Langage, communication et maladie d`Alzheimer : état de l`art

publicité
Accompagner la personne
(adapter la communication et le
style relationnel)
Laurent Lefebvre
Service de Sciences Cognitives
Université de Mons (Belgique)
Le langage
• Vecteur essentiel de communication
• Moyen privilégié de socialisation
• Dans la maladie d’Alzheimer, un domaine
qui peut être précocement atteint
Les troubles langagiers peuvent être inauguraux, notamment si :
- le début de la maladie s’avère précoce (avant 65 ans ; Boller et al., 1996)
- s’il s’agit d’une forme familiale (Juillerat et al., 2000)
Les troubles du langage pourraient être mis en évidence à un stade
préclinique, jusqu’à deux ans avant la pose du diagnostic (Mickes et al.,
2007)
Pourquoi étudier le langage et la
communication dans la MA ?
• Améliorer les compétences communicationnelles
du malade
• Améliorer la qualité de vie – Aider les familles
• Améliorer le diagnostic (Mémoire/Langage)
• Réduire l’anxiété du patient/de la famille
La phonologie
Traitement
phonologique
Traitement
phonologique
Audition
Vision
Les aspects lexico-sémantiques
Traitement
sémantique
Audition
Traitement
lexico-sémantique
Vision
La syntaxe
Traitement
syntaxique
Le langage et ses fonctions associées
L’activité
motrice
Les
fonctions
exécutives
Traitement
phonologique
Traitement
phonologique
Traitement
syntaxique
Traitement
lexico-sémantique
La maladie d’Alzheimer
Hypofonctionnement temporal
La maladie d’Alzheimer
phonologie
syntaxe
Lexicosémantique
Les troubles du langage dans la
maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer
Les troubles du langage
• ne sont pas proportionnels aux autres déficits cognitifs,
• peuvent fluctuer dans le temps,
• peuvent évoluer distinctement par rapport aux autres
troubles.
Le langage
Niveaux d’études multiples :






Phonologique
Lexical
Sémantique
Syntaxique
Pragmatique
…
Le langage et la communication
dans les pathologies démentielles
Diagnostic
Phonétique/
phonologie
Lexique
Sémantique
Syntaxe
Pragmatique
Le langage
Trouble lexical
1.
Perte du mot (anomie) : le malade doit reformuler sa
phrase, recourir à des paraphasies
2.
Les phrases deviennent restreintes mais
correctes d’un point de vue grammatical.
3.
Les phrases deviennent incomplètes : le malade
commence à avoir du mal à formuler ses idées, risquant
de désespérer et de se replier alors.
4.
En fin de maladie, la personne ne peut plus prendre
spontanément la parole, produisant juste des mots
isolés, des écholalies.
Trouble pragmatique
restent
Trouble sémantique
Une première catégorisation
(Huff, 1988)
Stade léger
Aphasie anomique
Stade modéré
Aphasie transcorticale sensorielle
Stade sévère
Aphasie globale
Production verbale
Compréhension verbale
100
80
60
40
20
0
1
3
2
Phase de la maladie
Automatismes
verbaux
Répétition
de syllabes
Répétition
de mots
Répétition de
phrases
Dénomination
100
% de réponses correctes
% de réponses correctes
Conversation
80
Pointage mots
60
Appariement
mots-images
40
20
2
20
0
3
Phase de la maladie
Lecture
de texte
Compréhension
phrases/textes
1
2
3
Expression écrite
% de réponses correctes
% de réponses correctes
Lecture de mots
1
40
Phase de la maladie
Pointage lettres
100
Dénomination
d’images
Compréhension
de dialogues/
récits
60
Lecture de lettres
Lecture
0
80
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Ecriture
spontanée
Dictée de
lettres
Dictée de
mots/phrases
1
2
3
Phase de la maladie
(Lefebvre, 2007)
Que travailler avec le patient ?
• Pour les personnes en début de maladie
 l’habileté d’écriture, tant au niveau graphique que
conceptuel
• Pour les personnes à un niveau intermédiaire de la
maladie
 les aspects sémantiques et phonologiques, via la lecture
notamment
• Pour les personnes dont la maladie est avancée
 la lecture, qui peut rester longtemps un canal de
communication efficient
Les aspects phonologiques
Altérations phonologiques et articulatoires peu
rencontrées chez les patients MA jusqu’au début
du troisième stade (Patel et Satz, 1994) ;
préservation des capacités de répétition
Altérations présentes très tôt chez ces mêmes
patients (Croot et al., 2000).
Outils sensibles ? (Peeters et al., 2009)
Les aspects lexico-sémantiques
Phénomènes anomiques, et plus généralement
lexico-sémantiques, très fréquemment relevés
(Cardebat et al., 1991).
Le trouble lexical
• Evolution de l’anomie
– L’indisponibilité des mots impose au malade d’utiliser des
termes proches ou appartenant à la même catégorie
(« fourchette » pour « cuiller »).
– Il utilise des circonlocutions (« ca sert à manger de la
soupe » pour « cuiller »).
– Les mots vont progressivement s’éloigner de la cible
(« vaisselle » pour « cuiller »).
– Le manque du mot devient tel que le malade éprouve des
difficultés à exprimer ses besoins.
Le trouble lexical
Les catégories lexicales se dégradent au fur et à
mesure de la maladie.
–
–
–
–
–
Les noms propres
Les noms abstraits
Les dates
Les mots les moins fréquents
Les mots familiers
Les aspects lexico-sémantiques
Trouble perceptif ?
les patients Alzheimer voient leur faculté à dénommer
un objet facilitée lorsqu’ils peuvent manipuler celui-ci,
ou lorsque l’expérimentateur s’en charge
Trouble de la récupération lexicale ?
Déstructuration du système sémantique ?
Les aspects lexico-sémantiques
Trouble perceptif ?
Trouble de la récupération lexicale ?
Pas de différences entre les performances de patients
Alzheimer et contrôles dans une tâche de relation
catégorielle (Nebes et Brady, 1988).
Déstructuration du système sémantique ?
Les aspects lexico-sémantiques
Trouble perceptif ?
Trouble de la récupération lexicale ?
Déstructuration du système sémantique ?
Les patients atteints de la maladie d’Alzheimer présentent
des difficultés à comprendre la fonction des objets qu’ils ne
peuvent dénommer, et à répondre à des questions sur les
attributs de ceux-ci (Warrington, 1975)
Déclin progressif : diminution des liens paradigmatiques
(couteau-fourchette) mais maintien de la fonction
(couteau-pour couper) (Goldfarb, 1985).
Les aspects syntaxiques
Au niveau phrastique, compétence préservée chez
les patients MA (e.g. Hier et al., 1985).
Déclin chez les patients au niveau desdits
processus
(Bickel et al., 2000 ; Small et al., 1997).
L’aspect (morpho-)syntaxique
Epreuve d’accord de formes régulières et irrégulières
(Brohé & Lefebvre, 2010)
Verbes
Noms
Réguliers
Irréguliers
Prendre
Savoir
Finir
Envoyer
Aimer
Etre
Offrir
Aller
Marcher
Venir
Cheval
Souris
Cou
Carnaval
Détail
Bijou
Pomme
Pneu
Cheveu
Corail
Les réguliers sont mieux préservés que les irréguliers
réguliers
irréguliers
10
8
6
Réguliers
C/A
Irréguliers
C/A
U = 50.5
U = 32
P = 0.06
P = 0.005
Irréguliers/
Réguliers
Contrôles
Irréguliers/
Réguliers
Alzheimer
U = -1.13
U = -2.86
p = 0.26
p = 0.004
4
2
0
Alzheimer
contrôles
Les aspects
pragmatiques/discursifs
• Concernant
le
versant
productif,
appauvrissement sémantique amenant :
– de nombreuses périphrases (Forbes et al., 2002),
– un ralentissement du débit, des persévérations et un
usage fréquent de pronoms sans référents (Hier et al.,
1985).
• La production et la compréhension de la
prosodie,
particulièrement
émotionnelle,
précocement altérées (Roberts et al., 1996 ;
Taler et al., 2008).
Le trouble pragmatique
Le patient éprouve des difficultés :
 à traiter le langage non-littéral
• l’implicite, l’ironie, les jeux de mots
• les expressions idiomatiques (« il fait un froid de canard »)
 à utiliser le contexte pour décoder les envies de l’autre
 à respecter des règles conversationnelles
• non respect du tour de parole
• changement de sujet inopiné
Le trouble pragmatique
Deux possibilités dans la maladie d’Alzheimer :


soit
le
patient
devient
bavard,
s’adressant
éventuellement à des gens inconnus ;
soit la production orale diminue dès le début de la
maladie, ce qui entraine des répercussions sur sa vie
sociale.
La communication non-verbale
« Lorsque le sujet âgé souffre de ne pas pouvoir
communiquer avec ceux qui l’entourent et que la parole est
insuffisante, le corps devient l’élément indispensable à la
compréhension de la personne âgée. Le corps est le
véhicule de la spontanéité » (Ogay, 1996).
 Le toucher
 Le regard
 Les gestes
La communication non-verbale
Importance des gestes « quasi-linguistiques »
(Lefebvre et Arias Y Arenas, 2012)
La prise en charge
La prise en charge centrée sur le
patient
• Peu de résultats valides concernant une prise en charge
individuelle centrée communication.
• Deux
approches
semblent
favoriser
la
communication : la thérapie par réminiscence (Woods
et al., 2005) et la contextualisation de la thérapie (Vasse
et al., 2009).
• L’évaluation de l’intervention orthophonique ?
La prise en charge centrée sur la
famille
Facteurs de potentialisation
• L’entrainement des compétences des aidants (Mittelman et
al., 2004).
• Les groupes de soutien (Areán et Ayalon, 2009).
• Un soutien téléphonique permanent (Mittelman et al., 2006).
• Des formations sur l’activation des réseaux sociaux (Drentea
et al., 2006).
• Des formations à l’éducation au loisir (Carbonneau et al.,
2009).
Concernant les aidants, une approche individualisée,
multicentrique semble la plus indiquée, bien que des travaux
de psychoéducation en groupe peuvent également être
intéressants.
La prise en charge centrée sur
les soignants
Facteurs de potentialisation
• Des périodes de formation longues, impliquant la participation
des soignants et une attention soutenue de ceux-ci (Grol et
Wensing , 2006).
• Des cours interactifs (Edberg et Hallberg, 2001).
• Une possibilité pour les soignants d’avoir des sessions
ultérieures de feed-back (Magai et al., 2002).
Actuellement, une étude à large échelle sur la prise en charge
conjointe des aidants et des soignants aux Pays-Bas est
initiée : le Systematic Care Program for Dementia (Spijker et
al., 2009).
La prise en charge centrée sur
l’environnement
L’architecture
• Amélioration des fonctions cognitives, des capacités
fonctionnelles, de la communication (Dean et al., 1993).
• A 6 mois, amélioration de la cognition et de l’humeur de
résidents transférés dans un group living (Annerstedt et al.,
1993).
Quelques conseils
pour conclure
Université de Mons
• Faites attention aux déficits sensoriels (acouphènes, voire
hallucinations auditives) – Evitez les bruits de fond.
• Faites en sorte que la personne vous repère visuellement :
soyez en face de lui, sinon il peut vous entendre sans
comprendre que vous lui parlez.
• Soignez le timbre de votre voix, adaptez-le au contenu (le
paralangage).
• S’il connaît depuis son enfance une langue particulière (une
seconde langue, un patois), utilisez-la.
• Pensez aux apprentissages implicites.
• Afin de ne pas surcharger la mémoire, utilisez un contexte
facilitateur :
répétez la question
paraphrasez l’information
utilisez un support imagé
Les pathologies
neurodégénératives
L’aphasie logopénique
Les démences
frontotemporales
1. l’aphasie primaire
progressive non-fluente
2. la démence sémantique
La maladie d’Alzheimer
(Wilson et al., 2010)
Localisation des dégénérescences
Aphasie
logopénique
APP nonfluente
Maladie
d’Alzheimer
Démence
sémantique
L’aphasie progressive primaire
Les APP touchent des patients relativement jeunes, avant l'âge de 65 ans. La
prévalence peut être estimée à au moins 7/100 000
L’aphasie primaire progressive
1. Apparition insidieuse et évolution progressive du manque du mot,
d’une difficulté à dénommer les mots, se manifestant au cours d’une
conversation spontanée ou lors d’une évaluation formelle du langage.
=> Manque du mot
2. Les activités quotidiennes ne sont limitées qu’en relation avec le
trouble langagier et cela pendant au moins les deux premières années
qui ont suivi son apparition.
=> Altère la vie quotidienne depuis 2 ans
3. Les fonctions langagières prémorbides sont normales sauf une
éventuelle dyslexie développementale
=> Pas de troubles du langage prémorbides
L’aphasie primaire progressive
Critères diagnostiques
4. Les deux premières années qui suivent le début de la maladie sont
libres de toute apathie, désinhibition, oubli des événements récents,
troubles visuospatiaux, déficit de la reconnaissance visuelle ou
altération sensorimotrice
=> Pas d’autres troubles neuropsychologiques
5. Une acalculie ou une apraxie idéomotrice peuvent toutefois être
présentes dans les deux premières années. Des persévérations ou
des déficits constructifs très légers sont aussi observables.
6. D’autres domaines cognitifs peuvent être altérés après 2 ans mais le
langage reste toujours le secteur le plus altéré, il s’aggrave plus vite
que les autres domaines.
7. Absence d’AVC ou de tumeurs.
L’aphasie progressive primaire
non-fluente
I. Diagnostic clinique
-
-
Au moins un des deux signes suivants :
Agrammatisme
Discours hésitant, demandant un effort, avec des erreurs phonétiques et des
déformations (« apraxie de la parole »)
Associé à au moins 2 des 3 signes suivants :
Trouble de la compréhension des phrases de complexité syntaxique élevée
Préservation de la compréhension des mots uniques
Préservations des connaissances sur les objets
II. Diagnostic conforté par l’imagerie
-
Diagnostic clinique positif
L‘imagerie doit montrer au moins un des signes suivants :
atrophie prédominant au niveau fronto-insulaire postérieur gauche en IRM
Hypoperfusion ou hypométabolisme en SPECT ou TEP prédominant au niveau
fronto-insulaire postérieur gauche
La démence sémantique
Proche de l’aphasie fluente, mais perte également du sens
des éléments non-verbaux (visages, dessins, etc…)
=> Trouble de la sémantique
Mémoire épisodique relativement conservée (lors de
tâches de dénomination, les patients parlent de leur vécu :
égocentrisme cognitif et comportemental).
La dégradation sémantique
Le cas JL (Hodges et al., 1995)
1. Au début, le patient dénommait correctement les
oiseaux prototypiques mais pas les moins usuels,
2. Ensuite, les prototypes étaient remplacés par
« oiseau »,
3. Ensuite, par « animal »,
4. Finalement, le patient confondait les oiseaux et les
autres catégories d’animaux.
L’aphasie logopénique
Lésions temporales postérieures et pariétales inférieures (angulaire
gauche)
Présence des deux signes suivants (Gorno Tempini et al., 2011):
 Manque du mot dans le discours spontané et en dénomination
 Trouble de la répétition des phrases
Associé à au moins 3 des 4 signes suivants :
 Paraphasies phonémiques dans le discours spontané et en dénomination
 Préservation de la compréhension des mots uniques et des
connaissances sur les objets
 Préservation des aspects moteurs du langage
 Absence d’agrammatisme franc
Troubles de la boucle phonologique = faible MDT verbale
Rmq : Actuellement, on pense que cette APP, consécutive à une lésion plus postérieure, ne
ferait pas partie des DFT mais pourrait constituer dans certaines cas une forme focale de la
maladie d’Alzheimer (jusqu’à 95% des cas).
En synthèse
Aphasie
logopénique
Les
fonctions
exécutives
APP nonfluente
L’activité
motrice
Traitement
phonologique
Traitement
syntaxique
Maladie
d’Alzheimer
APP fluente/
démence
sémantique
Traitement
phonologique
Traitement
lexico-sémantique
Mémoire
épisodique
Mémoire
sémantique
Mémoire
lexicale
Merci de votre attention
Accompagner la personne
(adapter la communication et le
style relationnel)
Laurent Lefebvre
Service de Sciences Cognitives
Université de Mons (Belgique)
Téléchargement