Le point de vue du biologiste
La situation décrite est l’illustration d’une hypothyroïdie
centrale sévère acquise d’origine médicamenteuse qui
requiert un traitement adapté par L-thyroxine. Le médica-
ment responsable est le Targretin
®
(bexarotène). Il est
indiqué dans le traitement des manifestations cutanées des
lymphomes cutanés T épidermotropes (LCTE), au stade
avancé et réfractaires à au moins un traitement systémique
[4, 5]. La patiente développe les principaux effets indési-
rables décrits pour ce médicament, à savoir une dyslipidé-
mie mixte et une hypothyroïdie centrale sévère. L’explo-
ration hypophysaire par imagerie et biologie confirme
l’intégrité de l’antéhypophyse, mais aussi celle des axes
corticotrope, gonadotrope, somatotrope et lactotrope
(tableau 1). Chez cette patiente, la prolactine est sensible-
ment augmentée (26 ng/mL). Cette augmentation peut être
secondaire au traitement hormonal substitutif (Climas-
ton
®
) et/ou à une stimulation par la TRH d’origine hypo-
thalamique. La patiente bénéficie d’un traitement par
L-thyroxine à posologie élevée (162,5 lg/j) et d’un suivi
biologique par dosage de la T4 libre. La dyslipidémie
sévère requiert un traitement par Lipanthyl
®
.
Le mode d’action du béxarotène, analogue synthétique de
l’acide rétinoïque, explique l’atteinte exclusive de l’axe
thyréotrope. Il s’ajoute ainsi à la liste des principaux
médicaments potentiellement responsables d’une hypo-
thyroïdie, à savoir le carbonate de lithium, l’amiodarone et
l’interféron a[6]. Pour ces derniers médicaments, l’hypo-
thyroïdie provoquée est périphérique. Ainsi le carbonate
de lithium (Théralithe
®
) est fréquemment responsable de
dysthyroïdies (goître, 20 à 50 % ; hypothyroïdie fruste,
20 %). Le mécanisme semble impliquer un défaut de
l’hormonosynthèse par diminution du couplage de la 3
mono-iodotyrosine (MIT) et de la 3, 5 di-iodotyrosine
(DIT), mais aussi de la protéolyse de la thyroglobuline.
Avant l’instauration du traitement, il semble que la pré-
sence d’anticorps anti-thyroperoxydase ait une valeur pré-
dictive de l’apparition d’une hypothyroïdie habituellement
infraclinique. Dans le cas de l’amiodarone (Cordarone
®
),
l’hypothyroïdie est la conséquence d’un défaut du système
d’autorégulation thyroïdienne. Le blocage de l’organifica-
tion iodée intrathyroïdienne associée à l’absence d’échap-
pement à l’effet Wolf-Chaikoff dû à l’apport massif
d’iode, interrompt la synthèse et la libération hormonale.
Enfin, dans le cas de l’immunothérapie par interféron
alpha (Introna
®
, Viraferonpeg
®
) chez les patients atteints
d’hépatite C chronique, d’hémopathies ou de mélanome,
l’induction ou l’exacerbation d’une dysthyroïdie autoim-
mune est fréquente (5 à 20 %). Plus fréquemment obser-
vée chez les patients qui ont des auto-anticorps anti-
thyroïdiens détectables avant le début du traitement, la
dysthyroïdie (hypothyroïdie, thyroïdite biphasique silen-
cieuse et plus rarement maladie de Basedow) est transi-
toire ou définitive. Le bexarotène se distingue de ce
groupe de médicaments. Il est le seul à l’origine d’une
hypothyroïdie centrale.
Le principe actif du Targretin
®
, le bexarotène, est un réti-
noïde de synthèse antinéoplasique, agoniste sélectif du
récepteur X rétinoïdes (RXRc). Ce facteur de transcrip-
tion ainsi activé régule l’expression de gènes impliqués
dans la différenciation, la prolifération et l’apoptose [4, 5].
Avant l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché,
les essais cliniques avaient démontré un taux de réponse
important chez les patients atteints de LCTE, mais avaient
souligné les effets indésirables les plus fréquents, à savoir
l’hypertriglycéridémie et l’hypothyroïdie centrale. Le
mécanisme impliqué dans cette hypothyroïdie centrale est
désormais caractérisé. Les cellules thyréotropes de l’anté-
hypophyse subissent un rétrocontrôle négatif exercé par la
T3. Les récepteurs des hormones thyroïdiennes (TR) acti-
vés par la T3 entraînent, par liaison aux éléments de
réponse aux hormones thyroïdiennes (TRE), une diminu-
tion de l’expression du gène codant pour la chaîne bde la
TSH. Cette action implique une interaction des TR avec
des facteurs nucléaires tels que les récepteurs X rétinoïdes
(RXR), des coactivateurs et des corépresseurs. Il a été
ainsi récemment démontré que c’est l’isoforme RXRcqui
est impliqué dans la régulation négative du promoteur du
gène codant pour la chaîne bde la TSH. Cette régulation
fait ainsi physiologiquement intervenir un hétérodimère
TR/RXRc. Cependant, des agonistes sélectifs de RXRc,
comme le bexarotène, peuvent également induire une inhi-
bition de l’expression de la TSH, indépendamment de la
T3. L’expression du gène codant pour RXRcest limitée à
certains tissus (muscle squelettique, cerveau et anté-
hypophyse). Au sein de l’anté-hypophyse, seules les cellu-
les thyréotropes expriment RXRc, ce qui explique
l’atteinte exclusive de cet axe [2, 7]. L’hypothyroïdie cen-
trale provoquée par le Targretin
®
est transitoire. L’euthy-
roïdie est en effet restaurée après arrêt du traitement.
Cette situation est remarquable car l’insuffisance thyréo-
trope est rarement isolée. La traduction clinique d’une
hypothyroïdie centrale, bien qu’analogue à celle de
l’hypothyroïdie périphérique, est généralement plus dis-
crète. Elle est exceptionnellement isolée et plus générale-
ment noyée dans un tableau plus complexe d’hypopituita-
risme. C’est pourquoi l’exploration des autres axes est
nécessaire. La cortisolémie de base à 8 heures, les dosages
d’estradiol ou de testostérone associés à ceux de la LH et
de la FSH et enfin le dosage de la somatomédine C (IGF1)
constituent les éléments les plus contributifs à l’explora-
tion des axes corticotrope, gonadotrope et somatotrope.
Les principales causes d’hypopituitarisme sont : 1) les
tumeurs hypothalamo-hypophysaires (craniopharyngio-
mes, adénomes hypohysaires...) ; 2) les causes vasculaires
Hypothyroïdie et Targretin
®
Ann Biol Clin, vol. 64, n° 4, juillet-août 2006 333
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