
Qu’est-ce que le désir aujourd’hui? 
Bettina Bergo, Université de Montréal 
 
Le désir, par où commencer une approche du désir? Vous allez écrire sur le désir l’année 
prochaine, en essayant d’en dire quelque chose qui n’aura pas été dit ; quant à moi, je ne saurais le 
faire. 
Je n’ai jamais écrit sur le désir, et souvent je suis Emmanuel Kant dans sa discussion des 
passions; là où il assimile les passions à une sorte de désordre, ou de grippe, dont il faut se relever 
après s’être cloîtré… Mais cela n’est pas sans ridicule, parce qu’on sait, aussi, que sans passion, 
sans le, ou du, désir, on ne fait rien. Se pose donc la question : d’où vient le désir? Est-ce corporel, 
hormonal  ;  est-ce  un  phénomène  qui  fait  partie  de  toute  intersubjectivité,  de  toute  situation 
intersubjective? Le désir est-il donc intentionnel au sens phénoménologique : a-t-il nécessairement 
un objet? Et que serait le désir sans objet? Désir d’un dieu? Désir d’apothéose? Désir flottant, 
mouvant ; pure passion à la recherche d’un objet ou d’un moyen de se réaliser ? Et qu’est-ce que 
réaliser un désir? Se limite-t-il à un passage à l’acte? Auquel cas, pour ma part, je suis déjà ennuyé 
par le concept. 
Passons brièvement à la science du désir, ou du désirement (comme on a traduit le terme si 
étrange de Schelling « Sehnsucht », ou souhait qui fait souffrir). Quelle est cette science? Eh bien, 
est-ce la psychanalyse? La psychanalyse est-elle une science? La question est complexe; elle est 
bien une thérapie… du désir. Freud a observé que le désir passe d’objet en objet, parce que l’origine 
du désir se trouve dans le corps, elle est pulsionnelle. De ce fait, puisque la finalité de toute pulsion 
est sa ‘décharge’, le désir—qui est la manifestation socialisée de la pulsion qu’on expérimente—
le désir change d’objets; il peut s’avérer presque indifférent aux objets : on adorait son père, ou sa 
mère, et on passe sa vie à rechercher quelqu’un de semblable, ou de ressemblant. C’est intéressant, 
cela, parce qu’on voit ici que le désir peut entrer en conflit avec bien des normes sociales, voire 
mettre en danger un ordre social, ou économique, donné. Cela ouvre une question nouvelle : le 
rapport entre le désir et la résistance… sociale, politique; voire celui entre le désir et l’utopie, ou 
ce qu’on appelle l’eschatologie : une doctrine concernant la fin, ou la finalité, du temps de l’homme, 
disons. On n’est pas loin de Nietzsche et de son Zarathoustra. Pour ne pas parler de la résistance 
structuraliste de Michel Foucault, qui a fini dans une recherche, auprès des grecs, d’une akrasie, 
d’une autonomie par rapport au désir, pour faire de sa vie « une œuvre d’art ». 
Je retombe toujours dans l’histoire de la philosophie, sauf que mon « histoire » est aussi 
une contre-histoire. Par exemple, si le thème du désir se trouve chez Gilles Deleuze dans la forme 
des gestes et rapports qu’il appelle « les machines désirantes », qui est aussi sa définition de notre 
manière d’être dans le monde fondamentale, j’ai découvert que ce discours sur le désir remonte 
bien plus loin. Arrêtons-nous, par exemple, à la réception de Nietzsche dans les années 1910. 
Ludwig Klages, dans le sillage de Nietzsche, va créer une philosophie de la vie. Il publie un petit 
tome qui s’intitule « Eros cosmogonique ». Dans ce livre, il prétend que la volonté, et notamment 
la volonté de puissance chez Nietzsche est mal conçue, mal pensée : la volonté, dit Klages, ne meut 
rien; elle est comme une faculté kantienne, mais elle est aussi pure fiction. Seul le désir motive ; 
seul le désir meut l’être humain… le reste, c’est de la construction philosophique. Klages, en un 
sens précurseur de Deleuze (avec bien d’autres, comme Bergson), se voit récupéré par les national-