PROFESSIONNELS INDÉPENDANTS, DONNEURS D’ORDRE ET DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE : sécuriser les relations contractuelles et favoriser la création d’entreprises individuelles Rapport de Madame Paulette GASSMANN, présenté au nom de la commission du travail et des questions sociales et adopté à l’Assemblée générale du 13 juin 2002 PRISE DE POSITION Afin de répondre au mieux à une exigence croissante de flexibilité sur le marché économique mondial, les entreprises ont, ces dernières années, de plus en plus fréquemment eu recours à la sous-traitance ou à des experts externes pour prendre en charge une partie de leur activité ou pour accomplir des tâches précises. Ce phénomène a notamment favorisé la création d’entreprises unipersonnelles, par des experts, appelés communément « professionnels autonomes » ou encore, « solos », et ayant pour point commun d’exercer seuls leur activité. Outre le souci de certaines grandes entreprises d’externaliser les risques liés à l’exploitation d’une partie de leur activité, d’autres facteurs y ont contribué : on peut citer en particulier le progrès des technologies de l’information et de la communication ou encore l’évolution des modes de vie, portée par une aspiration à une relative indépendance professionnelle. Le trait dominant qui caractérise fréquemment ces nouveaux actifs tient à la situation, particulièrement précaire, de dépendance économique étroite à l’égard d’un cocontractant, lorsqu’il est durablement unique. C’est pour remédier aux inconvénients de leur situation particulière que les juges ont, parfois de manière contestable, assuré à ces actifs une relative protection contre un aléa économique exorbitant, en reconnaissant à leurs engagements contractuels la nature de contrats de travail. Si cette démarche de requalification assure aux intéressés l’application des règles du licenciement, du régime général de sécurité sociale ou encore du régime d’assurance chômage des salariés, elle n’est pas toujours souhaitable, et ce, pour deux raisons essentielles : tout d’abord, parce qu’il s’agit d’actifs soucieux d’exercer dans une réelle indépendance, ceci étant, par définition, exclusif de tout lien de subordination juridique à l’égard d’une autre entité économique ; ensuite, parce que ce procédé judiciaire induit des conséquences financières souvent coûteuses (notamment en matière de charges sociales ou encore de droit du licenciement), qui dépassent les intentions des parties elles-mêmes. D’autres pays européens se sont également trouvés confrontés au même problème, mais l’ont résolu de manière différente : en Italie, par exemple, a été créé au profit de ces « professionnels autonomes » le statut juridique de « parasubordination », leur conférant des droits sociaux, jusque-là réservés aux seuls travailleurs salariés. La transposition de cette solution en France ne serait toutefois pas satisfaisante dans la mesure où, d’une part, elle 2 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS ferait peser de nouvelles contraintes sur les cocontractants des « parasubordonnés », et, d’autre part, risquerait de déséquilibrer les régimes sociaux actuels. L’Allemagne et les Pays-Bas, quant à eux, ont adopté une autre méthode consistant à retenir un certain nombre de critères précis pour dépister la présence d’un lien de dépendance économique fort entre deux entités, et accorder, par voie de conséquence, aux « professionnels autonomes dépendants », certains droits sociaux supplémentaires. C’est en s’inspirant de cette dernière méthode que des mesures pourraient être avancées pour, à la fois, consolider les catégories juridiques préexistantes de salarié et non salarié et favoriser la création et le développement des entreprises individuelles. La Chambre de commerce et d’industrie de Paris propose, dans ce but, de : - donner une véritable définition légale du salariat ; - rétablir une présomption de non-salariat applicable aux actifs exerçant à titre indépendant et régulièrement déclarés comme tels ; - reconnaître aux non-salariés placés en situation de dépendance économique le droit à une assurance perte d’activité, selon des critères précisément définis ; - améliorer l’accès des « professionnels autonomes » à la formation professionnelle continue. 3 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS SOMMAIRE I – CONSTAT ET ENJEUX ................................................................................................................................ 6 A – UN DÉVELOPPEMENT DE PRATIQUES QUI FAVORISENT LA CRÉATION D’ENTREPRISES PERSONNELLES .. 7 1) L’externalisation des tâches : une réponse à un besoin grandissant de flexibilité..............................................................7 a) Les causes d’une externalisation croissante ..................................................................................................................7 b) De nouveaux besoins satisfaits par l’émergence de nouveaux professionnels autonomes...........................................8 2) La contrepartie de l’externalisation : l’émergence d’un lien de dépendance économique fort entre deux entités ..............8 B – UNE INSÉCURITÉ JURIDIQUE ET FINANCIÈRE PEU COMMUNE .................................................................... 8 1) Les conséquences d’une frontière juridique floue entre le salariat et le non-salariat..........................................................9 a) Une répartition des actifs qui repose sur une notion juridique de salariat très équivoque .............................................9 b) Une distinction qui conduit parfois à des comportements critiquables .........................................................................11 2) La prise en compte du lien de dépendance économique par les juridictions sociales......................................................12 a) Un état précaire, objet de contestations nombreuses ..................................................................................................12 b) Des décisions judiciaires souvent critiquables..............................................................................................................14 II – L’ANALYSE CRITIQUE DES SOLUTIONS AVANCÉES................................................................... 16 A – LES EXEMPLES ÉTRANGERS ...................................................................................................................... 17 1) La « parasubordination » italienne ....................................................................................................................................17 a) La « parasubordination » : une relation de travail caractérisée par une « collaboration coordonnée et continue ».....17 b) Un régime de protection sociale et fiscal spécifique.....................................................................................................17 2) Un régime spécial pour les « quasi-salariés » allemands .................................................................................................18 a) Définition et règles applicables en droit du travail ........................................................................................................18 b) Le régime de protection sociale applicable aux « quasi-salariés » allemands .............................................................19 3) L’expérience néerlandaise ................................................................................................................................................19 B – POUR UN STATUT DE « PARASUBORDONNÉ » EN FRANCE ? ...................................................................... 20 1) Sur les contours d’un statut de « parasubordonné à la française » ..................................................................................20 2) Les risques de la création d’un nouveau statut juridique ..................................................................................................20 a) Les contraintes pesant sur les donneurs d’ordre..........................................................................................................20 b) Les enjeux pour les organismes sociaux......................................................................................................................21 III – LES PROPOSITIONS DE LA CCIP POUR SÉCURISER LES COCONTRACTANTS ET FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT D’ENTREPRISES INDIVIDUELLES .......................................... 22 A – LA CONSOLIDATION DES STATUTS DE SALARIÉ ET DE NON-SALARIÉ ....................................................... 23 1) Une définition légale du salariat ........................................................................................................................................23 2) Le rétablissement d’une présomption de non-salariat ......................................................................................................24 B – MESURES TENDANT À FAVORISER LA CRÉATION ET LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRENEURS INDIVIDUELS ..................................................................................................................................................... 25 1) La prise en considération de la situation de dépendance économique ............................................................................25 2) L’amélioration de l’accès à la formation professionnelle continue ....................................................................................26 4 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Depuis plusieurs années, le contentieux de la requalification des contrats d’entreprise en contrats de travail connaît un développement tout particulier : un nombre croissant d’actifs, à première vue franchisés, sous-traitants, experts ou consultants exerçant à titre libéral ou encore artisans, contestent, lors de la perte de leur unique ou principal « client » la qualification donnée à leur contrat. L’objectif de ces litiges est essentiellement, pour les exécutants extérieurs, de voir reconnu l’état d’extrême dépendance économique qui les lie à l’entreprise donneuse d’ordre. L’accueil, souvent bienveillant, de ces demandes par le juge a pour effet de contraindre alors l’entreprise à assumer le coût de la relation salariale et de sa rupture et les organismes sociaux, notamment le régime d’assurance chômage, à leur accorder le bénéfice de leurs prestations. Ce phénomène crée, au détriment des entreprises, une insécurité juridique et financière d’autant plus grande que la frontière entre salariat et non-salariat est peu évidente. Pour tenter d’y remédier, il convient de dresser, dans un premier temps, un état des lieux général des relations contractuelles entre ces « actifs économiquement dépendants » et leurs donneurs d’ordre ou clients, en précisant les enjeux en présence (I). Dans un deuxième temps, seront analysées les solutions envisagées au niveau national et européen, dont certaines sont actuellement en vigueur (II). Des solutions seront proposées, dans une dernière partie, en vue de sécuriser les relations contractuelles et favoriser la création d’entreprises individuelles (III). 5 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS I – CONSTAT ET ENJEUX 6 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Sous la pression conjuguée de facteurs divers, on constate aujourd’hui un recours croissant, par les entreprises, aux compétences et à l’expertise de professionnels extérieurs (A). Face au lien étroit qui les lie à leur client et qui les maintient parfois dans un état de dépendance économique durable, le juge est amené à donner satisfaction à ceux qui considèrent leur situation comme incompatible avec leur statut d’indépendant (B). A – UN DEVELOPPEMENT DE PRATIQUES QUI FAVORISENT LA CREATION D’ENTREPRISES PERSONNELLES 1) L’externalisation des tâches : une réponse à un besoin grandissant de flexibilité a) Les causes d’une externalisation croissante Les entreprises font généralement appel à la sous-traitance ou confient des missions ponctuelles à des personnes extérieures à l’entreprise pour répondre, avant tout, à un objectif de flexibilité et de réactivité, ce qui conduit tout à la fois à externaliser les risques et à diminuer les coûts fixes. Le fait de pouvoir « sous-traiter » une partie de son activité ou une tâche précise, à un tiers, permet à une entreprise de se recentrer sur son « cœur de métier », et de ne pas prendre en charge des activités qu’elle maîtrise mal ou moins bien. Il peut également s’agir de s’adjoindre temporairement les compétences d’un expert extérieur pour évaluer la situation technologique, économique, financière ou sociale de l’entreprise : l’appel aux consultants est aujourd’hui fréquent, dans les disciplines les plus variées (ressources humaines, informatique, etc.). Le recours à des compétences complémentaires, dont l’entreprise est dépourvue en interne, permet aussi d’introduire les innovations nécessaires au maintien de sa compétitivité. L’essaimage est par ailleurs pour partie à l’origine d’une externalisation, non seulement des tâches, mais également des hommes et des compétences : elle permet de se séparer, dans des conditions particulières, d’une ou plusieurs activités jugées insuffisamment rentables ou trop lourdes. Les salariés deviennent sous-traitants de l’entreprise essaimeuse et peuvent commencer leur propre activité avec un certain volant de chiffre d’affaires et des coûts allégés, tout en restant dans leur métier d’origine. L’entreprise peut ainsi conserver un créneau considéré comme nécessaire et le gérer de manière rentable. De plus, l’essaimage permet à l’entreprise de faire développer en sous-traitance des produits qu’elle conçoit mais dont elle externalise la fabrication et le développement. Cette technique permet de remédier aux carences de sous-traitants peu motivés ou insuffisamment compétents, en leur substituant des salariés de l’entreprise. On peut enfin évoquer, outre le coût relativement élevé du travail salarié, dû aux charges sociales et fiscales, les aléas liés aux obligations légales qui ne laissent aucune place au droit à l’erreur. Tous ces facteurs concourent au développement de réseaux d’entreprises et de compétences et à la multiplication des acteurs économiques, parfois réduits à la personne même de l’expert. 7 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS b) De nouveaux besoins professionnels autonomes satisfaits par l’émergence de nouveaux Ces nouveaux besoins ont favorisé l’arrivée sur le marché d’acteurs, prenant place aux côtés des traditionnels cabinets de consultants et des entreprises sous-traitantes, et dont la particularité est d’exercer seuls leur activité. Ces « professionnels autonomes1 », travailleurs en « freelance » ou « solos », fournissent principalement des prestations dites intellectuelles et forment une catégorie hétérogène recoupant une multitude de professions : photographes, journalistes, traducteurs, consultants, informaticiens, illustrateurs, graphistes, documentalistes,… Ce phénomène est amplifié par le développement des technologies de l’information et de la communication qui favorise d’autres formes d’activités, particulièrement innovantes en matière de fourniture de biens et de prestations de services. Leur caractéristique commune est qu’elles s’affranchissent le plus souvent de tout lien de subordination juridique, même si elles sont exercées au profit d’un seul cocontractant. Il en est ainsi pour le travail à distance ou à domicile : longtemps réservé à des activités traditionnelles exercées par des personnes rémunérées à la pièce, ce mode d’activité s’est étendu, grâce à l’informatique et à internet, à des professions qui en étaient jusqu’alors exclues (informaticiens, publicitaires, comptables, juristes…). 2) La contrepartie de l’externalisation : l’émergence d’un lien de dépendance économique fort entre deux entités La plupart des phénomènes d’externalisation peuvent, lorsqu’ils conduisent à une quasiexclusivité des liens commerciaux, se traduire par une plus ou moins grande dépendance économique de l’entrepreneur individuel (« professionnel autonome », « solo », etc.) à l’égard de son donneur d’ordre. Tel est le cas, en particulier, lorsqu’un « indépendant » ne trouve à exercer son activité que vis-à-vis d’un seul client ou d’un unique donneur d’ordre. Cette circonstance peut résulter de la permanence ou du caractère durable des prestations qui font l’objet de la sous-traitance. Elle peut découler aussi de la technique de l’essaimage lorsqu’elle fait naître un lien étroit entre l’entreprise et l’« essaimé ». Elle peut, plus rarement, résulter de l’organisation par l’entreprise d’une sous-traitance « sous contrôle », où le donneur d’ordre assoit son pouvoir économique sur le lien exclusif qu’il entretient avec son cocontractant, ce qui renforce d’autant la situation de dépendance économique. Or, outre le fait que cet état de dépendance vis-à-vis d’un client (ou donneur d’ordre) porte en germe le déséquilibre, en faveur de ce dernier, des relations contractuelles, il engendre, au détriment des parties contractantes, une situation d’insécurité juridique, donc aussi financière, au moins pour l’une d’entre elles. B – UNE INSECURITE JURIDIQUE ET FINANCIERE PEU COMMUNE Deux caractéristiques majeures peuvent résumer la situation professionnelle de ces actifs : indépendance juridique et dépendance économique. Mis en présence de ce paradoxe, les juges ont été tentés, à de nombreuses reprises, d’apporter au travailleur « économiquement subordonné » une certaine protection contre les conséquences de cet état de fait, notamment en profitant de l’imprécision des contours légaux du salariat (1). Il faut d’ailleurs 1 M.N. Auberger-Barré, « Qu’est-ce donc qu’un professionnel autonome ? », Cadres CFDT, n°395, avril 2001. 8 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS noter qu’ils y ont été incités par le législateur lui-même, qui a établi une quasi-présomption de salariat au profit de certaines catégories de travailleurs. C’est pourquoi ces relations de travail particulières, situées dans « une zone grise entre indépendance et salariat2 », sont parfois assimilées à des relations salariales, alors qu’elles présentent l’apparence, au moins contractuelle, de contrats de droit civil ou commercial de type location-gérance, de mandat de droit commun ou encore de contrat de franchise (2). 1) Les conséquences d’une frontière juridique floue entre le salariat et le nonsalariat L’absence d’une définition univoque du statut de salarié conduit à des contentieux fréquents, lesquels débouchent sur des solutions souvent insatisfaisantes. a) Une répartition des actifs qui repose sur une notion juridique de salariat très équivoque Il n’y a pas de définition unique du travail salarié en droit social (et, a fortiori, du travail non salarié) : les champs d’application du droit du travail et du régime général de la Sécurité sociale diffèrent sensiblement. La notion de salarié n’est pas définie explicitement par le Code du travail : les critères pour identifier le salariat résultent d’une jurisprudence abondante et longtemps fluctuante. Toutefois, l’arrêt « Société générale », rendu par la Cour de Cassation le 13 novembre 19963, semble avoir mis fin à des années d’incertitudes en coordonnant l’analyse du lien de subordination opérée en droit de la sécurité sociale et en droit du travail. Ce lien est désormais caractérisé par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». De même, le Code de la sécurité sociale est peu explicite : en vertu de l’article L. 311-2, « sont affiliés obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d’une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l’un ou de l’autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat ». Une telle définition a donné lieu à un abondant contentieux. Ainsi, de nombreux travailleurs, considérés, de prime abord, comme non-salariés, se sont trouvés rattachés au régime général de Sécurité sociale du fait de l’interprétation de cet article par les juridictions sociales. Il en est ainsi, par exemple, pour certains vendeurs ou courtiers4, ou encore, pour certains sportifs5. Le législateur a, lui-même, rendu plus difficile la distinction entre travailleurs salariés et nonsalariés par un certain nombre de dispositions troublantes, notamment en édictant une présomption de salariat, sous réserve de quelques règles spéciales ou particulières, au profit de certaines catégories de travailleurs tels les V.R.P., les journalistes professionnels, les 2 A. Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Dr. soc. 2000, p.131. Cass., soc., 13 novembre 1996, Société générale, Bull. civ. V, n°382 ; JCP 1997, éd.E, 911, note J. Barthélemy ; Dr. soc. 1996, p.1067, note J.-J. Dupeyroux. 4 Voir notamment, Cass., soc., 16 janvier 1992, RJS 1992, n°369, sur un vendeur d’emplacements publicitaires ; Cass. soc., 15 juin 1995, RJS 1995, n°970, sur les courtiers. 5 Cass., soc., 2 juillet 1990, RJS 1990, n°723, concernant des joueurs de tennis auxquels une association a recours, lors de compétitions promotionnelles ; Cass., soc., 8 décembre 1994, RJS 1995, n°59, sur les maîtres nageurs. 9 3 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS mannequins et artistes du spectacle6, les « gérants non salariés » des succursales de maisons d’alimentation de détail, les assistantes et assistants maternels ou les travailleurs à domicile7, tous « salariés par détermination de la loi8 ». Le conjoint salarié du chef d’entreprise9, bénéficie d’une même présomption dans la mesure où le Code du travail « écarte l’obstacle à la reconnaissance d’un contrat de travail que paraissait parfois constituer l’existence d’un lien conjugal10 ». Qui plus est, certaines activités traditionnellement exercées sous le statut de non-salarié peuvent légalement s’exercer sous le statut de salarié : un professionnel libéral, tel un médecin ou un avocat, peut librement choisir d’exercer son activité à titre salarié d’un organisme ou d’une entreprise, et bénéficier, de ce fait, des dispositions du Code du travail et du Code de la Sécurité sociale régissant ce statut. La confusion est accrue par le fait que le régime général de la Sécurité sociale est applicable, en vertu de dispositions particulières du Code de la Sécurité sociale11, à des catégories de travailleurs non-salariés au sens du droit du travail : sont, à ce titre, assimilés à des salariés, les dessinateurs, dactylographes, correcteurs de devoirs et traducteurs à domicile ; les gérants libres de stations-service ; les ouvreuses et employés de vestiaires ; les vendeurs à domicile,… Au surplus, au caractère incertain de la frontière juridique entre les catégories de travailleurs salariés et les autres, s’ajoute une diversification des modes de production et des prestations fournies : le modèle du salarié de type «tayloriste» ou «fordiste»12, ayant inspiré en grande partie une législation du travail stricte et protectrice, est largement dépassé aujourd’hui : « Le travailleur salarié n’est plus nécessairement un simple rouage dépourvu d’initiative dans une organisation fortement hiérarchisée. Et le travailleur indépendant n’est plus nécessairement un entrepreneur libre d’œuvrer comme bon lui semble. Le travail salarié fait place à ce qu’on peut appeler l’autonomie dans la subordination, tandis que, réciproquement, le travail non salarié s’est ouvert à ce qu’on peut appeler l’allégeance dans l’indépendance » 13. Pourtant, la distinction présente un intérêt non négligeable, qui peut parfois induire des comportements équivoques. 6 Professions énumérées par le Livre VII du Code du travail intitulé « Dispositions particulières à certaines professions », articles L. 751-1 (V.R.P.), L. 761-2 (journalistes professionnels), L. 762-1 (artistes du spectacle), L. 763-1 (mannequins). 7 Catégories particulières de travailleurs énumérées aux articles L. 782-1 et s. (« gérants non salariés »), L. 773-1 et s. (assistantes et assistants maternels), L. 721-1 et s. (travailleurs à domicile) du Code du travail. 8 F. Gaudu et R. Vatinet, « Les contrats de travail », Traité des contrats, LGDJ, 2001, n°38. 9 Article L. 784-1 du Code du travail. 10 A. Jeammaud, « L’assimilation de franchisés aux salariés », Dr. Soc. 2002, p.158 ; voir notamment, Cass., soc., 6 novembre 2001, Bouvard c. Zanaria, dans lequel la chambre sociale a réaffirmé cette solution, et a également jugé que « l’existence d’un lien de subordination (…) n’est pas une condition d’application de l’article L. 784-1 C. trav. » pour rejeter un pourvoi contre un arrêt de Cour d’appel ayant condamné une commerçante en qualité d’(ex-)employeur de son (ex-)époux au temps de leur union, Semaine Sociale Lamy, n°1051, 19/11/2001 ; Cahiers sociaux du Barreau de Paris, n°136, p.17. 11 Tel l’article L. 311-3. 12 Où le travailleur est « un simple rouage ajusté au rythme de la machine », A. Supiot, précité. 13 A. Supiot, précité. 10 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS b) Une distinction qui conduit parfois à des comportements critiquables L’intérêt de distinguer les salariés des non salariés14 réside principalement dans le statut protecteur des premiers. En effet, les dispositions du Code du travail, ainsi que celles du régime d’assurance chômage ou encore du régime général de Sécurité sociale, ont été, à l’origine, élaborées dans le but de protéger la partie « faible » au contrat de travail, à savoir le salarié, puisque ce dernier est dans un état de subordination juridique vis-à-vis d’une autre personne, l’employeur. Les non-salariés, du fait de leur indépendance juridique, ne se voient donc pas appliquer les règles de droit du travail. Il en est ainsi, notamment, pour les articles relatifs à la rupture du contrat, les conditions de travail ou encore la rémunération, la représentation collective (syndicats, délégués du personnel,…). De même, seuls les salariés ont un régime d’assurance chômage obligatoire (géré par l’UNEDIC), alors que certains non-salariés peuvent bénéficier, sous des conditions restrictives, d’un régime d’assurance chômage facultatif (GSC, APPI). Dès lors, apparaissent clairement les enjeux des deux catégories : pour les uns, salariés, l’exécution d’une prestation dans un lien de subordination juridique est faite en contrepartie d’une protection sociale étendue, couvrant les risques tant sociaux que professionnels ; pour les autres, non-salariés, assumant le risque économique inhérent à leur indépendance, un minimum de contraintes leur est imposé et, de ce fait, leur couverture sociale et professionnelle obligatoire est moindre. Cette différence de couverture sociale explique que certains professionnels recherchent d’office le statut protecteur du salariat par crainte de la précarité inhérente au statut du professionnel non-salarié et se tournent parfois vers la formule du portage salarial, tout particulièrement en début d’activité15. Ce phénomène, né il y a une vingtaine d’années, et qui a déjà fait l’objet d’études16 et de commentaires, ne fait que s’amplifier aujourd’hui, semblant révéler une insatisfaction grandissante face à l’alternative juridique du salariat et du non-salariat. Mais, ces sociétés de portage salarial sont parfois contestées : d’abord, parce qu’elles ne sont pas légalement reconnues17. Ensuite, parce que, si les « portés » voient dans cette technique un moyen d’obtenir la protection du droit du travail et une couverture sociale étendue, certains contrats signés avec lesdites sociétés comportent des risques : en termes de responsabilité en cas de dommage causé par le consultant lors de son intervention. 14 Selon les données statistiques disponibles, près de 90% de la population active en France est salariée et les 10% restants forment une catégorie hétérogène de travailleurs non salariés regroupant les agriculteurs, les commerçants et industriels indépendants, les artisans et les professions libérales (INSEE, « France, portrait social » 2001-2002, p.169). 15 La technique du portage permet à une personne, le porté, de proposer à une société (dite « de portage ») de le salarier pour qu’il effectue la mission dont il a déjà négocié le contenu et le coût avec un client. La société de portage « salarie » l’intéressé et perçoit un pourcentage du prix de la prestation versée par l’entreprise approchée par le porté. 16 Dont celle du Groupe de Recherche et d’Étude pour la Prospective destinée au Ministère de l’Emploi et de la Solidarité (« Le portage salarial », janvier 2001). 17 Même s’il ne s’agit pas là d’une généralité, certaines de ces sociétés seraient éventuellement susceptibles de tomber sous le coup de l’incrimination de prêt de main-d’œuvre illicite en vertu des articles L. 125-1 (délit de marchandage) et L. 125-3 (sur le travail temporaire) du Code du travail 11 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Dans ces conditions et du moins à l’heure actuelle, la solution temporaire qu’ont donc trouvée ces professionnels pour remédier à leur insécurité statutaire est loin d’être satisfaisante. 2) La prise en compte du lien de dépendance économique par les juridictions sociales a) Un état précaire, objet de contestations nombreuses Sauf exceptions, les « professionnels autonomes économiquement dépendants » ne bénéficient pas, en tant que tels, d’allocations chômage, d’indemnités en cas d’arrêt maladie ou d’accident18. Non seulement cette précarité peut être, à juste titre, considérée comme indue19 dans la mesure où elle place les intéressés dans une situation contraire à la véritable indépendance qui devrait caractériser leur statut, mais aussi elle les pousse à rechercher une compensation à leur état de dépendance économique. Qu’il s’agisse des entrepreneurs individuels eux-mêmes ou encore des organismes sociaux, l’objet principal des contestations formulées par ces « actifs isolés » est de bénéficier d’une partie de la législation sociale protectrice applicable, à l’heure actuelle, aux seuls travailleurs salariés ou considérés comme tels20. D’une part, des entrepreneurs individuels souhaitent se voir appliquer certaines dispositions du Code du travail, notamment : il en est ainsi, en cas de rupture du contrat de travail, pour les mesures protectrices relatives à la procédure et aux indemnités de licenciement (pour motif personnel ou économique). De même, ces actifs aspirent à bénéficier des allocations chômage en cas de perte d’activité, voire parfois des prestations du régime général de Sécurité sociale. D’autre part, les organismes de protection sociale au sens large (Sécurité sociale des salariés et non-salariés, régimes de retraite complémentaires et d’assurance chômage), ont également d’importants intérêts en jeu : le rattachement des actifs à tel ou tel régime est primordial pour leur équilibre financier. L’action judiciaire de ces divers acteurs économiques semble d’ailleurs porter ses fruits. Pour s’en convaincre, il suffit d’analyser certaines décisions rendues par la Cour de cassation. Selon les circonstances et les intentions, parfois équivoques, des protagonistes, les juges ont en effet été le plus souvent amenés à trancher en faveur de la reconnaissance du statut de salarié au profit de travailleurs a priori non salariés, voire de bénévoles. • Des « artisans » en état de subordination juridique ? Les contentieux mettant de « faux artisans » aux prises avec un cocontractant ne sont pas rares. On peut, à cet égard, évoquer le cas de chauffeurs livreurs antérieurement salariés d’une entreprise et restés après la rupture de leur contrat, au service de leur ancien 18 On relèvera cependant que, comme les artisans, les commerçants régulièrement inscrits au RCS et affiliés au régime de protection sociale des non-salariés peuvent, à la différence des professionnels libéraux, bénéficier d’indemnités journalières forfaitaires en cas d’arrêt de travail pour raison de santé. 19 Voir notamment : « La galère des tâcherons de la matière grise » - Liaisons sociales magazine, mars 2002, p.51 ; Cadres CFDT n°395 - avril 2001 ; association Freelance en Europe (site Internet : http://freelance-europe.com). 20 Voir note 6. 12 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS employeur en tant qu’artisans. Constatant l’état de dépendance économique et de subordination juridique, le juge avait pu conclure à l’existence de contrat de travail21. On peut également citer l’arrêt Labbane du 19 décembre 200022. En l’espèce, le contrat passé entre la société Bastille taxi et l’un des chauffeurs locataires d’un « véhicule équipé taxi » a été requalifié en contrat de travail par la Cour de cassation : « l’accomplissement effectif du travail dans les conditions (…) prévues par ledit contrat (…) plaçait le « locataire » dans un état de subordination à l’égard du « loueur » et qu’en conséquence, sous l’apparence d’un contrat de location d’un « véhicule taxi », était en fait dissimulée l’existence d’un contrat de travail ». • Des franchisés présumés salariés ? Les contrats de franchise sont également parfois au cœur de tels conflits. Sont à signaler les deux arrêts en date du 4 décembre 200123, « société France acheminement », rendus sur la base de l’article L. 781-1 du Code du travail, lequel présume de la qualité de salarié de certains travailleurs. La Haute juridiction a requalifié des conventions dites « de franchise » passées entre la société France acheminement avec ses représentants, en posant le principe suivant lequel la réunion des conditions de l’article L. 781-2 du Code du travail permettait au demandeur de s’affranchir de la preuve de l’existence d’un lien de subordination. Ainsi, « face à l’imprécision, et à la difficulté probatoire du critère de la subordination, la volonté de la Cour de cassation est nette : permettre à tous ceux qui peuvent invoquer l’article L. 781-1 C. trav. de demander en justice la requalification de leur contrat. La liste risque d’être longue (louageurs travaillant au profit d’une entreprise, sous-traitants,…) » 24. Le flou est d’autant plus difficile à dissiper que les solutions rendues par la Cour de cassation sont parfois contradictoires. • Des volontaires entre bénévolat et salariat ? S’agissant des activités exercées à titre bénévole, la Haute juridiction a, en effet, tantôt admis, tantôt exclu l’existence d’un contrat de travail. Par un arrêt en date du 9 mai 200125, la Cour a jugé « qu’en intégrant la communauté Emmaüs en qualité de compagnon (…) », l’intéressé s’était soumis « aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d’accueil comprenant la participation à un travail destiné à l’insertion sociale des compagnons et qui est exclusive de tout lien de subordination » ; alors que, dans un arrêt du 29 janvier 200226, elle a estimé que « la seule signature d’un contrat dit de bénévolat entre une association et une personne n’ayant pas la qualité de sociétaire, n’exclut pas l’existence d’un contrat de travail, dès l’instant que les conditions en sont remplies ». A moins d’admettre que le second arrêt remet en cause le premier, force est de constater qu’il n’existe pas de solution unique concernant, a priori, des situations similaires. 21 Cass., crim., 5 janvier 1995, n°93-84-923, « Villar ». Cass., soc., 19 décembre 2000, Labbane c/ Chambre syndicale des loueurs d’automobiles de place de deuxième classe de Paris Ile-de-France et société Bastille taxi, Dr. soc. 2001, p.227–Voir annexe I. 23 Cass., soc., 4 décembre 2001, Société France acheminement c/ Sierra et Société France acheminement c/ Dalval, Dr. soc. 2002, p.158. 24 F.J. Pansier, commentaire sous Cass., soc., 4 décembre 2001, Société France acheminement c/ Sierra et Société France acheminement c/ Dalval, CSBP n°137, p.62. 25 Cass., soc., 9 mai 2001, Communauté Emmaüs de la Pointe rouge c/ Barons, Liaisons sociales, jurisprudence, n°754 ; Dr. soc. 2001, p.798, « Vie communautaire et contrat de travail », J. Savatier. 26 Cass., soc., 29 janvier 2002, Association Croix rouge française c/ Huon et autres, Liaisons sociales, jurisprudence, n°754. 13 22 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS • Des « apporteurs d’affaires » salariés ? Certaines solutions rendues en matière de requalification juridique des contrats par la Cour de cassation le sont parfois au prix de contorsions juridiques particulièrement audacieuses. L’arrêt Solovam27 du 20 mai 1999 en est une parfaite illustration. Il s’agissait de vendeurs salariés d’un réseau automobile qui conseillaient leurs clients dans le montage de leur dossier financier. Ils proposaient à cet égard de contracter avec un organisme de crédit déterminé. Ce dernier, pour encourager les vendeurs, leur versait une prime pour toute signature d’un dossier de financement. Selon la Haute juridiction, « les sommes litigieuses avaient été versées aux salariés pour l’accomplissement d’un travail effectué au sein d’un service organisé dont les conditions d’exécution étaient déterminées unilatéralement ». Les sommes versées l’ont été « en contrepartie d’un travail effectué dans un lien de subordination ». Elle a donc considéré que salariés et organisme de crédit étaient liés par un contrat de travail, alors même que ce dernier ne faisait naître aucune obligation à la charge du prétendu salarié… Une telle solution est d’ailleurs susceptible de toucher l’ensemble des professionnels qui se comporteraient comme des « apporteurs d’affaires28 ». Il est ici important de souligner le rôle décisif des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale du régime général qui veillent à donner aux opérations les plus diverses la qualification juridique d’activité salariée29. b) Des décisions judiciaires souvent critiquables Toutes ces décisions mettent finalement en évidence le relatif inconfort du juge face à l’imprécision du statut de salariat et à la situation de dépendance économique de certains actifs. Or, les solutions retenues sont peu satisfaisantes. Tout d’abord, il est important de noter que la possible requalification d’un contrat d’entreprise, de franchise ou de sous-traitance, en contrat de travail a pour effet de placer les cocontractants directs (clients, donneurs d’ordre) des « professionnels autonomes » dans une situation d’insécurité juridique lourde de conséquences : lorsque la qualité d’employeur leur est judiciairement conférée, ils se trouvent de fait astreints au respect de l’ensemble des dispositions du Code du travail et du Code de la sécurité sociale. Dès lors, ils peuvent être, par exemple, condamnés en cas de rupture de contrat avec le « professionnel autonome », pour non-respect de la procédure de licenciement ou encore, se voir réclamer par les URSSAF le montant global de charges sociales qui auraient dû être versées aux organismes du régime général. A cet égard, on peut souligner que ce ne sont pas tant les unions de recouvrement qui doivent être incriminées mais bien plutôt les règles actuellement en vigueur, dont l’imprécision leur offre une grande latitude pour agir en justice. Ensuite, pour un certain nombre d’« actifs isolés », l’assimilation totale à des travailleurs salariés et, par conséquent, l’application de l’ensemble des dispositions du Code du travail et du Code de la sécurité sociale relatives à ces derniers, n’est pas souhaitée. En effet, les requalifications judiciaires ne semblent être qu’un pis aller : par exemple, les chauffeurs de taxi requalifiés de salariés par le juge préfèreraient sans conteste, s’ils en avaient les 27 Cass., soc., 20 mai 1999, Sté Solovam c/U.R.S.S.A.F. de Paris, RJS 07/99, n°962. H.G. Bascou et J.C. Ranc, « Les indicateurs et apporteurs d’affaires, qui sont-ils ? », T.P.S. 1997, chron. 9. 29 Ainsi en va-t-il des contrats dits de « sponsoring » passés entre un sportif et une agence de publicité ou de grandes enseignes commerciales. 14 28 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS moyens financiers30, avoir le statut d’artisan. Quant aux loueurs de véhicules, ils déplorent la nouvelle jurisprudence : ainsi, la chambre syndicale qui les représente condamne la solution rendue par la Cour de cassation31. Un même constat s’impose pour les « free-lances » qui ne recherchent pas à tout prix le confort du salariat, même dans les professions où la précarité est la plus forte, mais aspirent à la liberté, la richesse des missions et l’absence de contraintes hiérarchiques. 30 Le prix de la licence à Paris s’élevant à un peu plus de 122137 euros. Liaisons sociales magazine, « Les forçats du taxi, faux locataires mais vrais salariés », avril 2001, p.56. 15 31 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS II – L’ANALYSE CRITIQUE DES SOLUTIONS AVANCÉES 16 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Certains États ont mis en place des dispositions novatrices en la matière (A), que certains auteurs voudraient voir imitées en France (B). A – LES EXEMPLES ETRANGERS Trois pays ont élaboré des mesures tendant à la reconnaissance d’une nouvelle catégorie de travailleurs dits « parasubordonnés » ou encore « quasi-salariés » : l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas. 1) La « parasubordination » italienne a) La « parasubordination » : une relation de travail caractérisée par une « collaboration coordonnée et continue32 » La notion de travailleur « parasubordonné » est apparue en Italie il y a près de trente ans33 et a eu notamment pour objet d’étendre le droit des litiges individuels du travail aux relations d’agence et de représentation commerciale, ainsi qu’aux autres rapports de collaboration qui se concrétisent par une « prestation de travail continue et coordonnée, de nature personnelle, même si elle n’a pas de caractère subordonné34 ». Cette forme de travail ne se caractérise donc pas par un lien de subordination juridique entre deux parties, mais par un « contrat de prestation professionnelle », réglementant la prestation par des modalités d’exécution, une durée, ainsi qu’une rétribution corrélative à cette prestation, précisément définies. Ce type de contrat peut être verbal et n’oblige aucunement le travailleur à s’inscrire, à la différence des travailleurs indépendants et professionnels libéraux, à un quelconque registre ou ordre professionnel. Cette catégorie recoupe des professions diverses dont les vendeurs à domicile, consultants, formateurs, administrateurs de sociétés ; certains services administratifs, comptables ; les professionnels du marketing, télémarketing, et de la publicité… Les secteurs d’activité les plus concernés sont, pour l’essentiel, le commerce, les services (publics et privés), les assurances et organismes de crédit, et l’industrie manufacturière. A l’heure actuelle, on compte plus de deux millions de travailleurs « parasubordonnés » en Italie, ce qui représente près de 10% de la population active. b) Un régime de protection sociale et fiscal spécifique La loi n°335/1995, adoptée en 1995, dispose que les personnes qui exercent une profession indépendante (et qui n’ont pas de caisse d’assurance professionnelle propre) ou qui ont des rapports de collaboration coordonnée et continue doivent obligatoirement cotiser auprès d’organismes sociaux pour les risques invalidité et vieillesse. Les intéressés effectuent leurs versements auprès de l’INPS35, ceux-ci s’élevant au total à 14% du revenu brut pour l’année 200236. 32 En Italie, les « parasubordonnés » sont appelés « co-co-co » du fait que leur relation de travail se manifeste sous la forme d’une « collaboration coordonnée et continue » (« collaborazione coordinata e continuativa », article 409 du Code de procédure civile italien). 33 Cette notion est apparue avec la loi n°533/1973, codifiée à l’article 409 du Code de procédure civile. 34 « Altri rapporti di collaborazione che si concretino in una prestazione d’opera continuativa e coordinata, prevalentemente personae anche se non carattere subordinato » (art. 409 Codice civile). 35 « Instituto nazionale previdenza sociale ». 36 Source : Chambre française de commerce et d’industrie en Italie (Milan). 17 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Ce versement est dû pour les deux tiers par la société contractante et pour un tiers par le travailleur « parasubordonné ». A l’instar du régime applicable aux travailleurs salariés, c’est à la société contractante de verser lesdites sommes. Tel un employeur dans le cadre d’un contrat de travail, la société effectue la retenue de la part du travailleur « parasubordonné » sur le montant brut de la rémunération versée à ce dernier. Depuis janvier 2001, les revenus provenant d’une « collaboration coordonnée et continue » sont explicitement assimilés à ceux des salariés. Les employeurs doivent opérer la retenue sur l’ensemble du revenu, et remettre au collaborateur une fiche de paie. Toutefois, les sommes ainsi versées couvrent seulement le « parasubordonné » contre les risques vieillesse et invalidité : les prestations maladie-maternité ainsi que les allocations familiales sont financées par l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPEF)37. Ainsi, au moment de la cessation du contrat ou bien à la fin de l’année, l’employeur doit calculer le solde concernant l’IRPEF et les taxes additionnelles. Le collaborateur peut demander que l’employeur intègre directement les abattements auxquels il a droit, compte tenu de sa situation de famille. L’entreprise doit également remettre le récapitulatif de ses revenus au collaborateur, avant la fin du mois de février de chaque année. Il est important de signaler que, s’il existe effectivement des règles relatives à cette forme « atypique » de travail, il n’y a pas, à proprement parler, de statut légal du travailleur « parasubordonné ». Un projet de loi à ce sujet38, adopté par le Sénat, est en cours de discussion au sein du Parlement italien. 2) Un régime spécial pour les « quasi-salariés » allemands a) Définition et règles applicables en droit du travail Le droit allemand a créé un statut particulier pour les travailleurs ayant la qualité de « quasisalariés39 », définis comme des travailleurs juridiquement indépendants, mais économiquement dépendants, qui ont besoin d’une protection sociale semblable à celle des salariés40. Afin de déterminer la qualité de « quasi-salarié », la législation allemande énumère un certain nombre de critères, dont deux principaux : - l’intéressé doit travailler seul et sans l’assistance d’un personnel salarié ; la majeure partie de son travail ou de ses revenus doit provenir d’une seule personne ou institution. Au-delà, existent d’autres indices similaires à ceux parfois utilisés par les tribunaux français : il en est ainsi de l’intégration à un service organisé et de la participation à l’entreprise d’autrui, par exemple. 37 Le taux de l’IRPEF s’élevant à 19% en 2002. Projet de loi n°2094/1998 du 8 avril 1998 relatif au « travail atypique ou parasubordonné ». 39 « Arbeitnehmerähnliche Personen ». 40 Loi de 1974 sur les conventions collectives, section 12a. 38 18 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS La vérification de la dépendance s’opère également en recherchant si l’intéressé ne travaille pas à son propre compte, ne participe pas aux chances de gains et de pertes, ne possède pas son propre équipement et sa clientèle, etc41. Par analogie avec les « parasubordonnés » italiens, les « quasi-salariés » allemands bénéficient principalement des règles applicables aux travailleurs indépendants : ils sont, par exemple, exclus du champ du droit du licenciement ; cependant, ils bénéficient de certaines dispositions du Code du travail, relatives aux litiges du travail, aux congés ainsi qu’aux conditions de travail. De plus, comme en France, des catégories de travailleurs « quasi-salariés » font l’objet de règles particulières : les représentants de commerce (V.R.P.) et les travailleurs à domicile. b) Le régime de protection sociale applicable aux « quasi-salariés » allemands Le droit de la Sécurité sociale allemand, applicable, de droit, aux salariés, est étendu aux travailleurs remplissant au moins deux des quatre critères énumérés ci-après, caractérisant la notion de dépendance économique : - le travail est accompli personnellement, sans l’aide de collaborateurs (sauf les membres de sa famille) ; il l’est pour le compte d’un seul employeur ; il correspond à un emploi salarié (par exemple, d’autres personnes accomplissent la même tâche, sur le même lieu de travail, et ont la qualité de salariés) ; il est effectué sans que l’intéressé n’apparaisse comme un entrepreneur sur le marché42. En résumé, la législation allemande semble plus proche du droit français, en la matière, que du droit italien. En Allemagne, c’est le besoin de protection sociale qui a motivé l’extension de la législation du travail ; alors qu’en Italie, c’est principalement en matière de procédure contentieuse et d’hygiène et de sécurité que les dispositions ont été étendues, bien que, à l’heure actuelle, les « parasubordonnés » italiens aient obtenu, par voie de conventions collectives, des avantages qui vont bien au-delà des dispositions légales. 3) L’expérience néerlandaise Aux Pays-Bas, la technique d’« assimilation partielle » de travailleurs non salariés à des travailleurs salariés est aussi utilisée, notamment pour leur étendre le droit du licenciement économique. En effet, certaines dispositions de ce dernier sont applicables à des travailleurs non titulaires d’un contrat de travail, mais se trouvant en situation de dépendance économique vis-à-vis d’un client. Le lien de dépendance économique est caractérisé, en droit néerlandais, par les critères suivants : - le caractère personnel du travail accompli ; un travail accompli pour deux « employeurs » au plus ; avec l’assistance de deux personnes au plus ; ne présentant pas un caractère accessoire. 41 De la même manière, les contrôleurs du fisc américains utilisent un test dénommé « The IRS 20 Factors Test », répertoriant 20 critères d’identification, afin de déterminer si tel professionnel exerce, ou non, une activité à titre indépendant – Voir annexe I. 42 Dispositions issues de la loi du 19 décembre 1998, entrée en vigueur le 1er janvier 1999, et insérées dans le Code civil allemand (BGB, art. 3). 19 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Par ailleurs, la loi néerlandaise permet d’introduire dans les conventions collectives des dispositions applicables à ces travailleurs indépendants. B – POUR UN STATUT DE « PARASUBORDONNE » EN FRANCE ? A été avancée l’idée de créer un statut juridique propre aux personnes dont l’activité était, jusqu’à présent, considérée comme exercée à titre indépendant mais qui, concrètement, se réalisait le plus souvent dans un lien de dépendance économique vis-à-vis des personnes ayant recours à leurs services43. 1) Sur les contours d’un statut de « parasubordonné à la française » Un tel statut engloberait non seulement les travailleurs dits indépendants se trouvant dans un état de dépendance économique vis-à-vis d’un client, mais encore les salariés dont l’activité ne peut se concevoir en dehors de l’indépendance technique, à savoir les cadres dirigeants et supérieurs. Selon les partisans de ce nouveau statut, il serait nécessaire d’accorder à ces professionnels divers, le bénéfice de droits collectifs et, en particulier, le droit de conclure des « conventions collectives44 », par analogie avec celui applicable aux salariés, afin de rétablir l’équilibre de leurs relations. Cette faculté aurait pour avantage principal de mieux les protéger des abus potentiels45de donneurs d’ouvrage. Il conviendrait également d’harmoniser totalement les différents régimes de protection sociale, et de faire en sorte que cette nouvelle catégorie juridique relève d’une couverture sociale en matière d’accidents du travail et d’assurance chômage et de droits étendus en matière de formation. 2) Les risques de la création d’un nouveau statut juridique Si tentante soit-elle, l’institution d’une nouvelle catégorie d’actifs jouissant d’un statut protecteur, soulève des réserves tant au regard des rigidités qu’elle ne manquerait pas de créer pour les cocontractants que des risques qu’elle pourrait faire courir au détriment des régimes sociaux actuels. a) Les contraintes pesant sur les donneurs d’ordre Si des nouveaux droits sont accordés46, il faut que cela ait pour seul but de protéger des professionnels contre d’éventuels abus de la part de leurs cocontractants. 43 Cette théorie a principalement été exposée et développée par Jacques Barthélémy : « Le professionnel parasubordonné », JCP 1996, éd.E, n°47. 44 J. Barthélémy s’appuie sur les accords signés le 16 avril 1996 qui ont fixé le statut des agents généraux d’assurance (« Une convention collective de travailleurs indépendants ? », Dr. soc.1997, p.40). Selon l’auteur, « la technique ainsi utilisée pour organiser les rapports de travailleurs indépendants et d’entreprises pourrait l’être aussi pour d’autres professions libérales, mais aussi entre sous-traitants et donneurs d’ordre. Elle peut être utile chaque fois qu’un travailleur, malgré son indépendance juridique excluant le contrat de travail, se trouve en état de dépendance économique telle que sont déséquilibrés les pouvoirs dans la négociation du contrat. Peuvent être concernés alors, les titulaires de contrats, non seulement de mandat, mais aussi d’entreprise, voire de sociétés ». 45 Notamment les abus de délais de paiement, de rupture de contrats, d’opacité vis-à-vis du donneur d’ouvrage final,… 46 Conventionnellement ou par la création du statut juridique de « parasubordination » (voir supra). 20 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Or, la conclusion d’accords collectifs, telle que l’envisagent les partisans du statut de « parasubordonné », pourrait avoir pour conséquence d’encadrer de manière trop rigide les rapports entre professionnels (donneur d’ordre/sous-traitant ; entreprise/prestataire de services), au détriment du libre jeu de la concurrence et de la réactivité des relations commerciales. b) Les enjeux pour les organismes sociaux « La création d’un statut intermédiaire, parce qu’il engloberait certains travailleurs salariés et indépendants, aurait pour effet de remplacer une frontière, déjà floue, par deux frontières, l’une avec le contrat de travail, l’autre avec le contrat d’entreprise47 », ce qui ne semble donc pas résoudre le problème qui se pose à l’origine, à savoir la délimitation claire des catégories juridiques déjà existantes (salariés/non salariés)… Et si, a priori, l’idée de créer un nouveau statut juridique, pour les travailleurs dont les conditions de travail ne répondent pas tout à fait aux critères généralement retenus pour les classer dans l’une des catégories déjà existantes (salariés/non salariés), paraît attractive, encore faut-il tenir compte des éventuelles conséquences que cela pourrait entraîner pour les régimes sociaux. A défaut d’une harmonisation prochaine des régimes de sécurité sociale, on peut légitimement douter de la pertinence d’un rattachement de ces « parasubordonnés » à l’un des régimes plutôt qu’à un autre. Si une partie des salariés (les cadres supérieurs et dirigeants, par exemple) ou, à l’inverse, une partie des travailleurs non salariés (professionnels libéraux collaborateurs, solos, soustraitants,…) quittent le régime actuel, cela ne pourrait s’opérer qu’au détriment de son équilibre financier. Ce risque est d’autant plus grand pour les régimes de retraite, surtout celui des travailleurs non-salariés, lequel est particulièrement touché par des difficultés démographiques. La création d’un nouveau régime qui leur serait propre est en tout état de cause à écarter, pour les mêmes raisons. De même, le rattachement de certains non-salariés à un régime spécifique ou, a fortiori, au régime général, aurait pour effet d’obliger les entreprises, ayant recours à ces professionnels, au financement de leur protection sociale par le versement de cotisations patronales. Or, le travailleur indépendant est censé assumer lui-même le coût de sa protection sociale. Au surplus, on peut redouter que ce statut de « parasubordonné » ne devienne très vite une catégorie trop attrayante, puisque le régime juridique applicable à cette dernière consisterait essentiellement à cumuler les avantages des statuts de salarié et de non-salarié, sans les inconvénients48. Plutôt que de créer un statut légal propre aux « parasubordonnés », il semblerait plus opportun de rechercher d’autres voies, prenant certes en considération les revendications des intéressés, mais, surtout, tenant compte aussi des conséquences possibles sur leurs partenaires directs (clients, donneurs d’ordre) et indirects (organismes de protection sociale, au sens large). 47 J. Barthélémy, précité (cf. note 43). Ce phénomène semble se confirmer si l’on prend, par exemple, le cas de l’Italie, où la catégorie de travailleurs dits « parasubordonnés » a effectivement été créée, il y a quelques années. Il existe un véritable « engouement » de la part des actifs italiens pour ce statut, puisque plus de deux millions d’entre eux en relèvent, et que ce nombre ne cesse de s’accroître. 21 48 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS III – LES PROPOSITIONS DE LA CCIP POUR SÉCURISER LES COCONTRACTANTS ET FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT D’ENTREPRISES INDIVIDUELLES 22 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS Deux grands axes de réflexion peuvent se dégager. Tout d’abord, afin de procurer aux donneurs d’ordre (ou clients) la sécurité juridique nécessaire à la conclusion de contrats de sous-traitance (ou d’entreprise) sans risques ou, pour le moins, avec un risque minime de voir ces relations contractuelles requalifiées judiciairement, par la suite, en contrat de travail, il semble nécessaire de consolider la frontière salariat/non salariat (A) en donnant une définition légale du salariat, et en rétablissant légalement la présomption de non-salariat, autrefois établie par la loi dite « Madelin »49. Ensuite, il paraît important de favoriser, au profit des entreprises comme des professionnels concernés, la création et le développement de l’activité des entrepreneurs individuels (B) en prenant, le cas échéant, en considération leur situation de dépendance économique vis-à-vis de leurs cocontractants, et en améliorant l’accès à la formation professionnelle. A – LA CONSOLIDATION DES STATUTS DE SALARIE ET DE NON-SALARIE 1) Une définition légale du salariat Comme on l’a vu, la frontière entre salariat et non-salariat repose essentiellement sur la notion de contrat de travail. D’où la nécessité d’une définition légale, claire et relativement précise pour réduire les incertitudes et limiter les risques de requalification juridictionnelle, aux conséquences souvent dommageables pour les parties. Il y aurait lieu à cette fin de reprendre la conception jurisprudentielle prédominante en la matière, depuis un certain nombre d’années, qui fait apparaître trois critères déterminants : - la prestation de travail : elle peut avoir pour objet les tâches les plus diverses (travaux manuels, intellectuels, artistiques), effectuées dans tous les secteurs professionnels (artisanal, agricole, commercial ou industriel) ; la rémunération : contrepartie de la prestation de travail, elle constitue un élément nécessaire du contrat de travail. Peu importe que le salaire soit versé en espèces ou en nature, qu’il soit calculé au temps, aux pièces ou à la commission ; la subordination juridique : critère décisif du contrat de travail pour lequel la jurisprudence donne une définition commune à la sécurité sociale et au droit du travail. Ce lien de subordination juridique, tel que défini depuis 199650, pourrait être caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Il est ainsi préférable de rejeter définitivement les critères, parfois retenus par les juridictions sociales, d’appartenance à un « service organisé » ou encore de dépendance économique comme indices déterminants du lien de subordination. En effet, ces paramètres sont trop souvent sources de confusion, et ont ainsi conduit les juges à considérer certains travailleurs indépendants juridiquement, mais dépendants économiquement, comme des salariés, ce qu’ils ne sont pas nécessairement. 49 50 Loi n° 94-126 du 11 février 1994 (JO du 13) sur l’initiative et l’entreprise individuelle. Depuis l’arrêt « Société générale » du 13 novembre 1996, précité. 23 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS 2) Le rétablissement d’une présomption de non-salariat Pour renforcer la sécurité juridique des uns et des autres, il serait souhaitable de rétablir la présomption légale de non-salariat instituée par la loi Madelin du 11 février 199451 applicable tant en droit du travail52 qu’en droit de la sécurité sociale53. Aux termes de l’ancien article L. 120-3 alinéa 1 du Code du travail, toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre spécial des agents commerciaux ou auprès des URSSAF pour le recouvrement de la cotisation personnelle d’allocations familiales, était présumée ne pas être liée par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité ayant donné lieu à l’immatriculation. La présomption « simple » ainsi créée par l’immatriculation professionnelle pouvait être renversée s’il était établi que l’exercice de l’activité plaçait l’intéressé « dans un lien de subordination juridique permanente » à l’égard du donneur d’ouvrage (ancien art. L. 120-3 alinéa 2 du Code du travail). La loi Madelin a tiré les conséquences de cette présomption de non-salariat à l’article L. 31111 du Code de la sécurité sociale en posant que les personnes visées à l’article L. 120-3 alinéa 1 du Code du travail « ne relèvent du régime général de la Sécurité sociale que s’il est établi que leur activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre ». Mais la loi du 19 janvier 200054, par son article 34, a supprimé les deux premiers alinéas de l’art. L. 120-3 du Code du travail. La charge de la preuve du lien de subordination juridique a donc été renversée : désormais, c’est au donneur d’ordre de rapporter la preuve que le prestataire exerce son activité hors d’un lien de subordination. Cette disposition, discrètement introduite dans la loi précitée, a pourtant des répercussions non négligeables : le contentieux des « requalifications » s’est accru, et place ainsi donneurs d’ordre ou clients et « professionnels autonomes » dans une situation de grande insécurité juridique. C’est pourquoi il paraît nécessaire de restaurer une présomption de non-salariat telle que l’avait instituée la loi Madelin, en apportant peut-être une précision légale quant à l’interprétation de l’expression « lien de subordination juridique permanente », cette dernière ayant fait l’objet de nombreux commentaires55 et décisions judiciaires56 divers. Le rétablissement de cette présomption semble aujourd’hui réaliste si, parallèlement, les situations de précarité contractuelle et financière extrêmes sont prises en considération. Des dispositions complémentaires peuvent être en effet envisagées, de nature non seulement à réduire les risques d’une dépendance économique anormale, mais également à favoriser la création et le développement des entreprises individuelles. 51 Précitée note 49. Ancien art. L. 120-3 al. 1 et 2 du Code du travail. 53 Art. L. 311-11 du Code de la sécurité sociale. 54 Loi n° 2000-37 relative à la réduction négociée du temps de travail. 55 F. Taquet, « Quelques réflexions sur la loi Madelin », SSL 1994, p.701 ; Th . Aubert-Monpeyssen, « La définition du salariat par la loi Madelin », Petites Affiches n°114, 22 septembre 1995 ; « Quand le lien de subordination juridique permanente » restreint la portée de la loi Madelin » SSL 1999, p.6. 56 Notamment, par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a précisé qu’il fallait entendre par ce qualificatif « permanent » que « c’est la subordination juridique qui doit être permanente et non le lien, cette permanence s’apprécie en conséquence pendant la durée de la relation de travail et non par rapport à celle-ci », Cass., crim., 31 mars 1998, n°97-81.873. 24 52 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS B – MESURES TENDANT A FAVORISER LA CREATION ET LE DEVELOPPEMENT DES ENTREPRENEURS INDIVIDUELS Si ces actifs économiquement dépendants sont « isolés par les modalités de leur participation à la vie économique, trop atypiques pour appartenir à la dichotomie, ils n’en sont pas moins actifs, devenant un des maillons indispensables à la vie des affaires » 57. On peut d’autant moins les ignorer que leur nombre, croissant, est, semble-t-il, loin d’être marginal58. La sécurisation de la situation de ces professionnels aurait ainsi « le mérite de légaliser une multitude d’activités qui représentent un potentiel économique non négligeable » 59. Bien que la création d’un statut ad hoc soit à écarter, pour autant, des solutions doivent être trouvées pour reconnaître, par des aménagements ponctuels des dispositifs existants, la spécificité de leur situation. Deux types de démarche au moins peuvent y concourir : le bénéfice d’une couverture contre le risque de perte du (ou des) contrat(s) dont découle la dépendance économique (1), et l’amélioration des conditions d’accès à la formation professionnelle (2). 1) La prise en considération de la situation de dépendance économique Les situations respectives du salarié et du non-salarié « économiquement dépendant » se rejoignent au moins sur un point : les conséquences d’une perte d’activité (ou de contrat) sont comparables. Or, le premier bénéficie nécessairement d’une assurance chômage, à la différence du second, placé dans une situation de précarité par certains aspects incompatible avec la notion même d’indépendance qui devrait caractériser les non-salariés. La question posée est donc de savoir s’il serait opportun d’assurer à l’actif économiquement dépendant, sous conditions, une couverture de cette nature, en contrepartie bien évidemment d’une participation financière. Dans l’affirmative, on peut s’interroger sur la structure qui devra gérer les droits et obligations de ces nouveaux bénéficiaires. Trois solutions sont a priori envisageables. Tout d’abord, la création d’un système d’assurance chômage spécifique à cette catégorie est possible. Elle ne semble cependant pas souhaitable : comme il a été dit à propos de la sécurité sociale60, l’instauration d’un nouveau régime destiné aux seuls « parasubordonnés » aurait certainement des effets pervers sur le régime d’assurance chômage déjà existant. Une autre possibilité repose sur les régimes destinés aux dirigeants d’entreprises61, qui pourraient les accueillir, s’ils consentaient à se réformer dans cette perspective : leur accès est, en effet, soumis à des conditions restrictives. Le caractère obligatoire de l’adhésion à ces organismes est également posé. Enfin, il n’est pas exclu de concevoir que ces travailleurs soient rattachés au régime de l’assurance chômage des salariés géré par l’UNEDIC. Une telle solution irait, d’ailleurs, dans 57 H.G. Bascou , J.C. Ranc, « Les indicateurs et apporteurs d’affaires, qui sont-ils ? », T.P.S. 1997, chron. 9. 58 Aucune évaluation chiffrée fiable n’est cependant disponible. Selon diverses sources, on peut situer leur nombre entre 100 000 et 200 000. 59 H.G. Bascou, J.C. Ranc, «… Dieu reconnaîtra les siens… », Gazette du palais des 10, 11 janvier 2001, p.4. 60 Voir supra. 61 Régimes gérés par la GSC ou l’APPI. 25 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS le sens de l’actuelle politique menée par ses gestionnaires, qui vise à reconnaître aux porteurs de projet et aux créateurs d’entreprise des droits spécifiques62. Il doit être bien entendu que ce rattachement ne devra préjuger en rien de leur qualité de travailleurs non salariés, les règles du Code du travail restant inapplicables (à l’exception bien sûr des dispositions applicables explicitement aux non salariés, par exemple en matière de formation professionnelle). En tout état de cause, les conditions générales d’accès au régime d’assurance chômage devront être définies. En particulier, la situation de dépendance économique devra être établie en fonction de critères, qualitatifs et quantitatifs, à l’instar du régime allemand. De la même façon, on peut imaginer que l’accès aux prestations en espèces diffère des conditions de droit commun, pour tenir compte de la spécificité de ces nouvelles catégories de bénéficiaires. La question des prestations en nature (aide à la recherche d’emploi, etc.) devra également être traitée. Il reviendrait donc aux partenaires sociaux du régime UNEDIC ou aux professionnels gérant les régimes ouverts aux dirigeants d’entreprise de définir : - les critères ou le seuil caractérisant la dépendance économique d’un professionnel vis-àvis d’un autre ; les modalités d’application du régime préexistant à ces non-salariés (montant de la contribution au régime, nature et importance des prestations auxquelles ils pourraient prétendre). 2) L’amélioration de l’accès à la formation professionnelle continue Les entreprises qui font appel aux professionnels non salariés recherchent avant tout les compétences qui leur font défaut. L’une des caractéristiques de ces derniers (qu’ils soient « économiquement dépendants » ou non) réside précisément dans le fait qu’ils détiennent souvent une expertise poussée et présentent des compétences qui doivent être constamment entretenues et développées, notamment pour tenir compte de l’évolution des techniques. S’il est vrai que, depuis 199163, l’ensemble des travailleurs non salariés doit obligatoirement participer financièrement au développement de leur propre formation, il n’en demeure pas moins que les intéressés se forment peu64. Deux facteurs au moins en sont la cause, liés principalement au poids financier occasionné. D’une part, le coût de la formation65, proprement dit, qui peut être pris en charge par les organismes de formation des non-salariés, ne l’est que pour certains types de formation, variables selon les professions. On peut relever à cet égard que, si l’ensemble de celles-ci peut bénéficier d’actions de formation liées à la création d’entreprise (commerciale ou 62 Comme le prévoit la directive UNEDIC n°11-02 du 15 février 2002 relative à la création d’entreprise et au maintien sur la liste des demandeurs d’emploi. 63 Loi du 31 décembre 1991 adoptée suite à l’accord national interprofessionnel du 3 juillet 1991. 64 Les taux d’accès à la formation professionnelle continue diffèrent nettement selon les catégories socioprofessionnelles visées : ainsi, par exemple, concernant les artisans et commerçants, ce taux s’élève respectivement à 13 et 9% dans le cadre de stages, contre 43% pour les cadres d'entreprises ou 31% pour les techniciens (Source : enquête « Formation continue 2000 », CEREQ) – Voir annexe II. 65 Ainsi, par exemple, la participation aux frais de formation des travailleurs non salariés par rapport à celle des salariés des secteurs public ou privé est de 60,6% contre respectivement 18,2% et 13% en 1999 (Source CEREQ, précitée). 26 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS artisanale) ou à la préparation de la carrière (libérale), seuls certains professionnels libéraux (avocats, notaires, médecins, architectes, experts-comptables) et les artisans ont accès à des formations liées à leur domaine d’expertise (entretien, promotion et développement des connaissances et des compétences techniques). Une partie des membres de professions libérales non réglementées (consultants, etc.) en est exclue, de même que les commerçants et prestataires de services ne bénéficient que de formations liées aux différents domaines relevant de la gestion de l’entreprise (informatique, fiscalité, ressources humaines, etc.). D’autre part, le temps passé en formation donne lieu au versement d’une indemnisation forfaitaire, relativement peu élevée, contrairement aux salariés qui bénéficient, selon certaines conditions, du maintien total de leur rémunération66. Qui plus est, le montant de la rémunération, qui leur est versée en tant que stagiaires de la formation professionnelle continue, n’a pas évolué depuis 198867. Les non-salariés en formation connaissent de ce fait une baisse de revenus d’autant plus dissuasive que la formation envisagée est longue. C’est pourquoi il semblerait souhaitable d’améliorer le dispositif existant, notamment en élargissant au profit de certaines catégories de non-salariés les types d’actions de formation éligibles, et en revalorisant, même en en gardant le principe forfaitaire (le cas échéant sous condition de ressources), le revenu de remplacement versé à ceux qui suivent une formation répondant à certaines conditions (de durée, de nature, etc.). Une telle amélioration rejoindrait la position défendue par Alain Supiot dans son rapport pour la Commission européenne68 sous le concept de « droits de tirage sociaux » permettant l’acquisition d’un « crédit-formation ». Elle se situerait également dans la lignée des propositions tendant à la reconnaissance d’un droit à la formation pour tous, tout au long de la vie, émanant tant des instances communautaires69 que nationales, qu’il s’agisse d’organismes de recherche70 ou de grandes formations politiques. Cette orientation devra bien évidemment s’accompagner d’une réflexion sur le financement des modifications préconisées. Il revient à cet égard aux professionnels au sein de leurs instances représentatives (selon le cas : ordre professionnel, organisations professionnelles, organismes gestionnaires) de se prononcer sur la pertinence d’une contribution financière accrue des non-salariés et sur les rôles respectifs de l’État et des régions. *** 66 Qu’il s’agisse d’une formation suivie dans le cadre du plan de formation de l’entreprise ou d’un congé individuel, lorsque le salaire est pris en charge en tout ou partie par l’organisme paritaire. 67 L’article 11 du décret n°88-368 du 15 avril 1988 fixe ce montant à 644,17 €. 68 A. Supiot, « Au-delà de l’emploi », transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, édition Flammarion, 1999. 69 Il s’agit, en effet, de l’un des objectifs clés de la Stratégie de Lisbonne, qui tend à ce que le concept « d’apprentissage tout au long de la vie » soit un élément des politiques « de manière telle que le marché de l’emploi soit en mesure de s’adapter régulièrement aux circonstances », Anna Diamantopoulou, Commissaire européenne aux Affaires sociales, Europolitique, 9 mars 2002, n°2666. 70 Voir « Panorama économique et social de la France (1985-2000) », Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC). 27 CHAMBRE DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE DE PARIS