contentant d’apparences
trompeuses et séduisantes, la réflexion philosophique nous invite à nous mettre en question
pour savoir ensuite ce qu’il faut faire et devenir plus libres. Ainsi, on rencontrait à Athènes
quantité de citoyens qui se disaient sages et savants mais qui ne l’étaient pas et se trompaient
sans le savoir, contrairement à Socrate qui était finalement le plus avancé, car il se contentait
de pratiquer l'interrogation, et pouvait progresser.
Qu'est-ce qu'une dissertation philosophique ?
La dissertation philosophique relève du dialogue réfléchi ; il s'agit de mener par écrit une
argumentation précise qui doit poser et résoudre un problème. Ce n’est ni un libre essai ni
un exposé de lectures ou de citations où l’on chercherait à démontrer son savoir.
1 Platon, Théétète, Sophiste (263-e).
La fonction de cet exercice est de montrer :
-que l'on est capable de raisonner pour résoudre un problème, clarifier une
question, en approfondir les termes, montrer pourquoi un problème ne peut être levé,
etc
-que l'on est capable de mobiliser et d’exploiter des connaissances ;
Réfléchir, ce n'est ni exposer un savoir, ni s'arrêter sur la première idée qui nous vient à
l'esprit, mais examiner nos idées afin de maîtriser notre pensée –notre capacité à réfléchir-
et nos connaissances ; s’agissant de philosophie, faire acte de réflexion revient à élucider une
question posée, en mettant à distance les idées toutes faites, mettre en ordre ses idées,
approfondir les termes (sans forcément trouver une solution qui mettrait fin à l’interrogation) ;
c’est l’héritage de Socrate –enseigner aux autres à réfléchir, ce qui suppose que l’on
réfléchisse soi-même, montrer la réflexion en acte.
Mobiliser ses connaissances, c'est mettre à contribution ses connaissances, sa culture
générale, le cours, ses lectures personnelles pour résoudre le problème posé sans se contenter
d’exposer des doctrines philosophiques en perdant le fil de ses idées, mais en veillant à la
cohérence de sa propre réflexion.
La dissertation suppose la maîtrise d'un ensemble de règles de méthode (du Grec Méthodos,
« chemin » pour conduire ses pensées ou ses actions) ; puisque la philosophie est un exercice
de réflexion, ces règles ne sont pas des recettes à appliquer mécaniquement pour construire un
raisonnement ; pas plus qu'il n'existe de méthode standard pour résoudre un problème de
mathématiques il n'existe pas de méthode passe partout pour réussir une dissertation
philosophique. Il n’existe pas de science de ce qu’est la réflexion. On ne peut que mettre en
pratique une méthode de réflexion qui reste par définition un cheminement personnel. Chacun
construit son propre chemin.
La dissertation est un exercice qui permet de vérifier la qualité d'une réflexion, la logique d’une
argumentation personnelle, la maîtrise des connaissances. Elle n'a rien à voir avec un exposé de lectures ou
de citations. Toute la difficulté est de soutenir l’attention du lecteur par la mise en relief des arguments, des
idées importantes, des transitions capables d’accrocher le lecteur, en veillant à garder un fil directeur. On
peut donc parler d’un art de disserter, aus sens d’un savoir-faire).
La note obtenue à l'examen n’évalue pas la réussite « d’objectifs » (telle chose rapporterait tel nombre de
points, telle autre tel nombre, etc… et la note en serait l’addition) ; elle évalue un niveau global de réflexion sur
une question philosophique (qualité de l’expression, validité du raisonnement, aptitude à argumenter
-confronter des points de vue différents en apportant des preuves-, maîtrise des idées et culture de l’élève).
Comment procéder ?
La réflexion n’est jamais une démarche immédiate. Elle passe par un certain nombre d’étapes.
Les conseils qui suivent pourront vous paraître longs à mettre en oeuvre. Mais il faut rappeler
que vous pouvez vous entraîner chez vous à certains exercices qui deviendront ensuite des
évidences : il faut
-un temps de recherche :
choisir un sujet et le questionner
rechercher des idées
rechercher des exemples
classer les idées et les exemples
élaborer une problématique
-un temps de mise au point et de rédaction :
Introduction -Développement-Conclusion
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