L’Encéphale (2011) 37, 379—387 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP THÉRAPEUTIQUE Interventions basées sur la pleine conscience en addictologie Mindfulness based interventions for addictive disorders: A review S. Skanavi a,∗, X. Laqueille b, H.-J. Aubin c a CHS de Navarre, 62, rue des Conches, 27022 Evreux, France Service d’addictologie, centre hospitalier Sainte-Anne, université René-Descartes Paris V, 1, rue Cabanis, 75674 Paris cedex 14, France c Inserm U669, hôpital Paul-Brousse, AP—HP, université Paris-Sud, 12-14, avenue Paul-Vaillant-Couturier, BP 200, 94804 Villejuif, France b Reçu le 6 mars 2009 ; accepté le 3 juin 2010 Disponible sur Internet le 8 February 2011 MOTS CLÉS Pleine conscience ; Addiction ; Tabac ; Alcool ; Thérapie cognitive et comportementale ∗ Résumé Cultiver la pleine conscience consiste à porter intentionnellement son attention à l’expérience présente des phénomènes externes (stimuli interoceptifs et sensoriels) et internes (cognitions et émotions) avec une attitude d’acceptation. Plusieurs programmes thérapeutiques fondés sur la pleine conscience ont été utilisés dans les troubles addictifs. La revue de la littérature nous a permis de trouver six articles originaux portant sur des essais cliniques qui étudient les effets de quatre programmes thérapeutiques différents. Cinq essais sur six étaient contrôlés et quatre randomisés. Le pourcentage de perdus de vue en cours d’étude était assez élevé (entre 28 et 55 %). Cinq interventions sur six se sont révélées significativement efficaces dans la réduction des consommations de produits. Parmi les cinq essais contrôlés, quatre ont montré que le programme évalué était plus efficace que le traitement de référence. Dans les études où le suivi des patients était suffisamment prolongé, l’efficacité des thérapies utilisant la pleine conscience et la supériorité de celle-ci sur les traitements témoins devenaient plus nettes et se maintenaient au fil du temps. Les interventions étudiées ont également permis de réduire la symptomatologie psychiatrique et le sentiment de stress perçu. Nous discutons des bénéfices potentiels de la pleine conscience pour les patients souffrant de troubles addictifs, ainsi que des indications, modalités et limites de son utilisation pratique. © L’Encéphale, Paris, 2010. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Skanavi). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.08.010 380 KEYWORDS Mindfulness; Addiction; Alcohol; Smoking; Cognitive behaviour therapy S. Skanavi et al. Summary Introduction. — In substance use disorders, the lack of empirically supported treatments and the minimal utilization of available programs indicate that innovative approaches are needed. Mindfulness based therapies have been used in addictive disorders for the last 10 years. Mindfulness can be defined as the ability to focus open, non-judgmental attention to the full experience of internal and external phenomena, moment by moment. Several therapies based on mindfulness have been developed. The aim of this study is to review the existing data on the use of these programs in addictive disorders. Methods. — We have reviewed the literature published from January 1980 to January 2009, using the following keywords: mindfulness, mindfulness based stress reduction program, dialectical behavior therapy, acceptance and commitment therapy, mindfulness based cognitive therapy, addiction, substance use, alcohol and smoking. Results. — Results of six clinical trials evaluating four different programs were found. Five studies were controlled and four were randomized. Drop-out rates were relatively high (from 28 to 55%). In five cases out of six, the program significantly reduced substance use. In four comparative trials out of five, interventions based on mindfulness proved more effective than control conditions. The effectiveness of interventions based on mindfulness and the differential improvement across conditions became greater and was maintained during follow-up when it was long enough. Participants in mindfulness programs were less likely to endorse the importance of reducing emotions associated with smoking and reported significant decreases in avoidance of thoughts which partially mediated alcohol use reduction. Psychiatric symptoms and the level of perceived stress were also significantly reduced. Discussion. — Mindfulness may help substance abusers to accept unusual physical sensations that might be confused with withdrawal symptoms, decentre from a strong urge and not act impulsively. It may reduce an individual’s susceptibility to act in response to a drug cue. Practice of mindfulness may develop the ability to maintain perspective in response to strong emotional states and mood fluctuations and increase the saliency of natural reinforcers. Mindfulness based programs require an intensive participation, and should therefore be proposed to highly motivated patients. In smoking cessation, they should be used in patients who were unable to quit with less intensive interventions. Some programs are specifically designed for patients with co-occurring psychiatric disorders. Conclusion. — The first clinical studies testing mindfulness based interventions in substance use disorders have shown promising results. They must be confirmed by larger controlled randomized clinical trials. By developing a better acceptance of unusual physical sensations, thoughts about drugs and distressing emotions, mindfulness may help in reducing the risk of relapse. © L’Encéphale, Paris, 2010. Introduction L’abus et la dépendance au tabac, à l’alcool et à d’autres produits psychotropes entraînent des préjudices individuels et sociaux qui en font des problèmes de santé publique majeurs [36]. Le faible recours aux programmes de soins et l’efficacité insuffisante des thérapies existantes, notamment en raison de la fréquence des rechutes, rendent nécessaire la mise au point d’approches thérapeutiques innovantes [22]. Dans les pays anglo-saxons, les psychothérapies basées sur la pleine conscience sont employées dans le domaine des conduites addictives depuis une dizaine d’années et commencent à susciter un certain intérêt en Europe. Ce travail constitue une revue de la littérature sur le sujet. Contexte Définition de la pleine conscience La pleine conscience peut être définie comme un état de conscience qui résulte d’une attention intentionnelle et dénuée de jugement de valeur à l’expérience du moment présent [13]. Elle consiste à s’ouvrir à la totalité de son expérience des phénomènes externes (stimuli intéroceptifs et sensoriels) et internes (cognitions et émotions), sans résistance, rejet ou élaboration excessive. La pleine conscience comprend donc deux composantes. La première concerne l’attention portée au moment présent. La seconde est celle d’acceptation, d’équanimité et de curiosité envers son expérience qu’elle soit positive ou négative [12]. L’attention portée au présent soustrait le sujet aux regrets sur le passé et à l’inquiétude sur l’avenir. Observer avec une attitude de curiosité son expérience amène à deux réalisations. La première est qu’un état intérieur pénible peut, malgré tout, être toléré. La seconde est que nos expériences sont changeantes ce qui implique, d’une part, qu’une expérience pénible est toujours transitoire et, d’autre part, que nos pensées et émotions ne nous donnent pas nécessairement un reflet fidèle de la réalité. Les mécanismes supposés par lesquels la pleine conscience conduit à une réduction du sentiment de stress (perceived stress) et des symptômes psychiatriques sont une meilleure gestion de ses pensées et émotions (self-regulation), la clarification de ses objectifs (values clarification), une plus Interventions basées sur la pleine conscience grande flexibilité cognitive et émotionnelle et l’exposition aux expériences internes déplaisantes [31]. La pleine conscience est un concept issu de la philosophie bouddhiste, mais dépourvu de toute référence religieuse ou transcendantale. À la fin des années 1970, il a été supposé qu’elle peut être bénéfique dans une variété de situations cliniques dans lesquelles les patients doivent gérer des émotions difficiles, notamment les troubles anxieux et les troubles dépressifs. C’est ainsi qu’elle a été intégrée dans les thérapies cognitivocomportementales (TCC) de troisième vague telles que le programme de réduction de stress basé sur la pleine conscience (MBSR), la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT), la thérapie comportementale dialectique (DBT) et la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT). Dans ces formes de thérapie, l’objectif d’acceptation contrebalance celui de changement des cognitions et des comportements propre aux TCC classiques [9]. La restructuration cognitive n’y est pas recherchée d’emblée : l’accent est mis sur le rapport à ses pensées et émotions plus que sur le contenu de celles-ci. Ces thérapies ne cherchent pas à remettre en question les cognitions anxiogènes ou dépressogènes, mais amènent à les voir comme des événements mentaux qui sont transitoires. En voici une brève description. Programme de réduction de stress basé sur la pleine conscience (mindfulness based stress reduction program) Le programme MBSR, développé en 1985 par Kabat-Zinn [13], est un programme structuré de huit séances hebdomadaires destiné à des groupes de 20 à 30 personnes. Les séances durent entre deux heures et 2 heures 30 à l’exception de la sixième séance qui consiste en une journée entière d’exercices. Les séances sont composées d’exercices pratiques alternés de commentaires et de réponses aux questions des participants. Le premier exercice enseigné est le balayage corporel : pratiqué couché, il consiste à prendre conscience des points de contact avec le sol, de la respiration, puis à diriger son attention sur différentes parties du corps pour ressentir les sensations corporelles qui s’y manifesteraient. Si l’attention est distraite par une pensée, l’élément distracteur est accueilli avec acceptation et patience : les participants sont invités à en prendre note, puis à ramener leur attention sur le point de focalisation. Une attitude de curiosité bienveillante à l’égard de toute expérience est encouragée. Les exercices corporels suivants consistent à effectuer des étirements et à marcher en pleine conscience. La méditation est abordée progressivement, d’abord par le biais d’une observation de ses sensations corporelles et de la respiration, puis de ses pensées et émotions. Vers la fin du programme, des situations personnelles difficiles (par exemple un conflit interpersonnel) sont évoquées en méditation en observant ses réactions mentales et corporelles. Entre les séances, il est demandé aux participants de pratiquer pendant au moins 45 minutes six jours sur sept les exercices formels enseignés en séances, ainsi que des exercices informels qui consistent à accomplir en pleine conscience des activités de tous les jours (laver la vaisselle, sortir la poubelle. . .). 381 Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (mindfulness based cognitive therapy) Le programme MBCT a été développé par Segal et al. en 2002 en reprenant et en adaptant les éléments du MBSR à la prévention des rechutes dépressives [30]. Il repose sur l’hypothèse que les personnes qui ont eu des épisodes dépressifs ont tendance à réactiver automatiquement des pensées négatives lors d’un état de tristesse passager. Apprendre à considérer les pensées comme des événements impermanents (les pensées ne sont que des pensées et non des faits) et se focaliser sur son expérience présente permettent de sortir de la spirale négative qui de la tristesse peut conduire à la dépression. La MBCT s’adresse à des groupes de 12 personnes au maximum et comporte huit séances hebdomadaires de deux heures. Thérapie comportementale dialectique adaptée aux troubles liés aux substances (dialectical behavioral therapy for substance use disorders) La DBT est une forme de traitement développée par Linehan au début des années 1990 pour traiter des patientes ayant une personnalité borderline [15]. Le caractère dialectique de la thérapie se traduit dans la combinaison d’objectifs de changement avec des stratégies d’acceptation. Elle a été ultérieurement adaptée pour les patientes qui présentent un trouble lié aux substances co-occurent (dialectical behavioral therapy for substance use disorders, ou DBT-SUD). Ce programme intensif très complet comprend 2 heures 30 de thérapie de groupe par semaine où sont abordées la pleine conscience, l’efficacité dans les rapports interpersonnels, la régulation des émotions et la tolérance à la détresse. Elle est complétée par des séances de psychothérapie individuelle à raison d’environ une heure par semaine, par un traitement pharmacologique s’il est nécessaire, par des consultations téléphoniques et un coaching pour la gestion des problèmes quotidiens. Le programme inclut également des réunions de ressourcement pour les thérapeutes [28]. Thérapie d’engagement et d’acceptation (acceptance and commitment therapy) L’ACT a été mise au point par Hayes et al. en 1999 pour traiter les troubles anxieux, les troubles dépressifs et les conduites addictives [10]. Son utilisation dans cette dernière indication repose sur l’hypothèse que l’abus de substances psychotropes a une fonction d’évitement des affects négatifs, des cravings et des symptômes de sevrage. Le changement de comportement passerait par la capacité à accepter ces états internes négatifs. La thérapie fait appel à la pleine conscience pour apprendre aux patients à observer et à accepter leurs sensations et émotions, notamment celles qui peuvent conduire à consommer des produits. Ils apprennent à prendre du recul par rapport à leurs pensées (notamment les pensées sur les effets positifs d’une consommation) en se souvenant qu’elles ne sont pas un reflet fidèle de la réalité. La thérapie amène également les patients à clarifier leurs valeurs personnelles (par exemple leur objectif de rester abstinent) et à s’engager dans des 382 comportements conformes à celles-ci. Le programme thérapeutique se déroule sur sept à 16 semaines (selon les protocoles) avec des séances hebdomadaires individuelles d’environ 60 minutes et de groupe de 90 minutes. S. Skanavi et al. based cognitive therapy, addiction, substance use, alcohol et smoking dans le titre et/ou l’abstract. L’ensemble des articles originaux portant sur les essais cliniques de programmes basés sur la pleine conscience dans les troubles addictifs ont été retenus (six publications). Méditation Vipassana Résultats Le programme de méditation Vipassana consiste en un enseignement délivré en milieu résidentiel pendant dix jours consécutifs. Les participants visionnent des enregistrements video de cours de Goenka sur les concepts bouddhistes de la souffrance, de l’attachement et de l’addiction, et pratiquent la méditation huit à dix heures par jour [8]. La pleine conscience est enseignée à travers une observation de soi objective, détachée et dénuée de réactivité, qui permet d’accepter ses pensées et sensations comme des événements indépendants et impermanents, et non comme des reflets directs du soi. Les expériences (par exemple le craving) sont appréhendées comme des événements qui n’appellent pas nécessairement une action ; le méditant peut ainsi « lâcher prise » sur ses manières compulsives ou impulsives de penser et de se comporter [1]. Programme de prévention des rechutes basé sur la pleine conscience Le programme de prévention des rechutes basé sur la pleine conscience (MBRP) mis au point par Marlatt et al. en 2002 combine la pleine conscience avec les techniques cognitivocomportementales classiques [37]. Il se donne pour objectif de développer la conscience et l’acceptation des pensées, sentiments et sensations, pour s’en servir comme stratégie d’ajustement (coping) efficace dans les situations à risque de consommer. Le programme comprend l’enseignement des techniques de la pleine conscience (par exemple la méditation Vipassana), mais aussi la gestion de situations stressantes ou à risque de consommer, le développement du sentiment d’efficacité personnelle, la remise en question des attentes positives d’une consommation et une information sur l’effet de violation de l’abstinence. Protocole de l’hôpital du Mont Sinaï destiné aux patients présentant un comportement addictif et un trouble psychiatrique co-occurent Hoppes a mis au point en 2004 un protocole inspiré de la MBCT, destiné aux personnes dont le trouble addictif est associé à un trouble de l’humeur, un trouble anxieux et/ou à un trouble de la personnalité [12]. Ce programme intègre les techniques cognitivocomportementales traditionnelles et la pleine conscience pour aider les patients à mieux réguler leurs affects négatifs et leurs variations thymiques. Méthode Une recherche bibliographique a été réalisée à partir des articles de la base Medline publiés entre janvier 1980 et janvier 2009 en croisant les mots clés mindfulness, mindfulness based stress reduction program, dialectical behavior therapy, acceptance and commitment therapy, mindfulness Les résultats des six essais cliniques de programmes basés sur la pleine conscience dans les troubles addictifs sont résumés dans le Tableau 1 . Les effets de quatre programmes thérapeutiques différents ont été étudiés (DBT-SUD, ACT, Vipassana et MBSR) dont trois ont été menés en ambulatoire (DBT-SUD, ACT et MBSR) et un en milieu résidentiel (Vipassana). Les situations cliniques étudiées ont été diverses : femmes ayant une personnalité borderline et un trouble lié aux substances [17] ou une dépendance aux opiacés [16], polytoxicamanes ayant récemment eu une rechute sous méthadone [11], consommateurs de tabac [4,7] et détenus consommateurs de drogues [1]. Cinq interventions sur six se sont révélées significativement efficaces dans la réduction de l’usage des produits [1,4,11,16,17]. Parmi les cinq essais contrôlés, quatre ont montré que le programme évalué a été plus efficace que le traitement de référence [1,11,16,17]. Dans les études où le suivi des patients était suffisamment prolongé, l’efficacité des thérapies utilisant la pleine conscience et la supériorité de celle-ci sur les traitements témoins devenaient plus nettes et se maintenaient au fil du temps. Les interventions étudiées ont également permis de réduire la symptomatologie psychiatrique (DBT-SUD et Vipassana) [1,16,17] ou de réduire le sentiment de stress perçu (MBSR) [4]. Alors qu’une réponse inflexible et évitante face aux affects négatifs était prédictive d’un échec de l’arrêt du tabac, les fumeurs ayant participé au programme ACT accordaient moins d’importance au fait de réduire ou de supprimer les émotions qui déclenchent la consommation [7]. De même, les participants au programme Vipassana rapportaient une diminution de l’évitement de leurs pensées qui pouvait partiellement expliquer la réduction de leur consommation d’alcool [2]. Les auteurs indiquent que les mécanismes du changement que permet d’opérer la pleine conscience doivent faire l’objet d’investigations complémentaires. Cependant, ils émettent d’ores et déjà les hypothèses suivantes sur ses bénéfices potentiels. Gestion des sensations physiques inhabituelles pouvant être confondues avec un état de manque Après l’arrêt de l’usage d’un produit psychoactif, la rechute peut survenir à l’occasion d’un symptôme de manque ou d’une sensation physique inhabituelle pouvant être interprétée comme tel et entraîner une réaction anxieuse [24]. Les programmes qui emploient la pleine conscience consacrent plusieurs séances à l’observation de ses sensations corporelles et à l’écoute de son corps. C’est l’occasion pour l’usager de drogues, qui en est souvent déconnecté, d’apprendre à reconnaître les sensations sensorielles, proprioceptives et intéroceptives, notamment celles qui peuvent être entraînées par une émotion. De cette Résumé des résultats des essais cliniques évaluant les thérapies basées sur la pleine conscience dans les troubles addictifs. Référence Situation clinique Nombre de patients Traitement testé Traitement témoin Résultatsa Linehan et al. (1999) [17] Femmes ayant une personnalité borderline et un trouble lié aux substances 28 en intention de traiter DBT-SUD Traitement de référence (prise en charge habituelle en addictologie et en psychiatrie : programme communautaire, psychothérapie individuelle, suivi social) Plus grand pourcentage de jours sans consommation de drogues et d’alcool dans le groupe DBT après la thérapie et à 4 mois Nombre plus grand de dosages urinaires négatifs dans le groupe DBT après la thérapie et au cours du suivi Plus grande amélioration dans l’adaptation globale et sociale dans le groupe DBT au cours du suivi Diminution des dosages urinaires positifs dans les 2 groupes ; diminution plus importante à 8—12 mois dans le groupe DBT Moins de dosages urinaires positifs à 12 mois dans le groupe DBT Pourcentage de dosages urinaires positifs à 4 mois de suivi comparable dans les 2 groupes (27 % vs 33 %) Amélioration de la psychopathologie après la thérapie et au cours du suivi dans les 2 groupes Durée : 1 an Linehan et al. (2002) [16] Hayes et al. (2004) [11] Femmes ayant une personnalité borderline et une dépendance aux opiacés Polytoxicomanie avec une rechute récente sous méthadone 28 en intention de traiter DBTSUD + substitution opiacée (TSO) Thérapie de validation globale + 12 étapes + TSO 19 à 16 mois Durée : 1 an Durée : 1 an 124 en intention de traiter ACT + méthadone 78 après traitement Durée : 16 semaines Facilitation à la participation au programme de 12 étapes (ITSF) + méthadone. Durée : 16 semaines Méthadone seule. Durée : 16 semaines Interventions basées sur la pleine conscience Tableau 1 Plus de dosages urinaires négatifs aux opiacés dans le groupe ACT + méthadone (61 %) vs méthadone seule (28 %) à 6 mois Plus de dosages urinaires négatifs pour l’ensemble des drogues dans le programme ACT + méthadone (50 %) vs méthadone seule (12 %) au cours du suivi 69 à 6 mois 383 384 Tableau 1 (Suite ) Référence Situation clinique Nombre de patients Traitement testé Traitement témoin Résultatsa Gifford et al. (2004) [7] Dépendance à la nicotine depuis au moins 12 mois 76 en intention de traiter ACT Traitement de substitution nicotinique (TSN) 62 après traitement Durée : 7 semaines Tendance à des taux d’arrêt plus élevés dans le programme ACT (35 %) vs TSN (15 %) à 12 mois (mais différence non significative) Taux d’arrêt relativement bas dans le programme ACT Traitements de référence (traitements médicamenteux et information sur les produits psychotropes) Plus grande diminution de la consommation d’alcool, de crack et de cannabis à 3 mois dans le groupe Vipassana 55 à 12 mois Bowen et al. (2006) [1] Population de détenus 305 en intention de traiter Vipassana 173 après traitement Durée : 10 jours Plus grande amélioration des symptômes psychiatriques à 3 mois dans le groupe Vipassana 87 à 3 mois Davis et al. (2007) [4] a Fumeurs de plus de 10 cig/j 18 en intention de traiter MBSR sans traitement pharmacologique Durée : 8 semaines Aucun (étude pilote) Taux d’abstinence de 56 % à 6 semaines Le taux d’abstinence est plus élevé chez les sujets qui ont consacré plus de temps à la méditation Les sujets qui ont consacré plus de temps à la méditation rapportent moins de stress perçu Résultats statistiquement significatifs sauf précision contraire. S. Skanavi et al. Interventions basées sur la pleine conscience façon, il peut non seulement faire la différence entre les symptômes de manque et les sensations corporelles physiologiques, mais aussi développer une certaine tolérance vis-à-vis de sensations nouvelles. Alors qu’auparavant, toute sensation inhabituelle était alarmante car elle était considérée comme le signal annonciateur d’un état de manque, l’observation et la connaissance de ses sensations physiologiques procurent au sujet une certaine sérénité : ces sensations sont des expériences transitoires normales et ne sont pas inquiétantes. Il est possible d’attendre qu’elles passent en les observant de manière non réactive. Faire la différence entre des sensations corporelles physiologiques et celles qui sont symptomatiques d’un manque permet non seulement d’éviter une consommation de produits, mais aussi de limiter la consommation de traitements de substitution et d’anxiolytiques. Gestion des cravings et des pensées sur le produit ou sur le comportement addictif Le projet d’abstinence d’un usager de produits psychoactifs peut être compromis par des envies impérieuses de consommer (cravings) et des pensées sur les produits accompagnées d’attentes positives. Mais la fréquence de ces pensées pourrait avoir moins d’importance en termes de risque de rechute que la manière de les gérer [2]. Ainsi, chercher à supprimer les pensées sur le tabac diminue les chances de réussir à arrêter de fumer [29], [33]. De même, lorsque des consommateurs massifs d’alcool en situations sociales essaient de supprimer leurs pensées sur l’alcool, leurs attentes positives vis-à-vis du produit sont plus fortes [25]. La pleine conscience amène au contraire à accepter ses pensées sans réagir : elles sont perçues comme des événements mentaux transitoires que l’on peut contempler apparaître et disparaître. On peut les voir comme des voitures passant sur une autoroute et qu’il suffit de regarder de loin, sans les suivre des yeux plus que nécessaire, ou de trains qu’on regarderait partir d’un quai sans être obligé de monter à l’intérieur pour ne pas être emmené vers une destination non souhaitée. Le craving peut, quant à lui, être comparé à une vague qu’on se contenterait de laisser passer sans être entraîné par le torrent. La pensée « je dois suivre cette envie » laisse la place à la pensée alternative « cette envie va passer ». La posture de la pleine conscience amène donc à se décentrer de la pulsion et à développer des facultés inhibitrices vis-à-vis du comportement addictif. Gestion des variations thymiques et des affects négatifs L’utilisation continue de substances entraîne des phénomènes de sensibilisation, d’adaptation et des changements structurels du circuit de la récompense. Ils conduisent à une déplétion en dopamine qui peut persister longtemps après l’arrêt des produits et avoir de graves conséquences sur la régulation de l’humeur et des affects. L’utilisation prolongée de substances conduit également à des adaptations d’autres systèmes de neurotransmission en particulier glutamatergique, GABAergique, sérotoninergique, neuropeptidiques et ceux des opioïdes endogènes 385 (endorphinergiques et enkephalinergiques) [35]. Ces phénomènes peuvent expliquer que chez les usagers de substances psychotropes, les émotions négatives et les états dysphoriques soient plus fréquents durant la période de consommation active et dans celle qui suit l’arrêt. Or les états émotionnels négatifs seraient à l’origine de 30 % des rechutes après l’arrêt de l’usage d’un produit psychoactif [21]. La pleine conscience est un outil de régulation émotionnelle. Elle consiste à prendre acte de l’émotion ou de l’état thymique négatifs, de les accueillir avec une attitude d’ouverture, sans résistance ni évitement. Elle invite à observer ses expériences intérieures sans réaction aversive et sans s’engager dans des ruminations sur le passé ou des anticipations anxieuses de l’avenir qui pourraient aggraver l’affect négatif déclencheur. On est plutôt amené à s’ancrer dans le présent en portant son attention sur ses sensations corporelles et notamment sur la respiration. Les pensées (par exemple le regrets ou la honte de ses erreurs), émotions et états thymiques peuvent être comparés à des nuages dans le ciel : ce sont des phénomènes passagers et naturels. Il est possible de les observer venir et s’éloigner. Cette attitude permet d’éviter d’ajouter une peine supplémentaire à un état de tristesse passager. Les émotions intenses sont appréhendées comme des vagues qui peuvent être traversées sans se noyer : il est possible d’y survivre sans avoir recours à la consommation de produits. Appréciation des renforçateurs naturels L’utilisation prolongée de substances addictives réduit le nombre de récepteurs dopaminergiques D2 fonctionnels, ce qui diminue la sensibilité des sujets aux stimuli naturels [34]. L’exposition répétée aux produits psychoactifs augmente par conséquent le seuil de l’intensité minimale des stimuli nécessaire pour activer les voies dopaminergiques impliquées dans l’expérience du plaisir et la motivation. L’effet des récompenses naturelles s’en trouve diminué car la stimulation des circuits de récompense par les drogues est telle qu’il paraît fade en comparaison. Ainsi, après l’arrêt, les sujets addicts ont moins d’attentes positives vis-à-vis des expériences hédoniques naturelles. Les programmes qui emploient la pleine conscience visent à développer la capacité des sujets à être plus attentifs à des expériences plus nuancées, plus subtiles que celles procurées par les comportements addictifs. Ils canalisent leur attention sur les phénomènes sensoriels, les émotions positives induites par les activités quotidiennes, les invitent à être davantage présents ici et maintenant, en contact direct avec leurs expériences pour apprécier les renforçateurs naturels. Effet favorable sur les troubles psychiatriques co-occurents Dans les essais cliniques qui l’ont exploré, les symptômes psychiatriques des patients ayant des comportements addictifs ont été améliorés par les programmes basés sur la pleine conscience [1,16,17]. Les fumeurs ayant bénéficié du programme MBSR ont rapporté une réduction du stress perçu [4]. Ce constat confirme les données de la littéra- 386 ture sur l’efficacité de ces thérapies dans divers troubles mentaux. Chez les patients ayant fait au moins trois épisodes dépressifs majeurs, la MBCT a en effet permis de réduire très significativement le taux de rechute dépressive par rapport au traitement de référence [19,30]. Une forme modifiée de la DBT en adjonction à la chimiothérapie s’est révélée plus efficace dans le trouble dépressif majeur des personnes âgées que la pharmacothérapie seule [18]. Différentes formes de thérapies utilisant la pleine conscience se sont montrées bénéfiques pour les patients atteints de trouble anxieux généralisé [5,14,23,27] et de phobie sociale [3]. Enfin, les thérapies fondées sur l’acceptation semblent être un complément utile chez les personnes atteintes de troubles psychotiques. Ainsi, l’ACT a permis de réduire le taux de rehospitalisations, de diminuer la détresse liée aux hallucinations et d’améliorer le fonctionnement social de ces patients [6]. Discussion Dans l’abondante littérature consacrée à l’utilisation médicale de la pleine conscience, seuls six essais cliniques évaluant cette technique dans les troubles addictifs ont été publiés. Ce faible nombre et la taille restreinte des échantillons étudiés tiennent au fait que la pleine conscience a été d’abord utilisée pour d’autres troubles mentaux et que son emploi pour traiter les conduites addictives est récent. La faible rétention dans les programmes évalués peut être due au caractère intensif et exigeant des thérapies utilisant la pleine conscience, ainsi qu’à la motivation fluctuante et la faible compliance au traitement des usagers de substances psychoactives. L’efficacité des thérapies employant la pleine conscience en intention de traiter a pu être établie dans cinq études sur six. De plus, dans quatre études contrôlées sur cinq, ces interventions ont été plus efficaces que les traitements témoins. Le constat que l’efficacité des interventions utilisant la pleine conscience devient plus net au fil du temps et persiste au cours du suivi est compatible avec l’hypothèse que les effets des programmes cognitivocomportementaux, dont l’objectif est d’enseigner aux participants des compétences nouvelles, sont durables. Ces résultats prometteurs doivent toutefois être tempérés par les biais méthodologiques des études publiées. Parmi les six essais cliniques, cinq seulement ont comparé le traitement évalué à un traitement témoin [1,7,11,16,17] et quatre seulement ont été randomisés [4,7,16,17]. Les échantillons de patients étudiés étaient de relativement faible taille dans quatre études (n = 18 à 76 en intention de traiter) [4,7,16,17]. Le pourcentage de perdus de vue en cours d’étude était assez élevé (entre 28 et 55 %). Dans quatre essais contrôlés sur cinq, les programmes thérapeutiques basés sur la pleine conscience évaluée étaient plus intensifs que les traitements témoins [1,7,11,17]. Enfin, on peut regretter qu’un traitement pharmacologique n’ait pas été associé à l’intervention basée sur la pleine conscience dans l’aide à l’arrêt du tabac [4,7]. L’analyse des données publiées permet d’esquisser les premières orientations sur les indications, les modalités et les limites de l’utilisation pratique des interventions basées sur la pleine conscience en addictologie. S. Skanavi et al. Les thérapies basées sur la pleine conscience ne sont pas stigmatisantes. L’abstinence des consommations ne constitue pour elles ni un préalable ni l’objectif exclusif. Elles pourraient donc intéresser de nombreux patients. Il n’existe pas dans la littérature de données sur les effets indésirables de cette approche thérapeutique. Cependant, Philippot déconseille leur utilisation chez les patients ayant une tendance à la dissociation ou des phobies de type intéroceptif (attaques de panique et hypocondrie notamment) [26]. Il faut souligner que dans la mesure où les programmes basés sur la pleine conscience demandent aux participants de consacrer au minimum 45 minutes aux tâches assignées six jours par semaine, ils ne peuvent s’adresser qu’à des personnes fortement motivées. Dans l’aide à l’arrêt du tabac, le MBSR pourrait être proposé aux fumeurs qui n’ont pas pu arrêter leur consommation à l’aide des traitements habituels. Certains programmes basés sur la pleine conscience s’adressent spécifiquement à des usagers de produits psychoactifs qui présentent des troubles psychiatriques co-occurents. C’est le cas du programme DBT-SUD qui a été conçu pour des femmes ayant un comportement addictif associé à une personnalité borderline et du protocole inspiré de la MBCT mis au point à l’hôpital du Mont Sinaï qui s’adresse aux personnes qui en plus d’un comportement addictif présentent un trouble dépressif, anxieux et/ou de la personnalité. Les modalités des traitements basés sur la pleine conscience varient selon les programmes, mais elles comportent toutes des sessions de groupe. Ils peuvent être réalisés en ambulatoire, mais la rétention dans le programme ainsi que la pratique des exercices et des tâches assignées sont facilitées par un contexte résidentiel. Ces thérapies seraient donc au mieux employées au cours d’une hospitalisation pour sevrage thérapeutique, en soins de suite et de réadaptation, durant un séjour de post-cure ou dans le cadre d’un suivi en hôpital de jour. Les limitations à l’utilisation de ces programmes intensifs tiennent au caractère fluctuant de la motivation des usagers de produits psychoactifs à s’engager dans une démarche de soins exigeante. Le très faible nombre de thérapeutes formés à la pleine conscience en France est également un obstacle à son utilisation. Enfin, l’organisation de sessions de groupe employant des techniques psychocorporelles est empêchée par le manque de salles suffisamment spacieuses et possédant des matelas au sol dans ou à proximité des lieux de soins. Conclusion Les premiers essais cliniques publiés qui évaluent les thérapies basées sur la pleine conscience en addictologie montrent des résultats prometteurs qui se maintiennent dans le temps. Grâce à une meilleure acceptation des pensées et affects, la pratique de la pleine conscience augmenterait la flexibilité cognitive et comportementale, et réduirait le risque de rechutes. Ces résultats devront être confirmés par des études méthodologiquement rigoureuses portant sur des effectifs plus larges. Les thérapies basées sur la pleine conscience sont non stigmatisantes, ne font de l’abstinence ni un préalable ni leur objectif exclusif. Elles Interventions basées sur la pleine conscience pourraient donc intéresser de nombreux patients ayant des conduites addictives. Elles pourraient s’adresser aux usagers de produits psychotropes les plus motivés et aux fumeurs qui n’ont pas pu arrêter de fumer à l’aide des traitements habituels. Certains de ces programmes thérapeutiques sont destinés aux patients dont l’addiction est associée à un trouble psychiatrique co-occurent. Conflit d’intérêt Aucun conflit d’intérêt. 387 [17] [18] [19] [21] Références [22] [1] Bowen S, Witkiewitz K, Dillworth TM, et al. Mindfulness meditation and substance use in an incarcerated population. Psychol Addict Behav 2006;20(3):343—7. [2] Bowen S, Witkiewitz K, Dillworth TM, et al. 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