SYNTHESE

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SYNTHESE
Une craniosynostose est une pathologie caractérisée par la fusion prématurée d'une ou
plusieurs sutures crâniennes. C'est un défaut de naissance assez fréquent (1/2500
naissances) qui résulte en une forme anormale du crâne et qui peut être accompagné
d'une déficience mentale dans certains cas (Wilkie, 1997; Wilkie and Morriss-Kay,
2001). Les craniosynostoses peuvent être syndromiques ou asyndromiques, et elles
sont dues à la mutation d'un ou plusieurs gènes. Les mécanismes impliqués dans les
craniosynostoses sont toujours peu connus. Cependant, il est important de déterminer
leur cause génétique afin que chaque patient ai un un pronostic de chirurgie adapté a
l'origine génique de sa synostose. En effet, l'aboutissement n'est pas le même selon
l'étiologie de la synostose, et une origine monogénique possède beaucoup plus de
complications qu'une origine multigénique (Seto et al., 2007), comme par exemple une
pression intracrânienne élevée et des altérations de la vision, de l'ouïe, la respiration, la
dentition, la parole ainsi que du développement neurocognitif (Wilkie and Morriss-Kay,
2001).
Le syndrome de Saethre-Chotzen est caractérisé par la fusion prématurée de la suture
coronale (séparant l'os frontal et l'os pariétal), ainsi que par un dysmorphisme facial
et/ou la fusion de plusieurs doigts ou orteils (ref El Gouzzhi et al., 1997; Kress et al.,
2006; Howard et al., 1997). Il est le trouble autosomique dominant le plus fréquent avec
1 naissance sur 25 000, et est causé par des mutations perte-de-fonction (missense,
duplication, délétion, nonsense) du gene TWIST1 (El Ghouzzi et al. 1997; Howard et al.
1997) qui encode un facteur de transcription basique Helix-Loop-Helix (bHLH) de classe
II.
Nos collaborateurs Dr Andrew Wilkie et son équipe ont réalisé des analyses de variants
et des séquençages d'exome sur des patients atteints du syndrome de Saethre-Chotzen
ou de coronal synostose dont l'analyse génétique était négative quant à la mutation de
Twist1 et des gènes responsables de synostoses. Ils ont alors identifié des mutations
pathologiques présentes dans un nouveau gène: transcription factor 12, ou TCF12
(Sharma, Fenwick, Brockop, et al., 2013).
Il a ainsi été démontré que le gène TCF12, qui encode un facteur de transcription bHLH
de classe I, est la cause des synostoses coronales asyndromiques et syndromiques
telle que le syndrome de Saethre-Chotzen. Cela nous prouve que TCF12 est un gène
important pour le développement de la suture coronale (Sharma, Fenwick, Brockop, et
al., 2013) (Figure 1).
Nous nous sommes tournés vers le modèle de la souris, qui nous a permis jusqu'à
présent d'étudier le syndrome Saethre-Chotzen grâce au mutant hétérozygote Twist1
(Chen and Behringer, 1995). Comme l'humain, ce mutant implique une mutation pertede-fonction du gène Twist1, et il présente un phénotype de synostose coronale
ressemblant à celui qui est observé chez les patients atteints du syndrome de SaethreChotzen.
Figure 1
TCF12, nouveau gène découvert en cause de coronale synostosis asyndromique ainsi que du
syndrome Saethre-Chotzen
(Sharma, Fenwick, Brockop, et al., 2013
Figure 2
Etude de la suture coronale à la naissance des souris sauvages (WT), EIIa-Cre;Tcf12flox+/-,
Twist1+/- , and EIIa-Cre;Tcf12floxflox
les flèches indiquent la fusion de la suture. PB; Parietal bone. FB: frontal bone. cs: coronal
suture. ms: metopic suture. ss: sagittal suture
"!
Apres nous être procurés une souris possédant une mutation perte-de-fonction de
TCF12, nous avons pu déterminer que chez la souris, comme chez l'homme, Tcf12 joue
un rôle dans le développement de la suture coronale (Sharma, Fenwick, Brockop, et al.,
2013). Cependant, la souris est moins sensible au dosage de la réduction de
l'expression de Tcf12. En effet, si les souris possédant une perte de fonction
homozygote de Tcf12 présentent de faibles fusions sporadiques de la suture coronale,
les souris hétérozygotes, elles, n'ont pas de craniosynostose (Figure 2).
De plus, en croisant les mutants hétérozygotes perte-de-fonction Twist1, et Tcf12, nous
démontrons qu'une réduction de l'expression génique de Twist1 et Tcf12 chez la souris
cause une synostose coronale extrêmement sévère, bien plus sévère que le phénotype
observé chez les souris Twist+/-simples (Figure 3).
Ces résultats suggèrent une interaction génétique entre Twist1 et Tcf12 quant au
développement de la suture coronale (Sharma, Fenwick, Brockop, et al., 2013).
Figure 3
Etude de la suture coronale chez les souris sauvages (WT), simples EIIa-Cre;Tcf12flox+/- et
Twist1+/- , et doubles mutants EIIa-Cre;Tcf12flox+/-;Twist1+/- au stade P21
Alizarin Red S (A-D) et micro-CT ont été réalisés 21 jours post-natal (P21) ( E-L). les flèches
indiquent la fusion de la suture. les petits traits représentent la vue de la section sagittale du
crâne vue en (I-L). PB; Parietal bone. FB: frontal bone. CS: coronal suture. L: lambdoid suture.
M: metopic suture. SS: sagittal suture. (Sharma, Fenwick, Brockop et al., 2013)
3 Figure 4
hybridation in situ de TCF12 au niveau de la suture coronale d'un embryon sauvage au stade
E14.5
A: coloration ALP. B: hybridation in situ du mRNA de Tcf12 montrant le patron d'expression du
gène TCF12. C: cartilage, CA: coronal suture, D: dura, EL: ectocranial layer, FB: frontal bone,
PB: parietal bone.
Figure 5
patron d'expression des protéines Tcf12 et Twist1 dans la suture
observation de la localisation des protéines Tcf12 et Twist1 dans la suture coronale.
PB;Parietal bone. FB: frontal bone. cs: coronal suture
Il est de fait connu que les bHLH de types I tendent a former des dimères avec les bHLH
de class II (Lassar et al., 1991; Murre et al., 1989), et il a été précédemment rapporté
que Tcf12 hétérodimérise avec Twist1 (Connerney et al, 2006). Cela nous permet
d'émettre l'hypothèse qu'une dimérisation entre Twist1 et Tcf12 se produit lors de la
formation de la suture coronale, et que le dosage des hétérodimères Twist1/Tcf12 est
4 crucial pour le développement de la suture coronale (Sharma, Fenwick, Brockop, et al.,
2013).
Cette hypothèse est consistante avec les patrons d'expression des gènes Tcf12 et
Twist1, ainsi que les patrons d'expression de leurs protéines. En effet, lors du
développement de la suture coronale, les gènes Tcf12 (Figure 4) et Twist1 (Yen et al.,
2010) sont exprimés dans la suture coronale, de même que les protéines Twist1 et
Tcf12 (Figure 5).
Afin d'approfondir le rôle de Twist1/Tcf12 dans le développement de la suture coronale,
nous avons examiné les marqueurs des voies de signalisation Notch et Ephrin-Eph dans
lesquelles Twist1 est impliqué, à la fois chez les souris sauvages, les simple mutants
hétérozygotes pour Twist1 ou Tcf12, et les doubles mutants hétérozygotes. Nous avons
pu ainsi déterminer que Tcf12/Twist1 fonctionne de manière similaire à Twist1, en
empruntant les même voies de signalisations et en ayant les même effets sur leurs
cibles. Ces résultats concordent avec notre hypothèse suggérant une fonction
coopérative de Twist1 et Tcf12 dans le développement de la suture coronale (Figures 6
et 7).
Nous nous sommes aussi penchés sur Twist1 seul.
Nous avons tout d'abord cherché a confirmer la relation entre Twist1 et Notch2 dans la
suture coronale en réalisant un croisement entre Twist1 et un mutant possédant une
diminution de fonction du gène Notch2 spécifiquement dans le mésoderme. En effet, la
suture coronale, de même que l'os pariétal, est dérivée du mésoderme, contrairement a
l'os frontal qui a pour origine la crête neurale. Nous avons observé un sauvetage du
phénotype de fusion de la suture coronale présent lors d'une réduction de l'expression
de Twist1, lorsqu'on ajoute une diminution de l'expression de Notch2 (Figure 8).
Cela est consistant avec des précédentes données obtenue par notre groupe (Yen et
al., 2010) et nous permet de noter que lors du développement de la suture coronale,
Twist1 exclut Notch2 de la suture coronale, afin de la garder ouverte.
Nous avons aussi observé le rôle que beta-caténine joue lors du développement de la
suture coronale. Après avoir réalisé un croisement entre Twist1 et un mutant possédant
une diminution de fonction du gène Beta-caténine spécifiquement dans le mésoderme,
nous avons assisté à une amplification du phénotype de fusion présent chez le mutant
Twist1+/- simple.
5 Figure 6
analyse des marqueurs ALP, Jagged-1 et Eph-A4 chez l'embryon sauvage (WT), et les mutants
EIIa-Cre;Tcf12flox/+, Twist1+/- et EIIa-Cre;Tcf12flox/+;Twist1+/- au stade E14.5
PB;Parietal bone. FB: frontal bone. cs: coronal suture
&!
Figure 7
analyse des marqueurs ALP, Notch2 et Ephrin-A2 chez l'embryon sauvage (WT), et le mutant
EIIa-Cre;Tcf12flox/+;Twist1+/- au stade E14.5
PB;Parietal bone. FB: frontal bone. cs: coronal suture
'!
Figure 8
Etude de la suture coronale chez les souris sauvages (WT), simples mutants Twist1+/- et Mesp1Cre;Notch2flox/+, et doubles mutants Mesp1-Cre;Notch2flox/-;Twist1+/- au stade P21
coloration des crânes par Alizarin Red S. La flèche indique la fusion de la suture coronale. FB:
frontal bone. PB: parietal bone. CS: coronal suture. L: lambdoid suture. M: metopic suture. SS:
sagittal suture.
Ce résultat, ainsi que l'observation de Yen et collègues concernant une accumulation de
béta-caténine dans le noyau des cellules de la suture coronale lors de synostose
coronale chez le mutant Dermo1-Cre;Jagged1flox/flox (Yen et al., 2010), nous laisse
penser que Twist1 et beta-caténine partagent la même cible qu'est Jagged-1. Cette
suggestion est consistante avec les travaux de Rodilla et son équipe, ainsi que Estrach
et collègues, qui ont démontré que Jagged1 est une cible de beta-caténine (Rodilla et
al., 2009, Estrach et al., 2006).
Figure 9
Etude de la suture coronale chez les souris sauvages (WT), simples mutants Twist1+/- et
Mesp1-Cre;beta-cateninflox/+, et doubles mutants Mesp1-Cre;beta-cateninflox/-;Twist1+/- au
stade P21
coloration des crânes par Alizarin Red S. Les flèches indiquent la fusion de la suture
coronale. FB: frontal bone. PB: parietal bone. CS: coronal suture. L: lambdoid suture. M:
metopic suture. SS: sagittal suture.
8 Ainsi, beta-caténine semblerait jouer un rôle dans la maintenance de l'ouverture de la
suture en ciblant Jagged1 lors du développement de la suture coronale. (Figure 9).
Le gène Twist1 étant exprimé dans la suture coronale qui est dérivée du mésoderme, il
a souvent été considéré que Twist1 était requis dans le mésoderme pour le
développement de la suture coronale.
Nous avons utilisé une souris mutante conditionnelle avec deux drivers, l'un étant
spécifique au mésoderme et ses dérivatifs (Mesp1-Cre), et l'autre a la crête neurale et
ses dérivatifs (Wnt1-Cre). Nos choix sont expliqués par le fait que la suture coronale se
situe à la frontière séparant l'os pariétal (d'origine mésodermique) et l'os frontal qui est
dérivé de la crête neurale.
Figure 10
étude de la réduction de l'expression de Twist1 dans les tissus dérivant du mésoderme
ainsi que de la crête neurale
coloration des crânes par Alizarin Red S au stade P21. La flèche indique la fusion de la
suture coronale (A-D'). coloration Lac-Z réalisée sur les têtes d'embryons au stade
E15.5 (E-J coloration ALP réalisée sur les têtes d'embryons au stade E15.5 (K-N). La
flèche indique un rétrécissement de la largeur de la suture coronale. FB: frontal bone.
PB: parietal bone. cs: coronal suture. ls: lambdoid suture. ms: metopic suture. ss:
sagittal suture.
)!
Nous avons ainsi démontré que l'expression de Twist1 est requise à la fois dans les
tissus dérivant du mésoderme et dans ceux dérivant des crêtes neurales pour le
développement normal de la suture coronale. (Figure 10)
Enfin, nous avons réalisé des microarrays afin de déterminer le profile d'expression
génique des cellules de la suture coronale de la souris. Pour cela, l'ARNm de ces
cellules provenant d'embryons Twist1+/- et sauvages a été extrait des sutures coronales
disséquées au stade E15.5, puis traité avant d'être utilisé pour les microarrays. Trois
différents lots ont été ainsi réalisés. L'étude s'est concentrée sur les gènes différemment
exprimés lors de la comparaison entre l'embryon sauvage et l'embryon mutant.
De cette analyse, nous avons obtenus de nouveaux gènes qui pourraient avoir un
impact sur le développement normal de la suture coronale: Aggrecan, Goosecoid,
Gucy1a3 et Gucy1b3.
Nous proposons un nouveau modèle, ajoutant des données à celles précédemment
obtenues par notre groupe (Merril et al., 2006; Ting et al., 2009, Yen et al, 2010).
Nous pensons que Twist1 est crucial au développement de la suture coronale.
Twist1 est requis dans les tissus dérivant du mésoderme et de la crête neurale, et
Twist1/Tcf12 contrôlent deux voies de signalisations indépendentes: Ephrin-Eph et
Jagged1/Notch. La voie Ephrin-Eph permet la guidance des cellules ostéogéniques le
long du mésenchyme ectocranial jusqu'à leur destination dans les os pariétal et frontal
en développement. La voie Jagged1/Notch quant à elle à un rôle dans la spécification
initiale des cellules suturales et dans la frontière entre les compartiments ostéogéniques
et non-ostéogéniques de la suture coronale (Yen et al., 2010) (Figure 11).
10 Figure 11
modèle proposé de la régulation de Twist1 et Tcf12 des voies de signalisations lors du
développement de la suture coronale chez la souris.
MOP: migratory osteogenic precursors. (adapté de Yen et al., 2010)
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