Revue Complications mécaniques de l`infarctus du myocarde récent

Revue
Complications mécaniques de l’infarctus
du myocarde récent
Elsa Abitbol
Laboratoire d’Échocardiographie de Stress, Clinique Ambroise-Paré, 27 bd Victor Hugo, 92200 Neuilly sur Seine.
Résumé.La rupture myocardique est une complication rare mais souvent fatale de l’infarctus du myocarde aigu récent. Les différentes formes
anatomopathologiques sont la rupture de la paroi libre du ventricule gauche, la rupture du septum interventriculaire, et la rupture des muscles
papillaires. La fréquence actuelle de ce type de complications n’est que de 1 à 2 % mais représente 15 à 20 % des causes de mortalité
hospitalière précoce de l’infarctus du myocarde. La prévalence de la rupture a diminué depuis l’avènement de la revascularisation précoce.
Cependant, elle reste une complication en général fatale chez des patients présentant un état de choc cardiogénique réfractaire. Le diagnostic
repose sur un faisceau d’arguments cliniques (contexte d’infarctus récent, retard ou échec de revascularisation, apparition d’un souffle
systolique, troubles hémodynamiques) et surtout des données de l’échocardiographie réalisée par un opérateur entraîné, au lit du malade en
urgence. Le seul traitement est la réparation chirurgicale réalisée dans les plus brefs délais.
Mots clés : infarctus du myocarde, rupture myocardique, choc cardiogénique, échocardiographie
Abstract. Mechanical complications of recent acute myocardial infarction. Myocardial rupture is an uncommon but often fatal
complication of recent acute myocardial infarction. There are three different anatomo-pathological forms: left ventricular free wall rupture,
ventricular septal rupture and papillary muscle rupture. Current the frequency of this complication is only 1 or 2 %, but represents 15 to 20 %
of acute myocardial infarction in-hospital mortality. There is a decrease of myocardial rupture rate since spreading of early coronary reperfusion.
However, for most of the patients there is still a fatal issue due to cardiogenic shock. The diagnosis is made on the association of a suitable
clinical context (acute myocardial infarction, delayed or failed coronary reperfusion, new systolic murmur, unstable hemodynamic patterns),
and mostly the results of echocardiographic examination, made by a trained operator at bedside on emergency. The only treatment is surgical
repair in the shortest timing.
Key words: acute myocardial infarction, myocardial rupture, cardiogenic shock, echocardiography
Rupture myocardique
La rupture myocardique après un
infarctus du myocarde (IDM) aigu
peut intéresser la paroi libre du ventri-
cule gauche (ou droit), le septum inter-
ventriculaire et/ou les muscles papil-
laires (figure 1). La survenue de
chacun de ces événements, a fortiori
la combinaison de plusieurs d’entre
eux, est très rare, et de pronostic très
sombre. L’incidence globale est diffi-
cile à évaluer car les séries cliniques et
anatomopathologiques sont très diffé-
rentes [1-3]. En effet, beaucoup de
patients décèdent immédiatement à la
phase préhospitalière sans aucune
confirmation de la cause du décès. La
rupture myocardique a été largement
documentée avant l’ère de la revascu-
larisation myocardique précoce par
des études anatomiques et surtout
échographiques [4, 5]. Mais il existe
peu d’études depuis l’avènement de la
thrombolyse préhospitalière et l’an-
gioplastie primaire.
En effet, on peut émettre l’hypo-
thèse que la diminution de l’extension
de la nécrose (topographie et transmu-
ralité) par la revascularisation pré-
coce, pourrait diminuer l’incidence
de ces complications mécaniques [6].
Hon-Kan et al. [7] ont mené une étude
prospective sur 10 ans concernant
1 250 patients admis pour infarctus
du myocarde et ayant bénéficié d’une
angioplastie primaire à la phase aiguë.
La prévalence de la rupture était de
0,96 % dans cette population. Ces
chiffres étaient comparables à ceux
trouvés chez les patients reperfusés
m
t
c
Correspondance : E. Abitbol
mt cardio 2005 ; 1 : 559-69
mt cardio, vol. 1, n° 6, novembre-décembre 2005 559
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par thrombolyse précoce [8, 9], alors qu’elle était plutôt
de l’ordre de 4 % avant l’époque de la revascularisation
en phase aiguë d’infarctus [10-12].
D’après Pohjola-Sintonen et al. [3] ce type de compli-
cations survient plutôt pour les primo-infarctus sur occlu-
sion aiguë d’un vaisseau car il n’existe pas de circulation
collatérale qui pourrait limiter l’intensité de la nécrose, ni
cicatrice fibreuse préexistante.
Diagnostic
D’après Braunwald et al. [13], 13 facteurs de risque de
la rupture myocardique ischémique peuvent être identi-
fiés (tableau 1). Ils ont décrit également d’après les don-
nées de nombreuses séries cliniques les caractéristiques
des patients présentant ce type de complications
(tableau 2).
Pronostic
La rupture myocardique est à l’origine de 15 % envi-
ron des décès à la phase aiguë d’un IDM récent [14]. Elle
se manifeste en moyenne3à10jours après l’infarctus du
myocarde, en général par un choc cardiogénique
A
B
C
Figure 1.A) Rupture myocardique antérieure dans un infarctus aigu (flèche). B) Rupture du septum ventriculaire. C) Rupture nécrotique
complète d’un pilier.
(Source : Schoen FJ. The heart. In: Cotran RS, Kumar V, Collins T (eds). Pathologic basis of disease.6
th
edition. Philadelphia, WB Saunders 1999:
562).
Liste des abréviations
IDM : infarctus du myocarde
ITV : intégrale temps-vitesse
SIV : septum interventriculaire
VG : ventriculaire gauche
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réfractaire conduisant au décès rapide avant même
d’avoir pu bénéficier d’une réparation chirurgicale, dans
la majorité des cas [15, 16].
Rupture pariétale
Incidence
Le délai médian de survenue de la rupture de la paroi
libre du ventricule gauche est de 36 heures dans l’étude
TIMI9. Lopez-Sendon et al. [17] ont rapporté dans une
série de 1 453 patients admis pour IDM non revasculari-
sés à la phase aiguë, une incidence globale de la rupture
de 6,2 % dont 30 % ont une présentation clinique su-
baiguë. Elle est responsable de 20 % des décès à la phase
hospitalière.
Diagnostic
Cette étude réalisée dans les années 1980 [17], avant
l’avènement de la thrombolyse précoce, soulignait l’im-
portance des signes échocardiographiques pour le dia-
gnostic de rupture en plus des données cliniques et hémo-
dynamiques. Mais ce diagnostic échographique était
indirect par la mise en évidence ou non d’un épanche-
ment péricardique volumineux et compressif, avec une
sensibilité et spécificité de 70 % [17]. De nos jours, mal-
gré les progrès de l’imagerie ultrasonore, il reste très
difficile de visualiser la déchirure myocardique elle-
même. En effet il est rare de trouver une brillance intramu-
rale liée à l’œdème et l’hémorragie ou la progression du
flux Doppler couleur au travers de la paroi rompue.
L’échographie de contraste intracavitaire peut trouver un
passage de bulles dans le péricarde, au travers d’une zone
infarcie akinétique, parfois le siège d’une expansion pré-
coce [18, 19]. Bien sûr le diagnostic repose sur l’associa-
tion d’un contexte favorisant (tableau 1), d’un épanche-
ment péricardique circonférentiel rapidement progressif et
d’une mauvaise tolérance hémodynamique (figure 2).
Pronostic
En 2000, l’incidence de la rupture de la paroi libre
représentait 2,7 % des chocs cardiogéniques à la phase
aiguë d’un IDM [20]. La mortalité hospitalière était très
élevée mais comparable à celle des autres causes de choc
cardiogénique, soit environ 40 % [20].
Présentations cliniques
La rupture de la paroi myocardique du ventricule
gauche peut se traduire de trois façons différentes.
Tableau 1.Facteurs de risque de la rupture myocardique
1. Plus fréquent chez le sujet âgé et les femmes
2. Plus fréquent chez les sujets hypertendus
3. Intéresse plus fréquemment le ventricule gauche que le droit, quasiment jamais les oreillettes
4. Concerne surtout les parois antérieure et latérale dans les régions de la distribution terminale de l’artère interventriculaire antérieure
5. Associée en général à un infarctus transmural étendu à plus de 20 % du myocarde ventriculaire
6. Survenue entre 24 heures et 3 semaines après l’infarctus, pic de fréquence entre 1 et 4 jours
7. Précédée en général par une expansion et un amincissement de la zone infarcie
8. Elle résulte soit d’une déchirure de la paroi myocardique soit de la rupture d’un hématome intrapariétal
9. Survenue en général à la jonction entre le myocarde sain et infarci
10. Survenue moins fréquente au centre de la zone infarcie, mais ci c’est le cas plutôt la deuxième semaine après l’infarctus
11. Rare sur les myocardes très épais et les zones riches en collatérales
12. Plus fréquent dans les primo infarctus
13. Pas de corrélation entre l’intensité du traitement anticoagulant et le risque de rupture
Tableau 2.Caractéristiques des patients présentant une rupture myocardique
Paramètre Rupture du SIV Rupture de la paroi libre
du VG
Rupture du muscle papillaire
A
ˆge (moyenne, années) 63 69 65
Délai post-infarctus du myocarde (jours) 3-5 3-6 3-5
IDM antérieur 66 % 50 % 25 %
Souffle récent 90 % 25 % 50 %
Frémissement à la palpation oui non rare
Antécédent d’infarctus du myocarde 25 % 25 % 30 %
Mortalité
Traitement médical 90 % 90 % 90 %
Traitement chirurgical 50 % cas cliniques 40-90 %
IDM : infarctus du myocarde ITV : intégrale temps-vitesse SIV : septum interventriculaire VG : ventriculaire gauche.
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La rupture franche et brutale en péricarde libre (inté-
ressant plutôt la paroi antérieure ou latérale) est à l’origine
d’un hémopéricarde aigu massif avec une dissociation
électromécanique irréversible et une issue fatale en quel-
ques minutes. D’autres patients présentent un tableau
clinique moins aigu avec une hypotension sévère, une
bradycardie sinusale, voire un état de choc cardiogénique
[21, 22], dû à une hémorragie intrapéricardique plus lente
ou répétitive. Le patient survit alors quelques heures voire
jours, ce qui permet une prise en charge chirurgicale
adaptée. Enfin, la rupture peut être parfois circonscrite par
un péricarde adhérent, une cicatrice fibreuse ou la forma-
tion de thrombus, et est à l’origine d’un pseudo-anévrisme
[23]. Ce dernier type de rupture, parfois asymptomatique
et de découverte fortuite lors du suivi échographique du
patient, présente un risque d’aggravation secondaire en
rupture franche et fatale. C’est pourquoi la cure chirurgi-
cale des pseudo-anévrismes est préconisée, bien qu’il y ait
plusieurs séries rapportées de patients ayant une survie à
long terme sans traitement chirurgical [24-27]. Yeo et al.
[28] ont rapporté une mortalité globale de 31 % et de
60 % respectivement pour les patients traités chirurgica-
lement d’une part et médicalement d’autre part pour un
suivi moyen de 4 ans. À la différence des anévrismes vrais,
les pseudo-anévrismes se localisent toujours sur le seg-
ment basal de la paroi inférieure en cas de nécrose infé-
rieure et sur l’apex en cas de nécrose antérieure [29].
En effet, ce sont les parois les plus sévèrement isché-
miques en cas d’occlusion coronaire respectivement des
artères coronaire droite et interventriculaire antérieure
(vascularisation terminale). En ce qui concerne les faux
anévrismes de topographie postérieure, le diaphragme
semble jouer un rôle de contention de l’hématome. Par-
fois, ils peuvent être de taille relativement importante, se
raccordant au ventricule gauche par un collet étroit, et
contenir plusieurs épaisseurs de thrombus anciens et ré-
cents à l’origine d’éventuelles embolies systémiques (fi-
gure 3). Le diagnostic se fait par l’échocardiographie ou
l’angiographie, mais parfois la distinction avec un ané-
vrisme vrai peut être difficile. Dans ces circonstances,
l’imagerie par résonance magnétique pourra déterminer
s’il existe ou non du myocarde dans la paroi respective-
ment de l’anévrisme ou du pseudo-anévrisme.
Traitement
Le traitement chirurgical ne doit pas être retardé par la
prise en charge réanimatoire du patient dans les délais les
plus brefs. Elle consiste en la résection de la portion
nécrotique et rompue du myocarde avec reconstruction
primaire (mise en place et suture d’un patch prothétique)
(figure 4), associée à d’éventuels pontages aortocoronai-
res en cas d’échec de désobstruction percutanée préala-
ble. En cas de situation hémodynamique extrêmement
précaire ou d’arrêt cardiocirculatoire, une ponction péri-
cardique salvatrice pourra être effectuée, au mieux écho-
guidée, le temps d’accompagner le patient au bloc opéra-
toire.
Rupture septale
Incidence
À l’ère préthrombolytique l’incidence rapportée de la
rupture septale était de 11 % des séries anatomopatholo-
giques et 2 % des patients hospitalisés pour infarctus du
myocarde [1]. Elle n’est plus que de 0,2 % [8, 30]. La
rupture septale apparaît plus volontiers dans les infarctus
de localisation antérieure (66 % des ruptures septales)
(tableau 2). L’hypothèse d’un effet aggravant de la throm-
bolyse (rupture par hémorragie intramyocardique) a été
débattue mais non confirmée [9].
Diagnostic
La rupture peut atteindre plusieurs centimètres de lon-
gueur (
figure 1). Elle est soit franche au travers de l’épais-
seur du myocarde soit plus anfractueuse. L’étendue de la
rupture détermine l’importance du shunt gauche-droite,
ses répercussions hémodynamiques et par conséquent le
pronostic [1]. Elle intéresse en général la portion apicale
des infarctus antéroseptaux avec nécrose transmurale.
L’atteinte de la portion basale du septum est beaucoup
Thrombus
Ép. péricardique
VD
VG
Figure 2.Rupture de la paroi antérieure du ventricule gauche avec
visualisation d’un volumineux épanchement péricardique hémati-
que (thrombus), en échographie par voie transthoracique (incidence
sous costale).
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plus rare (figure 5). Elle est l’apanage des infarctus infé-
rieurs et est associée à un pronostic encore plus sombre,
compte tenu des difficultés de la réparation chirurgicale,
l’extension fréquente au ventricule droit [31, 32] et l’asso-
ciation éventuelle à une fuite mitrale.
La présentation clinique est marquée par l’apparition
d’un souffle holosystolique intense, diffus mais maximal
au bord gauche du sternum, avec frémissement à la pal-
pation, suivi dans les heures ou jours, de signes d’insuffi-
sance cardiaque globale. L’échocardiographie réalisée
A
B
C
Figure 4. Rupture de la paroi libre du ventricule gauche. La rupture
est au sein d’une large zone de nécrose myocardique (A). Après
débridement, les sutures sont placées à l’intérieur du ventricule et au
travers d’un patch prothétique (B). Puis le patch est fixé à la paroi libre
(C) (d’après [13]).
Anévrisme vrai Faux anévrisme
Thrombus mural
OG
VG
VD
OD
OG
VG
VG
OD
Expansion et
amincissement
de la cicatrice
Anévrisme vrai
Infarctus transmural
avec rupture
Thrombus
Péricarde
Faux anévrisme
Figure 3.Différences entre un anévrisme vrai à gauche et un faux anévrisme à droite.
Vrai anévrisme : 1. Large collet. 2. Paroi composée de myocarde. 3. Peu de risque de rupture franche.
Faux anévrisme : 1. Collet étroit. 2. Paroi composée de thrombus et de péricarde. 3. Risque élevé de rupture franche.
(d’après Shah PK. Complications of acute myocardial infarction. In : Parmley W, Chatterjee K (eds). Cardiology. Philadelphia, JB Lippincott
1987).
VD
VG
Figure 5.Rupture septale basale avec communication interventricu-
laire et shunt gauche- droit en doppler couleur (en échographie par
voie transthoracique, incidence parasternale petit axe).
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