Civilisations et sciences dialoguent à travers les langues
(Voyage en islam)
Introduction :
Depuis quelques années, le discours du (ou sur le) dialogue des civilisations, des
cultures et des religions attire des penseurs, des chercheurs, des hommes et des femmes de
tous bords. Ainsi, dans les associations, les universités et les centres de recherche, dans le
Nord comme dans le Sud, en Occident comme en Orient, le terme « dialogue » prend une
importance inédite. Les appels au dialogue sont lancés de vive voix, reflétant une véritable
inquiétude, voire une crainte de ce que l’on appelle le « choc des civilisations ». Il faut donc
comprendre ce désir de dialogue comme une réaction née de la fin de la Guerre Froide.
Toutefois, on oublie que le dialogue a toujours été là, présent même dans les menus
détails de la vie quotidienne des peuples. Nous sommes loin, ici, d’émettre des jugements de
valeur. En effet, le principe même de dialogue est nécessaire à toutes les cultures humaines.
Le dialogue doit continuer, surtout quand il devient l’alternative au choc et à l’affrontement. Il
faut également que les appels aux études et aux recherches sur le dialogue continuent pour
développer et approfondir ce dernier, pour qu’il puisse porter ses fruits.
Notre objectif principal, à travers cette intervention, est la mise en lumière d’un
dialogue en particulier, qui a été pratiqué concrètement au cours de l’histoire. Il s’agit du
dialogue dans le domaine des sciences humaines et des sciences exactes, de la pensée et de la
culture. Historiquement, il remonte à la dynastie omeyyade. Ses débuts sont essentiellement
basés sur le vécu, le quotidien. Il faut, en effet, rappeler que les premiers califes à Damas
confient la vie administrative aux indigènes, convertis ou non à l’islam. Les langues locales
de l’antéislam continuent alors d’être véhiculées, dans l’administration et la vie quotidienne.
Cette pratique perdure jusqu’aux années 65-87 de l’hégire (685-705), c’est-à-dire jusqu’au
règne du 5
ème
calife Abdel Malik Ibn Marwan qui commence à faire traduire les archives et
l’administration, et à frapper le premier dinar arabe. Les califes s’occupent alors de deux
tâches essentielles : la cour califale et la direction des conquêtes. Pendant cette période de
l’histoire de l’islam, les portes sont grand ouvertes aux cultures byzantine, grecque, persane et
égyptienne. C’est alors que Khalid Ibn Yazîd, prince omeyyade très ambitieux (700-720 J.-C)
décide d’enrichir, dans un dessein bien défini, la collection de livres qu’il avait héritée de
Mu’âwiya :
« Quand Khalid voulut se consacrer à l’alchimie, dit Ibn al Nadîm, il
convoqua un groupe de philosophes grecs qui habitaient l’Egypte et qui
maniaient l’arabe avec clarté et éloquence. Il leur demanda de traduire
du grec et du copte les œuvres d’alchimie. Ce furent les premières
traductions réalisées en terre d’islam »
1
C’est donc le point de départ d’un vrai dialogue culturel et scientifique, basé sur les
langues. Il s’agit, ici, des langues grecque et copte, langues des sciences, qui entrent en
contact, donc en dialogue, avec la langue arabe qui voulait s’ouvrir pour recevoir les
sciences, c’est-à-dire qu’elle désirait devenir, à son tour, une (ou la) langue des sciences.
Ainsi, bien que le dialogue entre les cultures et civilisations humaines soit beaucoup
plus ancien, aussi ancien que la présence de civilisations humaines sur terre, nous prendrons
cet événement de l’époque omeyyade comme point de départ pour notre intervention.
1
VERNET Juan, Ce que la Culture doit aux Arabes d’Espagne, Sindbad, Paris, 1985, p.99 (selon Ibn al Nadîm,
Fihriste)