DESS Gestion Stratégique des Ressources Humaines UNIVERSITE DE MONTPELLIER I Institut Supérieur de l’Entreprise de Montpellier Ecole Supérieur de Commerce de Montpellier « En quoi une logique de flexibilité est-elle nécessaire à l’entreprise CARREFOUR et lui permet de concilier, à la fois, les exigences de résultats économiques et les aspirations des hommes et femmes de l’entreprise ? » MEMOIRE Soutenu par DOMINIQUE LIBERCÉ en vue de l’obtention du D.E.S.S. DE GESTION STRATÉGIQUE DES RESSOURCES HUMAINES sous la direction de GÉRALD NARO 1998 – 1999 DESS Gestion Stratégique des Ressources Humaines UNIVERSITE DE MONTPELLIER I Institut Supérieur de l’Entreprise de Montpellier Ecole Supérieur de Commerce de Montpellier « En quoi une logique de flexibilité est-elle nécessaire à l’entreprise CARREFOUR et lui permet de concilier, à la fois, les exigences de résultats économiques et les aspirations des hommes et femmes de l’entreprise ? » MEMOIRE Soutenu par DOMINIQUE LIBERCÉ en vue de l’obtention du D.E.S.S. DE GESTION STRATÉGIQUE DES RESSOURCES HUMAINES sous la direction de GÉRALD NARO 1998 – 1999 Je tiens à remercier Jean-Luc DELENNE et son équipe Ainsi que Béatrice LABOUREUR Et tout particulièrement Julienne BARBET et l’équipe pédagogique pour m’avoir permis de concrétiser mon projet professionnel grâce au DESS Gestion Stratégique des Ressources Humaines Sommaire I. Introduction............................................................................................. 10 II. Evolution de l’entreprise et du secteur de la grande distribution............ 15 II A Genèse de la grande distribution et de Carrefour _____________________ 15 II A 1. II A 2. II A 3. II A 4. II A 4.1 II A 4.2 II A 4.3 II A 5. II A 6. II A 7. Naissance de la grande distribution et de l’enseigne Carrefour ..................................15 Les votes de Lois s’enchaînent pour atténuer le développement des grandes surfaces17 Un nouvel acteur pèse sur les décisions stratégiques de l’entreprise : l’actionnaire ....20 La guerre des prix ....................................................................................................21 La concentration dans le secteur________________________________________________ 22 La centralisation des achats ___________________________________________________ 23 L’arrivée des hard discounters _________________________________________________ 23 Les réponses des hypermarchés et de Carrefour ........................................................24 La concurrence.........................................................................................................25 Evolution du comportement d’achat des clients ........................................................26 II B Structure et Culture de l’entreprise ________________________________ 28 II B 1. II B 2. II B 3. II B 4. II B 4.1 II B 4.2 II B 4.3 II B 4.4 II B 5. II B 6. II B 6.1 II B 6.2 Structure ..................................................................................................................28 Centralisation – Décentralisation ? ...........................................................................29 Description de la culture d’entreprise........................................................................30 Analyse de la culture et de l’identité professionnelle.................................................33 L’implication _______________________________________________________________ le « style » de l’entreprise _____________________________________________________ L’intégration : ______________________________________________________________ la résistance au changement ___________________________________________________ 33 36 37 39 Quel management chez Carrefour ? ..........................................................................39 Quelques chiffres .....................................................................................................41 Les effectifs ________________________________________________________________ 41 La masse salariale___________________________________________________________ 41 II C Réponse de CARREFOUR face à ce contexte ________________________ 42 II C 1. II C 1.1 II C 1.2 II C 1.3 II C 1.4 II C 1.5 II C 1.6 II C 2. La stratégie ..............................................................................................................42 Diversification______________________________________________________________ Opération coup de poing______________________________________________________ organiser au mieux la production et la gestion des stocks ____________________________ Standardisation des processus comptables, financiers du groupe et des processus RH ______ La part croissante des systèmes d’information _____________________________________ Internationalisation__________________________________________________________ 42 43 43 44 46 47 Organisation.............................................................................................................48 II C 2.1 Changement de structure en magasin ____________________________________________ 48 II C 2.2 Comparaison avec les autres enseignes __________________________________________ 48 II C 2.3 Carrefour - mise en place de structure transversale en magasin_______________________ 49 II C 2.3.1 Descriptif ................................................................................................................................. 49 II C 2.3.2 1er facteur de réussite - la coopération...................................................................................... 51 II C 2.3.3 2ème facteur de réussite - définition d’objectifs communs...................................................... 52 II C 2.3.4 3ème facteur de réussite - définition de l’information dont chaque salarié a besoin.................. 53 II C 2.3.5 Conséquences de ces changements organisationnels ............................................................... 53 II C 2.4 Changement d’organisation « marchandise » en magasin : organisation par univers_______ 55 II C 2.4.1 Apport théorique sur l’évolution des organisations en entreprise ............................................ 55 II C 2.4.2 Mise en œuvre d’organisation en Univers dans les magasins carrefour................................... 57 6 II D Ebauche du dispositif de politique de gestion des ressources humaines ___ 58 II D 1. II D 2. II D 3. Gérer la mobilité ......................................................................................................58 Maîtriser la masse salariale.......................................................................................58 Négociation sociale ..................................................................................................59 III. La flexibilité - de la théorie à la pratique dans le secteur de la grande distribution .......................................................................................................... 63 III A Apport théorique _______________________________________________ 63 III A 1. III A 2. III A 3. III A 3.1 III A 3.2 III A 4. III A 5. III A 6. Définition de la flexibilité.........................................................................................65 Flexibilité de l’emploi ou du travail ? .......................................................................65 Réduction et aménagement du temps de travail.........................................................66 La préretraite progressive_____________________________________________________ 67 Annualisation du temps de travail : limites et atouts ________________________________ 68 L’emploi salarié, les changements ............................................................................69 Les différentes typologies de la flexibilité.................................................................70 Choisir la flexibilité en fonction des situations..........................................................71 III B Les conditions de mise en œuvre de la flexibilité ______________________ 72 III B 1. III B 1.1 III B 1.2 III B 2. Les conditions de la flexibilité quantitative (interne ou externe)................................72 La législation et l’état du marché du travail _______________________________________ 72 La présence ou non des syndicats ou de tout autre contre-pouvoir dans l’entreprise _______ 72 Les conditions de la flexibilité qualitative.................................................................73 III C Les différents usages de la Flexibilité dans les hypermarchés ___________ 74 III C 1. III C 2. IV. une flexibilité externe...............................................................................................75 une flexibilité interne ...............................................................................................76 Une logique de souplesse nécessaire à l’entreprise Carrefour................ 84 IV A Le Dialogue social ______________________________________________ 84 IV A 1. IV A 1.1 IV A 1.2 IV A 2. IV A 2.1 IV A 2.2 IV A 3. distribution IV A 3.1 IV A 3.2 IV A 3.3 Les syndicats dans l’entreprise .................................................................................84 Historique _________________________________________________________________ 84 Répartition des partenaires sociaux dans l’entreprise (votants et élus) __________________ 86 La négociation sociale de Carrefour..........................................................................87 Quel modèle de négociation ? __________________________________________________ 87 Connaître les logiques et modes d’action des syndicats ______________________________ 87 Comparatif de négociation de la flexibilité en Europe dans le secteur de la grande 88 La durée du travail, l’aménagement, la flexibilité du temps ___________________________ 91 La polyvalence et l’organisation du travail _______________________________________ 91 Le déclin du syndicalisme adhérent _____________________________________________ 92 IV B L’accord de MARS 99 Carrefour ou refonte de la nouvelle Convention Collective _____________________________________________________ 92 IV B 1. 1ER point fort de l’accord - Les Nouvelles Classifications de l’entreprise...................93 IV B 1.1 Apport théorique et historique sur les classifications ________________________________ 93 IV B 1.1.1 Des classifications PARODI aux critères classants................................................................ 93 IV B 1.1.1.1 Les classifications PARODI............................................................................................ 93 IV B 1.1.1.2 Les classifications par « critères classants ».................................................................... 94 IV B 1.1.1.3 Les critères retenus dans les grilles de classification....................................................... 96 IV B 1.1.2 La Classification : au carrefour de quatre types d’interaction ................................................ 96 IV B 1.1.3 L’évolution des systèmes de classification : nouvelles logiques, nouvelles cohérences ........ 97 IV B 1.2 Les classifications de Carrefour et de la Branche _________________________________ 101 IV B 1.2.1 Historique des classifications Carrefour............................................................................... 101 IV B 1.2.2 Avenants des classifications dans le secteur de la grande distribution (accord de mars 97) 101 IV B 1.2.2.1 L’objet et finalité de cet avenant ................................................................................... 101 IV B 1.2.2.2 Le principe de l’accord de branche de la FCD .............................................................. 103 IV B 1.2.2.2.1 Les critères de classifications ................................................................................. 103 IV B 1.2.2.2.2 La grille de cotation................................................................................................ 105 7 IV B 1.2.2.2.3 Les 9 Niveaux......................................................................................................... 105 IV B 1.3 Quelle finalité ou pour quoi des classifications spécifiques à l’entreprise ______________ 107 IV B 1.3.1 Comment ont-elles été élaborées ? ....................................................................................... 108 IV B 1.3.2 Exemple de l’élaboration d’une fonction repère : Assistante administrative ...................... 112 IV B 1.4 Les classifications des cadres _________________________________________________ 116 IV B 1.4.1 Les critères de classification des emplois cadres.................................................................. 117 IV B 1.4.2 La grille de cotation :............................................................................................................ 119 IV B 1.4.3 Les niveaux .......................................................................................................................... 120 IV B 1.5 Conséquence des nouvelles classifications Carrefour - refonte du système d’évaluation des cadres (introduction des compétences) _________________________________________ 120 IV B 1.5.1 Identification de l’objet de l’évaluation : on va évaluer quoi ? ............................................ 121 IV B 1.5.2 Pourquoi évaluer et à qui sert l’évaluation : ......................................................................... 122 IV B 1.5.3 Conditions d’adhésion .......................................................................................................... 123 IV B 1.5.4 Détail des objets de l’évaluation........................................................................................... 125 IV B 1.5.4.1 Objectifs ........................................................................................................................ 125 IV B 1.5.4.2 Compétences ................................................................................................................. 126 IV B 1.5.4.2.1 Apport théorique..................................................................................................... 126 IV B 1.5.4.2.2 La gestion collective chez Carrefour ...................................................................... 128 IV B 1.5.4.2.3 La gestion individuelle chez Carrefour................................................................... 129 IV B 1.5.4.2.4 Description du processus d’évaluation ................................................................... 133 IV B 2. 2ème points fort de l’accord ...................................................................................135 IV B 2.1 Réduction et aménagement du Temps de travail - Descriptif et comparatif de l’accord d’entreprise sur les 35 heures et du projet de loi _________________________________ 135 IV B 2.1.1 La durée légale à 35 heures : ................................................................................................ 135 IV B 2.1.2 Les heures supplémentaires.................................................................................................. 136 IV B 2.1.3 La Modulation ...................................................................................................................... 137 IV B 2.1.4 Temps de travail des cadres.................................................................................................. 138 IV B 2.1.5 Temps partiel........................................................................................................................ 139 IV B 2.1.6 Compte épargne temps (CET) .............................................................................................. 139 IV B 2.1.7 Préretraite progressive .......................................................................................................... 140 IV B 2.1.8 La retraite anticipée (A.R.P.E.) ............................................................................................ 141 IV B 2.1.9 Formation ............................................................................................................................. 143 IV B 2.1.9.1 L’employabilité – nouvelle responsabilité de la GRH ?................................................ 144 IV B 2.2 Emploi ___________________________________________________________________ 151 IV B 2.2.1.1 Création d’emploi :........................................................................................................ 151 IV B 2.2.1.2 Emploi en faveur des handicapés : ................................................................................ 151 V. Conclusion............................................................................................. 156 8 9 I. Introduction Il y a 30 ans, « l’ère de la Grande Distribution » commençait. Les hypermarchés s’imposaient, le consommateur se réjouissait et les industriels entrevoyaient une voie nouvelle afin de promouvoir leurs innovations et leurs marques. Depuis, le contexte est beaucoup moins rose. Le gouvernement ralentit l’ouverture débridée du grand commerce en instaurant des lois pour apaiser les revendications des petits commerçants. Le choc pétrolier met fin aux trente glorieuses. Une crise interminable va ouvrir la bataille des prix avec l’émergence d’une nouvelle concurrence basée uniquement sur les prix. La mondialisation des marchés accentue le mécontentement des agriculteurs qui dénoncent la Grande Distribution de réduire jour après jour leurs marges bénéficiaires. Le consommateur est de plus en plus « zappeur », il n’est plus fidèle à une enseigne d’où la nécessité de « l’enchanter » en permanence et d’innover. La satisfaction client devient un postulat incontournable. Le gouvernement, toujours très proche des agriculteurs, prône pour un partenariat avec les fournisseurs à travers une mise en place d’une véritable charte de bonne conduite comme le témoigne cette citation de Lionel JOSPIN1 : « La Grande distribution devra partager le fruit des profits avec les producteurs » Face à ces contraintes environnementales, Carrefour (créateur du premier hypermarché en France) a toujours su garder son ¼ d’heure d’avance en renforçant son concept « tout sur le même toit », en développant les services (billets de spectacles, services financiers, voyages, assurances…), en se différenciant par la qualité à travers la création de filière de produits. Ce contexte entraîne l’entreprise à réaliser des économies d’échelle d’où la nécessité de centraliser les achats, de développer les systèmes d’information 1 Citation de Lionel Jospin sur Europe le 100999 10 (l’entreprise a pris du retard par rapport à ses concurrents) afin de connaître les habitudes d’achats des clients de l’enseigne. Ce changement de mode de gestion entraîne une évolution organisationnelle avec la disparition en magasin des chefs de secteur qui seront dorénavant des responsables transversaux en appui aux managers métiers (anciens chefs de rayon). Ces managers métiers voient leur métier évoluer vers la vente. Ce changement permettra aux Managers métiers de se centrer vers leur cœur de métier (le client). En effet de nombreuses tâches dites de « back office »2 leurs sont retirées. L’objet de cette étude est de répondre à la question suivante : « En quoi une logique de flexibilité est nécessaire à l’entreprise et lui permet de concilier, à la fois, les exigences de résultats économiques et les aspirations des hommes et femmes de l’entreprise ? » Cette réflexion est née de l’évolution du contenu de mon stage dans l’entreprise qui s’est décomposé en étapes suivantes : 1- Participation à l’élaboration, aux négociations des nouvelles classifications de l’entreprise et accompagnement en magasins 2- Participation à l’élaboration de la nouvelle Convention Collective de l’entreprise (classification, 35 heures, annualisation, préretraite…) 3- Participation à la refonte du système d’évaluation avec introduction des compétences 4- Administration du dossier de Convention de Préretraite signée avec le Ministère du Travail 2 Activités qui se situent en amont ou en aval de la vente (par exemple : la logistique, achats...) 11 Pour être efficace au plan économique, j’ai essayé de comprendre comment l’entreprise construit une cohérence entre sa stratégie et son mode de gestion des Ressources Humaines ?. Méthodologie : Pour construire mon raisonnement, je me suis appuyée sur des lectures du secteur, sur des documents internes à l’entreprise et sur ma propre expérience (10 ans dans le secteur). Je me suis positionnée en qualité d’observatrice qui devait mener à bien une recherche. Les moyens que j’ai utilisés ont été en autre l’interview d’acteurs clés de l’entreprise qui me semblaient stratégiques pour me permettre de répondre à ma problématique. De plus, la participation aux groupes de travail pour élaborer le référentiel de compétences ainsi que mes déplacements en magasin pour interviewer les salariés m’ont permis aussi de nourrir mon mémoire. D’autre part, j’ai effectué un « benchmark »3 auprès de 4 DRH de grandes entreprises de service pour essayer de cerner leurs points communs en matière de Gestion des Ressources Humaines (GRH) pour en ressortir une typologie. Les limites de cette étude sont liées au fait que, malheureusement, je n’ai pas pu avoir accès à certaines informations qui restent confidentielles (projet de rémunération par exemple) alors que le sujet est intimement lié aux classifications et au système d’évaluation. 3 «Etude comparative » 12 Dans les lignes que je vais présenter, je me suis attachée à décrire l’évolution de la grande distribution et de l’entreprise Carrefour. En effet, il me paraît important de connaître le choix stratégique qui est corrélé au choix organisationnel. Par exemple, d’une manière logique, la centralisation des achats a entraîné la centralisation de la logistique. Nous ne pouvons comprendre le mode de fonctionnement des entreprises de grande distribution et, par conséquent, de Carrefour en se limitant à la description et à l’analyse des tendances sectorielles. S’il est vrai que le discount et la centralisation des achats et de la logistique sont des tendances qui s’imposent à toutes les entreprises, il n’en demeure pas moins que chaque entreprise s’approprie ces tendances de manière particulière. Il y a donc interaction entre effet « secteur » et effet « entreprise ». Une enseigne comme Leclerc (dont la stratégie est basée sur une logique de Discount) ne s’organise pas et ne gère pas son personnel… de la même manière que Carrefour. C’est que j’ai voulu démontrer dans une première partie qui me semblait importante de développer pour pouvoir répondre à la problématique. Le premier chapitre termine par une ébauche de réponse en matière de gestion de ressources humaines (ce que j’ai pu déceler par rapport aux informations auxquelles j’ai eues accès). Elle ne prétend donc pas être exhaustive mais permet d’enchaîner sur le chapitre suivant qui traite d’une manière théorique et pratique tous les domaines de la flexibilité, les conditions de mise en œuvre et les différents usages dans les hypermarchés. Cet apport théorique et pratique du second chapitre permet de démontrer dans le chapitre trois et, en fonction du contenu de mon stage, comment Carrefour atteint cette logique de souplesse nécessaire à l’entreprise ? 13 14 II. Evolution de distribution l’entreprise et du secteur de la grande Afin de me permettre de répondre à la question du mémoire, il me paraît opportun de connaître le contexte de l’entreprise, ses contraintes environnementales, son histoire, sa stratégie, sa culture… En effet, il est évident que je ne pourrai cerner et comprendre la logique de gestion des ressources humaines mise en place par l’entreprise que si je parviens à maîtriser ces éléments. C’est ce que je me propose de développer dans ce premier chapitre. II A Genèse de la grande distribution et de Carrefour II A 1. La logique de Naissance de la grande distribution et de l’enseigne Carrefour « tout sur le même toit » (les produits frais, les produits alimentaires, le textile, le bazar et les biens d’équipement) est devenue nécessaire et s’est développée pour faire face à la demande du consumérisme4. Carrefour a été le premier à développer le concept d’Hypermarché (libre service, discount, parking, surface magasin plus de 5000 m2, tout sur le même toit). Les fondateurs sont à l’origine de ce nouveau concept. En effet, Marcel Fournier – 45 ans -, conseiller d’Annecy à l’époque, commerçant dynamique régnant alors sur le grand magasin de Nouveautés Fournier commence à s’ennuyer après avoir ouvert une surcussale du grand magasin à Annemasse. A l’occasion d’un voyage aux états unis, il observe le développement des grandes surfaces en « supermarché » (un supermarché, c’est un magasin alimentaire en libre service dont la surface de vente est au minimum de 400 M2, en France, il en existe une trentaine contre 300 000 épiceries traditionnelles). Ils sont entre les mains de centrales d’achat (Paridoc, Docks rémois) Le groupe stéphanois Casino / Famille Guichard. Marcel FOURNIER est captivé par ce concept de supermarchés. 4 Tendance pour les consommateurs à se réunir en mouvements dans le dessein de défendre leurs intérêts 15 Il n’est pas le seul, en parallèle, Louis DEFFOREY - 68 ans - , patron du florissant Comptoir à Lagnieu (100 km d’Annecy) Badin et Defforey qui approvisionne plus de cinq cents détaillants ruraux, rêve aussi de nouvelles activités. Il est secondé par son fils Denis – 35 Ans – La famille Defforey se rapproche de la famille Fournier et crée une société qui a pour ambition de vendre tous articles, produits, denrées ou marchandises et prestations de services susceptibles d’intéresser la clientèle. L’arrivée de Jacques Defforey, le frère aîné de Denis va accentuer un projet beaucoup plus ambitieux qui est d’édifier une grande surface de 2500 mètres carrés. Pour ce faire, ils se portent acquéreurs d’un terrain de 2 hectares à Ste Geneviève des Bois. Le premier Hypermarché va donc naître en 1963 avec comme concept « tout sous le même toit » qui va être le fil directeur de l’entreprise tout au long de son parcours. A ce moment dans les années 70, la préoccupation principale des distributeurs était d’approvisionner les magasins. Carrefour qui, à l’époque, (nous verrons plus loin que l’entreprise change de politique d’achats et par conséquent d’approvisionnement) laissait ses magasins passer des commandes aux fournisseurs et qui étaient livrés directement. D’importantes réserves permettaient à chaque magasin de détenir un stock important pour supporter de fortes rotations et se prémunir contre les défaillances fréquentes des fournisseurs. L’apparition de la grande distribution a donc été un moyen d’entrée dans la société de consumérisme qui était à l’origine de la forte croissance économique (30 glorieuses). A cette époque, le distributeur porté par la logique de consumérisme, de discount, de volume n’était que l’intermédiaire dont la mission principale était de gagner en productivité. Le rapport au client était géré directement par les services marketing des fournisseurs et les magasins se contentaient d’appliquer la politique tarifaire des plans de communication promotionnels que ces derniers concevaient. 16 II A 2. Les votes de Lois s’enchaînent pour atténuer le développement des grandes surfaces En décembre 73, la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat sur l’initiative de Jean Royer vise à réglementer et à contenir la croissance du nombre de grandes surfaces. Alors qu’auparavant, les pouvoirs publics étaient plutôt favorables à la modernisation du commerce pour améliorer la productivité et lutter ainsi contre l’inflation, sous la pression des petits commerçants, le gouvernement décide d’adopter une attitude moins libérale envers l’ouverture des grandes surfaces. Désormais, les ouvertures de grandes surfaces seront soumises à une procédure administrative et à l’autorisation d’une Commission Départementale d’Urbanisme Commercial (CDUC) réunissant 9 élus locaux, un artisan, 2 représentants des associations de consommateurs et 8 commerçants. Toutefois, les demandeurs peuvent faire appel de la décision auprès du ministre du commerce qui prévalait. En conséquence, la loi Royer est davantage parvenue à ralentir l’implantation des grandes surfaces plutôt qu’à la stopper. D’autre part, sorti vainqueur des législatives de 1993, le RPR, très sensible aux petits commerçants, représenté par Lucien REFFUBEL et proche de Jacques CHIRAC, leader de la Confédération Générale des PME, n’a eu de cesse de remettre au goût du jour les dispositions de la loi Royer. En effet, le Premier ministre de l’époque, Edouard BALLADUR décrète le gel des grandes surfaces. Pendant les deux années de son gouvernement, aucune autorisation d’agrandissement ou d’ouverture n'est délivrée. De plus, en 1996, Jean-Pierre RAFFARIN, Ministre du Commerce et de l’Industrie est chargé de réformer la loi Royer, qui n’avait pas empêché le nombre de grandes surfaces de décupler en vingt ans. Ainsi depuis 95, il n’est plus question de créer un magasin d’une surface 17 excédent 300 mètres carrés sans se soumettre à l’aval d’une Commission d’Equipement Commercial, puis d’une Commission Nationale d’Equipement Commercial (CNEC). Cette loi est censée protéger les petits commerces en limitant l’ouverture des grandes et moyennes surfaces ( un seul hyper en 98) mais cette loi s’est finalement traduite par une accélération du mouvement de concentration. Les enseignes ont vite compris l’intérêt d’un fonctionnement en oligopole (monopole à plusieurs : valorisation de leurs actifs et pénalisation des nouveaux entrants sur le marché). Un système de concurrence limitée s’est mis en place avec, à la clé, ententes ou cartels et à terme, les fusions et acquisitions. Ainsi Carrefour augmente ses parts de marché en décidant de s’attaquer au concept de supermarchés en rachetant comptoirs modernes ; Cora et Casino (16,8 % de part de marché en France) envisagent de fusionner leurs centrales dans Lucie. Les deux coopératives de Système U et Leclerc (21,1 % de part de marché en France) prévoient de s’associer dans Opéra. Anticipant la demande croissante de magasins de proximité (les supermarchés étant des magasins de proximité), les leaders de la grande distribution se sont tournés vers le petit commerce de proximité et sont alors rentrés en concurrence avec « les petits arabes du coin » qui représentent 10 % de parts de marché. Promodès (Continent) s’est ainsi imposé comme le premier franchiseur de France avec les enseignes Huit à huit ou Proxi. Illustration macroéconomique d’un modèle de développement qui s’inscrit également dans le cadre de vie de chacun à travers une rationalisation qui tend à la standardisation et qui très vite risque de priver le pays de ses « petits arabes » (les centrales d’achat absorbant ce commerce de proximité). Conséquence de ces lois, depuis quelques années CARREFOUR s’est vue refusée tous ses dossiers d’extension ou de création d’hypermarchés. C’est ainsi que l’enseigne accentue son développement à l’international en acquérant des enseignes concurrentes et en construisant de nouveaux magasins. 18 D’autre part, Alain JUPPE a ouvertement mis en cause les effets destructeurs des politiques sur les petites et moyennes entreprises. Pour la petite histoire, en 1995, lorsque Daniel BERNARD (PDG de CARREFOUR) s’est vu remettre la médaille du meilleur manager de l’année, Alain JUPPE lui glisse à l’oreille « continuez à ouvrir des magasins mais à l’étranger ! ! ! ! ». Un rapport parlementaire de Jean-Paul Charié met spectaculairement en cause la dérive d’un système qui faisait apparaître qu’entre 88 et 92, le prix sorti d’usine des yaourts avait baissé plus rapidement que les prix pratiqués par la grande distribution, ce qui contribuait à gonfler les marges des enseignes. Dans ce contexte, sur proposition d’Yves Galland, Ministre du Commerce, une loi impose désormais à tout fournisseur de faire figurer sur sa facture l’ensemble des remises, ristournes, budgets d’ouverture et de coopérations commerciales négociées avec les distributeurs. L’objectif de cette loi est de proscrire l’attribution d’avantages discriminatoires, la vente à perte et la pratique de prix abusivement bas pour protéger les industriels. Cette réglementation engendre des effets pervers avec le relèvement du seuil de vente à perte et l’impossibilité de s’aligner sur les prix des concurrents. Les multinationales (Procter, Nestlé…) vont de nouveau faire les prix à leur avantage, s’inquiète Daniel Bernard, PDG de CARREFOUR. Le groupe entrepris ainsi une toute nouvelle philosophie dans ses rapports avec les PME en signant plus de 50 000 contrats avec des agriculteurs dans une soixantaine de filières depuis 91. La politique de réglementation du gouvernement envers le secteur de la grande distribution a fortement pénalisé les enseignes qui ont dû adapter leur stratégie en fonction de ces nouvelles contraintes. 19 Pour conclure sur ce paragraphe, je ferais la remarque suivante : auparavant, le gouvernement considérait les entreprises de grande distribution comme bienfaitrices car elles permettaient de maîtriser l’inflation. De nos jours, la politique gouvernementale favorise les petits commerçants qui sont porteurs d’emploi et la réglementation a fortement pénalisé les enseignes ; certes, je ne remets pas en cause que les petits commerçants par rapport au chiffre d’affaires créent plus d’emploi mais les nouveaux petits commerçants qui doivent tirer les prix par le bas ont aussi une logique de discount sociale ; là où je m’érige, c’est dans le fait que le gouvernement ne fait pas la part des choses en ce qui concerne le droit du travail. En effet, une enseigne comme Carrefour qui a une Convention Collective la plus attractive du secteur avec des salaires 15 à 40 % supérieurs a les mêmes contraintes qu’une enseigne où les acquis sociaux n’existent pas et où les salariés sont payés « au lance pierre » et « triment » autant sinon plus ! II A 3. Un nouvel acteur pèse sur les décisions stratégiques de l’entreprise : l’actionnaire Au fil des ans, l’actionnaire a pris le pouvoir dans les entreprises ce qui provoque une sorte de « dictature » de la création de valeur qui s’exerce sur les cadres dirigeants mais aussi sur les salariés. Des indicateurs de mesure de profit apparaissent dans les entreprises tels que : • la MVA (economic value added) : indicateur de performance interne du management. • L’EVA est égale à la différence entre le résultat opérationnel de l’entreprise après impôt et la rémunération du capital employé pour son activité ; si l’EVA est positive, cela signifie que le management a créé de la richesse ; cette mesure détermine l’efficacité de la gestion. Carrefour n’échappe à la règle, ayant besoin de fonds pour investir à l’étranger et étant coté en bourse ; ces propos sont confirmés par l’Expansion qui a réalisé un 20 classement des entreprises les plus créatrices de valeurs et qui présente 90 des 200 premières entreprises cotées à la bourse de Paris et place CARREFOUR au 3ème rang avec 132 846 MVA (mf) et 1 725 EVA (mf). Par conséquent, il semblerait logique (mais je n’ai pas accès à ce genre d’information…) que la performance des cadres dirigeants de Carrefour soit rémunérée par rapport à l’indicateur EVA puisqu’elle mesure le profit économique dégagé par l’entreprise sur ses activités d’exploitation. En effet, l’entreprise doit non seulement générer un résultat opérationnel positif mais aussi rémunérer les actionnaires au taux de retour qu’ils attendent. Cet état de fait devrait avoir des conséquences en matière de gestion des Ressources Humaines et notamment sur le système d’évaluation de Carrefour qui devrait se différencier par rapport à une évaluation des performances basées sur le profit. R ép artitio n d es actio n n aires fev99 2% 1 6% 6% 5 8% 16% 2% S alariés groupe G roupe M arc h F am ille Fournier Fam ille D efforey C arrefour P ublic (40% fds pens ion) II A 4. La guerre des prix La grande distribution s’est construite sur une triple logique : de discount, de volume et de grandes marques. Cette logique a des limites car dès que le nombre de grandes surfaces sur le territoire a été suffisamment important, les 21 consommateurs ont eu la possibilité d’en fréquenter plusieurs et donc de comparer les prix ce qui a impliqué que très rapidement une concurrence sur les prix s’est instaurée entre les grandes surfaces de la même zone de chalandise (zone géographique des clients potentiels du magasin). La forte corrélation entre le discount et le volume des ventes incitait fortement les distributeurs à baisser les prix de vente ce qui a contraint les concurrents à s’aligner pour préserver les parts de marché. La logique de volume a ainsi entraîné la grande distribution dans une guerre des prix. D’autre part, plusieurs autres facteurs ont favorisé cette évolution vers la guerre des prix : • l’interdiction réglementaire du refus de vente • les « ristournes » de fin d’année : il s’agit de barèmes dégressifs mis en place par les fournisseurs qui, si les prévisions de ventes ont été dépassées, accordent une remise de fin d’année. Cette pratique a aussi un effet qui favorise la guerre des prix car elle rend plus complexe l’application de la réglementation interdisant la vente à perte (la loi Galland va y remédier). • le crédit fournisseur : le magasin bénéficie d’un délai de paiement fournisseur de 60 jours pouvant aller jusqu’à 90 jours voire 120 jours (Carrefour, pour des raisons d’éthique, se refuse de négocier à 120 jours). Cet état de fait va entraîner un excédent de trésorerie. Ainsi il est plus intéressant de baisser sa marge commerciale pour pouvoir baisser les prix de vente et développer son chiffre d’affaires, et générer ainsi des produits financiers. II A 4.1 La concentration dans le secteur Cette concentration dans le secteur de la grande distribution est aussi un moyen de réduire les coûts et d’obtenir des conditions d’achats plus intéressantes. Carrefour 22 a repris des enseignes telles que Montlaur, Euromarché, Comptoirs modernes et ce n’est pas fini… On peut donc dire que cette logique de discount marque une transformation des conditions de concurrence et joue contre les enseignes qui doivent se livrer à une guerre des prix farouche afin d’être rentable. Le prix d’achat devient un facteur déterminant pour la rentabilité de l’entreprise d’où le développement de la centralisation des achats de l’entreprise. II A 4.2 La centralisation des achats Face à une concurrence exacerbée, il apparaît clairement que la négociation des conditions d’achats par les distributeurs est un élément primordial. CARREFOUR dont la logistique était décentralisée a continué pendant quelques années à laisser les achats à l’instigation des magasins. Ce n’est que dans les années 94 et 95 que l’entreprise a décidé de centraliser tous les achats, rompant ainsi avec une tradition trentenaire de décentralisation des négociations commerciales. En effet, historiquement très décentralisés, les achats étaient dans les mains des directeurs de magasins par l’intermédiaire des chefs de rayon. Par conséquent, Carrefour ne pouvait pas peser de tout son poids dans les négociations annuelles. Pour y remédier, le nouveau PDG Daniel BERNARD s’est attaché à mener une politique de centralisation des achats et de la logistique. II A 4.3 L’arrivée des hard discounters La guerre des prix a été accentuée par l’arrivée des hard discounters en 1998. Ces enseignes minimisent les investissements et les frais de personnel. Bien que cette formule ait été initialement importée d’outre Rhin, les enseignes françaises ont développé ce concept et notamment Carrefour à travers ERTECO (filiale de l’entreprise) qui exploite deux enseignes : - « ED l’épicier » 23 - « Europa discount » Erteco est la première entreprise de hard discount en France. Le développement des hard discounters a été la conséquence de la loi Royer car ces entreprises de taille réduite (inférieure à 1000 m2) n’ont pas l’obligation de passer devant la CDUC. Un hard discounter n’a besoin que du terrain et du permis ! Ce qui argumente mes conclusions du paragraphe 2 qui sont les suivantes : les politiques gouvernementales favoriseraient-elles les entreprises à développer une politique sociale vers le bas ! ! ! ! II A 5. Les réponses des hypermarchés et de Carrefour Face à cette déferlante des Hard Discounters, les enseignes ont proposé des produits à marque propre. En ce qui concerne Carrefour, l’entreprise a proposé des produits libres qui ne portaient aucune marque. Vers les années 80, les produits libres sont remplacés par les marques propres de l’enseigne qui deviennent porteuses d’image, procurent un plaisir d’achat et une fidélité de l’enseigne. De plus, Carrefour et toutes les grandes surfaces développent des produits dits « premier prix ». A prix égal, le consommateur ira vers le magasin qui lui propose la meilleure qualité. Les hypermarchés ont l’avantage de la largeur de leur assortiment (tout sous le même toit) et le hard discounter a celui de la proximité. Bien que Carrefour ait des magasins de grande taille, l’entreprise a opté pour des assortiments courts (trois segments de prix : 1er prix, produits Carrefour, marques) pour renforcer son positionnement discount et améliorer sa rentabilité. En effet, les avantages d’un assortiment court sont les suivants : - la minimisation des coûts logistiques - la perception des ristournes de fin d’année 24 - les volumes d’achats importants qui permettent d’obtenir de meilleures conditions - clarté de l’offre produit En revanche, l’inconvénient majeur pour Carrefour, c’est que l’entreprise n’a pas la possibilité de compensation de marge d’un produit à l’autre. Le mode de construction de rentabilité est basé essentiellement sur une réduction des frais d’exploitation, une maximisation de la pression commerciale sur les fournisseurs tout en restant « éthiquement correct », c’est donc dans une logique de gestion. Alors que pour l’assortiment long, le mode de construction de la rentabilité est basé sur le développement de la marge moyenne du rayon obtenue grâce à une gestion active de l’assortiment tarifaire et de l’implantation des produits (Auchan pratique ce mode de gestion). II A 6. La concurrence Wal Mart et Kmart avec ses supermarchés discount, son million de salariés (plus gros employeur de la planète) et ses clubs entrepôts, est devenue en quelques années la première entreprise au monde avec un chiffre d’affaires de 300 mlds de frs en 92 à 800 mlds de frs de nos jours. Cette évolution récente tendrait donc à démontrer que le discount n’est pas une simple phase dans l’évolution de la grande distribution, mais une constante. Une donnée incontournable que doivent impérativement respecter les enseignes. Toute forme de distribution qui s’éloigne du Discount risque de disparaître. La différenciation par la qualité de service reste possible mais ne saurait être mise en œuvre au détriment du discount qui reste primordial dans la grande distribution. Une stratégie de différenciation ne peut aboutir que si elle parvient à concilier le discount et la qualité. Carrefour l’a bien compris en renforçant le discount dans sa stratégie et en développant les services. Je pense donc que nous ne pouvons pas classer les hypermarchés comme certains 25 auteurs l’ont fait en deux catégories : discount ou qualité (carrefour démontrant l’inverse). Le chiffre d’affaires mondial des différents groupes sont les suivants : Chiffre d'Affaires en mlds de frs 99 Groupe Français ca mlds frs 99 93 213 220 778 109 129 231 244 Wal-mart ITM Métro Ahoid II A 7. 309 Kroger Carrefour Carrefour Promodés Casino 213 146 Auchan Pinault Printemps Evolution du comportement d’achat des clients Tous les spécialistes de l’étude des comportements des consommateurs en point de vente s’accordent à signaler que le client est en train de changer. Comme l’indique Pascal BRUSCKNER (1995)5, on entend de plus en plus dans les magasins « je paie donc j’existe » affirmé par un nombre grandissant de clients qui ne se sentent pas servis suffisamment rapidement ou avec assez d’attention. Le consommateur jeune, vieux, homme, femme, riche, pauvre, en passe d’acheter devient exigeant, irascible, inaccessible à toute discussion, imperméable à tout conseil ou avertissement. Conscient de son pouvoir d’achat, le client s’est habitué à être choyé par les distributeurs. La concurrence ayant développé la qualité des produits, des services, incité à la fidélisation, développé les stratégies de satisfaction, en contrepartie s’est développée une culture du parfait, du satisfait ou remboursé. Finalement, comme le précise CHETOCHINE (1998)6, le consommateur, aujourd’hui, a pour hantise la « dyssatisfaction ». Ce comportement particulier des clients ne rend pas 5 6 BRUCKNER Pascal, la tension de l’innocence, Grasset, 1995 CHETOCHINE Georges, Quelle distribution pour 2020 ?, Editions Liaison, 1998 26 la vie facile au distributeur et à son personnel. Le client est au centre de toutes les entreprises de service voilà la solution retenue par l’entreprise mais le personnel n’en pense pas moins et se lamente sur ce qu’il doit endurer. Le consommateur est soumis dans son travail comme dans sa vie privée à de fortes contraintes, il a peur de perdre son emploi et chaque jour par publicité interposée, il est tenté par plus d’offres, de sollicitation où les choses lui sont finalement plus difficiles qu’auparavant alors qu’on lui assène qu’il se trompe, que c’est le contraire et que finalement tout est simple pour lui. Le consommateur aspire donc à la facilité et la simplification, on rentre dans la civilisation client. De plus, il y a plusieurs sortes de client selon Georges Chetochine (1998)6 : • le client shopper : - il cherche où il faut acheter (choix du point de vente) - il fréquente un magasin pour sa proximité de manière régulière, c’est le «fonds de commerce du magasin » • le client buyer : - il faut lui faire acheter le plus de choses possible, un fois dans le magasin - il faut le faire déplacer, on achète son déplacement (relation contrainte/rétribution) Ce qui implique que l’entreprise de grande distribution doit adopter deux stratégies marketing : d’entrée (client shopper) et de sortie (client buyer). Ce qui va engendrer une typologie des points de vente : • les points de vente à flux essentiel (clients de proximité) • les points de vente à semi-flux (une part de clients de proximité et une part de semi-proximité) • les points de vente à flux et trafic (clients à flux et des clients à trafics) 27 De manière générale, il semble donc difficile pour une même entreprise de gérer des points de vente de nature différente en terme de clientèle flux. Chaque magasin doit alors savoir s’adapter aux spécificités de la zone de chalandise. II B Structure et Culture de l’entreprise II B 1. Structure Suivant les typologies de Mintzberg (1989)7, les Structures de CARREFOUR sont divisionnelles, la départementalisation des activités obéit à un découpage par centre de profit par zone géographique ; Les décisions opérationnelles relèvent des divisions. La DG du siège élabore la stratégie d’ensemble, décide de l’allocation des ressources entre divisions, contrôle leurs performances, le siège fournit les fonctions d’appui (juridiques, communication…) Les mécanismes de coordination chez Carrefour, toujours selon Mintzberg (1989)7 sont par ordre de priorité : - standardisation des résultats (management par objectif) - standardisation des procédés (dossier de développement…) - développement d’un mode de coordination transversale en conséquence des nouvelles structures. Cette structure divisionnelle donne de l’autonomie et l’on pourrait penser qu’elle est décentralisée mais en creusant, on s’aperçoit que cette structure est centralisée. En effet des cadres dirigeants du siège se rendent périodiquement dans les magasins et recommandent de prendre certaines décisions parmi les plus importantes ; ainsi la Direction Générale effectue des systèmes de contrôle de la performance, normalise les procédures (concept, dossiers de développement….) 7 MINTZBERG Henry, le Management, voyage au centre des organisation, les éditions d’organisations,1989 28 II B 2. Centralisation – Décentralisation ? La répartition des tâches entre les différentes entités varie d’une manière significative d’une enseigne à une autre. Certaines donnent des responsabilités étendues aux magasins avec des sièges sociaux à taille réduite, d’autres au contraire centralisent la plupart de ces tâches de gestion. L’activité d’enseigne repose sur un équilibre entre la réactivité commerciale (capacité à s’adapter rapidement aux aspirations de la clientèle) qui pousse à donner de l’autonomie aux magasins et la réalisation d’économies d’échelle qui incite au contraire à centraliser la gestion de l’entreprise. Chaque entreprise trouve son équilibre en fonction de son histoire, de sa culture, de sa structure et des caractéristiques de son parc de magasin. En ce qui concerne Carrefour, historiquement les familles Deforrey et Fournier prônaient la décentralisation de la gestion commerciale ainsi les cadres avaient une plus large autonomie, notamment les chefs de rayon qui fixaient leurs prix, composaient leur assortiment, négociaient leurs achats. L’encadrement se trouvait donc hautement qualifié et responsabilisé. Cette autonomie des magasins était facilitée par le fait qu’ils étaient de grande taille et que par conséquent, chacun parvenait à obtenir des conditions d’achat intéressantes auprès des fournisseurs et réalisait des économies d’échelle suffisantes pour pratiquer des marges commerciales confortables. Ce modèle tirait sa force grâce à sa souplesse et légèreté (n’étant pas freiné par la lenteur d’une structure centrale). Compte Tenu de la philosophie entrepreneuriale de l’entreprise, chaque magasin était très autonome et la gestion des ressources humaines était à l’époque de la responsabilité des cadres. L’objet des évaluations était basé sur les responsabilités permanentes de chaque fonction. Ce qui avait entraîné une forte implication des cadres et permis de surmonter les difficultés d’approvisionnement posées par 29 l’augmentation des volumes. En contrepartie, les cadres de l’entreprise étaient « sur-rémunérés ». Or, la pression des autres enseignes par la guerre des prix, la progressive saturation, les 35 heures vont amener l’entreprise à réduire sa politique de sur-rémunération afin de rester rentable et cohérente par rapport au marché du travail. D’autre part, l’introduction de l’informatique a renforcé la centralisation et changé considérablement l’emploi des chefs de rayon. En effet, cette informatisation rend possible une centralisation de la gestion commerciale (l’encadrement perdant l’autonomie de la gestion commerciale) ce qui va entraîner un changement des qualifications et une répercussion sur les métiers de la vente ; l’entreprise Carrefour devra mettre tout en œuvre pour que ses chefs de rayon ne perdent pas leur motivation. II B 3. Description de la culture d’entreprise La culture de l’entreprise a été alimentée par les fondateurs, pionniers de l’hypermarché, idéalisés par les salariés ; le respect de la hiérarchie constitue un dogme pour l’entreprise. Le dessein de Carrefour est connu par tous, voici, ci-dessous un extrait : « tous nos efforts doivent converger vers la satisfaction des clients. Notre première force est constituée par la motivation des hommes. Nos concepts doivent rester simples et clairs. Notre volonté est d’être internationale. La recherche de synergies avec nos partenaires doit nous renforcer mutuellement ». Ces principes constituent l’élément le plus fédérateur et le plus performant de la culture du Groupe. Les trois valeurs fondamentales de Carrefour : - Aptitudes à servir l’entreprise et solidarité : notre première force est constituée par la motivation des hommes 30 - Probité et devoir de loyauté envers l’entreprise - L’entreprise « citoyenne » : nous devons nous intégrer au mieux dans l’environnement spécifique à chaque pays De plus, une charte déontologique existe pour développer plus spécifiquement les aspects éthiques, je cite : « nous avons fait le choix d’être la référence dans le secteur de la distribution. Fiers (syndrome d’appartenance) des valeurs qui font partie du patrimoine de Carrefour, nous nous engageons à adhérer aux trois valeurs fondamentales et à observer les huit principes d’action de CARREFOUR » L’adhésion à ces trois valeurs fondamentales s’accompagne du respect de huit principes d’action, « transgresser l’une de ces règles de déontologie engage notre responsabilité », qui sont : - Connaissance et observation des lois - Responsabilité envers les actionnaires - Relation avec les clients - Relation avec les fournisseurs - Mécénat et parrainage - Obligation de diligence - Obligation de discrétion et de confidentialité - Prévention et règlement des conflits d’intérêt Chaque salarié connaît le dessein et la charte qui l’accompagne ainsi que les politiques de l’entreprise qui sont appelés par les salariés «la bible ». Tous ces éléments constituent le ciment de l’entreprise et chacun est sensé agir de la même manière. Un langage commun s’installe ainsi que des modes de fonctionnement identiques. Le management par objectif fait partie intégrante de la culture de l’entreprise et, par conséquent, l’objet de l’évaluation sera porté sur les performances ; 31 Le travers de ce mode d’appréciation, c’est que le client est très vite oublié au profit des résultats opérationnels à court terme. Les possibilités de promotions ultra rapides sont monnaie courante si les résultats sont atteints et facilités par une formation à la carte. Le recrutement du groupe a beaucoup évolué, les autodidactes se sont fait beaucoup plus rares et les titulaires de diplômes supérieurs ont fait une entrée en force. La mobilité géographique est incontournable pour les cadres qui bougent en général tous les 2 ou 3 ans. Aujourd’hui, Carrefour est présent dans vingt pays et trois continents. Le groupe doit donc s’attacher à rassembler ses collaborateurs autour de valeurs communes. Les fondateurs de Carrefour avaient foi en ce qu’ils créaient, ils savaient que les clients seraient chaque jour plus exigeants et qu’il fallait leur proposer de bons produits aux meilleurs prix, qu’il fallait s’adapter à la civilisation de l’automobile et rendre la vie plus facile aux consommateurs et les écouter pour, toujours, répondre à leurs nouvelles attentes. Cette culture du client est une des valeurs fortes de l’entreprise qui se traduit par la garantie des prix bas et s’enrichit chaque jour de nouveaux services et garanties. De même que l’idée du « quart d’heure d’avance » cher à l’entreprise se retrouve dans tous les pays à travers : • l’innovation sur les produits proposés • les renouvellements de concept • l’agencement des magasins (magali8 : marchandises rangées en univers) ou les services Pour ce faire, l’entreprise organise d’importantes conventions avec tous les managers du monde entier (650 managers débarquent dans les aéroports parisiens pour participer à la convention du 14 septembre 98). Pendant trois jours, ces 8 Magali : magasin alimentaire 32 managers se sont rencontrés, ont échangé leur savoir-faire, découvert les dernières innovations de Carrefour en France, approfondi leur connaissance de la stratégie du Groupe et des objectifs. L’opération des 35 ans qui se situait à l’échelle mondiale doit faire monter l’entreprise sur le podium des distributeurs internationaux. En outre, l’entreprise, avec ses 125 000 salariés, reste la plus généreuse en matière de politique salariale (salaire supérieur de 15 à 40 % par rapport aux autres enseignes). II B 4. Analyse de la culture et de l’identité professionnelle L’analyse de la culture de Carrefour va se situer sur le plan de la gestion, de la stratégie de l’entreprise à travers : • le niveau d’implication • le style • l’intégration • la résistance au changement II B 4.1 L’implication Lorsque l’entreprise se soucie de la culture d’entreprise, c’est en général pour tenter de renforcer à la fois l’implication dans la tâche et l’investissement dans l’entreprise. • Le niveau d’implication a été une préoccupation constante de l’entreprise à travers : - la prime de résultat (importante si le résultat est atteint), la satisfaction au travail, engendrée par de bonnes relations avec les pairs et la hiérarchie - la participation aux décisions • L’investissement dans l’entreprise comme communauté d’appartenance : 33 Dans l’entreprise règne un « esprit maison ». Il s’agit d’un patriotisme d’entreprise (syndrome d’appartenance). Les salariés chez Carrefour sont fiers d’y travailler. Tout le monde est volontaire et un climat très particulier de convivialité, de volonté de service, d’effort soutenu et de travail, que le point de vente développe, règne. Cette fierté d’appartenance n’est pas propre à Carrefour mais à toutes les enseignes, et a été exacerbée, de par le passé, quand les magasins s’ouvraient de point de vente en point de vente, à l’époque de la course aux implantations où les hommes et femmes de l’entreprise étaient heureux de participer à l’ouverture du premier Carrefour. Dans la distribution être fier d’appartenir, c’est d’abord pouvoir participer, c’est aussi être proche et fier de ceux qui dirigent, du « big boss », bien sur, mais aussi des adjoints, de toute la chaîne du commandement. Etre fier, c’est avoir confiance dans les décisions, faire tout ce qu’il faut pour contenir un concurrent. Cette culture peut s’apparenter au mode guerrier de HOFSTEDE9 qui parlait de masculinité, nous la retrouvons dans l’entreprise à travers certains discours par exemple « le marketing de combat ». Nous reconnaissons quatre modalités principales d’accès à la reconnaissance de soi : - l’appartenance à l’entreprise - la réalisation d’un œuvre individuelle ou collective (l’individu est reconnu par le résultat de son action créatrice en entreprise) - la trajectoire (ce que l’on fait de sa vie- peut-être vue aujourd’hui en termes de mobilité géographique ou fonctionnelle) - la résistance contre toute forme imposée de domination D’un esprit « maison Carrefour» à une logique de flexibilité avec l’ère de la nouvelle mondialisation, nous assistons à l’émergence de la notion d’employabilité. Une logique de projet personnel plus indépendant et ouvert sur l’extérieur est en train d’émerger dans l’entreprise (développement de la personne, co-formation…). 9 HOFSTEDE G., « Les conséquences de la dimension de la Masculine », 1987 34 D’autre part, l’entreprise devra de plus en plus composer entre des positions souvent contradictoires entre les exigences de l’organisation portées par les chefs, les volontés d’investissements extérieurs (jeunes diplômés), les soucis familiaux de certains et les espoirs de carrière d’autres. L’identité au travail se construit donc aujourd’hui au carrefour d’investissements internes et externes à l’entreprise. Tableau chronologique des évolutions des configurations organisationnelles/ construction des identités sociales par le travail (R. Sainsaulieu)10 : Appartenance Œuvre Trajectoire Affrontement Maison Métier Apprentissage Lutte sociale (le patron) (le compagnon) (l’apprenti) (le militant) Epoque industrielle (après Seconde Guerre Mondiale) Croissance organisationnelle (trente glorieuses) Action collective Bureaucratie Expertise Promotion (le partenaire (le fonctionnaire) (l’expert) (le cadre) social) Entreprise Profession Mobilités Communauté (l’entrepreneur) (l’innovateur) (l’expatrié) défensive Crise et modernisation (Années 80) (les collectifs) Mondialisation et réduction du temps Société locale de travail Gestion de l’emploi Compétences Projets dans Confrontation de et et hors temps logique employabilité de travail (aujourd’hui) L’appartenance maison L’œuvre reste L’expérience restreint son emprise un principe du sur l’individu identitaire s’accroît et se constant 10 trajet La lutte s’intériorise en entreprise diversifie SAINSAULIEU Renaud, « Les Mondes sociaux de l’entreprise », Desclée de Brouwer,1995 35 II B 4.2 le « style » de l’entreprise Nous allons étudier le style de la « maison » sous deux angles : - celui du métier - celui des logiques de fonctionnement Le métier de l’entreprise, cette notion est utilisée chez Carrefour, on parle de « Cœur du métier, se recentrer sur les métiers. L’appellation chef de rayon a été remplacée par manager métier ». En effet, les métiers sont stratégiques car ils représentent le savoir-faire distinctif. Le concept de métier représente le futur idéal de l’entreprise : que constituent les compétences d’aujourd’hui, quelles sont celles à acquérir pour posséder pleinement le métier que l’entreprise a décidé de choisir ? Le métier de Carrefour, ce n’est pas la distribution uniquement mais le commerce, son cœur de métier, c’est donc la vente d’où le recentrage des compétences des chefs de rayon vers la vente. • la logique de fonctionnement : - premier axe : l’axe de management des événements Lorsque l’environnement est très compétitif comme celui de la grande distribution avec une augmentation des parts de marché incertaine freinée par le gouvernement (cela ne se fera que par la fusion et absorption d’autres enseignes) et une situation de produire les prix les plus bas, la rationalité économique prend le pas et le management stratégique est centré sur la construction de la flexibilité de l’entreprise : des vigies, des capacités de réaction, des structures de crise. - Le deuxième axe est la gestion des hommes (l’autoritarisme ou le partenariat) : L’entreprise Carrefour change petit à petit en passant d’une logique statutaire à une logique compétence. En effet, longtemps dans l’entreprise, l’autoritarisme, le management technocratique, le paternalisme ont été prégnants. 36 L’entreprise peut être qualifiée de technocratique. En effet, elle est centrée sur les coûts de production, de distribution et elle est rationalisée à outrance. En matière de gestion des ressources humaines, la productivité est obtenue au travers de primes de résultats avec l’intensification d’une rémunération individualisée. L’aménagement du temps de travail est un thème important pour la GRH, la formation est destinée entre autre à améliorer les « capacités de leadership des responsables » mais aussi les compétences techniques des opérationnels. En revanche, à l’intérieur de l’organisation, il existe de nombreuses différenciations perçues comme des richesses à fédérer et des bastions à conquérir. En effet l’entreprise est aussi contractuelle en gratifiant les relations paritaires, en mettant en place de nouvelles formes d’organisation, en investissant dans la formation qui garantit à la fois l’accroissement de la polyvalence ou poly activité plutôt et, par conséquent, la flexibilité qui est fortement prise en compte. La recherche d’une transparence accrue est dans le discours des responsables mais reste encore à démontrer bien que la libre expression des différents acteurs de l’entreprise guide les pratiques de développement de la communication. II B 4.3 • L’intégration : Les sous cultures de l’entreprise : Selon les typologies des mentalités de travail de Renaud Sainsaulieu11 qui sont des sous cultures basées sur les ressources dont disposent les salariés pour maîtriser les incertitudes à laquelle est confrontée l’organisation. Renaud Sainsaulieu12 distingue 4 grandes cultures (retrait, fusion ou unamisme, relations ou séparatisme, professionnelle ou de négociation en fonction de 5 dimensions : la relation de travail, aux collègues, au groupe, à l’autorité légale et au leader informel). La culture des relations ou séparatisme est présente dans l’entreprise Carrefour. En effet, elle se traduit par un investissement au travail comme carrière, elle 11 12 SAINSAULIEU Renaud, « Les Mondes sociaux de l’entreprise », Desclée de Brouwer,1995 Ibid. n°11 37 apparaît chez les salariés dont les chances de promotion individuelle sont fortes. Dans cette logique, seuls certains collègues de travail, placés dans la même situation promotionnelle sont valorisés, ils forment un noyau relationnel sur lequel ils peuvent s’appuyer. L’échange privilégié est l’échange de service. Ils acceptent le groupe qu’à condition d’être leader, le chef souhaité est un chef libéral, un parrain compréhensif qui aidera dans l’ascension professionnelle. La valeur clé est l’ambition. D’autre part, la culture professionnelle ou de la négociation est aussi présente dans l’entreprise. Elle se traduit par un investissement très fort dans la tâche à accomplir, les résultats à obtenir. Le groupe est recherché et nécessaire, un ajustement mutuel se réalisera. Il est courant chez Carrefour d’aller chercher auprès d’un autre salarié l’information pertinente à la réalisation des objectifs. Le leader n’est accepté que s’il a un statut d’expert. Les valeurs clés de cette culture sont l’accomplissement et le travail bien fait. • Cultures et sous cultures : La culture de l’entreprise est la résultante de la dynamique des sous cultures, c’est le rapport de force qui va expliquer l’existence d’une culture dominante. Par exemple chez Carrefour, un sous-ensemble de représentations financières a le pouvoir de contrôler l’ensemble en imposant certaines variables (réduction de la masse salariale), en occultant certaines autres (objectifs de résultat au détriment des clients), en imposant un langage, en filtrant l’information. Cette domination est évidemment en corrélation avec la structure sociale du pouvoir de l’organisation qui se prénomme l’actionnaire. Ainsi, la domination culturelle dépend des possibilités de contrôle des sources d’incertitudes de l’organisation, contrôle sur lequel les acteurs assoient leur pouvoir. Il s’agit non seulement des sources d’incertitudes présentes mais aussi de celles du passé dont le contrôle a donné à certains acteurs individuels 38 et collectifs un pouvoir suffisant pour leur permettre de reproduire les mêmes structures de pouvoir. Pour activer le changement, Carrefour devra changer certaines règles mais, pour ce faire, les acteurs susceptibles de les mettre en place devront avoir le pouvoir de les réaliser, par exemple l’introduction d’une logique de compétence à la place d’une logique statutaire. En conséquence, la culture dominante peut donc être dysfonctionnelle pour l’ensemble de l’entreprise ! II B 4.4 la résistance au changement La résistance au changement constitue le troisième volet de la culture et elle est sans doute la plus importante, elle se traduit par des lenteurs, des erreurs et des conflits, donc des coûts, des retards de crédibilité pour l’entreprise. L’entreprise Carrefour devra préparer les changements si elle veut passer d’une logique statutaire où les salariés obéissent à la hiérarchie par déférence à une logique où les rapports hiérarchiques ont un caractère inconnu (management à l’américaine). II B 5. Quel management chez Carrefour ? Le management est une formalisation de pratique pour répondre aux problèmes concrets de l’entreprise tels que : - la coordination des activités - la coopération - l’adhésion pour produire la performance Depuis très longtemps, l’entreprise Carrefour a introduit le principe de direction par objectif énoncé aux USA par Peter DRUCKER13. La gestion des objectifs a des effets structurants sur les activités et notamment des cadres opérationnels. Les réticences peuvent porter sur la manière de définir les objectifs. En effet, pour 13 DRUCKER Peter, « Les nouvelles lois du management selon Peter Drucker », article Capital dec.98 39 qu’un objectif soit mesurable, il faut impérativement que soient définis des indicateurs de mesure pour permettre de dire si oui ou non l’objectif est atteint. La pensée par objectifs est donc présente depuis longtemps dans l’entreprise mais les objectifs ne sont pas toujours bien définis. L’introduction d’une pensée par les processus est en train de naître avec notamment les nouvelles structures transversales. Cette dernière est crainte par les salariés qui pourraient penser à une dynamique de « dégraissage », de raccourcissement des lignes hiérarchiques, des réductions de frais généraux ! Bref toutes ces techniques de coordination laissent de côté une question essentielle pour le management : la question de la coopération ou comment « ménager » les uns et les autres pour une meilleure rentabilité. L’entreprise Carrefour parle du « manager minute » grâce à une formation transmise à tous les cadres (chaque initiative est soumise à l’appréciation du manager et une stratégie dite de « compliments et de réprimandes minute » est adoptée) ; en d’autres termes, lorsque le résultat est atteint, les félicitations doivent être formulées sur-le-champ. A l’inverse, si les résultats ne sont pas atteints, les critiques doivent être formulées tout en expliquant comment éviter de reproduire les erreurs. Ainsi au fil des formations, les cadres se voient enseigner des méthodes « de conditionnement » susceptibles de faire progresser leurs équipes. Une autre formation très répandue chez Carrefour est « la stratégie des alliés » qui consiste à situer chacun des collaborateurs sur un graphe à deux dimensions en fonction de son comportement «synergique » ou «antagonique ». Une fois, l’attitude du salarié répertoriée, il convient de le faire évoluer et de neutraliser les irréductibles. 40 D’autre part, l’entreprise cultive la performance à travers le management par OBJECTIFS qui trouve sa raison d’être, sa cohérence, à travers l’appréciation. II B 6. Quelques chiffres II B 6.1 Les effectifs L’entreprise Carrefour totalise 125 000 salariés dans le monde entier. Effectif Carrefour FR AN CE 98 4 59 4 38 3 3 07 04 Cadres Maîtrises Employés Commentaire : En comparant, le taux d’encadrement d’Auchan, celui de Carrefour reste beaucoup plus élevé. II B 6.2 La masse salariale Années Frais de Personnel par rapport au CA HT 1995 1996 1997 1998 8,00 % 9,64 % 10,06 % 10,22 % Les autres enseignes telles qu’Auchan tournent autour de 8,5 à 9 % de frais de personnel. Carrefour a un problème de masse salariale par rapport à la concurrence. 41 II C Réponse de CARREFOUR face à ce contexte II C 1. La stratégie L’entreprise a voulu simplifier la structure du capital du groupe. Les familles fondatrices, BADIN et DEFFOREY (détenteur de 18,6 % de son capital par les fondateurs et Carrefour), deviennent directement actionnaires de Carrefour aux côtés des familles Fournier et March. II C 1.1 Diversification L’entreprise qui se positionnait uniquement sur le concept « Hypermarché » a décidé de faire l’acquisition de Comptoirs Modernes, qui est leader du « supermarché » en France ; ce qui va permettre à l’entreprise de gagner des parts de marché dans un secteur en pleine expansion. En effet, les supermarchés sont essentiellement des magasins de flux (de proximité) et la tendance est au développement des parts de marché de ces magasins. De plus, l’intégration et le développement de l’activité supermarchés à travers Comptoirs Modernes permettent à l’entreprise de développer en commun les outils logistiques et informatiques qui réduiront à terme les coûts de distribution (l’optimisation de la rentabilité) et amélioreront encore plus la compétitivité commerciale. La combinaison des deux formats de magasin (hypermarché et supermarché) paraît pour l’entreprise répondre au mieux au management des parts de marchés. L’entreprise, d’autre part, intensifie sa stratégie de diversification notamment en matière de propositions d’offres de service aux clients. Pour cela, elle s’est alliée à Omnicom (opérateur français de télécommunication), la signature d’un accord avec cet opérateur a donné naissance à Carrefour TELECOM 42 II C 1.2 Opération coup de poing Les 35 ans du groupe avec une opération commerciale mondiale dotée d’un budget publicitaire de 200 millions de francs (plus que Peugeot pour lancer un nouveau modèle). C’est le premier distributeur à monter une opération commerciale simultanée dans seize pays différents. En terme d’achats, la mondialisation reste encore pour les dirigeants à l’état d’ébauche, en terme de planification, de logistique et de médiatisation, la performance est indéniable. Carrefour en globalisant ses achats pour l’ensemble des magasins de monde entier, a pu obtenir les meilleurs produits aux meilleurs prix. Cette opération a permis de gagner 10 % de clients mais aussi de renforcer la « massification » des achats et l’approvisionnement planétaire. De plus, je pense que cette opération a permis à l’entreprise d’initier une communication interne envers ses équipes à travers le monde afin de développer le sentiment d’appartenance et de mettre en place une mesure de la performance des équipes. D’autre part, cette opération a permis à l’entreprise de réduire les frais en amont afin d’avoir une excellente maîtrise dans la gestion des stocks. II C 1.3 organiser au mieux la production et la gestion des stocks Pour ce faire, l’entreprise entretient des relations commerciales avec les fournisseurs qui évoluent vers une Gestion Partagée des Approvisionnements. L’entreprise, en plus des remises générées par une optimisation des coûts de transport (camions complets), enrichit la relation commerciale en analysant l’ensemble de la « supply chain »14 en cherchant à améliorer la production de ce processus et à réduire les stocks à tous les niveaux. En conséquence, Carrefour a revu son organisation logistique jusque-là très sectorielle et très verticale. Les diverses directions logistiques ont été regroupées 14 Supply chain : la chaîne d’approvisionnement 43 en une seule direction nationale. Parallèlement, la mise en place des commandes « A pour A » (les magasins commandent le matin à l’entrepôt pour une livraison l’après midi pour les magasins situés à proximité et le lendemain matin pour les magasins plus éloignés) contribue à un gain de temps mais aussi à un gain financier grâce à la disparition des stocks dans les réserves magasins et à l’élimination des manutentions de la réception à la réserve, puis de la réserve au rayon. Ce changement d’organisation implique une évolution et une mutation des emplois. L’objectif pour l’entreprise dans les 2 ans à venir est : • d’optimiser les nouveaux outils informatiques comme EDI15 entre les fournisseurs et l’entreprise qui permettent déjà la passation des commandes, la réception des avis d’expédition, • d’uniformiser les référencements des produits entre les 133 magasins en France • d’étendre le « zéro stock » en magasin aux produits non alimentaires D’autres pays avancent dans le même sens. II C 1.4 Standardisation des processus comptables, financiers du groupe et des processus RH La réforme de l’organisation de l’entreprise, étant donné sa taille, devient incontournable. Ainsi l’identification et la standardisation au niveau mondial des bonnes pratiques de gestion financières nécessitent l’appui de systèmes d’informations modernes et efficaces d’où la mise en place d’un projet nommé « Thalès » qui est un des éléments de cette transformation puisqu’il tend à organiser en profondeur les activités comptables et financières du groupe à l’échelle mondiale. Le reporting est un de ces processus. Certains pays anciens disposent d’une multiplicité de tableaux d’information d’où la surabondance de saisies manuelles, source de perte de productivité. 15 EDI : Echange de données Informatiques 44 Enfin, la décentralisation fait apparaître l’intérêt de mettre en commun les opérations de reporting afin de diminuer la multiplication des temps de maintenance des systèmes. Cette unification nécessite donc pour l’entreprise une définition complète des référentiels et un plan de compte commun à toutes les entités du groupe. La standardisation permettra donc à terme l’automatisation complète de la chaîne comptable. Elle accélère aussi la recherche et le partage de l’information et libère ainsi les managers des tâches de production pour ne se concentrer que sur l’analyse. Lancé en 97 et testé en Thaïlande, le projet « Thalès » est rentré en phase opérationnelle en Corée et en Pologne en 98 (d’autre pays sont en cours d’installation cette année). Dans un premier temps, les fonctions de Comptabilité Générale, Gestion des Commandes, Comptabilité Fournisseurs et Gestion des Immobilisations seront mises en place, suivront dans une deuxième phase les modules : Budget, Trésorerie et Ressources Humaines (progiciel « People Soft HR »). Les nouvelles technologies de l’information et de la communication vont contribuer à gérer les compétences en tant que vraie valeur de l’entreprise. Cela nécessite pour la fonction RH, une connaissance immédiate des différents flux et des différentes masses, une visibilité prospective en terme d’emplois, de mobilité, de compétences et de rémunérations ainsi qu’une participation active dans les changements et adéquations menés par l’entreprise pour progresser. En effet, il lui est demandé de gérer la complexité telle que : • la réduction de la ligne hiérarchique et la mise en place d’une organisation en réseaux, privilégiant ainsi le leadership à la hiérarchie • la mise en place d’un plan de stock-options afin de fidéliser les cadres de l’entreprise 45 • la professionnalisation d’une catégorie de salariés pour développer les services et répondre aux évolutions des métiers dues à la standardisation des process • le redéploiement des salariés dû à l’évolution des métiers et des fusions • la négociation d’accord avec les salariés sur l’organisation du travail • … Ces différentes situations montrent les préoccupations auxquelles l’organisation est confrontée et les transformations majeures que la fonction RH devra réaliser. Celle-ci est un véritable levier pour les dirigeants pour conduire et maîtriser le changement. Pour arriver à piloter ces changements, la fonction RH doit absolument raisonner sur des informations et indicateurs nombreux, disparates et hétérogènes. (comment mettre au point une véritable politique de mobilité et de gestion de l’emploi sans avoir une visibilité globale de l’entreprise, sans mettre en perspective les indicateurs de son organisation avec les indicateurs des concurrents ?…). En conséquence, les technologies de l’information et de la communication doivent participer et aider la fonction RH à anticiper les changements. II C 1.5 La part croissante des systèmes d’information Plus que la globalisation et la puissance d’achat gigantesque que cela engendre, c’est la capacité à mettre en place des systèmes d’informations planétaires sur les flux de marchandises et sur les profils des consommateurs qui constituera, au cours de la prochaine décennie, le facteur décisif de succès. Un domaine de haute technologie dans lequel les groupes américains avec leur logistique sans faille et des systèmes d’information reliés par satellite, possèdent une bonne longueur d’avance sur les européens. Il faut imaginer que la puissance offerte par le croisement mondial des données issues des cartes de paiement et des codes barres lors des passages des chariots aux caisses pour comprendre que les concentrations dans la 46 distribution ne sont pas seulement des « bagarres d’épiciers ». Ainsi, l’entreprise devra accélérer (ayant du retard dans le domaine) le développement de son système d’information si elle veut garder son ¼ d’avance… II C 1.6 Internationalisation Carrefour veut consolider sa mondialisation. Aujourd’hui, l’entreprise a des positions fortes dans plusieurs pays et est leader de l’hypermarché en France, en Espagne, à Taiwan, au Brésil ou en Argentine. Dans les grands pays, sauf en France (à cause des lois), l’entreprise continue d’ouvrir des hypermarchés et son objectif d’ici deux ans est d’atteindre les 500 hypermarchés (actuellement 380 dont 133 en France). (en % du CA Consolidé) nombre de magasins Asie 6% Europe 14% France 57% Amériques 23% France Amériques Asie Europe Mais carrefour c’est aussi : • le groupe Erteco (Ed le marché et Ed discount) qui sont des supermarchés hard discounters • Picard Surgelés (357 magasins) progression de +13 % de chiffres d’affaires sur l’année écoulée • Comptoirs Modernes : 361 Stoc, 23 Marché Plus, 22 Comod, 381 partenaires ou franchisés 47 II C 2. Organisation II C 2.1 Changement de structure en magasin Si la distribution apporte une réponse au discount auprès des consommateurs, la fidélisation des clients doit être accentuée en leur apportant une valeur ajoutée. Confrontées à une concurrence plus professionnelle, à une rentabilité plus difficile à obtenir, à une pression constante du marché pour réaliser des gains de productivité, les entreprises de grande distribution doivent repenser leur organisation humaine dans les hypermarchés. Actuellement, elles cherchent un mode d’organisation adéquat dans les magasins. II C 2.2 Comparaison avec les autres enseignes Le changement d’organisation dans les magasins de grande consommation semble inéluctable. En effet, la majorité des enseignes concurrentes change d’organisation dans ses magasins. Le chef de rayon n’est plus entrevu comme l’homme à tout faire dans le magasin mais il faut qu’il consacre plus de temps à ses équipes et clients pour cela, sa charge de travail doit être allégée (le droit du travail incite aussi à le faire). • Pour Continent, le chef de rayon polyvalent disparaît au profit d’un binôme constitué d’un responsable des actions commerciales chargé de la partie animation et opérations saisonnières et d’un responsable de vente en charge du management des équipes et de la gestion du permanent. Pour animer et coordonner ses nouveaux chefs de rayon, l’équipe d’encadrement sera composée de trois cadres au lieu de cinq (responsable alimentaire, non alimentaire et marketing). • Pour Auchan, le chef de rayon voit son poste scindé en deux. D’un côté, le chef de gamme très orienté marketing et vente, de l’autre, le chef approvisionnement plus orienté approvisionnement et gestion. Quant aux 48 chefs de secteur produits, ils seront remplacés par deux directeurs adjoints, le premier s’occupant de la partie commerciale, le second de la partie approvisionnement. Ce nouveau mode d’organisation testé dans trois petits hypermarchés (moins de 6000 m2) et qui devrait l’être à terme dans les grands. • Leroy Merlin a modifié les missions des équipes de vente pour coller aux cinq « mondes » (bricolage, construction, jardinage, équipement sanitaire….) crées par l’enseigne il y deux ans. Ainsi les responsables de rayon et les conseillers vente ne sont plus attachés à un produit (la moquette par exemple) mais à un univers (la décoration) , ce qui implique plus de polyvalence, Ils doivent être en mesure de satisfaire au besoin du consommateur de A à Z et d’autre part, d’optimiser l’organisation du travail. II C 2.3 Carrefour - mise en place de structure transversale en magasin II C 2.3.1 Descriptif Une refonte de l’organisation des ressources humaines a été entreprise par Carrefour. Comme les autres enseignes, le métier de chef de rayon et l’encadrement ont été redéfinis. Cette évolution des métiers fait suite à la centralisation des achats, de la logistique, de l’automatisation des procédures (Thalès et le nouveau logiciel de gestion commerciale). En effet, la mondialisation a eu pour effet de vider de son contenu la mission des cadres en magasin. Les magasins délestés des fonctions logistiques, informatiques, achats, de plus en plus prise en charge en amont, la mission des cadres avait significativement changé. Seule une redéfinition des métiers pouvait leur donner une nouvelle valeur ajoutée. La réponse consiste à recentrer tous les moyens et les compétences des magasins sur la vente. Parallèlement, les exigences des consommateurs ont changé, ils veulent davantage de conseils et de services. Enfin, 49 les lois citées précédemment empêchent les distributeurs d’accroître leur surface et rendent plus impérative que jamais la recherche d’une performance économique. De plus, la loi des 35 heures amplifie le phénomène ainsi la définition de nouvelles méthodes de travail en magasin s’impose. Par conséquent, Carrefour décide de raccourcir la ligne hiérarchique, l’encadrement est allégé dans huit magasins tests. Le manager métier va remplacer le chef de rayon qui ne travaillera, à l’avenir, plus pour un ou deux rayons mais pour un univers, par exemple les produits carnés à la boucherie, les sous-vêtements au textile. Ils devront manager l’équipe de vente et seront responsables de la gestion intégrale du compte d'exploitation de leur univers. Avec la centralisation des achats du groupe, le rôle des chefs de rayon s’est paupérisé. En effet, ils passaient beaucoup de temps à la manutention mais cet état de fait est dû également au manque de main d’œuvre et à la surabondance de cadres. L’entreprise veut ainsi donner aux managers métiers plus d’autonomie et leur permettre de se consacrer à 100% à l’amélioration de la vente des produits de leur univers. Pour soutenir les managers métiers dans une perspective globale du magasin, une équipe transversale de management est mise en place, constituée d’anciens chefs de secteur dont les fonctions sont désormais devenues inutiles. Leur nouveau rôle : conseiller les managers métiers et servir de courroie de transmission entre le siège et les magasins sur cinq domaines stratégiques : ressources humaines, contrôle de gestion, marketing, flux et organisation, commercial. Cette nouvelle configuration s’applique aux plus grands hypermarchés (+ de 1 milliard de francs de Chiffre d’affaires), dans les magasins à faible volume (- de 500 millions de francs de CA) ou situé sur la même zone de chalandise, certaines fonctions seront partagées telles que : le responsable des ressources humaines, le marketing et flux et organisation. Dans les magasins entre 800 millions et 1 milliards, il y aura un marketing, contrôleur de gestion, un commercial. Même volonté de souplesse pour les 24 50 managers métiers qui se verront octroyés plusieurs univers dans les petits magasins dans un souci de rentabilité. D’autre part, il devient évident que les fonctions du directeur changent (étant déchargé de coordonner les secteurs), il peut mieux se consacrer à la gestion et au relationnel. Ces nouvelles structures permettent de décloisonner le magasin et de le gérer de manière collective (chacun œuvrant pour l’intérêt collectif et pour la satisfaction des clients). Ces changements, comme tout changement, engendrent des difficultés. Autrefois, les managers métiers percevaient leur valeur ajoutée sur les achats et la gestion des stocks. Aujourd’hui, on leur demande de faire de la vente assistée, un véritable marketing de proximité et du management. D’autre part, les chefs de secteur se voient perdre leur pouvoir hiérarchique et en parallèle, ils devront devenir « expert » dans un domaine. Afin de permettre aux nouveaux responsables experts de développer de nouvelles compétences, Carrefour met en place un vaste programme de formation ( 8 à 20 jours de stage de formation intensif). Cette structure permettra d’obtenir une meilleure cohésion et d’accroître la réactivité et rapidité dans la prise de décision. Le temps gagné va permettre d’être réinvesti pour les clients. D’ici 2001, ces structures transversales seront démultipliées. II C 2.3.2 1er facteur de réussite - la coopération Pour réussir, ce changement d’organisation, il est primordial qu’une coopération se développe (les chefs de secteur ayant l’habitude de travailler pour leur secteur). La réussite de cette nouvelle structure passe donc par l’efficience de la coopération et la réussite de la coordination. Cette coordination horizontale va notamment reposer sur le partage des informations et la communication. • Comme le rappelle Mintzberg (1982)16, toute activité humaine organisée doit répondre à deux exigences fondamentales et contradictoires, la 51 division du travail entre les différentes tâches à accomplir et la coordination de ces tâches pour en assurer la cohérence. L’ajustement mutuel est un mécanisme de coordination que les salariés fonctionnels de Carrefour ont l’habitude de réaliser, depuis longtemps, ils sont habitués à travailler de manière transversale. En revanche, dans les magasins, ce mode d’ajustement n’est pas monnaie courante et chaque salarié a plutôt l’habitude de travailler « pour sa propre paroisse ». La difficulté est que la coopération ne peut être prescrite et qu’elle repose avant tout sur la volonté des parties concernées (d’où la nécessité de faire adhérer les salariés aux nouvelles structures). La coopération est caractérisée par l’ensemble des liens que construisent volontairement entre eux des salariés afin de faire face à une situation nouvelle (cette définition est inspirée de celle de Christophe DEJOURS17 ). Ces liens sont de nature multiple (construction et développement des savoirs, compétences communes, partage d’expérience) et il s’agit à chaque fois d’actions individuelles qui mettent en jeu les relations avec les autres acteurs. Par conséquent, afin de favoriser la coopération, l’entreprise devra prendre garde à certains traits de la dimension culturelle comme l’autorité hiérarchique qui nuirait au développement de pratiques coopératives. Seul le dialogue et l’argumentation peuvent être vecteurs de coopération active. II C 2.3.3 2ème facteur de réussite - définition d’objectifs communs 16 17 Ibid. n°7 DEJOURS Christophe, « Travail, usure mentale », 1980 52 D’autre part, la réussite de ce changement d’organisation requiert la définition d’objectifs communs et une approche pertinente de l’information. Les objectifs en terme de performance devront être clairement explicités (les chefs de secteur n’ayant plus un compte d’exploitation comme indicateur de leur performance) et redéfinis. L’entreprise a redéfini le système de rémunération pour la population des nouveaux responsables transversaux. En effet, la prime 1 est supprimée (basée sur les résultats du secteur), en contrepartie, les primes 2 et 3 sont renforcées. Leur évaluation repose sur les résultats collectifs du magasin et sur la motivation du salarié (les salariés ont l’habitude d’appeler cette prime « prime de gueule »). D’autre part, l’information qui compare les résultats aux performances attendues devra être organisée pour que chaque membre puisse s’auto-évaluer. II C 2.3.4 3ème facteur de réussite - définition de l’information dont chaque salarié a besoin Tout membre de l’entreprise devra constamment ré-analyser l’information dont il a besoin pour mener à bien son travail et contribuer ainsi au résultat d’ensemble. Il ne suffit pas d’avoir de l’information à outrance mais de l’information utile à la réalisation de la mission pour : • savoir ce que le salarié fait • être capable de décider ce qu’il devrait faire • évaluer la qualité de ce qu’il fait D’où la nécessité de la mise en place d’un système d’information et de gestion cohérent devant se transformer en centre de résultat et non en centre de coût. II C 2.3.5 Conséquences de ces changements organisationnels 53 Ces changements de structure vont entraîner pour l’entreprise Carrefour des problèmes de management. Une modification des vieilles habitudes et l’acquisition de nouvelles vont être nécessaires. Or, l’entreprise Carrefour a connu des succès avec ses anciennes structures et le processus de changement risque d’être douloureux pour les cadres. En effet, il menace leur emploi, leur statut, leurs opportunités d’évolution. Par conséquent, des problèmes de management spécifiques risquent d’apparaître, il est donc impératif de : - mettre en plus des systèmes de rémunération, des signes de reconnaissance et des opportunités de carrière pour ses nouveaux spécialistes. Il est impératif que les valeurs et la structure de rémunération des entreprises soient modifiées. Carrefour a déjà engagé une modification du processus de rémunération (voir cidessus). - Créer une vision unifiée dans un univers de spécialistes. Carrefour devra donner à l’organisation transversale de spécialistes une vision commune, une vue d’ensemble. Il est indispensable que la vision globale de la société et la direction qui y est donnée soient partagée par la majorité des responsables transversaux, que leur rôle soit compris de tous. L’entreprise devra accepter et encourager la fierté et le professionnalisme de ses nouveaux experts. En l’absence d’une gestion de carrière dans l’encadrement intermédiaire, la motivation doit se nourrir à travers ce professionnalisme. - assurer la relève au niveau de la GRH et veiller à sa préparation et à sa mise à l’épreuve. Les objectifs de changements opérationnels de ces différentes enseignes et de Carrefour sont communs à savoir : 54 - mieux coller aux attentes des clients, - raccourcir la ligne hiérarchique plus être plus réactif, - recentrer les cadres sur leur mission et à terme en diminuer le nombre - améliorer la rentabilité des points de vente, acquérir un avantage concurrentiel. II C 2.4 Changement d’organisation « marchandise » en magasin : organisation par univers II C 2.4.1 Apport théorique sur l’évolution des organisations en entreprise Jusqu’à présent, l’organisation de Carrefour était dite « cellulaire » (une organisation par petites équipes d’une grande autonomie pour auto-organiser leur travail, directement responsables de la performance pour l’entreprise). Le mode de contrôle du travail est un mode de contrôle par objectifs/résultats et les salariés sont évalués sur le niveau d’atteinte de ces objectifs. Toutefois, ce genre d’organisation présente des limites : • elle risque de conduire à une vision corporative, une segmentation des performances (chaque rayon ou secteur ne s’occupant que de son propre travail). En effet, l’entreprise réussit à améliorer les performances locales des équipes mais sans pouvoir faire vivre une vision d’ensemble de cette performance. Afin de remédier au dysfonctionnement que cela entraîne, l’entreprise Carrefour associe à son organisation cellulaire une organisation transversale. En effet, l’organisation en réseau a été développée pour résoudre les problèmes que l’organisation cellulaire classique ne permettait pas bien d’appréhender. En particulier, l’organisation en réseau permet de prendre en charge les besoins 55 d’organisation transversale, commune à plusieurs métiers de l’entreprise, et visant une performance directement globale. Dans ce type d’organisation qui est largement inspiré des méthodes américaines, une intégration des performances individuelles (les métiers travaillant ensemble) permet de donner une visibilité directe sur la performance globale. L’organisation en réseau est très souple, elle a plusieurs formes de configuration : • organisation par les processus • organisation par ligne ou business unit Cette association de cellule met l’accent sur la responsabilité de l’équipe vis à vis du résultat final (le client). L’objectif des équipes transversales de Carrefour est d’animer les interactions entre les rayons et de gagner en performance grâce à la structuration systématique d’une communication inter métiers. Toutefois, il doit s’agir d’un réseau de coopération et non d’un réseau de pression et de contrôle sur les équipes ! Le contrôle du travail se déplace de la cellule isolée vers le réseau. Cette organisation en réseau comporte aussi certaines limites et difficultés : • elle risque de rendre les objectifs très abstraits et éloignés • elle risque d’aviver les tensions et les désaccords entre différents métiers • elle peut conduire à limiter l’autonomie des équipes en augmentant la pression qui vient du réseau C’est pourquoi l’idée serait de rechercher un équilibre entre l’organisation en cellules autonomes et l’organisation en réseau, d’aller vers une organisation cellulaire en réseau au sein de laquelle chaque forme organisationnelle équilibre l’autre. Une autre organisation dite « en projets » existe aussi dans l’entreprise. Il s’agit de réunir une équipe multimétiers autour d’un projet d’innovation, avec des 56 objectifs précis et une durée de vie spécifiée. Cette organisation est temporaire, pour une durée limitée. Le gros avantage est de polariser les compétences et l’investissement des membres du projet. Toutefois, cette organisation a tout de même des inconvénients dans le sens où se pose la question de savoir comment les projets d’innovation peuvent rentrer dans le fonctionnement de l’entreprise. D’où l’idée de faire de l’organisation par projet une forme organisationnelle qui se diffuse largement dans tout le tissus social de l’entreprise. Bref, « faire traverser l’organisation ordinaire, en cellule reliée en réseau, par des projets », de manière à dynamiser toute l’organisation et à y insuffler un esprit d’innovation. Carrefour rentre dans ce mode de fonctionnement en associant ces trois mutations organisationnelles (cellulaire, en réseau et par projets) au sein d’un même fonctionnement. L’on pourrait qualifier, CARREFOUR « d’une organisation cellulaire ou poly cellulaire (avec un haut niveau d’autonomie et de responsabilité de chacune des cellules) et en réseau (des appuis de cellules fonctionnelles aux cellules opérationnelles), animée par projet ». II C 2.4.2 Mise en œuvre d’organisation en Univers dans les magasins carrefour Afin de riposter à l’agressivité des magasins spécialistes (Décathlon, Fnac, Castorama), l’entreprise change le concept hypermarché. Jusqu’à présent, dans les magasins, il y avait trois secteurs non alimentaires liés aux produits (textile, bazar, electro-photo-ciné-son). Désormais, il y aura quatre univers regroupés selon la logique d’achat des clients : culture et communication, maison, loisir et détente, la personne. Chaque univers est divisé en boutiques spécialisées (le libraire, les arts de la table, etc). Ce changement aura bien entendu des conséquences sur la qualification des employés des rayons qui devront développer une certaine polyvalence. 57 II D Ebauche du dispositif de politique de gestion des ressources humaines Je terminerai ce chapitre par une ébauche de réponse en matière de gestion de ressources humaines (ce que j’ai pu déceler par rapport aux informations auxquelles j’ai eues accès). Elle ne prétend donc pas être exhaustive… II D 1. Gérer la mobilité L’objectif de la DRH est d’anticiper la gestion des ressources humaines afin de stabiliser les personnes et de mieux préparer leurs mouvements. Bref de gérer au mieux la mobilité utile à l’entreprise. Pour ce faire, un Comité de détection a été créé afin de passer en revue l’ensemble des managers, directeurs… et permettre ainsi d’envisager leur avenir. Des listes sont élaborées recensant les membres de l’encadrement susceptibles de bouger. De plus, l’entreprise a mis en place un outil appelé fiche « itinéraire » afin de constituer une base de données. Les cadres ont rempli cette fiche via Lotus Notes. Chaque fiche mentionne leurs parcours professionnel, leurs formations, leurs souhaits de mobilité internationale. II D 2. Maîtriser la masse salariale L’entreprise Carrefour gérait jusqu’à présent les rémunérations de manière assez décentralisée ; les directeurs de magasins étant responsables de l’évolution de la masse salariale. Dans ce contexte, Carrefour décide de mettre en place de nouveaux outils afin de mieux piloter : • la maîtrise de la masse salariale (effets : reports, de masse, de niveau, noria…) • la consolidation des prévisions et des résultats magasins • la compétitivité de l’ensemble des rétributions offertes aux collaborateurs de Carrefour (benchmarking afin de vérifier si le système de rémunération est compétitif par rapport à la concurrence) 58 • la refonte de la politique de rémunération pour supporter le développement de l’entreprise II D 3. Négociation sociale La réduction du temps de travail a été un levier pour adapter le travail aux attentes des clients mais aussi aux salariés de l’entreprise. En effet, la nouvelle Convention Collective de mars 1999 présente des capacités de compétitivité et de développement de l’entreprise en prenant en compte les aspirations des salariés. Elle s’est réalisée à travers le dialogue social avec les partenaires sociaux. La réduction du temps de travail en contrepartie d’une semaine supplémentaire de congés, de la création de 1000 emplois et 250 en faveur des handicapés, sans réduction de salaire, demandait une meilleure organisation des horaires. En contrepartie, les syndicats ont accepté une certaine flexibilité, la semaine de 35 h pouvant monter à 41 heures pendant les périodes actives où tomber à 29 heures pendant les mois creux. Cette modulation concerne aussi les temps partiels qui (si les salariés concernés l’acceptent) voient leur contrat revalorisé jusqu’à + 3 heures. Par contre, les syndicats ont cédé sur les points suivants : - les primes d’ancienneté et de présence sont gelées, - l’exclusion des primes dans la base de calcul du salaire de référence des congés payés, - le forfait pause n’est plus inclus dans le temps de travail effectif. On peut dire que l’entreprise a réussi à travers des négociations actives avec les partenaires sociaux à refondre sa Convention Collective sans la dénoncer. La société CARREFOUR occupe donc une position dominante dans la Grande Distribution mais en France ce secteur d’activité se caractérise par : 59 • Des consommateurs de plus en plus exigeants. • La faible progression du pouvoir d’achat et la prudence des ménages (impact du chômage, manque de compétitivité, les prix ayant tendance à baisser ) • La nécessité d’un développement à l’international soutenu pour conserver des marges compétitives ( en France ouverture de magasin bloquée ) • Un cadre réglementaire de plus en plus contraignant (législation du travail, vente à perte – loi Raffarin18.. .) Ainsi lors de la présentation des principales caractéristiques de la Grande Distribution et de Carrefour, j’ai souligné que, l’une des principales évolutions qu’ a connue le secteur durant des années, est l’avènement de la guerre des prix. Cette exacerbation du discount apparaît comme la conséquence de l’apparition des grandes surfaces. D’autre part, l’histoire de l’entreprise, ses choix antérieurs ont une influence sur ce qu’elle est aujourd’hui. La politique commerciale apparaît comme un élément déterminant de différenciation. La réduction des marges commerciales due à l’intensification de la concurrence a conduit Carrefour à rechercher des économies d’échelle en centralisant ses achats afin de renforcer sa position dans les négociations commerciales auprès des fournisseurs. Alors que Carrefour était traditionnellement très décentralisée du point de vue de l’approvisionnement et des achats. L’entreprise s’est donc développée sur des modes de gestion distincts. Elle est passée d’un mode de gestion décentralisé à une gestion centralisée (plus conforme à sa politique d’assortiment court et de discount). 18 Loin Raffarin : obligation de passer devant une commission pour ouvrir un hypermarché 60 Cette évolution a induit de nouvelles formes d’organisation et le développement de l’informatique. En outre, les mutations majeures des contextes concurrentiels entraînent le développement d’une flexibilité adaptative, d’une coordination horizontale, d’un partage de l’information, d’une mobilité des hommes et des équipes. Cette nouvelle organisation doit rendre les hiérarchies moins prégnantes. La source de la valeur ajoutée se déplace vers les communications, les habiletés relationnelles et les systèmes de connaissances. L’entreprise CARREFOUR évolue dans un contexte spécifique lié à son histoire et qui la conduit vers des politiques de gestion des ressources humaines spécifiques, et contingentes à un environnement particulier. Les nouvelles formes d’organisation du travail mises en place par l’entreprise répondent ainsi à un objectif économique. Les fluctuations d’activité soumettent CARREFOUR à de fortes contraintes d’adaptabilité et de flexibilité afin de satisfaire les clients. L’assouplissement des structures indique que l’entreprise s’achemine progressivement vers des structures où il y aura moins de cadres, plus de coopération et davantage de transversalité. La structure s’adapte dans le sens de la flexibilité et de l’allégement ; ce point constitue un enjeu majeur pour l’entreprise. 61 62 III. La flexibilité - de la théorie à la pratique dans le secteur de la grande distribution Dans la première partie, il a été établi qu’en fonction du choix stratégique, organisationnel, des effets du secteur de la grande distribution, une logique de souplesse est nécessaire. Toutefois, il m’apparaît opportun de préciser à travers le chapitre suivant les points suivants : De quelle flexibilité parle-t-on ? Pourquoi est-elle pertinente ? Quels sont les enjeux ? Comment est-elle mise en place dans le secteur de la grande distribution ? III A Apport théorique La gestion de la flexibilité semble être la réponse nécessaire dans le secteur de la consommation de masse. En effet, les entreprises sont amenées à s’adapter aux changements qu’ils soient liés aux fluctuations de la demande ou à la concurrence pu des actionnaires ou du gouvernement... La prévision, l’anticipation et surtout la planification deviennent de plus en plus difficiles, les entreprises doivent s’adapter dans un laps de temps toujours plus court à des évolutions commerciales, sociales… Cette contrainte de renoncer à la prévision impose de développer au maximum la flexibilité, c’est à dire l’aptitude à s’adapter aux changements liés aux conditions extérieures. La gestion de la flexibilité a donc pour vocation de faciliter des ajustements rapides et permanents. 63 Comme la gestion prévisionnelle, la gestion de la flexibilité concerne toutes les pratiques de GRH : formation, recrutement, gestion des carrières et de la mobilité, rémunération peuvent être affectées ou utilisées pour la recherche de la flexibilité. Les composantes classiques de la gestion des ressources humaines se trouvent affectées par la dualité flexibilité/planification. La flexibilité est donc un paradigme de mise en cohérence des pratiques de GRH . Il n’existe pas une pratique unifiée, la recherche de la flexibilité est avant tout une finalité, un mode de raisonnement, un cadre de référence pouvant guider la mise en œuvre des pratiques de GRH . Véritable cadre de gestion de l’emploi, la flexibilité est souvent liée au droit, dont son développement dépend étroitement. Elle est aussi arrimée à la négociation collective (aménagement du temps de travail, 35 heures). L’entreprise Carrefour doit développer la flexibilité parce que les contraintes de l’environnement changent profondément. Les ajustements auxquels elles doivent consentir ne laissent pas l’organisation indemne. Pour comprendre la signification de la flexibilité, je vais examiner les mutations organisationnelles qu’elle accompagne, les débats qu’elle suscite, les contextes qui la favorisent ou au contraire la freinent . 64 III A 1. Définition de la flexibilité La flexibilité s’oppose avant tout à la rigidité, ce qui est la caractéristique des modèles passés (Taylor, 30 glorieuses, emploi à vie CDI et rémunéré selon des négociations collectives ou la législation en vigueur). Cela se fera souvent au prix d’importantes modifications du Droit du Travail, abondamment porteur de ce cadre de référence et élaboré sur sa base de la flexibilité. III A 2. Flexibilité de l’emploi ou du travail ? Le concept de la flexibilité est souvent critiqué, il est ambigu car il n’y pas une seule forme de flexibilité ; elle est multiple et paradoxale (quantitative ou numérique, qualitative ou fonctionnelle, externe, interne, offensive, défensive). L’article de Dominique Haddad et Philippe Halimi (1999)19 différencie deux types de flexibilité. Si elle produit de la précarité et de l’insécurité, de la segmentation et de la fragmentation, la flexibilité est nommée « flexibilité de l’emploi ». Si elle produit de la stabilité et de la sécurité, de l’autonomie et de la compétence, de l’identité et du sens, elle sera nommée « flexibilité du travail ». Nature de l'effectif de CARREFOUR : 1998 Temps Partiel dans l'entreprise CARREFOUR : 1998 6% 5% 14% 21% 46% 47% 6% Temps complet Salariés entreprise ext. 23% Temps partiel Stagiaire Ecole 32% CDD CET entre 28h1/4 et 35h entre 23h55 et 28h 1/4 inférieur à 23h55 L’entreprise privilégie les contrats à temps partiels supérieurs à 28 h et les CDI (46 % + 23 %), l’entreprise tend donc à développer la flexibilité du travail. Ce qui pourra lui permettre de répondre à la fois aux objectifs et aux stratégies de l’entreprise en créant et en développant les actions, les pratiques et les opportunités permettant à l’homme de se construire et de créer la valeur économique recherchée. 19 HADDAD Dominique, HALIMI, « Flexibilité du travail ou flexibilité de l’emploi », Personnel Mai 1999 65 III A 3. Réduction et aménagement du temps de travail L’état dans une perspective de réduction du chômage incite les partenaires sociaux à signer des accords sur la réduction et l’aménagement du temps de travail. L’ordonnance de 1982 avait contingenté à 130 heures maximum le nombre d’heures supplémentaires annuelles pour un salarié Carrefour avait conclu un accord en 1982 avec les partenaires sociaux pour une durée hebdomadaire normale de travail effectif de 35h75 (soit 35h45) pour les employés avec maintien de salaire. De plus, la durée du travail effectif pouvait être modulée dans le cadre d’horaires hebdomadaires variables se situant dans une marge de 3 heures en plus et 3 heures en moins par rapport à la durée normale de 35h75. Cette modulation devait faire l’objet d’un plan établi par la direction après consultation du Comité d’Etablissement La loi quinquennale sur l’emploi cherchait en 1993 à faire de la réduction du temps de travail une contrepartie de l’annualisation du temps de travail souhaitée par les entreprises, l’amplitude de la réduction et la modulation des horaires étant laissée à la négociation entre employeurs et syndicats, à condition de respecter la loi. En règle générale, telle qu’elle est envisagée en France, la réduction du temps de travail passe surtout par la promotion du temps partiel ; celui-ci est une forme de flexibilisation permettant à l’entreprise de mieux répondre aux besoins des entreprises et représente un enjeu économique, c’est notamment le cas dans le secteur de la grande distribution. 66 Pour CARREFOUR, un accord de 1995 précise que le nombre d’heures de travail effectuées par les mêmes catégories de salariés pour le service caisse est de 60 % du total des heures travaillées et pourra être de 75 % après avis favorable du Comité d’Etablissement. Effectifs Effectif mensuel moyen de l’année (horaire > ou égal à 35h45) Effectif mensuel moyen de l’année (horaire compris entre 28h15 et 35h45 exclus) Effectif mensuel moyen de l’année (horaire compris entre 23h55 et 28h15 exclus) Effectif mensuel moyen de l’année (horaire hebdo inférieur à 23h55) 1995 27158 1996 28279 1997 29115 6421 6801 6945 5646 5665 5249 3201 3189 3735 15299 soit 54,71 % D’autre part, la loi a mis en place pour l’aménagement du temps de travail des instruments tels que la préretraite progressive ou le compte épargne temps. III A 3.1 La préretraite progressive La préretraite progressive permet à des salariés de plus de 55 ans de quitter progressivement leur emploi. Une convention doit être signée entre l’employeur et l’Etat et la durée du temps ne doit pas excéder 50 % de ce que le salarié aurait été amené à travailler à temps plein. L’employeur verse un salaire calculé sur la base d’un mi-temps, complété partiellement par l’état. Des contreparties sont imposées par le législateur : soit d’ordre financier, soit sous forme d’embauche. L’entreprise Carrefour a décidé de maintenir la préretraite progressive comme l’année dernière pour les employés et les agents de maîtrise âgés de 55 ans et de l’élargir aux cadres. Une convention avec l’Etat a été signée et pour permettre de 67 bénéficier de l’accord, l’entreprise versera une contribution de 2 % du salaire par nombre d’années en préretraite. Les conditions de bénéfice sont identiques au paragraphe, ci-dessus. Le salarié percevra une rémunération de 50 % versé par l’entreprise et 30 % par l’ASSEDIC. Les salariés travailleront 2 ou 3 jours par semaine ou 5 demi-journées, cette organisation du travail devra être définie par la hiérarchie. Cette année, il est prévu que 323 salariés de l’entreprise partent en préretraite progressive (voir chapitre III). III A 3.2 Annualisation du temps de travail : limites et atouts Les secteurs qui, aujourd’hui, ont beaucoup à gagner dans la flexibilité du temps de travail sont à l’évidence : • les activités liées à l’ouverture aux clients Nous avons vu que les enjeux de la flexibilité sont nombreux, ils portent sur : • une optimisation des coûts de la main d’œuvre • un meilleur service aux clients • une réduction significative des coûts de non-qualité liés à l’utilisation de la main d’œuvre précaire (intérimaires/CDD) Pour répondre à ces enjeux, Carrefour module les horaires de manière officieuse à travers l’accord de mars 99, agrandit les plages horaires de travail hebdomadaire, accentue dans les mois à venir la polyvalence qui permettra une plus grande interchangeabilité des personnes afin de s’adapter aux fluctuations d’activités entre les différents postes de travail et en fonction de la nouvelle organisation des magasins (par univers). 68 III A 4. L’emploi salarié, les changements La tendance actuelle des entreprises est de développer la sous-traitance, contrat de franchise, parrainage, intérim, stagiaire école, Carrefour n’échappe pas à la règle avec une augmentation de Contrats temporaires de 137,64 % en 1997. Travailleurs 1995 1996 1997 1998 Extérieurs Nbre de salariés appartenant % d’aug % d’aug 97/96 97/98 6695 7252 9817 9728 + 35 % 5043 4513 4728 4719 + 610 1113 2645 3195 + 137,64 % - 0,9 % entreprise extérieure Nombre de stagiaires école Nombre moyen mensuel de 4,76 % - 0,19 % + 20,79 % travailleurs temporaires 12000 9817 9728 10000 8000 6000 7252 6695 5043 4513 4000 2000 4728 2645 610 4719 3195 1113 0 1995 1996 1997 1998 Nbre de salarié appartenant entreprise extérieure Nombre de stagiaire école Nombre moyen mensuel de travailleurs temporaires 69 III A 5. Les différentes typologies de la flexibilité L’entreprise peut donc jouer sur les éléments de flexibilisation suivants : • l’emploi : embauches, licenciements (intérim, cdd, contrats de travail particuliers, préretraites progressives, stages) • Le temps de travail : Il est réduit (35 h) et aménagé (modulation – Ilôt caisses) • Les hommes : La flexibilité professionnelle renvoie aux pratiques de mobilité. La mobilité géographique est « de rigueur » dans l’entreprise et existe depuis fort longtemps. Un processus de gestion de la mobilité est en cours de réalisation afin de l’optimiser. La mobilité fonctionnelle par l’acquisition de nouvelles compétences devrait se développer pour accentuer la polyvalence et la poly-activité. • L’organisation : l’organisation devient déformable en fonction des situations. Carrefour a mis en place une « démarche flexible » : si le magasin réalise plus de 1 milliard de CA, la structure transversale complète (un responsable organisation et flux, un RRH, un contrôleur de gestion, un responsable commercial, un responsable marketing) est en place, sinon la structure transversale se limite à un contrôleur de gestion, un responsable commercial et un responsable marketing. • La rémunération : la répercussion sur les salaires selon plusieurs modalités possibles est envisagée et devient donc flexible selon ces modalités. L’entreprise a en chantier actuellement un « projet rémunération » (qui reste confidentiel et auquel je n’ai pas eu accès ). Par rapport à ce que j’ai 70 pu comprendre et le peu d’éléments que j’ai pu glaner, il semblerait que l’entreprise ait la volonté de se rapprocher des niveaux de la branche et du marché du travail en matière de pratiques salariales. En effet, il n’est pas viable pour l’entreprise qu’un cadre touche en moyenne un fixe de 24.800 frs par mois, soit 15 à 40 % de plus que les homologues des autres enseignes (sauf pour les magasins ouverts après 1985 qui peuvent euxmêmes fixer leur rémunération suite à un accord signé avec les syndicats. Toutefois, leurs salaires restent tout de même supérieurs à la moyenne du marché). III A 6. Choisir la flexibilité en fonction des situations G. DONADIEU offre une synthèse sur la question de la flexibilité et les solutions les plus adaptées : Tableau : choisir ses flexibilités en fonction de la situation 20 Formes de flexibilité Enjeu Emploi Temps Professionnelle Rémunération Organisation De travail Ajustement Conjoncturel (baisse/hausse des cdes) + ++ Adaptation Structurelle : aux marchés aux technologies aux mentalités 20 ++ + + + + + ++ ++ ++ + + DONNADIEU Gérard, « Les Flexibilités –Bilan et perspectives », Personnel n°353, Août-Septembre 1994 71 III B Les conditions de mise en œuvre de la flexibilité Suivant le type de flexibilité choisi (quantitative : jouant sur la quantité de travail mobilisée ou qualitative : jouant sur la nature et l’organisation de ce travail) CADIN (1997)21 propose plusieurs conclusions afin de mettre en évidence le caractère contingent de la flexibilité. III B 1. Les conditions de la flexibilité quantitative (interne ou externe) III B 1.1 La législation et l’état du marché du travail La France, qui se caractérisait plutôt par le recours à une flexibilité quantitative externe centrée sur le court terme, tend à évoluer vers davantage de flexibilité interne à long terme (quantitative mais aussi qualitative) cherchant à aller vers davantage de flexibilité dans l’organisation et les conditions d’emploi (salaires, durée et aménagement du travail, éléments annexes de la rémunération). L’entreprise Carrefour se situe dans cette logique. III B 1.2 La présence ou non des syndicats ou de tout autre contrepouvoir dans l’entreprise La flexibilité est vécue pour les partenaires sociaux comme une menace pour les intérêts des salariés ce qui implique une demande fréquente de contreparties dans les négociations sur la flexibilité. Pour reprendre l’exemple de Carrefour, l’aménagement du temps de travail a été négocié en contrepartie de préservation du salaire, d’unicité des statuts etc.. La plupart des pratiques de flexibilité sont mises en œuvre par la négociation d’accord de branche ou d’entreprise, ce qui implique que l’absence de syndicats peut constituer un handicap pour la politique de mise en œuvre de la flexibilité ; ce n’est pas le cas pour Carrefour qui depuis fort longtemps entretient un dialogue social avec les partenaires sociaux. 21 CADIN Loïc, GUERIN Francis, PIGEYRE Frédérique, « Gestion des Ressources Humaines, pratique et éléments de théorie », édition Dunod, 1997 72 III B 2. Les conditions de la flexibilité qualitative Elle est quasiment en interne et très complexe. La Gestion des Ressources Humaines devra être porteuse de cohérence d’ensemble à l’entreprise. Vouloir des salariés capables de faire preuve d’initiative et de réactivité afin d’éviter des erreurs préjudiciables à l’image de l’entreprise auprès des clients. Cela implique pour le salarié non seulement de vouloir, mais aussi de pouvoir mobiliser ce type d’attitude. Le vouloir passe donc bien évidemment par l’existence de contreparties, d’enjeux positifs pour les individus alors que le pouvoir suppose que le salarié dispose de moyens tant organisationnels qu’individuels pour mener à bien sa mission. Ces deux dimensions sont liées dans des éléments tels que : • la compétence et l’apprentissage : Le salarié doit disposer d’un bagage professionnel et pouvoir donc développer son professionnalisme : il est plus difficile et délicat de réagir à un imprévu de façon pertinente que de suivre un mode opératoire comme dans le modèle taylorien. Dans ce cadre, agir c’est à la fois penser et non pas faire ce que d’autres ont pensé. Cela suppose donc des moyens d’actualiser en permanence au plus près du terrain et de la réalité quotidienne grâce à des actions de formations, à la confrontation à des situations nouvelles ou élargies, à des échanges avec ceux qui rencontrent les mêmes problèmes. • La responsabilité : Face à des situations supposant une réaction rapide, il importe que chacun connaisse son champs d’intervention. Les responsabilités pourront être contractualisés mais il faut que la hiérarchie soit capable d’abandonner un certain nombre de prérogatives traditionnelles et une partie de son autorité pour permettre aux salariés de conquérir autonomie et responsabilité indispensable. La hiérarchie doit accepter d’être avant tout une aide (méthodologie, animation) à la résolution de problèmes par les individus eux73 mêmes, une instance de formation et de transmission de l’information, plutôt qu’une source de savoir et de contrôle ( la culture hiérarchique, statutaire est à bannir). • La stabilité : Un système qui se veut adaptatif doit déterminer et promouvoir des repères stables. III C Les différents usages de la Flexibilité dans les hypermarchés L’entreprise ne peut pas choisir n’importe quelle flexibilité, un certain nombre de facteurs vont venir orienter, influencer le choix. L’important est donc pour l’entreprise de savoir si elles sont adaptées ou non à la situation et aux enjeux fondamentaux. C’est sur cette dimension fortement contingente de la flexibilité que je vais poursuivre en comparant les différentes formes de flexibilité dans les hypermarchés. La grande distribution est soumise à des contraintes de flexibilité bien spécifiques : fortes variations de fréquentation de la clientèle, selon les heures, jours, semaines. La problématique est la suivante : les clients réalisent leurs achats en même temps alors comment faire face aux fortes variations de la demande ? Face à ces contraintes, l’article de Françoise GUELAUD (1991)22 précise que des choix existent entre diverses formes de flexibilité : externe ou interne, quantitative ou qualitative. Elle définit la flexibilité, d’une manière générale, comme la capacité des magasins à s’adapter à des variations d’activité, conjoncturelles ou structurelles, provoquées par les fluctuations des marchés, des produits, des techniques ou de la clientèle. 22 GUELAUD François, « Les diverses formes de gestion de la flexibilité dans les hypermarchés », Formation et emploi n°35, Juillet Septembre 95 74 Dans le cas des hypermarchés, l’activité est loin d’être uniforme. Il y a de fortes fluctuations de présence de la clientèle selon : • les périodes de l’année (par exemple : décembre, septembre et avril sont des mois très actifs) • les jours (samedis et vendredis ont des chiffre d’affaires beaucoup plus important que les autres jours) • les heures (plus grande affluence de 10h à 11h30 et de 17h30 à 20 h) mais avec des différences selon les jours de la semaine S’agissant d’un service en liaison avec une clientèle, l’adaptation aux variations d’activité doit être rapide et la plus précise. Il faut pouvoir faire correspondre le temps de travail au temps d’activité en évitant les temps morts ; ces formes de gestion sont avant tout des gestions du temps. Cependant, les solutions envisagées pour répondre aux variations d’activités ne sont pas identiques dans toutes les sociétés d’hypermarchés et dans tous les magasins. En effet, pour s’adapter aux fluctuations de l’activité, le magasin peut choisir entre : III C 1. une flexibilité externe Avec le recours de travailleurs extérieurs pour répondre aux pointes d’activité : CDD, intérim, contrats jeunes…. La flexibilité externe est utilisée par les magasins principalement pour faire face aux variations d’activités saisonnières : périodes estivales pour les régions touristiques ou semaines de fin d’année et de promotions ou périodes de congé du 75 personnel. Ces contrats spécifiques sont aussi utilisés pour les remplacement de personnel absent pour une longue durée (autorisés par les textes légaux). D’autre part, l’auteur précise à travers son étude que l’effet « société (enseigne) » a davantage de poids dans les choix effectués entre la flexibilité externe et la flexibilité interne que les seuls motifs invoqués de « saisonnalité » ou d’absentéisme. Une autre forme de flexibilité externe existe dans certains magasins et semble parfois prendre une place notable : il s’agit du personnel mis à la disposition des magasins par les fournisseurs pour assurer la gestion et l'approvisionnement des rayons, il n’est pas question d’un personnel de démonstration mais d’un personnel gérant en totalité un rayon et qui dépend totalement du fournisseur (par exemple, Carrefour a des personnes détachés par les fournisseurs qui gèrent leurs marques et rangent leurs produits le matin). L’utilisation de la flexibilité externe par le recours aux contrats précaires peut concerner tous les secteurs du magasin aussi bien dans les rayons qu’aux caisses puisqu’elle tend à répondre principalement aux variations d’activité saisonnières ou à des remplacements d’absences prévues pouvant concerner tous les postes de travail. En revanche concernant les variations journalières provoquées par les fluctuations de présence de la clientèle ou par des absences imprévues des employés, les formes de flexibilité adoptées ne peuvent être que des formes de flexibilité interne, sous forme de gestion de temps de travail des employés afin d’adapter leur activité aux besoins de la clientèle. III C 2. une flexibilité interne En jouant : soit sur les horaires des employés, soit sur l’organisation de travail, ce qui conduit à des formes diverses de flexibilité : l’une quantitative en diversifiant la durée des contrats horaires de travail et/ou l’organisation des horaires ; l’autre 76 qualitative en adaptant l’activité de chacun des secteurs du magasin aux fluctuations de la présence de la clientèle, sans pour autant limiter la durée des contrats. La gestion de la flexibilité hebdomadaire ou journalière est donc avant tout un gestion du temps de la main d’œuvre, gestion du temps qui peut se faire : . par l’organisation des horaires . et/ou par le recours à des contrats à temps partiel. La flexibilité peut être organisée de façon différente selon les secteurs du magasin. En effet, les fluctuations de présence de la clientèle n’influent pas de façon aussi immédiate sur l’activité de tous les secteurs du magasin (seule l’activité des employés en contact direct avec cette clientèle doit correspondre aussi étroitement que possible aux variations de présence des clients). Pour les secteurs sans contact direct avec la clientèle, le travail s’effectue en zones de stockage et en rayons, par conséquent, les variations d’activités sont d’origine journalière plutôt qu’horaires (les jours de plus grosse affluence demandant davantage de réassortiment rayons). Alors que la plus grande partie, sinon la totalité, de la mise en rayon est réalisée avant l’ouverture du magasin, il pourra y avoir, certains jours et pour certains produits de consommation plus courante, la nécessité de réassortiment en cours de journée, ce que certaines enseignes comme Carrefour qualifient de « réouverture » (nettoyage et réassortiment des rayons à 16 h pour que les clients de fin de journée trouvent un rayon aussi propre et bien achalandé que les clients du matin). Cela influe donc sur l’organisation des horaires des employés des rayons mais ces horaires peuvent être tout à fait réguliers et organisés à l’avance avec une prédominance des horaires du matin (6 à 12 h ou 7 h à 13 h et roulement pour assurer présence d’employés l’après-midi). 77 La gestion de la flexibilité se fait donc par l’organisation des horaires plus que par l’utilisation de petits contrats. Dans ces postes de travail, il y a relativement peu de contrats à temps partiel. Pour les secteurs en contact direct avec la clientèle, les variations d’activité journalières et hebdomadaires sont les plus fortes et nécessitent une gestion du personnel rigoureuse afin de s’adapter le mieux possible aux fluctuations et réduire ainsi l’attente des clients tout en minimisant les coûts (les employés ne devant pas être inoccupés à des périodes de moindre affluence). Il y a donc une nécessaire flexibilité du temps de travail qui peuvent prendre diverses formes : - soit purement quantitative (quand la variation de volume des heures travaillées se fait par l’utilisation de petits contrats et des heures complémentaires). La diversité des contrats horaires, dans chaque magasin des différentes enseignes, témoigne de l’évolution des politiques d’embauches. En règle générale, les magasins les plus anciens ont davantage d’Hôtesse de Caisses à temps plein tandis que dans les magasins les plus récents, les contrats à temps partiels sont majoritaires (proches des 20 heures). Une corrélation apparaît entre l’ancienneté du magasin et l’importance de la proportion des Hôtesses de Caisses ayant un contrat à temps plein. Carrefour n’échappe pas à la règle. En revanche, la valeur des contrats horaires est plus importante (le nouvel accord incite les salariés à se situer entre 28 et 30 heures). De plus, l’utilisation des heures complémentaires est une pratique courante dans les hypermarchés, non seulement pour répondre aux taux d’absentéisme ou aux modifications d’activité mais aussi comme mode de gestion de la flexibilité permettant de moduler les heures de travail selon les jours et les semaines sans améliorer les contrats horaires que le niveau d’activité permettrait cependant de 78 relever. L’entreprise Carrefour ne confirme pas cette tendance (l’accord de Mars 1999 valorise les contrats à temps partiel de 3 heures supplémentaires). L’organisation des horaires est réalisée par le chef de caisse et est variable. Dans la plupart des magasins, on observe que les plus anciennes Hôtesses de Caisses ont des horaires fixes alors que les nouvelles embauchées ont des horaires variables (l’organisation en Ilôt, mise en place par Carrefour enraye cette tendance). Toutefois, ce mode de gestion conduit aussi à des dysfonctionnements dans la mesure où le point de vue des responsables ne correspond pas à celui des employées. En effet, les Hôtesses de Caisses déplorent toutes le fait que les heures complémentaires d’imprévisibilité dans introduisent leurs horaires, une grande facteurs qui part d’incertitude rendent plus et difficile l’organisation de leur vie sociale et familiale. Par conséquent, l’insatisfaction des caissières a des effets négatifs sur la marche du magasin. En règle générale, dans les magasins où les contrats sont les plus élevés, le turnover est plus bas. Ce turn-over est coûteux pour les entreprises compte tenu des investissements en formation. Pour enrayer ce dysfonctionnement Carrefour met en place des systèmes de gestion plus qualitatifs (Ilôts-caisses) qui prennent en compte non seulement les intérêts des magasins mais aussi ceux des employés. - soit purement qualitative (quand la variation des heures travaillées se fait par une réorganisation du travail entre les divers secteurs du magasin) L’entreprise Carrefour a choisi de donner plus d’autonomie aux salariés. La gestion de la flexibilité étant une gestion du temps, l’autonomie qui est donnée aux salariés se situe au niveau du temps avec à l’intérieur certaines contraintes qui sont directement liées à la présence des clients (il ne peut y avoir de décalage entre la présence des clients et des salariés). 79 Réponse de l’entreprise Carrefour - les ilôts-caisses ou l’autogestion du temps : Le principe de l’îlot est l’autogestion par un groupe d’Hôtesses de Caisses (environ 15) de leurs horaires en fonction d’une charge de travail hebdomadaire qui leur est donnée à l’avance (trois semaines). La charge globale, en nombre d’heures pour une semaine est variable selon les périodes et peut être supérieure ou inférieure à la somme des contrats horaires des membres de l’îlot. Un système de crédit-débit ou de « chaussette », permet aux Hôtesses de Caisses de moduler leur durée de travail hebdomadaire. Quand la charge de l’îlot est affichée, les caissières viennent se positionner, d’abord selon leur désir, il s’agit d’un pré positionnement. L’animatrice va négocier auprès des Hôtesses de Caisses pour aboutir à ce que le plan de charge soit rempli. L’animatrice veille au bon déroulement en s’assurant que les contraintes sont équitablement réparties, en particulier pour certaines plages horaires (nocturnes, samedi, férié, mercredi…). Carrefour, grâce à l’organisation du travail en Ilôts-caisses a pu améliorer et uniformiser les contrats des Hôtesses de Caisses. Ainsi la flexibilité est maintenant assurée par les variations du plan de charge de travail selon les semaines et grâce à la gestion des horaires effectuée par les Hôtesses de Caisses elles-mêmes qui sont ravies de l’effectuer. - D’autres enseignes différentes que Carrefour ont une autogestion du temps et de la mobilité plus ambitieuse. Il s’agit d’un système alliant horaires choisis et mobilité entre secteurs, rayons et caisses. Il permet à la fois de donner à tous les employés des contrats horaires se rapprochant du temps plein et de n’exiger que relativement peu d’heures de travail à la caisse pour chaque employé (la charge de travail étant répartie entre un plus grand nombre de personnes). Le magasin est découpé en cinq ou six zones regroupant chacune un secteur et une partie des caisses. Chaque salarié est affecté à une des zones et doit gérer ses horaires entre caisses et rayon. Pour cela, il existe deux plans de charges de 80 travail – l’un pour le rayon, l’autre pour les caisses – qui sont donnés trois semaines à l’avance à la vingtaine d’employés de chaque zone qui devront se positionner afin de les remplir. Par négociations successives et avec l’aide d’un animateur, de façon analogue aux Ilôts-caisses (un crédit ou un débit d’heures permet de faire varier les horaires) ces plans seront remplis. Grâce à cette mobilité, les employés ont une meilleure vue d’ensemble de l’entreprise et comprennent mieux les contraintes de chaque secteur. Le résultat attendu de cette nouvelle organisation est une plus grande motivation du personnel, un plus grand attachement à l’entreprise. Les frais liés au turn-over et à l’absentéisme s’en trouvent réduits. D’autre part, les durées de travail en caisse étant limitées, le passage d’un travail à un autre rompt la monotonie, les risques de fatigue sont atténuées et une meilleure qualité du travail permet une attention toute particulière à la clientèle. En conclusion, compte tenu des fluctuations d’activité et de l’impératif de remplacer le personnel en congés ou absent pour éviter les pertes de chiffre d’affaires pour cause de rupture, Carrefour peut, soit : • faire davantage participer l’encadrement à la mise en rayon • avoir recours à du personnel temporaire • faire exécuter des heures supplémentaires ou complémentaires au employés • supporter un sureffectif pendant une partie de l’année Pour des raisons de coût, la deuxième et dernière solutions sont exclues. La première solution est rendue difficile par la législation du travail. De plus, l’entreprise s’est rendue compte que les chefs de rayon passaient plus de 70 % de leur temps à des activités de remplissage de rayon et manutentions diverses. La 81 réalité du contenu de leur emploi n’était pas en corrélation avec leur rémunération et ce pour quoi ils étaient payés. Le deuxième chapitre a permis de mettre en évidence que la flexibilité est avant tout liée au droit dont elle dépend étroitement. Par conséquent, elle est fortement contingente des différents acteurs de l’entreprise (syndicats, directions, actionnaires …), du secteur d’activité, de l’effet entreprise, de l’environnement extérieur. Dans ces conditions, elle peut prendre forme de manière différentes (externe, interne…). Dans le troisième chapitre, je vais m’attacher à montrer de quelle manière Carrefour atteint cette logique de souplesse. 82 83 IV. Une logique de souplesse nécessaire à l’entreprise Carrefour IV A Le Dialogue social IV A 1. IV A 1.1 Les syndicats dans l’entreprise Historique La fonction DRH n’a été créée que depuis un an alors que le service de la Direction des Relations Sociales existe depuis fort longtemps. Cet état de fait a une explication historique, en effet la famille Fournier-Defforey n’appréciait guère de voir les syndicats s’opposer à eux. Afin de prévenir tout risque de conflit, la famille favorise l’implantation du syndicat Force Ouvrière en se rapprochant à l’époque de André Bergeron dans l’intention de faire barrage aux syndicats les plus durs comme la CGT et la CFDT appliquant à la lettre la « stratégie des alliés » qui prescrit de « transformer ses ennemis en partenaires ». Une stratégie gagnante depuis 20 ans puisque 66 % des voix aux dernières élections du Comité d’Etablissement, FO règne en maître sur la représentation des salariés et se situe comme le syndicat ami de l’entreprise. Cette politique de compromis avec FO a permis la construction d’une Convention Collective la plus attractive du secteur. Ainsi dès, 1982 et bien avant la négociation des 35 h, Carrefour adopte un accord pilote portant la durée hebdomadaire effectuée par les employés à 35h45 auxquelles s’ajoutent deux heures de pause rémunérées. Autre avancée à mettre aux crédits de FO et de Carrefour, en 1997, un plafond a été fixé pour le recours au temps partiel dont les grandes enseignes usent afin d’adapter le nombre d’Hôtesses de Caisses aux variations de la clientèle. Dans un magasin Carrefour, un maximum de 75 % des heures travaillées peut être effectué par des employés à temps partiels quand, sous, d’autres enseignes, ce taux peut atteindre 100 %. De plus, chaque Hôtesses de Caisses se voit garantir une 84 durée de travail minimum de 25 heures par semaine, ce plancher passe à 30 heures avec le nouvel accord de mars 99. L’accord de Mars 1999, signé par les partenaires sociaux, a répondu aux aspirations des salariés (unicité des statuts) enrayant ainsi les revendications sur les disparités de rémunération engendrées à l’intérieur du groupe par l’accord salarial de 1985. En effet, à l’époque, FO a accepté que des traitements inférieurs soit servis aux « nouveaux » employés du groupe. En échange, la Direction s’était engagée à poursuivre son expansion en France et ne pas céder complètement à l’internationalisation. En conséquence, il existait, avant l’accord de mars 1999 : plusieurs grilles de salaires qui coexistaient au sein de l’entreprise (l’accord de Mars 99 prévoit des indemnités compensatrices pour les salariés au-dessus de la nouvelle grille nationale identique pour tous les magasins). 85 IV A 1.2 Répartition des partenaires sociaux dans l’entreprise (votants et élus) Délégués du Personnel - répartitions des élus 98 CARREFOUR FRANCE Comité d'Etablissement - Répartition des élus 98 CARREFOUR FRANCE CFDT 11,5% CAT CFTC SAS 1,1% 4,1% 1,5% CFDT CAT CFTC SAS 1,1% 4,0% 1,5% 11,5% CGT CGT 16,5% 17,8% FO FO 64,1% 65,3% Nous pouvons observer que FO est majoritaire (+ de 60 %) Délégués du Personnel - Répartition des votants 98 CARREFOUR FRANCE Comité d'Etablissement - Répartition des votants 98 CARREOUR FRANCE Nuls 6,6% Nuls 6,5% Abst. Abst. 21,8% 21,9% FO FO 44,1% 45,0% SAS SAS 1,1% CFTC CAT 3,2% 1,0% 1,2% CFTC CFDT 8,5% CGT 12,9% 3,3% CAT 0,8% CFDT 8,4% CGT 13,8% Le taux de syndicalisation est identique au taux national (environ 5%). 86 IV A 2. IV A 2.1 La négociation sociale de Carrefour Quel modèle de négociation ? Le modèle de la négociation chez Carrefour est un modèle de négociation-contrat Cadin (1997)23. Ce modèle repose sur deux éléments clefs : • un processus de communication interactif, • débouchant sur un ensemble de concession et de contreparties. Les deux parties prenantes ont des objectifs différents mais décident de rentrer en communication. La négociation s’apparente au modèle du marchandage (gagnantgagnant). Au terme de la négociation, un accord est signé entre les différents partenaires, il s’agit bien d’une « négociation–contrat ». IV A 2.2 Connaître les logiques et modes d’action des syndicats Afin de transformer les syndicats en partenaire coopérant à la recherche de solutions économiques profitables pour l’entreprise, les managers de l’entreprise sont initiés à la compréhension des modes de fonctionnement des partenaires sociaux en suivant une formation : «Instance représentative- rôle de la Direction». En effet, l’entreprise et la direction des relations sociales sont convaincues qu’il ne faut pas dénier la représentativité du délégué syndical (DS) et qu’au contraire, il est utile de le considérer comme partenaire. En effet, le DS a pour rôle de convaincre les salariés du bien fondé du nouvel accord. Il a donc la capacité de pérenniser ses clauses. Carrefour est tout à fait conscient que sans les partenaires sociaux, il n’aurait pas été possible de gérer la flexibilité (modulation, rémunération) et d’obtenir une Convention Collective la plus attractive pour les salariés de l’entreprise. 23 Ibid. n°18 87 IV A 3. Comparatif de négociation de la flexibilité en Europe dans le secteur de la grande distribution Le système de régulation sociale change afin de répondre aux commandes d’économies fondées sur le développement des services, l’exigence de rapidité et flux tendu. Suivant BRUHNES (1997)24, les nouveaux entrepreneurs qui opèrent dans les industries ou entreprises tertiaires ne peuvent pas construire leur activité sur des règles de fonctionnement sociales bâties en d’autres temps et inscrites dans des lois, des conventions et des accords qui éprouvent des difficultés à évoluer (parallèle avec les anciennes classification de Carrefour qui sont des classifications de type Parodi et qui ne reflétaient plus la réalité des métiers et l’évolution du secteur). L’auteur a entrepris une étude portant sur l’évolution des organisations syndicales, des négociations face aux mutations du travail et de l’emploi caractérisées par la fragilité de la relation contractuelle d’emploi, la flexibilité dans l’usage des compétences. Dans cette enquête les questions de flexibilité (interne et externe pour l’auteur) se combinent de plus en plus pour redéfinir un nouveau modèle de l’emploi et de la relation salariale et servent de révélateur de phénomènes plus larges tel que le niveau pertinent de la négociation et ses acteurs. Les sujets qui sont abordés dans le cadre de cette enquête sont : – la gestion concrète de l’emploi, – la flexibilité et l’organisation du travail, – l’aménagement et la réduction du temps de travail, – le développement de la polyvalence C’est de plus en plus au niveau de l’entreprise que l’on négocie, que l’on expérimente, que se mobilisent les salariés d’où la nécessité de renforcer le dialogue social dans l’entreprise. 24 BRUNHES Bernard, « Négocier la flexibilité », éditions d’organisations, 1997 88 Une étude du ministère du travail met en évidence que les entreprises souhaitent mettre au point des formules qui leur sont propres et qui éventuellement correspondent aux souhaits des salariés en matière d’organisation du travail, de la durée du travail et de son aménagement. La flexibilité de l’organisation et de l’aménagement du temps de travail est un sujet de négociation à plusieurs dimensions plus complexes qu’une augmentation de salaire. Ce caractère multidimensionnel implique que les sujets de négociation se situent avec des acteurs près du terrain. En Allemagne, par exemple, une chaîne commerciale conduit les négociations portant sur le temps de travail au niveau du magasin dans le cadre de la convention collective et des accords de groupe (50 magasins ont déjà mis en place un accord d’annualisation) ; ce qui n’empêche pas ce groupe du secteur de la grande distribution de se déclarer en faveur du maintien de la négociation de branche. En ce qui concerne l’emploi, cette même chaîne commerciale en Allemagne a signé grâce au syndicat « DAG » un « Pacte » portant sur les heures supplémentaires, les qualifications et les conditions de licenciement. D’autre part, nous observons à propos des sujets comme la flexibilité du temps de travail ou les conditions d’un plan social qu’il ne suffit pas d’un accord appliqué mécaniquement mais qu’il s’agit en quelque sorte d’une « négociation continue », quasi permanente, exigeant donc une présence sur le terrain. En outre, en matière sociale, l’initiative est aujourd’hui du côté des employeurs, pas du côté des salariés. En effet, dans la mesure où les revendications d’employeurs sont en généralement contraignantes pour les salariés, ces nouvelles dispositions appellent des contreparties telles que : • garantie de maintien de l’emploi, embauches, • l’aménagement du temps de travail qui répond à certaines demandes des salariés (temps libre sous forme de journées, travail compressés, formes horaires atypiques), 89 • la rémunération : les syndicats allemands comme les syndicats suédois continuent de considérer sur le plan national que la flexibilité acceptée par les salariés doit leur être payée (sur-paiement heures supplémentaires, prime de flexibilité. Une étude du CEREQ25 précise que l’individualisation des salaires est devenue un sujet de négociation : « l’individualisation des rémunérations ou des carrières » tend à se développer. Cela peut se faire en dehors de tout cadre ou, au contraire, les entreprises peuvent être amenées à faire de l’individualisation des carrières et des compétences un thème de la négociation collective, un moyen de mettre en place des « garde-fous » qui garantissent la transparence des procédures et la permanence du dialogue social ». Le vecteur de changement est en fait soit le développement des outils d’évaluations (Entretien individuel, Bilan de compétence, portefeuilles de compétences…) soit une politique de gestion des ressources humaines. Cette transformation dans les pratiques interpelle fortement les organisations syndicales car c’est une évolution majeure des pratiques syndicales recouvrant un glissement de la défense de l’intérêt collectif vers l’encadrement de l’intérêt individuel. Les syndicats anglais ont largement sauté le pas et définissent aujourd’hui leur rôle, davantage par rapport à l’encadrement de l’intérêt individuel et aux techniques de la gestion des Ressources Humaines, que par rapport aux notions collectives. Ils définissent leur rôle comme celui de conseil en matière de carrière, de reconversion. Ainsi la concertation/négociation avec les trade-unions britanniques portent fréquemment sur les méthodes d’entretien individuel d’évaluation ; l’intéressement aux résultats de l’entreprise est discuté ainsi que les critères, les méthodes et règles du jeu des pratiques de gestion individualisée des ressources humaines et des salaires. 25 CEREQ : centre d’études et de recherches sur les qualifications 90 Nous sommes loin de la problématique allemande encore très collective malgré les souhaits des employeurs. IV A 3.1 La durée du travail, l’aménagement, la flexibilité du temps La durée du travail, l’aménagement, la flexibilité du temps et des horaires sont des sujets de négociation qui se développent dans l’ensemble des pays européens. Les mêmes sujets de discussion reviennent : l’annualisation, flexibilité et neutralité des heures supplémentaires, rémunérations, temps libre et emploi. La réduction générale du temps de travail, facteur de création d’emplois et d’amélioration de vie des salariés n’a plus le vent en poupe pour les employeurs. En revanche, la réorganisation de temps de travail est à l’ordre du jour partout : dans le sens d’une plus grande flexibilité pour l’entreprise avec des contreparties (réduction et aménagement sur mesure) pour les salariés. IV A 3.2 La polyvalence et l’organisation du travail La formation initiale ou continue dans les pays comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, la Grande-Bretagne fonctionne comme un ciment des relations professionnelles. Deux observations sont faites par rapport à la formation comme sujet permanent de la négociation sociale : • Les syndicats y apparaissent sous la forme institutionnelle car ils sont très présents dans la gestion de l’assurance-chômage, sécurité sociale, fonds de formation et ils sont moins présents sur les lieux de travail. L’implication forte des syndicats dans les questions de formation, de gestion de certaines institutions sociales n’entraînent pas les salariés à se syndiquer. • La formation fait plus facilement l’objet de négociation que le développement de nouvelles organisations du travail qui favorisent la 91 polyvalence et la mobilité. Or, avec la flexibilité, le développement du temps partiel, les salariés sont de plus en plus sollicités pour « remplacer » des collègues, occuper différents postes de travail. En somme une « polyvalence de fait » se développe ; elle est encore peu reconnue, peu valorisée du point de vue salarial, mais elle est souvent considérée comme indispensable pour garder son emploi. IV A 3.3 Le déclin du syndicalisme adhérent Taux de syndicalisation Pays Suède Italie Grande Bretagne Allemagne Espagne France Secteur Privé 85 % 40 % 39 % 33 % 20 % 9% A l’exception de l’Italie et de l’Espagne où l’on observe une augmentation récente du nombre de syndiqués, l’ensemble des syndicats connaît une baisse de ses effectifs. Le taux de syndicalisation en France n’est que de 5 % dans le secteur privé (idem chez Carrefour). IV B L’accord de MARS 99 Carrefour ou refonte de la nouvelle Convention Collective (comment concilier à la fois les aspirations des salariés et les objectifs économiques de l’entreprise ?) Le dernier accord de Mars 1999, signé par les partenaires sociaux, a répondu aux aspirations des salariés (unicité des statuts) et de l’entreprise en préservant les capacités de compétitivité et de développement. 92 Le contenu et objectif de cet accord sont : - les nouvelles classifications afin de favoriser le développement du personnel et faciliter l’évolution des structures de l’entreprise en privilégiant les promotions internes, - la réduction du temps de travail pour avoir plus de souplesse à travers les horaires pour l’organisation en associant largement le personnel - l’embauche de 1000 personnes sur un an et 250 emplois handicapés l’amélioration des conditions de recours à l’utilisation du travail à temps partiel - l’unification des statuts collectifs de l’ensemble du groupe (même base de référence de salaires, participation de groupe) IV B 1. 1ER point fort de l’accord - Les Nouvelles Classifications de l’entreprise IV B 1.1 Apport théorique et historique sur les classifications IV B 1.1.1 IV B 1.1.1.1 Des classifications PARODI aux critères classants Les classifications PARODI La source la plus connue et la plus courante jusque dans les années 1980 est celle des arrêtés Parodi-Croizat. Ces arrêtés ont servi de base à la plupart des avenants des classifications des Conventions Collectives des industries privées. Les classifications Parodi reposent sur une conception très traditionnelle du métier et la qualification ouvrière. Il s’agit de listes d’emplois simplement énoncées selon des applications génériques. Ici l’énumération des dénominations suffit à la description et à la définition des classes de postes (la description des emplois est exceptionnelle). Les salaires ou les coefficients salariaux sont simplement énoncés sans autre forme de justification ou d’exploitation, les principes ne sont pas explicites, et ce, tant en matière de définition de postes qu’en matière d’évaluation 93 des salaires. Les classifications PARODI sont catégorielles (ouvriers et employés, techniciens et agents de maîtrise et cadre). La référence aux diplômes est quasi inexistante. Des classifications de type « PARODI amélioré » apparaissent dans les branches dans les années 60. En effet, les classifications issues des arrêtés Parodi sont progressivement complétées dans le sens où les appellations ou les définitions sommaires des arrêtés Parodi sont explicitées et précisées, adaptées à la transformation technique ou issues de l’organisation du travail. L’évolution rapide des métiers et de l’organisation du travail mettent à jour que les classifications PARODI se révèlent rapidement incapables d’appréhender ces changements car elles se présentent sous la forme d’une simple énumération exhaustive des dénominations des postes ou d’une description détaillée des emplois (Parodi amélioré). Ces grilles sont caractérisées par leur rigidité : toutes les entreprises de la branche sont assujetties à un modèle identique d’organisation du travail, elles deviennent très vite inadaptées dès lors qu’un optimum de qualité et de service conduisent les entreprises à passer d’une logique de poste à une logique de fonction. Progressivement, donc, les classifications vont être définies avec des critères classants. IV B 1.1.1.2 Les classifications par « critères classants » L’innovation est venue de la métallurgie qui, dès 1975, se dote d’une grille inspirée des techniques de « job évaluation » comportant des niveaux et des échelons en nombre réduit communs à l’ensemble du personnel (hormis les ingénieurs et cadres) et déterminés à partir d’une batterie de critères « classants ». La technique de « job évaluation » est une des méthodes utilisées pour évaluer les emplois (CARREFOUR a choisi une technique qui s’y est proche) 94 Tableau des principales méthodes utilisées pour évaluer les emplois : Méthodes Méthode Hay Méthode Job Evaluation Méthode par « lecture (proche de la méthode job) Objectif Principaux critères L’évaluation du salarié est exprimée en •finalité du poste points •initiative créatrice et problèmes à résoudre •compétence et exigence du poste Une grille de critères avec des degrés •connaissances souhaitées •qualités requises dans chacun des critères •responsabilités assumées •obligations subies •et aussi effort physique, habilité manuelle, risque directe » Un nombre de points est attribué à •compétences nécessaires l’aide des critères retenus •initiatives demandées •responsabilités économiques •combativité exigée etc.… Les grilles à critères classants reposent sur la définition des niveaux de qualification à partir d’une série de critères prédéterminés identiques pour chaque niveau. Les grilles à critères classants détachent les diplômes de l’individu et les utilisent comme l’un des critères de classement des postes (critère de connaissance). Ces grilles ont été critiquées par les organisations syndicales qui reprochaient une trop grande souplesse laissant la porte ouverte à l’arbitraire « patronal » dans la mise en œuvre des grilles. Le reproche venait de l’absence de directives sur l’évaluation, l’appréciation des critères et leur pondération. Les années 80 seront marquées par un encadrement de ces grilles. Des dispositions sont édictées pour limiter la souplesse des grilles, garantir aux salariés des possibilités de recours au moment de leur mise en œuvre ou faciliter les déroulements de carrière. Ces dernières dispositions peuvent être regroupées en quelques principes : • expliciter les conditions de mise en œuvre de la grille en donnant une méthodologie et des exemples repères • faciliter les déroulements de carrière • clarification et gratification de la polyvalence • contrôler la mise en œuvre dans l’entreprise 95 IV B 1.1.1.3 classification Les critères retenus dans les grilles de Il existe de nombreuses classifications qui font appel à différents critères. Tableau des principaux critères retenus dans les conventions collectives et Carrefour Nombres de critères Métallurgie (Accord 75) Commerce de gros 1 Autonomie 2 Responsabilité Compétences requises Autonomie nécessaire 3 Type d’activité Responsabilité assurée Relations 4 Connaissances requises Expérience acquise Responsabilité 5 Formation reconnue par diplômes Autonomie 6 Poly Aptitude IV B 1.1.2 Commerce alimentaire et entrepôt (Accord de Branche 1997) Connaissances Aptitude Carrefour (accord Mars 99 équivalence des critères de la branche Connaissances Créer : -Développer/ contrôler - Produire Influencer : - communiquer - Négocier Engager les moyens : - Gérer les ressources - Gérer les équipes Définir les priorité : - Comprendre l’environnement - Organiser La Classification : au carrefour de quatre types d’interaction Les classifications demeurent l’une des préoccupations majeures de l’entreprise car il existe autour de ce thème de puissants enjeux tant du côté des salariés que du côté de l’entreprise. 96 En premier lieu, il y a l’enjeu de la rémunération mais il n’est pas le seul. Les questions de classification sont au carrefour de divers aspects de la vie économique et sociale et du fonctionnement de l’entreprise. Schéma qui met en évidence les quatre types d’interaction : L’organisation de l’entreprise : les choix d’organisation, la structure, l’importance des délégations de responsabilité et de pouvoir => conditionne le contenu des classifications Le corps social interne : Réalisation d’une hiérarchie des positions sociales (statuts, coef., rémunération) estimée équitable par le corps social IV B 1.1.3 Classification Qualification L’environnement économique : ajustement du marché => rémunération Le système de gestion des Ressources humaines : Classification et qualification impliquent d’être en cohérence avec l’ensemble des pratiques de gestion des RH et notamment en matière de mobilité L’évolution des systèmes de classification : nouvelles logiques, nouvelles cohérences Le référentiel de classification représente un référentiel majeur pour les décisions en matière de gestion des ressources humaines. Or, les entreprises éprouvent des difficultés depuis quelques années dans l’utilisation des systèmes existants (la référence au poste de travail est remise en cause, un glissement de la classification des postes vers la qualification de la personne s’opère). 97 Les exigences d’un dialogue social dont les objets se sont diversifiés (formation, emploi) rencontrent des difficultés lorsque les classifications ne correspondent plus à la réalité de l’organisation et du mode de fonctionnement de l’entreprise. Les classifications vont devoir évoluer et ceci apparaît comme une opportunité pour les entreprises pour redonner de la cohérence à l’ensemble des processus de gestion des ressources humaines. Une revendication forte s’exprime dans la formule très présente dans les esprits : « à travail égal, salaire égal » (cette revendication était très présente dans l’entreprise Carrefour avant l’accord du mars 1999). Or, on sait déterminer l’égalité du salaire, mais qu’est-ce qui caractérise l’égalité du travail ? C’est une des questions posées par les systèmes de classification. Le fort développement pour les populations « cadre » de l’utilisation des méthodes critérielles par points pour lesquelles la référence au poste de travail reste un principe de base ne doit pas être oubliée ; toutefois, s’agit-il du même « poste » que dans les classifications surtout opérantes pour des populations non-cadres ? Dans les classifications, le poste est pris dans son sens organisationnel : il décrit les tâches qui déterminent la classification. Dans les méthodes d’évaluation utilisées pour les cadres, le poste est décrit de façon très individualisée, en termes de missions à remplir : c’est à dire la raison d’être du poste en tant que contributeur au résultat de l’entreprise. Le premier (salarié non cadre) s’inscrit dans une logique de la tâche, le second (salarié cadre) dans une logique du résultat mise en œuvre par la Direction par objectif. L’entreprise cherche à assurer sa sécurité de fonctionnement en imposant un prescrit à ses salariés : prescription des tâches pour les uns (employés de carrefour), prescription des résultats pour les autres. L’émergence d’une logique de compétence déplace la garantie de la sécurité du fonctionnement de l’entreprise vers un prescrit de la compétence. 98 La prise en compte des compétences dans les systèmes de classification est toujours en corrélation avec l’évolution des organisations. En effet, les entreprises se préoccupent de la capacité de réactivité des salariés, c’est à dire leurs compétences. Elles cherchent à regagner ce qu’elles ont perdu en sécurité en renonçant à la prescription des tâches. Toutefois, « attention à ne pas passer d’une prescription des tâches à une prescription des compétences » même si l’entreprise ne peut en aucun cas ignorer sa sécurité de fonctionnement. • une nécessaire cohérence des enjeux : Les entreprises prennent conscience que la mobilité professionnelle, la flexibilité organisationnelle, l’adaptation des qualifications, l’implication des salariés sont les enjeux majeurs de la gestion des ressources humaines. Par conséquent, il est impératif de ne plus continuer à administrer le contrat de travail sur la base de notions complètement différentes tel que le poste de travail traditionnel à travers une approche purement productiviste et hiérarchique. De plus, une nouvelle approche de l’identité professionnelle doit être installée (le poste est remplacé par les métiers). Il est évident que les systèmes de classifications se situent sur le lieu d’équilibre entre les besoins économiques de l’entreprise (exprimés en termes de prescriptions d’organisation ou de résultats, voire de compétences) et les réponses du corps social. Les changements dans le mode de fonctionnement des entreprises rendent souvent obsolètes les référentiels actuels et c’est leur nouvelle définition qui représente l’enjeu du renouvellement des systèmes de classification. • les évolutions des systèmes de classification à travers les différentes logiques (résultat, tâche, compétence) : 99 - Logique de résultat : Les méthodes d’origine anglo-saxonne qui relèvent de la logique de résultats s’étendent. Les entreprises, qui répondent à cette logique, sont en générales engagées sur un marché concurrentiel et ont une dimension internationale (comme Carrefour). Engagée dans une compétition économique difficile et mondiale, Carrefour doit motiver ses salariés et particulièrement ses cadres à contribuer au résultat de l’entreprise en augmentant les performances individuelles. C’était jusqu’à présent l’outil de base de Carrefour pour la rémunération, la gestion des carrières, le mode de management et d’organisation de l’entreprise ; aujourd’hui s’y ajoute une logique de compétence. De plus, ces méthodes permettent des comparaisons de rémunérations avec la concurrence (Méthode Hay). - Logique de tâche : Les emplois –repères qui sont la base de presque la totalité des systèmes existants (Carrefour parle de fonctions-repères) ne sont pas des postes réels, mais des « construits » qui se rapprochent suffisamment de la réalité pour rencontrer un certain consensus. C’est en donnant de la souplesse et de la capacité d’adaptation à la notion rigide de poste que l’entreprise se donnent des capacités d’adaptation. L’entreprise passe du poste à l’emploi (ou la fonction) : il s’agit d’aboutir à des ensembles plus vastes. Cette pratique est construite sur une description détaillée et exhaustive de l’ensemble des postes qui sont regroupés par proximité d’activité. Dans l’entreprise Carrefour, des « fonctions-repères » ont été décrites en termes d’activité et regroupées ensuite dans des filières (vente, administratifs…). - une logique de compétence : la réalité de l’activité n’est plus exprimé par « faire » mais par « savoir-faire ». Lorsque Carrefour élabore son référentiel de compétence pour les cadres, elle commence par la phrase suivante : « être capable de ». La valeur ajoutée est dans le fait d’identifier des compétences transversales (génériques pour carrefour) plus indépendante de l’emploi tenu. 100 IV B 1.2 Les classifications de Carrefour et de la Branche IV B 1.2.1 Historique des classifications Carrefour Les classifications de Carrefour étaient basées sur les classifications de la branche de 69. Elles n’ont été modifiées dans le temps que très légèrement : soit par des nouvelles fonctions, soit par la suppression de fonctions inutiles (ex : pompiste), soit par la modification de l’appellation de certaines fonctions (ex : ouvrier professionnel en remplacement de boucher) et par un avenant de 78 qui revalorisait les classifications Ouvriers et employés et en même temps qui créait les horaires courts (20 h à 30 h). Les classifications étaient du type Parodi. Un accord de branche en mars 1997 a permis de modifier les classifications et les redéfinir à l’aide de critères classants. Les entreprises de la branche qui le souhaitent, bénéficient d’un délai de 18 mois pour adapter cet accord à leurs spécificités. L’entreprise Carrefour a choisi de bénéficier de cette possibilité. Ce qui signifie que quoiqu’il arrive, la classification Parodi devait disparaître au profit des classifications par niveau. IV B 1.2.2 Avenants des classifications dans le secteur de la grande distribution (accord de mars 97) Un avenant relatif aux classifications des salariés des Conventions Collectives du commerce à prédominance alimentaire et des entrepôts d’alimentation a été signé le 30 mai 97. IV B 1.2.2.1 L’objet et finalité de cet avenant Avec la révision des classifications professionnelles, les parties signataires ont mis en place un système de gestion des RH et des qualifications qui : • repose sur la nature des fonctions réellement exercées • est flexible et qui permet de prendre en compte les évolutions rapides des métiers et des organisations 101 • est commun aux entreprises de commerce. Cette méthode et ces règles permettront aux entreprises d’élaborer leur propre classification adaptée à leurs spécificités et besoins. Elle est illustrée par une liste de fonctions-repères qui permettent aux entreprises selon leur structure de : • soit l’utiliser telle quelle, • soit l’adapter à leur propre situation : dans ce cas, le cadre général de l’adaptation fera l’objet d’un examen par une commission paritaire d’application constituée au sein de l’entreprise L’entreprise Carrefour a choisi cette deuxième solution. Avant toute application, chaque salarié se verra notifier par écrit : • l’appellation de sa fonction, • le niveau dans lequel elle est classée, • si besoin est, la durée de la période d’accueil prévue : - 6 mois pour les fonctions classées dans les niveaux I et II - 1 an pour les fonctions classées dans le niveau III - 2 ans pour les fonctions classées dans le niveau IV Il dispose d’un délai d’un mois pour demander à son employeur des explications sur son nouveau classement, et éventuellement saisir la commission paritaire d’application de l’entreprise. La mise en œuvre de ces classifications ne peut en aucun cas conduire à une diminution du salaire antérieur. Carrefour a appliqué ces règles à la lettre. 102 IV B 1.2.2.2 Le principe de l’accord de branche de la FCD Le principe de l’Accord de branche de Mars 97 de la FCD est la classification par niveau en remplacement de système Parodi et selon les principes suivants : 3 NIVEAUX CADRES 2 NIVEAUX AGENTS DE MAITRISE ET TECHNICIENS 4 NIVEAUX EMPLOYES • La répartition se fait à l’aide de 5 critères : Connaissances Aptitudes Relations Responsabilité Autonomie • décrits en 6 degrés d’exigence (notés de 1 à 6) IV B 1.2.2.2.1 Les critères de classifications Les classifications de chaque fonction se fondent sur la technique des critères classants par la mise en œuvre de cinq critères qui se cumulent et se conjuguent : • critère 1 : Connaissances Définition : ce critère mesure des connaissances nécessaires au titulaire pour exercer sa fonction et en avoir la maîtrise (formation générale, professionnelle et expérience). 6 niveaux de degré d’exigences sont déclinés et définis : Exemple niveaux 1 et 2 103 - Niveau 1 : définition Les tâches rencontrées dans cette fonction sont simples. Elles demandent un apprentissage d’instructions primaires le plus souvent de très courte durée (quelques jours). Elles ne demandent pas de connaissances préalables. - Niveau 2 : définition Les tâches rencontrées sont spécifiques à la fonction. Elles demandent une formation spécifique, le plus souvent de courte durée (quelques semaines). Elles demandent d’acquérir un savoir-faire particulier et supposent une bonne connaissance pratique des procédures de routines peu compliquées et standardisées. Etc… • critère 2 : Aptitudes Définition : L’aptitude mesure la capacité à réagir et à agir face aux situations rencontrées dans l’exercice de la fonction. Les actions à entreprendre nécessitent selon le cas plus ou moins de capacité à analyser et interpréter les situations ainsi qu’à imaginer et concevoir des solutions ou au contraire à appliquer des procédures. 6 niveaux de degré d’exigences sont déclinés et définis • critère 3 : Relations Définition : Exigence de contacts avec les acteurs internes de l’entreprise (c’est à dire le personnel de l’établissement, du magasin, du supermarché, de l’hypermarché, de l’entrepôt,… ou des représentants du personnel) ou les acteurs externes à celleci (clients, fournisseurs, organismes extérieurs, collectivités locales, pouvoirs publics, etc…) 6 niveaux de degré d’exigences sont déclinés et définis • critère 4 : Responsabilité Définition : On entend par responsabilité le fait d’apporter dans l’exercice de la fonction une contribution aux performances de l’entreprise, que ce soit par des actions internes dans l’entreprise ou des actions vis-à-vis des clients. 104 6 niveaux de degré d’exigences sont déclinés et définis • critère 5 : Autonomie Définition : On entend par autonomie la faculté d’effectuer des choix sur les actions et les moyens à mettre en œuvre pour exercer les activités de la fonction et réaliser les objectifs. 6 niveaux de degré d’exigences sont déclinés et définis IV B 1.2.2.2.2 La grille de cotation La grille d’évaluation à utiliser attribue à chaque degré de chaque critère un nombre de points en fonction de la pondération des critères (cette grille élaborée par la FCD (Fédération patronale du commerce) a été utilisée par Carrefour pour classer ses fonctions repères mais uniquement pour les employés, nous verrons plus loin qu’un autre système de classement a été élaboré pour les cadres de carrefour). Pondérati on Contribuer à la performance économique 1 adapter 2 Optimiser 3 Concevoir 4 Piloter 5 Transfor mer 25 C2 25 25 25 C5 25 50 50 50 50 100 100 100 200 200 400 400 C1 25 % Economique • Développer la satisfaction client Comprendre et agir sur son environnement 25 S’investir dans la réussite des collaborateurs C7 C8 C9 25 25 25 C10 25 C11 25 C12 25 50 50 50 50 50 50 50 50 100 100 100 100 100 100 100 100 100 200 200 200 200 200 200 200 200 200 200 400 400 400 400 400 400 400 400 400 400 C3 C4 25 % Clients C6 25 % Collaborateurs 25 % Environnement IV B 1.2.2.2.3 Les 9 Niveaux L’évaluation d’une fonction consiste à définir le degré de chaque critère qui correspond aux exigences de la fonction. La somme des points obtenus pour chaque critère donne un nombre de points compris entre 100 et 600 qui permet de positionner la fonction dans un des 9 niveaux. 105 • Chacun des 9 niveaux regroupe des fonctions dont l’évaluation donne un résultat comparable quel que soit le métier exercé (commerce, logistique, administration…), dans une fourchette homogène de 55 points. 4 NIVEAUX EMPLOYES Niveau 1 : moins de 156 points Niveau 2 : de 156 à 210 points Niveau 3 : de 211 à 266 points Niveau 4 : de 267 à 322 points 2 NIVEAUX AGENTS DE MAITRISE ET TECHNICIENS Niveau 5 : de 323 à 378 points Niveau 6 : de 379 à 434 points 3 NIVEAUX CADRES Niveau 7 : de 434 à 490 points Niveau 8 : de 491 à 546 points Niveau 9 : plus de 546 points Exemple • définition du poste (détail des activités), la cotation fait apparaître les résultats suivants : Connaissances : 3 Aptitude :2 Relations :4 Responsabilité : 2 Autonomie :2 106 • L’application de la grille d’évaluation conduit à attribuer à ce poste le nombre de points suivants : Connaissances : 37.5 pts Aptitude : 25 pts Relations : 100 pts Responsabilité : 50 pts Autonomie pts : 50 Soit un total de 262.5 pts • Ce montant est compris entre 211 et 266 points Le poste appartient donc au NIVEAU 3 IV B 1.3 Quelle finalité ou pour quoi des classifications spécifiques à l’entreprise Cette nouvelle classification Carrefour a été élaborée pour répondre à l’évolution des métiers s’inscrivant ainsi en continuité de l’accord de branche et en tenant compte des spécificités de Carrefour. Elle est adaptable dans le temps et favorable au développement des salariés mais aussi tournée vers les clients et ouverte à la promotion interne. Les enjeux de la refonte des classifications sont : • avant tout d’élaborer un consensus social à travers le dialogue pour préserver les intérêts économiques de l’entreprise et les intérêts des salariés • la gestion des salariés avec des règles adaptées à la réalité du travail de l’entreprise 107 • d’éviter le décalage entre les situations de travail et la reconnaissance des qualifications • améliorer la performance actuelle et future • basés entre une logique de marché et d’équité sociale • sur le double rôle des classifications qui vont jouer un rôle d’ajustement social et économique • de formaliser la manière dont les divers acteurs sociaux vont articuler les exigences du marché du travail et celles de l’équité sociale • articulés sur un équilibre complexe entre les forces du marché, les syndicats et l’entreprise IV B 1.3.1 Comment ont-elles été élaborées ? L’accord Carrefour est basé sur les mêmes critères, les mêmes degrés, la même grille d’évaluation et les mêmes niveaux que l’accord de la FCD de mars 97. Ce choix évite des distorsions vis à vis du reste de la profession. Chaque organisation syndicale a été représentée aux réunions de travail par une délégation composée de 4 personnes. Chaque réunion s’est déroulée selon le mode de fonctionnement suivant : 1/ un travail d’analyse et d’adaptation des définitions et de la cotation des emplois repères recensés dans l’accord FCD a permis à l’ensemble des participants de se familiariser avec le système de classifications. Il présente en outre l’avantage d’aborder rapidement les principaux métiers existants et de fixer un cadre de travail pour la suite du processus. 2/ la 2ème phase se déroule par « filières » ou secteurs (caisses, PFT, Non alimentaire, administratif…) L’ensemble des participants a procédé au recensement et à la définition de tous les emplois de chaque filière : emplois existants et nouveaux emplois. Ce travail permet de prendre en compte l’évolution des anciens métiers et l’apparition des nouveaux métiers. 108 3/ La cotation réalisée à travers des votes des représentants syndicaux de l’ensemble des postes a permis de tenir compte du niveau d’exigence de l’entreprise qui s’est exprimé dans les définitions précédemment élaborées. 4/ L’aboutissement du processus réside dans la négociation finale d’un accord complet comportant l’ensemble des définitions des emplois et leur classement au sein de 9 niveaux. L’analyse de tous les emplois a permis de mettre en évidence un certain nombre d’activités communes à l’ensemble des salariés de Carrefour qui ont été validées par les partenaires sociaux : • Carrefour, avec son activité qui est commerciale, est au service de ses clients. • Chaque salarié, par sa compétence, son attention, son amabilité et sa réactivité apportent le meilleur service possible • Il informe, renseigne et dirige efficacement ses interlocuteurs • Professionnel, il respecte l’ensemble des normes, procédures et règles du métier qui lui ont été communiquées • Accueillant, il conseille et informe le nouveau salarié dans ses premiers pas dans l’entreprise • Respectueux de l’image de l’entreprise et de la collectivité, il assure la propreté, le rangement, l’entretien courant du matériel et de l’espace de travail qu’il est amené à utiliser • Acteur il participe à la lutte contre la démarque et à l’inventaire • Attentif aux attentes et aux suggestions des clients, il informe sa hiérarchie et lui signale les éventuels dysfonctionnements. • Positif, il peut exceptionnellement être amené à mettre des produits en rayon ou aider le client lors de son passage en caisse (si cela ne constitue pas son activité principale) 109 La rigueur dans le processus de collecte des données a été le fil conducteur de la démarche afin de permettre de bien identifier les activités réalisées par les collaborateurs et faciliter l’interprétation des critères de branches. La clarté des descriptions de fonction a été soignées à travers la qualité rédactionnelle (simplicité, convivialité) afin de fournir par la suite une aide au développement personnel et à la mobilité. La transparence des décisions de cotation s’est établie par la justification par écrit des choix des groupes de travail, la validation collégiale des cotations, l’apport des explications complémentaires à l’accord de branche et l’élaboration d’une convention des règles de réactualisation (fréquence, implication). La collecte des données s’est réalisée suivant 3 grands principes : • la compréhension des termes utilisés dans l’entreprise en ayant une vision simple des éléments donnant sa valeur au travail et définissant les termes utilisés. Pour les employés : - activité : un ensemble de tâches qui produisent un résultat mesurable (volume, qualité, délai, coût…) pour un client interne ou externe - Résultat : un bien ou service produit par une activité et qui a une valeur pour un client interne ou externe - Connaissance : un ensemble homogène de concepts ou de théories définissant un même domaine de technique ou scientifique - Savoir-faire : un ensemble homogène d’activités démontrant la capacité à produire un résultat associé à un même domaine technique ou scientifique - Comportement : un ensemble homogène d’activités qui traduisent une même motivation 110 - Critères d’exigence : un ensemble homogène de connaissances, de savoirfaire ou de comportements qui donnent au travail une valeur reconnue par l’entreprise L’identification des activités à véritable valeur ajoutée est évaluée pour détecter l’importance de chacune à travers un support. Le choix des fonctions et des titulaires est réalisé à l’aide d’une nomenclature adaptée des titres de fonction et l’implication des collaborateurs motivés par le projet Afin de collecter correctement les données, il est rappelé la logique d’ensemble des éléments qui donnent leur valeur au travail : Savoir-faire N O N O B S E R V A B L E Ex : rédiger une proposition client Ex : gestion commerciale CONNAISSANCES ACTIVITE OBSERVABLE RESULTAT OBJECTIF MESURABLE MOTIVATION COMPORTEMENT Ex : anticiper un besoin non exprimé Chaque activité a été regroupée au sein d’une même famille qui ainsi a aidé à vérifier que toutes les contributions sont prises en compte et à mieux interpréter chaque critère de la branche (connaissances, aptitudes, relations, responsabilité, autonomie). 111 Pour l’entreprise Carrefour, ces 5 critères ont été traduits dans le tableau de correspondance suivant : Critères de branche • Connaissance Correspondance carrefour par domaine Créer • Aptitude • Relations • Responsabilité • • Développer/contrôler Produire Influencer • • Communiquer Négocier Engager les moyens • • Gérer les ressources Gérer les équipes Définir les priorités • • • Autonomie Comprendre l’environnement Organiser L’entreprise va identifier ses propres fonctions repères en les décrivant de manière à renseigner les collaborateurs sur : • les activités à exercer en termes de production et des moyens et méthodes utilisés • les connaissances demandées pour accéder à la fonction en formation de base, expérience, langues et maîtrise de technologies très spécialisées ou nouvelles Les groupes de réflexion responsables de coordonner et de valider les cotations utilisent donc un support commun. IV B 1.3.2 Exemple de l’élaboration d’une fonction repère : Assistante administrative Lors de chaque réunion des groupes de réflexion composés de quatre représentants par organisation syndicale, des fonctions, qui avaient été étudiées parallèlement 112 avec les cinq groupes de travail interne, sont soumises à discussion et échanges avec d’éventuelles retouches des descriptions de fonction. Une diffusion des fonctions retouchées est adressée à chaque partenaire pour dernières observations. Lors de la réunion suivante, les fonctions analysées lors de la réunion précédente sont validées par les partenaires syndicaux. Le processus reprend avec l’étude de nouvelles fonctions. Processus de validation des partenaires syndicaux des fonctions et activités réalisées en interne : REUNION J+1 : • LISTE DES FONCTIONS A ETUDIER ET PROPOSITIONS DECARREFOUR • DISCUSSION, ECHANGES, RETOUCHES EVENTUELLES AVEC LES PARTENAIRES DES DESCRIPTIONS DE FONCTION COMPTE RENDU REUNION J+1 : • DIFFUSION DES FONCTIONS RETOUCHEES POUR DERNIERES OBSERVATIONS EVENTUELLES ORDRE DU JOUR REUNION J+2 : • VALIDATION DES FONCTIONS ETUDIEES LORS DE LA REUNION J+1 ET ETUDES NOUVELLES FONCTION • DISCUSSION, ECHANGES, RETOUCHES EVENTUELLES AVEC LES PARTENAIRES DES DESCRIPTIONS DE FONCTION REUNION J+1 : • LISTE DES FONCTIONS A ETUDIER ET PROPOSITIONS DECARREFOUR • DISCUSSION, ECHANGES, RETOUCHES EVENTUELLES AVEC LES PARTENAIRES DES DESCRIPTIONS DE FONCTION Chaque fonction a été étudiée sur le terrain, par des travaux d’experts selon la méthode d’analyse suivante : • Critères de carrefour en correspondance des critères de la branche : produire, contrôler, communiquer, négocier, gérer les ressources, gérer les - équipes, étudier l’environnement, organiser • le type d’activité • Que doit-il en sortir (sortant) ? • qui bénéficie du sortant (client) ? • évaluation du temps passé • l’impact : Exécuter (E) – Conseiller (C) – Décision (D) 113 Exemple du contenu de la fonction « Assistant Administratif et comptable » réalisé par le groupe de travail interne : Titre de la fonction : ASSISTANT ADM.& COMPTABLE Domaine Activité Produire • réceptionner et trier des documents (dossiers, factures, commandes • Saisir des données exactes/vérifiées dans le système d’information • Classer ou transmettre les documents selon les procédures • Effectuer des rapprochements (par exemple entre des bons de livraison, de transport, de reconnaissance avec les factures pro forma) • Archiver les documents Statut : Réunion Paritaire Sortant • documents triés • informations fiables • documents classés/transmis • • • • • Contrôler • • • répondre aux demandes et traiter le dossier en utilisant les moyens de communication adaptés traduire en comptabilité les opérations commerciales et financières, les rapprocher, les ventiler • détecter et traiter les • écarts constatés lors des rapprochements et régler les litiges s’il y a lieu, sous le contrôle de sa hiérarchie vérifier la fiabilité des • enregistrements saisis justifier le solde des comptes des opérations • comptables et financières (banque, TVA, organismes sociaux…) rapprochement effectués documents archivés rédaction courrier/fax/ appel téléphonique documents comptables à jour Client • Collaborateurs magasins Date : J+1 Temps Impact 5% E • Collaborateurs magasins 15 % E • Collaborateurs magasins 5% E • Collaborateurs magasins 15 % E 5% E 10 % C 20 % C • Collaborateurs magasins • Clients, fournisseurs, personnel • Collaborateurs magasins règlement des écarts et des litiges • hiérarchie, collaborateurs magasins 5% C enregistrement fiables/comptes justifiés rapprochements comptables et financiers effectués • collaborateurs magasins 10 % C • collaborateurs magasins 10 % C Communiquer Négocier Gérer les ressources Gérer les équipes Etudier l’environnement Organiser E= Exécution, C=Conseil, D=Décision 114 En réponse au statut de la réunion paritaire de réflexion J+1 , cette fonction « assistante administratif et comptable » est devenue : Effectue diverses tâches administratives et comptables Activités (qui ressemblent plus à des tâches ) : • réceptionne et trie des documents (dossiers, commandes, factures), les classe ou les transmet et les archive • saisit des données exactes / vérifiées dans le système d’information • effectue des rapprochements et détecte des écarts • rédige les correspondances liées aux dossiers traités • traduit en comptabilité les opérations commerciales et financières, les rapprochements, les ventile • justifie le solde des comptes des opérations comptables et financières (clients, fournisseurs, banque, TVA) Toutes les descriptions de poste figurent aujourd’hui dans la nouvelle Convention Collective. Par la suite à l’aide de la grille de cotation réalisée par l’accord de la branche de mars 97, chaque représentant syndical a noté et justifié sa réponse. Par exemple : Fonction : Conseiller administratif et comptable Effectue les tâches administratives et comptables Activités (qui soit dit en passant ressemblent plus à des tâches ) : • traduit en comptabilité les opérations commerciales et financières, les rapproches et les ventile • justifie le solde des comptes des opérations comptables et financières dont il a la charge • réceptionne, trie, classe, transmet et archive les documents • saisit des données vérifiées dans le système d’information • contrôle la fiabilité des enregistrements saisis • effectue des rapprochements, détecte et justifie les écarts. Règle les litiges • rédige les correspondances liées aux dossiers traités CRITERES COTATION DEGRE POINT JUSTIFICATION Connaissance 3 37,5 Aptitude 3 37,5 Relations Responsabilité Autonomie 3 2 2 75 50 50 Les tâches rencontrées requiert l’apprentissage d’un métier. Elles demandent une aptitude à utiliser un savoir, un équipement ou un savoir-faire spécialisé. Les tâches ne nécessitent pas de maîtriser des équipements ou des équipements relativement compliqués Les problèmes font l’objet d’une première investigation. Leurs solutions demandent des recherches et des analyses d’information. Leurs solutions ne requièrent pas la collecte d’une masse importante d’informations Etc… Total Niveau 250 3 115 Commentaire [b1] : En fonction de la grille de cotation de l’accord de branche A partir de la définition du poste, la cotation fait apparaître les résultats suivants : Un total de 250, ce qui nous positionne par rapport aux niveaux de la branche à : Employés – ouvriers : niveau 3 (entre 211 à 266 points). Chaque représentant syndical de la réunion de réflexion va ainsi noter et justifier les notes. Un tableau final de synthèse a permis de positionner définitivement la fonction de conseiller administratif : Extrait : Filières Poste Administration Assistant administratif Conseiller adm&comptable Conseiller de vente Vente Niveau attribué par les Syndicats CAT 2 3 3 CFDT 2 3 3 CFTC 2 3 3 CGC 2 3 2 CGT 2 3 4 FO 2 3 3 Décision Finale (majorité) Niveau 2 3 3 Les fonctions, ci-dessus, se sont vues attribuées les niveaux établis dans la décision finale et figurent donc dans la nouvelle Convention Collective de Carrefour. Une commission paritaire va suivre la mise en place de l’accord afin de répondre aux revendications des salariés sur leur changement de classement. IV B 1.4 Les classifications des cadres Contrairement aux employés, les partenaires sociaux ne se sont pas préoccupés des classifications des cadres, leur seul impératif a été que les chefs de rayon se situent au niveau 7. Je serais moins exhaustive que pour les employés. En effet, la démarche est restée confidentielle et contrairement aux employés, les partenaires sociaux n’ont pas participé à la détermination des fonctions-repères cadres et le classement dans les différents niveaux. 116 En parallèle, un chantier a été entrepris afin de remettre à plat toutes les appellations diverses et variées des emplois du siège social. L’objectif était de simplifier et réduire le nombre de fonctions dont les appellations avaient été formalisées par rapport au détenteur de l’emploi. Exemple : Tableau de simplification des fonctions repères de Carrefour Siège Groupe Fonction repère Déclinaison Responsable Responsable Achats Responsable Titre de la fonction actuelle Achats (par Acheteur 1er prix PGC métiers) Responsable Rayon 1er prix Responsable Achats Douane Responsable Ristourne Responsable Achats Gestion Responsable Administratif et ristournes des ristournes Responsable administratif Bazar Responsable Centralisation des ristournes Responsable des achats parapharmacie Responsable de Collection Bazar Responsable Collection Responsable Produits Carrefour Responsable Approvisionnement Responsable Cotation Import Chef de secteur Transit Import Responsable douane Responsable Import Secteur Responsable Import Secteur …. Un autre objectif a été d’aligner la rémunération à celle de la concurrence. Pour ce faire, l’entreprise s’est basée sur des indices de salaire calculées en fonction du marché du travail transmises par le cabinet Hay. IV B 1.4.1 Les critères de classification des emplois cadres Les critères des classifications Cadres sont déclinées en 12 compétences clés qui recouvrent 4 domaines d’activité de l’entreprise à valeur ajoutée distinctive. 117 Ces 12 compétences clés sont assorties de 5 degrés d’exigence qui ont été déterminés en fonction de l’emploi. Une définition des différents degré d’exigence est déclinée par compétences clés. Tableau des 12 compétences clés classer par domaine d’activité clé de l’entreprise : Domaine de compétences CONTRIBUER à la PERFORMANCE ECONOMIQUE C1 : Gérer les flux et les risques « argent » pour mesurer et gérer les flux financiers de l’entreprise C2 : Concentrer les ressources sur les objectifs prioritaires pour allouer les ressources aux actions et projets critiques pour le succès de Carrefour C3 : Identifier et exploiter les opportunités rentables pour repérer et exploiter des sources de revenus ou d’économies supplémentaires DEVELOPPER la SATISFACTION CLIENT C4 : Créer une valeur ajoutée distinctive pour développer des produits et des services qui apportent une valeur distinctive aux clients et partenaires de Carrefour C5 : Manager la logique client/fournisseur pour garantir l’efficacité des relations et des méthodes client/fournisseur à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise C6 : Obtenir l’adhésion nécessaire au respect des engagements pour satisfaire les clients et les partenaires de Carrefour à travers l’adhésion de tous aux engagements pris S’INVESTIR dans la REUSSITE des COLLABORATEURS C7 : Repérer, développer et valoriser les compétences pour identifier, développer ou reconnaître les compétences C8 : Créer un environnement propice au développement pour encourager et aider les autres à connaître et à faire connaître leurs compétences au sein de l’entreprise C9 : Manager par l’exemplarité pour agir en accord avec les systèmes de valeurs de l’entreprise et de la profession COMPRENDRE et AGIR sur son ENVIRONNEMENT C10 : Rechercher et promouvoir des processus performants pour créer et maintenir des processus permettant à Carrefour de développer son leadership C11 : Initier et conduire le changement pour inciter les autres à s’approprier et à mettre en œuvre les changements requis par l’environnement interne ou externe C12 : Travailler en réseau Pour obtenir l’appui ou la coopération nécessaire à l’exercice de ses responsabilités Compétence clé 118 Ces compétences sont notées suivant 5 degrés d’exigence : - 1 adapter - 2 optimiser - 3 concevoir - 4 piloter - 5 transformer IV B 1.4.2 La grille de cotation : La grille de cotation a été élaborée en interne avec des cadres de l’entreprise. Pondération 1 adapter 2 Optimiser 3 Concevoir 4 Piloter 5 Transform er Contribuer à la performance économique C1 C2 C3 25 25 25 Développer la satisfaction client Comprendre et agir sur son environnement C6 25 S’investir dans la réussite des collaborateurs C7 C8 C9 25 25 25 C4 25 C5 25 C10 25 C11 25 C12 25 50 50 50 50 50 50 50 50 50 50 50 50 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 200 200 200 200 200 200 200 200 200 200 200 200 400 400 400 400 400 400 400 400 400 400 400 400 25 % Economique Légende : 25 % Clients 25 % Collaborateurs 25 % Environnement C1 = compétence clé n°1 = gérer les flux et les risques d’argent C2 = concentrer les ressources sur les objectifs prioritaires Etc Un groupe de travail a déterminé pour chaque fonction-repère le niveau de cotation exigé par compétence clé. Degré d’exigence Compétence clé A titre d’exemple : Emploi Type Fonction repère Directeur National Directeur National Responsable com. Responsable RH Responsable RH ETC Directeur National Métier Directeur Informatique Responsable com interne Responsable Rem. Et AS Expert Relations Sociales Nivea u HCC HCB 9A 9A 8C Total Moy. C1 3800 3400 1500 1500 1400 4,58 4,42 3,25 3 ,25 3,17 4 4 4 3 3 C2 C3 C4 C5 C6 C7 C8 C9 C1 0 5 4 5 5 5 5 4 4 4 5 4 5 5 4 4 4 4 4 3 4 3 3 3 3 3 3 3 3 3 4 3 3 3 3 3 4 3 3 3 3 3 4 3 3 3 HCC = hors convention collective niveau C (développé) A = acquis – B = Maîtrise – C= Développé 119 C1 1 5 4 3 3 3 C1 2 5 5 4 4 4 IV B 1.4.3 Les niveaux Niveau 7 : de 434 à 490 points Niveau 8 : de 491 à 546 points Niveau 9 : plus de 546 points CADRES Les niveaux cadres sont décomposés en 3 niveaux : A = acquis – B = Maîtrise – C = développé A m p le u r d e s n iv e a u x C a d r e s 3800 HCC 3600 3400 3200 3000 2800 HCB 2600 2400 HCA 2200 2000 9C 1800 9B 1600 9A 1400 8C 1200 8B 1000 8A 800 7C 600 400 7B 7A 200 0 7A 7B 7C 8A 8B 8C 9A 9B 9C HCA HCB HCC Commentaire : L’ampleur des niveaux (A à C) permet à l’entreprise de s’aligner par rapport au marché salarial (l’on peut remarquer que les Managers métiers débutants (A) ont un niveau de points inférieur au niveau 7). IV B 1.5 Conséquence des nouvelles classifications Carrefour - refonte du système d’évaluation des cadres (introduction des compétences) Face à une concurrence de plus en plus âpre entraînant le tassement des marges et des profits, l’entreprise doit avoir des systèmes de gestion plus objectifs et plus précis. La gestion individualisée des salaires et des rémunérations cherche à 120 satisfaire cette exigence et permet de conserver les enjeux crédibles d’évolution de salaire et de rémunération. Pour mettre en œuvre une telle politique de gestion individuelle, Carrefour se dote d’un outil qui lui permet d’évaluer les prestations de chacun des salariés et sa contribution au développement de l’entreprise. Dans la perspective d’une « saine » gestion des Ressources Humaines, Carrefour doit organiser son système d’évaluation pour aboutir à un processus qui réponde aux besoins de l’entreprise comme aux attentes des salariés. Ce qui signifie que le système d’évaluation doit impérativement : • présenter des garanties d’objectivité suffisante et de ce fait ne renforce pas le poids des structures hiérarchiques • offrir des enjeux crédibles de progression de rémunération et de carrière • faciliter les fonctionnements de l’organisation en atténuant les difficultés de coordination entre services, fonctions…. • favoriser le développement en prenant en compte ce qui est prévu mais aussi les actions spontanées (rétribution de l’initiative). IV B 1.5.1 Identification de l’objet de l’évaluation : on va évaluer quoi ? • la prestation du salarié : ce que le salarié sait faire : cette évaluation s’appuie sur un constat • la compétence du salarié : ce que le salarié peut faire : cette évaluation s’appuie sur un diagnostic 121 • le potentiel du salarié : ce que le salarié pourra faire : cette évaluation s’appuie sur un pronostic Chez Carrefour les objets de l’évaluation sont : • la performance à travers la définition d’objectif (résultats) • les compétences Il n’est pas aisé d’évaluer à la fois des résultats et des compétences…… ! ! ! IV B 1.5.2 Pourquoi évaluer et à qui sert l’évaluation : Pour comprendre l’évaluation de l’entreprise, je me suis posée la question « à quoi ça sert ? Quel objectif vise l’entreprise à travers son système d’évaluation ? ». En effet, le processus global d’évaluation est souvent associé à une multitude de finalités : • réaliser un bilan formel des activités accomplies et des résultats obtenus sur une période donnée • définir de nouveaux objectifs négociés et des plans d’actions, faire adopter une stratégie • gérer les ressources humaines en situant plus précisément les personnes en terme de compétences, de potentiel, de désir d’évolution • facilité l’évolution des métiers (gestion prévisionnelle des emplois) • faire évoluer les collaborateurs (gestion prévisionnelle des compétences) • renforcer l’adhésion, développer les motivations • faire prendre en charge des responsabilités de management à chaque niveau hiérarchique • accroître la cohérence entre les orientations individuelles et collectives 122 • instaurer une dynamique d’amélioration permanente de la qualité des contributions rendues à l’intérieur de l’entreprise • développer la clarté des relations interprofessionnelles et la transparence de la société • créer, enrichir un dialogue qui parte des faits et débouche sur l’action …. L’examen de quelques supports d’évaluation montrent que les entreprises prescrivent à la fois d’évaluer des résultats, des comportements et un potentiel tout en recueillant des éléments nécessaires à l’élaboration du plan de formation. Alors qu’il n’est pas sur qu’un même outil ou qu’une même démarche puisse répondre à tant d’objectifs à la fois ! Quel est l’objectif du système d’évaluation pour l’entreprise ? • reconnaître ce que l’on attend des salariés par rapport aux critères d’exigence de l’entreprise • accroître le professionnalisme de chacun en développant les compétences (plan de développement) • prendre en compte les souhaits professionnels • anticiper les besoins de l’entreprise avec la détection des potentiels • renforcer la cohérence de la gestion des ressources humaines ( lien entre la formation, la gestion de carrière, mobilité et potentiel, recrutement) • déterminer la rémunération individuelle à travers les objectifs • déterminer la partie fixe de la rémunération à travers les compétences IV B 1.5.3 Conditions d’adhésion Pour répondre aux attentes des salariés et de l’entreprise, l’évaluation doit satisfaire à deux conditions : • présenter des garanties d’objectivité suffisantes et ne laisser place qu’à une subjectivité limitée 123 afin de légitimer l’évaluation mais pour satisfaire cette condition il ne faut pas confondre : • l’évaluation de la prestation (résultat), l’évaluation de la compétence et l’évaluation du potentiel car elles relèvent d’opérations mentales différentes : constat – diagnostic – pronostic, d’où la nécessité de les séparer et de bien maîtriser le rôle joué par chacune d’elles dans le processus d’évaluation globale. Le système d’évaluation doit reposer sur des critères connus de tous et permettre un lien entre l’évaluation réalisée et les perspectives d’évolution de carrière et de rémunération offerte. Les règles du jeu doivent être clairement annoncées pour que les managers s’approprient la démarche. En effet, combien d’évaluations sont réalisées « parce qu’il faut les faire » ! ! ! Ce qu’il implique une visibilité de la connexion et de la cohérence entre les entretiens d’évaluation et les décisions en matière RH (rémunérations, formation, promotion, gestion de carrière). Dans ce contexte, l’évaluation a alors des chances d’être normée, concertée, transparente et de satisfaire aux conditions d’objectivité suffisante et de subjectivité. quoi ça q surtout Simple ouià mais A quoi ça sert ? finalité ? but ? • • Clair et Transparent • pour l’ensemble des salariés • Pourquoi l’évaluation ? Quel est l’objet de l’évaluation ? Visibilité de la connexion et de la cohérence entre les entretiens individuels et les décisions RH (rémunérations, formation, promotion, gestion des carrières…) Pour qui, par qui et avec qui ? Appropriation de la démarche d’évaluation par les salariés développement du professionnalisme et de la performance de l’entreprise 124 IV B 1.5.4 IV B 1.5.4.1 Détail des objets de l’évaluation Objectifs Au cours de l’entretien d’évaluation, le responsable fixe de nouveaux objectifs à son collaborateur et les inscrits sur le support. • rappel : qu’est-ce qu’un objectif ? C’est un résultat à atteindre par une personne ou une équipe dans un délai donné. L’énoncé de l’objectif comprend au moins six informations pour qu’il soit appréciable : - il nomme la personne responsable de la réalisation de l’objectif, - il désigne la ou les actions principales à l’aide de verbe d’actions, - il précise le résultat attendu de l’action entreprise, le plus souvent par un complément d’objet, - il précise à l’aide d’indicateurs ou de critères, le niveau de performance ou de seuil à partir duquel la performance sera considérée comme acceptable - il indique le délai de réalisation et les mesures d’accompagnement qui peuvent être négociables. deux sortes d’objectifs : - les objectifs quantitatifs : ils sont tangibles, quantifiables, mesurables (ex : marges, diminution de la casse…) - les objectifs qualitatifs : ils sont non directement quantifiables mais la réalisation peut contribuer à l’amélioration du fonctionnement de l’entreprise (ex : amélioration de la satisfaction client). Le support de synthèse, dûment rempli l’année précédente, servira ensuite de référence dans l’appréciation des résultats lors de l’entretien d’évaluation annuel. 125 Une analyse des écarts sera effectuée avec une mise en place éventuelle de mesure corrective à travers le plan de développement. IV B 1.5.4.2 Compétences IV B 1.5.4.2.1 Apport théorique L’entreprise s’est inspirée des écrits de LEBOTERF (1998)26. L’auteur fait apparaître la nécessité de raisonner non seulement en terme de compétences mais aussi en terme de professionnalisme. Le marché du travail demande des professionnels engageant leur subjectivité. Ce que recherche les salariés, c’est une nouvelle identité professionnelle qui donne un sens aux savoirs et aux compétences et qui augmentent leurs chances d’employabilité. Le professionnel reconnu comme compétent est celui qui sait construire des compétences pertinentes pour agir. Il faut distinguer l’équipement des ressources pour produire les compétences, cet équipement est double : • l’équipement incorporé à la personne (savoir, savoir-faire, qualités, expériences) • l’équipement de l’environnement (moyens, réseaux relationnels, réseaux informationnels…) Le professionnel construit ses compétences avec l’aide de son environnement. D’autre part, l’auteur insiste sur l’approche combinatoire. La compétence du professionnel est dans le savoir combinatoire. Chaque compétence est le produit d’une combinaison de ressources. C’est dans le savoir combiner que résident la richesse du professionnel et son autonomie. 26 LE BOTERF Guy, « De la compétence, essai sur un attracteur étrange », les éditions d’organisations, 1995 126 Le savoir combinatoire est au cœur de toutes les compétences LEBOTERF (1998)27 La compétence clé de l’entreprise est la résultante de la combinaison des compétences et individus, de leur professionnalisme et des compétences collectives des unités et des équipes La compétence collective d’une équipe émerge de la combinaison des compétences et du professionnalisme de ses membres Le professionnalisme se reconnaît à une combinaison singulière de compétences Une compétence est une combinaison de ressources (savoir, savoir-faire, aptitudes, expériences….) C’est de la réussite de la combinaison que dépend l’émergence d’une compétence à un autre niveau La perspective d’une gestion de la professionnalisation en termes de navigation professionnelle est un des défis majeurs. L’entreprise doit impérativement savoir conjuguer ses projets et ses contraintes avec les projets professionnels des salariés. Dans des contextes d’instabilité, cette conjugaison ne peut relever de la programmation, la gestion des carrières n’a pas fait long feu, la formation continue a montré son importance mais aussi ses limites, la professionnalisation ne se réduit pas seulement à la formation. L’entreprise doit donc inventer de nouveaux espaces de professionnalisation, chacun doit devenir entrepreneur de sa professionnalisation. La pertinence d’un nouveau type de management s’impose, il faut piloter et non plus contrôler. Le management de la professionnalisation est un management qui donne du sens et agit par influence. Aider à fixer un cap communément accepté et créer des conditions propices aux parcours et dynamiques de la professionnalisation tel est le management qui doit s’inventer et s’exprimer. La priorité à accorder au traitement de la compétence collective émerge de l’articulation et de la synergie entre les compétences individuelles et des réseaux hybrides de compétences (personnes, équipement, signes…). Là encore c’est dans le savoir ou l’art combinatoire que réside la véritable valeur de l’entreprise. 27 Ibid. n°25 127 L’entreprise Carrefour distingue la gestion collective et la gestion individuelle qui rendent possible la réalisation du constat de l’état des ressources humaines de l’entreprise. IV B 1.5.4.2.2 La gestion collective chez Carrefour La gestion collective détermine le classement des fonctions (emplois) repères. Par rapport aux degrés d’exigence de l’entreprise, en fonction de l’emploi et pour chaque compétences clés, il est attribué un nombre de points. L’addition de ces points permet de situer l’emploi. Il me semble important de rappeler la structure des compétences clés, génériques pour l’entreprise : Domaine de compétences CONTRIBUER à la PERFORMANCE ECONOMIQUE C1 : Gérer les flux et les risques « argent » C2 : Concentrer les ressources sur les objectifs prioritaires C3 : Identifier et exploiter les opportunités rentables DEVELOPPER la SATISFACTION CLIENT C4 : Créer une valeur ajoutée distinctive C5 : Manager la logique client/fournisseur C6 : Obtenir l’adhésion nécessaire au respect des engagements S’INVESTIR dans la REUSSITE des COLLABORATEURS C7 : Repérer, développer et valoriser les compétences C8 : Créer un environnement propice au développement pour encourager et aider les autres à connaître et à faire connaître leurs compétences au sein de l’entreprise C9 : Manager par l’exemplarité COMPRENDRE et AGIR sur son ENVIRONNEMENT C10 : Rechercher et promouvoir des processus performants C11 : Initier et conduire le changement C12 : Travailler en réseau Compétence clé 128 • A titre d’exemple Fonction Manager métier Degré d’exigence Compétences clés Créer un environnement propice au développement 3 pour encourager et aider les autres à connaître et à faire connaître leurs compétences au sein de l’entreprise Points 100 Ces compétences sont notées suivant 5 degrés d’exigence : - 1 adapter - 2 optimiser - 3 concevoir - 4 piloter - 5 transformer Les emplois sont ainsi pesés et classés dans les niveaux respectifs des nouvelles classifications. IV B 1.5.4.2.3 La gestion individuelle chez Carrefour La gestion individuelle permet l’appréciation des compétences mobilisées par chacun. A travers les compétences génériques par emploi, elle est définie par des compétences plus précises (dites fines) et des « indicateurs de réussite » afin de rendre l’évaluation la plus objective possible. Pour ce faire, nous avons organisé des groupes de travail soit avec des Chefs de Rayon ou bien des Responsables Transversaux et nous nous sommes déplacés dans un magasin (Villabé) pour interviewer des salariés afin qu’ils nous parlent de leur métier. Le but du jeu était de laisser le groupe ou l’individu s’exprimer sur ce qui lui paraissait important avec l’aide des questions clés28 suivantes : Q1 : Qu’est-ce que les personnes concernées doivent mobiliser comme ressources personnelles pour atteindre le résultat attendu ? 28 Guide de Christine TREGOUET –Quaternaire – « La formulation des Compétences : les étapes de la formulation vers un référentiel de compétences » 129 Q2 : Quels sont les écueils possibles et quelles compétences faut-il manifester pour y faire face ? Q3 : Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’une personne est compétente pour réaliser ce travail ? quelle est sa valeur ajoutée ? Qu’est-ce qui vous fait dire qu’une équipe est compétente ? Q4 : Qu’est-ce qui vous ferait dire qu'une personne n’est pas compétente ? que manquerait-il ? Ensuite, nous avons travaillé sur la formulation des compétences fines en retravaillant en termes de compétences ce que le groupe avait exprimé. Pour pouvoir évaluer les compétences plus facilement, les compétences fines ont donc été précisées par des indicateurs de réussite. Exemple : Fonction Responsable Ressources Humaines Domaine de compétence : Comprendre et agir sur son environnement Indicateurs de réussite Compétences spécifiques fines (être capable de ) : • Conseiller les équipes et cadres sur le respect de la • législation • • agit auprès des cadres pour éviter les risques de contentieux met en œuvre en concertation avec l’encadrement une procédure d’accueil et d’information des employés. Organise la traçabilité interne des procédures de gestion RH : temps de travail, rémunération, Convention Collective Grâce à la définition et formulation des compétences fines, l’évaluation se fera sur les compétences techniques, les aptitudes et les comportements en situation de travail. En effet, pour l’entreprise, la définition des compétences est la suivante : « Une compétence est la combinaison de savoir, savoir-faire et savoir être s’exerçant dans un contexte précis. Elle se constate lors de sa mise en œuvre en situation professionnelle par rapport à un objectif donné ». Cette définition a un mérite considérable, la compétence est celle d’un individu (et non la qualification d’un emploi) et elle se manifeste et s’apprécie lors de sa mise en 130 œuvre en situation professionnelle (la relation pratique de l’individu à la situation et la manière dont il l’affronte est au cœur de la compétence). La compétence ne se manifestant que dans l’activité pratique, c’est de l’activité que pourra découler l’évaluation des compétences mise en œuvre à cette occasion. Toutefois, cette définition possède de nombreuses limites comme le précise ZARIPHIAN (1999)29 : • elle est muette sur les enjeux de mutations de travail et des organisations. Une telle définition peut être appliquée à n’importe quelle époque de l’historique et dans n’importe quelle organisation du travail. • cette définition comporte implicitement un côté néo-artisanal. L’exemple le plus parfait pour l’illustrer serait celui du boulanger réalisant lui-même son pain. On pourrait constater, lors de la mise en œuvre de la préparation et cuisson du pain, et dans le résultat (le bon pain), la compétence du boulanger et la valider in situ. Cette vision néo-artisanale fait complètement l’impasse sur ce que sont les conditions sur les réseaux de travail qui concourent à préparer, entourer, soutenir l’activité professionnelle, sur la dimension collective, sur l’évaluation par les performances économiques d’une organisation. • enfin, l’auteur constate que l’insistance mise sur la validation des compétences des acteurs de l’entreprise, oublie que ces compétences s’appuient sur des connaissances (sur des corps de savoirs) et en alimentent la dynamique de renouvellement. Or ces connaissances se forment socialement, la réussite des actions doit renvoyer à une dialectique d’interdépendance forte entre compétences et connaissances, qui mobilisent des sources et acteurs différents. L’évaluation des compétences est aussi celle du processus qui autorise son développement réussi (et pas seulement l’évaluation de l’individu qui l’exerce). L’auteur propose des définitions qui me semblent intéressantes car elles intègrent plusieurs dimensions : 29 ZARIPHIAN Philippe, « Objectif compétence », éditions liaisons, 1999 131 • La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations professionnelles auxquelles il est confronté. Cette première formulation insiste sur le changement des organisations du travail : le recul de la prescription des tâches, l’ouverture d’espace d’autonomie de l’individu. • la compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des connaissances acquises et les transforment avec d’autant plus de force que la diversité des situations augmentent. Cette second approche insiste sur la dynamique d’apprentissage qui est essentielle dans la démarche compétence. Encore faut-il maintenir un équilibre, entre d’une part, le temps et les approfondissements nécessaires pour acquérir pleinement l’intelligence d’une situation, constituer des acquis, d’autre part, l’affrontement à des situations nouvelles, pour éviter les effet d’encroûtement et exercer ses facultés d’apprentissage. Cet équilibre n’est pas purement personnel, il est posé comme question à l’organisation du travail et peut servir à inspirer les stratégies de mobilités professionnelles. • la compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes situations, à partager des enjeux, à assumer des domaines de coresponsabilité. Cette dimension est particulièrement important lorsque l’entreprise développe des organisations de travail transverses ou par projet. En effet, elle suppose à la fois que chaque individu apprenne à faire appel à des compétences qu’il ne possède pas afin que les compétences d’un réseau puissent converger et s’associer en vue d’une résolution d’un même objectif. C’est à partir de la combinaison de ces trois approches de la compétence, dont l’étroite complémentarité est importante, que la compétence pourra être saisie et mobilisée consciemment. 132 IV B 1.5.4.2.4 Description du processus d’évaluation L’objectif de l’évaluation d’un collaborateur est de permettre à l’entreprise de vérifier si la performance de la personne est conforme à ce que l’entreprise attend. La logique compétence mise en place va contribuer à améliorer la performance, une personne compétente est forcément performante… Le processus d’évaluation 30 des compétences se présente à travers un cycle continu annuel ( : Information régulière des équipes sur l’état d’avancement du processus Organisation des évaluations périodiques Accord sur les compétences à évaluer en priorité Préparation des évaluations par évaluateurs (recueil) et évalués (auto-évaluation) Mise en œuvre et suivi du plan de développement Analyse des données recueillies Entretien de synthèse 30 Schéma de Béatrice LABOUREUR – Responsable des Compétences à la DRH Carrefour 133 Le contenu de l’entretien de synthèse est le suivant : • Etablir le bilan des objectifs de l’année écoulée, analyser les écarts, définir un plan d’accompagnement… • Définir les objectifs de l’année n+1 • Evaluer les compétences, analyser les écarts, établir un plan de développement (formation, coaching, projet…) • Identifier les potentiels des collaborateurs Afin de ne pas mélanger les objets de l’évaluation qui repose sur des démarches différentes, je préconise le planning d’évaluation suivant : Planning d’EVALUATION Constat/Programmation Diagnostic Objectifs Compétences Janv/fev Avril/mai/Juin Pronostic Potentiels Septembre/Octobre 134 Dans un contexte de concurrence exacerbée, de rationalisation des coûts, les compétences doivent être gérées pour rapporter de la valeur à l’entreprise. Ce qui signifie que la manière d’évaluer (le process) doit être complètement remis à plat pour aboutir à une évaluation objective. Si l’on veut disposer des compétences utiles, nécessaires, clés pour l’entreprise, il est impératif que le système d’évaluation soit fabriqué pour rendre l’évaluation non subjective et qu’un lien cohérent soit établi entre la gestion collective des emplois et la gestion individuelle. Ainsi, l’entreprise disposera et rémunérera les compétences conformes à ses niveaux d’exigence. Le changement de logique qui s’opère dans l’entreprise (d’une logique de statut à une logique de compétence), la démarche de valorisation des compétences que met en place la DRH devraient œuvrer dans ce sens. IV B 2. 2ème points fort de l’accord IV B 2.1 Réduction et aménagement du Temps de travail - Descriptif et comparatif de l’accord d’entreprise sur les 35 heures et du projet de loi ci-dessous : - le projet de loi des 35 heures est en grisé - l’accord carrefour est en italique IV B 2.1.1 La durée légale à 35 heures : La loi du 13 juin a abaissé la durée du travail. L’accord de carrefour prévoit un horaire moyen de référence hebdomadaire du temps de travail effectif des employés à temps complet est réduit à 35 heures sans diminution de salaire 135 La possibilité de passage aux 35 heures sous forme de jours de repos est maintenue. L’accord de Carrefour prévoit une RTT en jours sous la forme d’une semaine de repos supplémentaires. IV B 2.1.2 Les heures supplémentaires Une application mécaniste et unilatérale du projet de loi des 35 heures au 1er janvier 2000, avec la majoration de 25 % et le contingent de 130 heures appliquées au-delà des 35 heures risquerait de faire courir le double risque d’une baisse des salaires et d’une limitation de la production. De telles décisions unilatérales se retourneraient ainsi contre les salariés et contre l’emploi. Les heures supplémentaires seront majorées de 10% entre la 36ème et les 39ème heures jusqu’au 31 décembre 2000 et versées aux salariés si l’entreprise a signé un accord RTT. Dans le cas contraire versement de cette majoration à un fonds pour l’emploi. Au 1er janvier 2001 la majoration pour heures supplémentaires passera à 25% : sous forme de repos ou payée au salarié si un accord collectif a été signé. Le Contingent annuel de 130 heures, qui détermine le seuil maximum à partir duquel toute heure supplémentaire donne lieu à un repos compensateur – et qui peut être abaissé par accord collectif – s’applique dorénavant non plus à 39 heures mais s’appliquera, pour les entreprises de plus de 20 salariés, au-delà de 37 heures en 2000, au de-là de 36 heures en 2001, et, à partir de 2002, au de-là de 35 heures. Avec l’accord de Branche, le contingent annuel de carrefour est actuellement fixé à 90 h. 136 IV B 2.1.3 La Modulation L’existence de trois régimes juridiques pour des dispositifs concourant à des objets très voisins rend ces règles peu lisibles et difficilement applicables et contrôlables. Il apparaît donc nécessaire de simplifier les mécanismes de modulation du temps de travail tout en définissant certaines garanties. La modulation est donc simplifiée, une seule modulation est proposée fondée sur une durée annuelle de référence de 35 heures en moyenne de l’année et ne pouvant en tout état de cause excéder 1600 heures, qui est l’équivalent moyen annuel des 35 heures, après prise en compte du repos hebdomadaire, des 5 semaines de congés et des 11 jours fériés légaux quand ils ne coïncident pas avec un jour de repos hebdomadaire. Cet avant-projet de loi encadre la modulation de type III, et en y ajoutant l’obligation pour l’accord de déterminer les droits à rémunération et à repos compensateur. Des garanties nouvelles pour les salariés sont apportées sur le calendrier prévisionnel et sur le délai de prévenance qui est fixé, à défaut d’accord d’entreprise, à au moins 7 jours. L’accord de modulation de Carrefour prévoit : - une variation horaire dans une plage de + ou – 6 heures par rapport à l’horaire moyen de référence - un lissage des rémunérations : la rémunération mensuelle correspond à l’horaire moyen de référence qui est lissée sur la période annuelle de décompte. - Les heures excédentaires dans la limite du contingent annuel (90 heures) sont au choix du salarié soit payées, soit remplacées par un repos compensateur. - Les heures effectuées qui viendraient à dépasser le contingent annuel d’heures supplémentaires (90 heures) sont obligatoirement remplacées par un Repos Compensateur de Remplacement. ; l’accord prévoit un délai de prévenance de 15 jours et le plan de modulation est individualisé. 137 IV B 2.1.4 Temps de travail des cadres Des modalités particulières doivent être trouvées pour que les cadres, qui aujourd’hui représentent une proportion importante des salariés et qui aspirent à une réduction de la durée du travail, puissent en bénéficier dans des conditions compatibles avec leurs missions. Une proposition soumise à consultation : une nouvelle section au sein du code du travail est créée précisant les dispositions applicables aux cadres et reprenant la distinction faite par les accords : - Cadres dirigeants : conformément à la jurisprudence, non soumis à la réglementation sur la durée du travail ; - Cadres intégrés dans une équipe de travail : ils sont soumis aux règles applicables à l’ensemble des salariés ; - Les autres cadres : ils doivent bénéficier de la réduction du temps du sous forme de jours de repos ou par diminution de leur durée hebdomadaire de travail. Si la réduction est organisée sous forme de jours, elle doit être prévue par accord de branche, dans la limite de 222 jours par an ou, à condition que le salarié dispose d'au moins 5 jours supplémentaires de repos (celui-ci prévoit une durée de 217 jours travaillés par an maximum). L’accord Carrefour prévoit également : - pour les cadres des niveaux 8 (chefs de secteur) et 9 (Directeurs) de la classification des emplois disposent d’une large autonomie dans l’organisation de leur travail. Compte tenu de leurs responsabilités, aucun décompte du temps de travail n’est possible. Toutefois, ces cadres bénéficient, en sus de leur repos hebdomadaire, et leurs congés payés, de 14 jours ouvrables de repos - pour les cadres niveaux 6 et 7 de la classification des emplois, un décompte du temps de travail en jours sur la base de 214 jours par an. Leur réduction du temps de travail s’effectue par l’octroi de 6 jours de repos supplémentaires 138 auxquels s’ajoutent les 8 jours acquis depuis 1982 (soit au total 14 jours de repos supplémentaires par an). IV B 2.1.5 Temps partiel La définition du temps partiel est adaptée à la directive européenne : il est considéré comme salarié à temps partiel celui dont la durée hebdomadaire de travail est inférieure à la durée légale ou conventionnelle (abandon de la règle du 1/5ème). L’accord de Carrefour a intégré cette disposition. L’accord de mars 99 de Carrefour prévoit une revalorisation du contrat horaire des temps partiels de 3 heures si le salarié accepte la modulation (plus ou moins 6 heures). IV B 2.1.6 Compte épargne temps (CET) Le cadre actuel du CET ne permet pas de prendre en compte certaines situations souhaitées par les salariés et les entreprises. Les sources d’alimentation sont enrichies : les heures correspondant au repos compensateur obligatoire ainsi qu’une partie des jours issus de la réduction du temps de travail peuvent y être versés. Il sera dorénavant géré en heures et non en jours, pourra favoriser l’accomplissement d’obligations familiales. Il pourra également financer partiellement ou intégralement un passage à temps partiel. Enfin, le CET pourra être utilisés pour des actions de formation en dehors du temps de travail ou, pour les salariés de plus de 50 ans, pour le financement du cessation volontaire d’activité. L’Accord de mars 99 de Carrefour prévoit la gestion du Compte Epargne Temps pour les cadres. Sous réserve d’une ancienneté d’au moins 2 ans, tous les cadres 139 peuvent sur la base du strict volontariat ouvrir un CET. Les jours excédentaires constatés en fin de période de décompte annuel peuvent être crédités en jours ouvrables. Le total de jour ne peut excéder 12 jours ouvrables par an, toutefois, pour les cadres qui souhaiteraient prendre un congé en fin de carrière, cette limite est portée à 18 jours à partir de l’âge de 50 ans. IV B 2.1.7 Préretraite progressive Les salariés âgés de 55 ans au moins, dont le contrat est au minimum à 33 heures, peuvent réduire de moitié leur base contrat tout en conservant 85 à 90% de leur salaire antérieur. En compensation, l’entreprise doit verser une contribution financière à la DDTE et embaucher - à concurrence du volume d’heures dégagé des demandeurs d’emploi issus des catégories prioritaires. La synthèse des départs de Carrefour prévus dans le cadre de la convention de PRP 1999/2000 est de 323 salariés. La convention de P.R.P. 1999/2000 concernait 922 salariés. 323 se sont inscrits pour en bénéficier, soit 35%. La préretraite concerne ou va concerner de plus en plus de salariés (813 salariés depuis 1993, + de 1100 à la fin de la convention 1999/2000). On le voit notamment avec l’augmentation du nombre de partants d’année en année : 1993/1994 : 180 départs. 1995/1996 : 194 départs. 1996/1997 : 202 départs. 1998 : 237 départs. 1999/2000 : 323 départs prévus. L’ouverture à la population cadre cette année, si elle est bien gérée devrait contribuer à cette augmentation ( 19 départs prévus pour 99/2000). 140 Une contribution de l’ordre de 45% du coût total des départs prévus est à verser à la DDTE dont dépend le magasin. Cette contribution est due même si le départ des salariés n’intervient pas. Il est évident que dans le cadre de la mise en place de la nouvelle convention l’intégration de nouveaux salariés en remplacement « d’anciens » est intéressante (rajeunissement des effectifs, abaissement du taux horaire moyen). Comme le précise Jean Trintignant31, le coût total des départs peut augmenter dans les années à venir, pour plusieurs raisons : l’accord ne pouvant être conclu pour une durée supérieure à un an les conditions financières sont susceptibles d’évoluer à chaque conclusion de convention. A ce jour, l’état a du retard dans le financement du complément de points de retraite. Il doit près de 50 milliards de francs aux organismes de retraite. (l’Etat s’était engagé à compenser la perte de points du salarié). Il est donc possible que des changements interviennent sur le fonctionnement (et le financement) futur du système de préretraite. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que si l’état ne respecte pas sa dette, les préretraités pourraient (comme le demandent certaines organisations syndicales) attaquer devant les tribunaux leurs ex-entreprises pour qu’elles soient condamnées à se substituer aux défaillances de l’état. IV B 2.1.8 La retraite anticipée (A.R.P.E.) Un salarié totalisant 160 trimestres au moins de cotisations au régime de base d’assurance vieillesse, mais n’ayant pas encore 60 ans, peut anticiper de quelques années son départ à la retraite. L’entreprise doit compenser le volume d’heures dégagé par l’embauche en CDI temps complet et verser une contribution financière au Fonds paritaire d’intervention en faveur de l’emploi. 31 Responsable Relations Sociales à la Direction des Relations Sociales Carrefour 141 Il est très difficile de pouvoir faire des prévisions de départ en retraite anticipée type ARPE. En effet les conditions requises pour envisager un départ dépendent d’éléments qui ne sont pas à notre disposition dans les fichiers paye, notamment : le nombre de trimestres de cotisation d’assurance vieillesse, l’âge auquel le salarié a commencé à travailler. Il conviendrait donc si l’on souhaite faire une étude sur les potentiels théoriques de départ en retraite anticipée (ARPE) de faire un sondage auprès des neuf cents salariés Carrefour (environ) ayant au moins 55 ans, afin de déterminer ceux remplissant les conditions de départ. Le coût du départ du salarié en retraite anticipée est de 20% de la rémunération brute des 12 derniers mois civils du salarié. Il est donc difficile d’évaluer le « risque financier »32 théorique, celui-ci pouvant varier suivant le type d’emploi occupé par le salarié. Il semble important de bien évaluer le « gain » du départ en retraite anticipée. Si le salarié peut partir à la retraite à court terme est-il bien nécessaire de générer un surcoût pour « gagner » quelques mois sur son départ ? Ce coût sera en partie compensé par l’embauche compensatrice selon les nouvelles conditions de l’accord du 31 mai 1999. La cessation anticipée d’activité génère systématiquement un coût. Aujourd’hui ce dernier est intégralement à la charge des magasins, qui doit en plus réaliser des embauches compensatrices sur des salariés demandeurs d’emploi de catégorie prioritaires. Tous ces éléments représentent un frein, notamment pour des magasins difficiles en termes de résultats qui ne peuvent pas toujours avoir une vision à long terme. La prise en charge de ce coût par le siège devrait permettre de limiter ces freins, les magasins pouvant envisager des départs sans forcément pénaliser leurs résultats à court terme, leur permettant ainsi de rajeunir leurs effectifs et d’abaisser leur taux horaire moyen. 32 Ibid. n°31 142 Toutefois, il convient de ne pas « déresponsabiliser » totalement le magasin : Les surcoûts générés par la provision d’un départ non réalisé devant rester à la charge du magasin. L’avance doit être faite par le magasin, en effet les règlements sont à effectuer auprès des DDTE dont dépendent les magasins. Toutes les sanctions financières notamment en cas de non-respect des engagements d’embauches compensatrices doivent rester à la charge des magasins. Pour les départs type ARPE prévoir un accord préalable de prise en charge avec étude de « rentabilité » de l’opération. Enfin, il serait prudent, au vu des incertitudes régnant sur le financement des préretraites, de prévoir des procédures limitées dans le temps. IV B 2.1.9 Formation Le mouvement de réduction du temps de travail offre une opportunité d’utiliser une partie du temps libéré à des actions de formation permettant le développement personnel ou professionnel des salariés, à l’exclusion des actions de formation destinées à adapter, actualiser ou compléter les compétences requises par le poste de travail occupé par le salarié. L’avant projet de la loi ouvre la possibilité d’utiliser, par accord du salarié, une partie des jours libérés par la RTT à des actions de formations destinées au développement personnel et professionnel du salarié à l’exclusion des actions destinées à adapter, actualiser ou compléter les compétences requises par les activités exercées par le salarié. Il s’agit de profiter de la RTT pour développer des formations permettant au salarié de mieux préparer l’avenir. Le thème de l’employabilité est sous jacent. Ce dispositif serait mis en place soit par accord collectif au niveau national ou de branche ou d’entreprise. l’entreprise prendrait en charge les coûts de formation engagés dans ce cadre. 143 L’accord de mars 99 de Carrefour prévoit un projet global de formation dont le thème est retenu pour la réunion annuelle de réflexion. De plus, un livret individuel de suivi de la formation sera l’un des thèmes des réunions de réflexion. Le co-investissement formation dont l’entreprise prend en charge tout ou partie du coût de la formation et le salarié acceptant pour sa part de suivre la formation totalement ou partiellement en dehors de son temps de travail. Le coinvestissement formation est utilisé quand : la formation apporte un réel développement personnel et augment les chances de réussite de mobilité professionnel dans et hors de l’entreprise (de nouveau thème sous-jacent de l’employabilité). Le co-investissement formation constituera l’un des thèmes des réunions de réflexion de 99. IV B 2.1.9.1 L’employabilité – nouvelle responsabilité de la GRH ? Il me semble intéressant de rebondir sur le thème de l’employabilité en apportant les éclaircissements suivants : • Employabilité et chômage : Les économistes désigne par employabilité, la capacité d’un chômeur à retrouver un emploi : espérance objective ou la probabilité plus ou moins élevée que peut avoir une personne à la recherche d’un emploi d’en trouver un. Aujourd’hui, le retour véritable à l’emploi durable apparaissant comme un horizon incertain, l’accent est mis sur le rôle des chômeurs renvoyés sur des démarches d’amélioration et de dynamisation personnelles. Mais l’employabilité n’est pas un simple attribut de la personne. Elle est une construction opérée par les employeurs car selon les modes de gestion des RH élaborés par l’entreprise, ses salariés peuvent contribuer à développer ou non leur employabilité. 144 • La notion d’employabilité en GRH : Le concept d’employabilité peut être défini donc de la manière suivant : - capacité d’un individu à se maintenir en état de trouver un autre emploi que le sien, dans ou hors de son métier actuel. L’employabilité se construit donc dans la durée sur quatre facteurs principaux : - des savoir-faire validés et exercés - l’apprentissage d’un changement - la capacité à identifier et anticiper un projet professionnel - un niveau de rémunération et d’avantages sociaux acceptables. Cette approche va mettre en lumière la responsabilité individuelle et la responsabilité de l’entreprise dans la constitution et le développement de l’employabilité. Il s’agit d’encourager une démarche conjointe des salariés et de l’entreprise dans le but précis de maintenir et si possible de développer l’employabilité des salariés. Parmi les facteurs d’inemployabilité, on trouve des éléments qui renvoient : • du coté de l’entreprise : - insuffisance de la formation continue, - obsolescence rapide des compétences, - absence ou refus de mobilité professionnelle • du coté du salarié : - culture de non-changement, - incompréhension de la gestion anticipée La mobilité est considérée comme l’un des points clés dans la construction de l’employabilité. 145 L’entreprise doit donc s’efforcer de développer la mobilité, non pas sur « le stress à partir de la peur de perdre son emploi », mais en la valorisant concrètement à travers l’ensemble des politiques sociales, rémunération et promotion en particulier. Les partenaires sociaux et l’état sont également concernés par l’employabilité. L’état, actuellement, en collaboration avec les partenaires sociaux réfléchit pour mettre en place un nouveau dispositif de formation professionnel continue afin créer un nouveau droit individuel, transférable, garanti collectivement et développer la validation des acquis professionnels. Le nouveau droit individuel à la formation serait ouvert aux salariés et aux demandeurs d’emploi afin de faire de la formation professionnelle un véritable élément de consolidation du parcours professionnel et personnel tout au long de la vie avec une réelle transférabilité des droits à la formation d’une entreprise et d’une branche à une autre. Pour le secrétaire d’Etat à la formation professionnelle (Nicole PERY), les périodes de chômage ne devraient plus être subies mais comme des périodes d’activité grâce à un travail sur la qualification de chacun. • Prise en charge des dépenses : Les partenaires sociaux doivent définir les contours de ce nouveau droit (organiser la prise en charge des dépenses de fonctionnement des actions de formation ainsi que la rémunération des bénéficiaires lorsqu’il s’agit d’actions effectuées sur le temps de travail ou par des demandeurs d’emploi). 146 La simplification du système de formation professionnelle est indispensable, elle passe par le décloisonnement des financements (modification du rôle des acteurs et des circuits de financement). Les partenaires sociaux doivent rechercher un système de répartition sans faire obstacle à la mise en place de dispositifs complémentaires de capitalisation(cette formation lié à la RTT par ex.). Ces dispositifs complémentaires pourront être encouragés mais ils ne constitueront qu’un complément au droit individuel à mettre en place. • Validation des acquis professionnels : Autre grande orientation souhaitée par les pouvoirs publics : la reconnaissance et la validation des acquis professionnels. Les premiers chantiers viseront à développer l’accès à tous les diplômes et titres professionnels par la validation des acquis et articuler diplômes et titres d’état avec les autres certificats de qualification et de compétences en favorisant la prise en compte de ceux-ci par l’octroi d’un titre ou d’un diplôme. • Logique compétences : Le secrétaire d’état à la formation professionnelle s’est montrée plus que réservée à l’égard de certains discours du MEDEF sur la logique compétence : si celle-ci se substitue à la formation, à la certification et au diplôme, ce n’est pas acceptable. • Calendrier des négociations : Des rencontres bilatérales avec les organisations syndicales et patronales se poursuivent dans les prochaines semaines, la balle est dans le camp des partenaires sociaux. Le MEDEF réaffirmait que la formation doit pouvoir s’effectuer toute ou en partie hors du temps de travail. 147 Du côté syndical, les premiers commentaires sont plutôt positifs. Le fait d’avoir recours aujourd’hui au concept d’employabilité marque l’évolution des entreprises vers des pratiques de prévention. L’employabilité s’inscrit dans un processus qui vise à encourager les salariés à se préparer à faire face à d’éventuelles transformations en matière d’emploi. Il s’agit de veiller à ce que les compétences individuelles restent utilisables et recherchées dans un avenir proche mais par définition inconnu. En cela, l’employabilité s’oppose à la carrière. Les pratiques émergentes accordent toutes une place de choix à l’individu dans la construction de son propre devenir, au sein de l’entreprise mais aussi de plus en plus en devoir de l’entreprise, voire vers d’autres formes d’activité. Par contre, elles butent sur des conceptualisations souvent inachevées et sur des dispositifs légaux qui lorsqu’ils existent sont encore peu satisfaisants. En conclusion, j’attirerai l’attention sur le fait que lorsque l’entreprise a un objectif de rationalisation économique, la logique de marché s’impose. En revanche, quand il s’agit de la politique humaine de l’entreprise (du mode d’allocation optimal des ressources humaines – pour reprendre le langage économique libéral), le raisonnement est fait par analogie, l’argumentaire tend à prendre une tournure idéologique et le thème de l’employabilité en constitue le vecteur principal. L’école néoclassique pense que la notion d’employabilité est un contresens puisque le marché de l’emploi est théoriquement parfaitement régulé par les salaires, le chômage ne tient qu’à un certain nombre de rigidités (salaires minima, niveau des prélèvements obligatoires, allocations chômage…) qui empêchent le plein emploi. La principale cause de l’explosion du chômage se révèle être la croissance rapide des coûts du travail et les politiques interventionnistes de l’état. D’autres rigidités 148 (apparues déjà en Amérique dans les années 30) relèvent plutôt du social et de la microéconomie tels que les pouvoirs de syndicats, l’information imparfaite, et disparité entre « insiders – salariés dans l’entreprise » et « outsiders – salariés candidats à l’embauche ». Les politiques RH pourraient donc améliorer l’employabilité en réduisant l’influence des partenaires sociaux, en améliorant l’information et en remettant en concurrence les salariés avec les candidats à l’embauche. Ceci démontre que libéralisme et politique RH peuvent converger sur le thème de l’employabilité en expliquant les problèmes de l’emploi par une insuffisante flexibilité des individus. Etre en relation avec le marché, nécessite de se mobiliser pour rester compétitif, pour être compétitif, il faut réagir à court terme, la planification par la GAEC (gestion anticipée de l'emplois et compétences) n’est donc plus un remède efficace pour la gestion des RH car elle est trop loin du marché. L’employabilité va trouver des concordances avec le marché, la compétence se mesure à la valeur marchande. On invente donc un marché des compétences analogue au marché des biens et des services. Cependant, la compétence n’est pas la monnaie, elle n’existe qu’en fonction d’un but et dans un contexte donné. L’emploi n’est plus garantie, le concept de l’employabilité s’y substitue. Un risque de dérive existe à travers le glissement du curseur de la responsabilité de l’employabilité des entreprises aux salariés. Il ne faudrait pas que la notion d’employabilité tend à justifier l’abandon de la gestion….. • Des pistes à creuser : Gérer les individus dans la durée comme caractéristique favorisant la capacité au retour à l’emploi. C’est en terme de mobilité interne que l’on doit raisonner, avec l’aide d’outils tels que les « livrets de salarié » retraçant son parcours et ses compétences acquises. 149 Pour terminer sur ce thème, je le ferai d’une manière humoristique en reprenant un : EXTRAIT des guignols de l’info de CANAL + du 14 juin 96 PPDA : Monsieur Chirac, vous vous êtes récemment exprimé sur l’employabilité. Estce que l’employabilité ça veut dire l’emploi pour tous ? JC : Non, non, c’est bien plus précis que ça. C’est une nouvelle notion que j’ai. L’employabilité, c’est le potentiel qu’a tout un chacun d’être employable. PPDA : Oui, donc à être embauché ! JC : Non, non, ça c’est l’emploi. L’employable, c’est un gars qui n’a pas de boulot mais qui pourrait en avoir…Notre but est de faire passer la société d’un état de « chomatisation » au dynamisme de l’employabilité (…) ça va être le premier axe de ma politique. Le second sera bien sûr « l’embauchisation ». PPDA : Ah, Inciter les chefs d’entreprise à embaucher ? JC : Non, non. « L’embauchisation », c’est le potentialité à être embaucher ; et mon rêve, c’est de rapprocher l’employabilité de « l’embauchisation ». C’est à dire mettre face à face un patron qui pourrait proposer du travail s’il en avait, et un ouvrier qui pourrait avoir du boulot s’il en trouvait. En résumé mettre en adéquature la « demandation » et « l’offriture ». 150 IV B 2.2 Emploi IV B 2.2.1.1 Création d’emploi : La réduction du temps de travail va permettre de créer 1000 emplois d’ici l’an 2000 (par recrutement ou par revalorisation des contrats de travail) IV B 2.2.1.2 Emploi en faveur des handicapés : 250 emplois en faveur des handicapés vont être crées afin, d’une part, de participer en qualité d’entreprise citoyenne à l’évolution des mentalités et d’autre part, à réduire la contribution (12,8 mf en 99). Pour ce faire une démarche est mise en place Les enjeux sont d’ordre social mais aussi d’ordre économique. En effet, il est intéressant de voir que Carrefour met en application ses valeurs (entreprise citoyenne) en réalisant de telle démarche en faveur des handicapés. Le dialogue social avec les partenaires sociaux a permis d’élaborer une Convention Collective la plus favorable du secteur pour les salariés de l’entreprise. Nous pouvons donc affirmer qu’un véritable contrat social est négocié. La notion de contrat social s’explique de part le fait que l’entreprise et les partenaires sociaux n’ont pas les mêmes enjeux et défendent des intérêts et des objectifs contradictoires. En effet, l’entreprise doit introduire : - de la flexibilité - maîtriser l’évolution de la masse salariale - améliorer la compétitivité et la rentabilité les syndicats doivent : - préserver l’emploi - garantir le niveau de salaires 151 redistribuer les gains de rentabilité, de compétitivité - Entre les deux, une zone de négociation s’établit avec pour aboutissement un contrat social. Carrefour négocie : l’unicité des statuts en contrepartie de la suppression des primes - d’ancienneté la revalorisation des contrats à temps partiel (+ 3 heures) si les salariés - acceptent l’annualisation du temps de travail … - Il semblerait que la Direction des Relations Sociales (DRS) conçoive la négociation collective comme un instrument de gestion au service de l’entreprise mais au aussi au service des salariés (recherche permanente d’un compromis social). L’un des principaux objectifs de la DRS est de réaliser l’équilibre entre le besoin de l’entreprise et les aspirations des salariés (la nécessité d’une organisation plus souple du travail doit répondre tant aux souhaits des salariés qu’aux exigences de la demande). L’entreprise trouve donc des solutions pour concilier les intérêts des deux parties, notamment autour de deux enjeux : • Premier enjeu : La flexibilité est associée, pour les salariés à des contreparties significatives (unicité des statuts, revalorisation des contrats à temps partiel, aides aux handicapés, formation…). Ainsi, la flexibilité des horaires ou des contrats est négociée avec un volet relatif à l’accroissement des compétences, à la réduction de la précarité, à l’égalité pour l’ensemble des salariés, aux aides aux personnes défavorisées… 152 • Second enjeu : L’entreprise concilie flexibilité et sécurité, une certaine garantie de l’emploi est réalisée. Ce qui implique que le renouvellement de l’organisation du travail ne peut être réalisé par l’entreprise que s’il existe un véritable dialogue social. La reconnaissance de l’importance du dialogue social dans la gestion de l’entreprise est un enjeu déterminant. En effet, l’impératif de souplesse, de qualité, de mobilisation des hommes que requiert, de plus en plus, l’efficacité de l’entreprise impose d’intégrer dans le quotidien une culture participative. Toutefois, ces règles du jeu social nécessitent une grande transparence dans la gestion et une information complète, précoce et continue des représentants du personnel. Il faut rappeler que les entreprises doivent répondre à des clients de plus en plus exigeants, « zappeurs » en s’organisant pour faire face aux des variations d’activité. La financiarisation de l’économie qui conditionne chaque décision, qu’elle soit sociale, économique ou politique ne doit pas faire oublier que les hommes sont les ressources de l’entreprise et ont des ressources qu’il faut cultiver, motiver, mobiliser, développer afin qu’ensemble ils progressent et s’enrichissent. Dans l’entreprise, toute démarche, toute proposition, toute décision s’appuie sur des éléments financiers. Ainsi les salariés sont souvent analysés plus en termes de masse salariale qu’en termes de compétences. Or, il est clair qu’il ne peut y avoir d’économique sans social et inversement ! La question est de déterminer où doit se trouver l’équilibre. Le dialogue social doit bien évidemment tenir compte de toutes ces évolutions. Il devient alors un paramètre essentiel des changements nécessaires pour les entreprises. Le dialogue a dès lors pour objet d’organiser la production de services ou de biens et de réguler le social. Comme l’indique François Perroux : « il s’agit de la recherche en commun, par deux interlocuteurs qui acceptent des critères compatibles, de vérité et de justice ». 153 L’entreprise de demain accentuera de manière créative des structures nécessaires au dialogue social… 154 155 V. Conclusion Le rapprochement de Carrefour et Promodès en une OPE amicale qui se déroule actuellement nous rappelle que nous nous trouvons dans une économie mondiale où la globalisation devient impérative à la survie et réussite de l’entreprise. Les acteurs économiques et sociaux se trouvent donc confrontés à une globalisation accrue du processus de création et de distribution de valeurs. La fusion s’explique par au moins quatre raisons : • pour satisfaire les actionnaires (rationalisation des coûts, regroupement des achats, une puissance mondiale…) • parce que cela ne coûte pas cher (Carrefour offre 6 actions contre une de Promodès) • parce que les autres le font (« manger ou être mangé) • pour avoir une taille critique Le poids du nouvel ensemble est le suivant : Les différents formats de magasins Carrefour amplifie la stratégie de différenciation 5% 5% Chiffres d'Affaires en Mlds de frcs 767 WAL-MART (USA) 27% 341 CARREFOUR + PROMODES 60% 302 METRO (Allem agne) 3% 243 KROGER (USA) 230 INTERMARCHE (France) Picard et Distribution professionnelle Maxi discount (hard : ED, Dia…3600 mag. 203 AHOLD (Pays Bas) Supermarchés : champion, Stoc, shopi - 2600 mag. 0 100 200 300 400 500 600 700 800 Commerces proximités : Hypermarchés : Carrefour, Continent - 680 mag Carrefour se différencie en ayant dorénavant plusieurs formats de magasin pour s’adapter à la demande des clients. Le rapprochement de ces deux entreprises va entraîner des conséquences en matière de gestion des RH (unicité des statuts, redéploiement vers des métiers 156 cibles, mise en place d’un processus de mobilité inter-formats de magasin, organisation du travail…). Compte tenu de la concurrence du secteur et de la grande maturité du consommateur, l’entreprise veut développer et proposer aux clients le produit qu’il souhaite acheter et des services innovants qui l’accompagnent. Comme le résume Daniel Bernard : « La seule façon de gagner consiste donc à s’affirmer comme les meilleurs commerçants du monde ! »33 Dans un contexte de concurrence exacerbée, le désir de coller au marché, de satisfaire le client en réduisant les délais conduit Carrefour à développer sa flexibilité et sa réactivité (rappel des enjeux de cette flexibilité : optimisation des coûts et meilleur service aux clients). En revanche, les domaines de flexibilité sont nombreux et l’analyse des besoins conduit l’entreprise à un choix d’objectifs : - l’aménagement du temps de travail individuel et/ou collectif qui permet d’adapter la capacité de travail aux flux des clients. Ces variations ont des conséquences sur le niveau de formation et les formes contractuelles (temps partiel, CDD…) - les politiques de rémunération (collectives variables et individualisées variables) et l’ensemble de la rémunération périphérique, dont les montants sont globalisés pour être mieux ajustés. - Les politiques de gestion prévisionnelle des emplois qui intègrent la mobilité fonctionnelle et géographique comme variable d’ajustement et tendent à réduire l’incertitude en augmentant les niveaux de polyvalence. La flexibilité semble donc un investissement nécessaire à l’entreprise. En revanche, le choix de la flexibilité est déterminant. En effet, si l’on veut produire de la 33 Citation de Daniel BERNARD PDG Carrefour 157 motivation et par conséquent, satisfaire les clients (« salariés heureux, clients heureux »), il faut privilégier la flexibilité du travail. C’est elle qui valorise les ressources par l’augmentation et l’élargissement des compétences (diversité des métiers), elle va aussi produire de la sécurité, de l’autonomie, de l’identité, du sens au travail… Par rapport aux contraintes de l’entreprise, il est tout en fait possible de favoriser la flexibilité du travail. Tableau des outils de la flexibilité34 : Changement prévisible • • • • • • • Modulation des temps de travail Heures supplémentaires/chômage partiel Travail temporaire Contrats à durée déterminée/stages Polyvalence Sous-traitance … • • • • • • • Modulation CDD en alternance / saisonniers Embauches en CDI/Licenciement Formation, polyvalence Rémunération variable Préretraites progressives/retraites anticipées Essaimage • • • • • • • • • Modulation Travail temporaire CDD/Stages CDD en alternance Embauche en CDI/Licenciements Formation Rémunération variable Sous-traitance … Flexibilité immédiate • • • • Heures complémentaires/chômage partiel Travail temporaire Sous-traitance … Adaptation à long terme Evénement aléatoire En revanche, il y a un postulat35 qui est nouveau, selon lequel plus que la ressource humaine en tant que telle, c’est la flexibilité de cette ressource qui est stratégique et déterminante : plutôt que d’affirmer « il n’est de richesse que d’hommes », il paraît plus juste de constater que, dans les discours des années quatre-vingt-dix « il n’est de richesse humaine que flexible »… Cependant, la flexibilité du travail est cohérente et conciliable avec la gestion des Ressources Humaines si l’on considère que le rôle de la GRH est bien de pouvoir 34 35 PERRETI Jean-Marie, « Tous DRH », les éditions des Organisations, 1997 voir CADIN Loïc : « La flexibilité des Ressources Humaines » Dunod 1997 158 répondre aux objectifs économiques stratégiques de l’entreprise en permettant à l’homme de se construire et produire ainsi de la valeur. En conséquence, la flexibilité du travail redonne une nouvelle légitimité à la Gestion des Ressources Humaines car elle est aujourd’hui lue comme un facteur stratégique engageant le succès ou la survie de l’entreprise. Comme le souligne YF LIVIAN36 : « la flexibilité du travail offre une perspective majeure à la GRH en ce qu’elle invite à une approche positive de l’investissement humain… » 36 Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon III 159 Bibliographie Ouvrages : BRUCKNER Pascal, la tension de l’innocence, Grasset, 1995 CHETOCHINE Georges, Quelle distribution pour 2020 ?, Editions Liaison, 1998, 191 pages SAINSAULIEU Renaud, « Les Mondes sociaux de l’entreprise », Desclée de Brouwer,1995 MINTZBERG Henry, le Management, voyage au centre des organisation, les éditions d’organisations, 1989, 560 pages CADIN Loïc, GUERIN Francis, PIGEYRE Frédérique, Gestion des Ressources Humaines, pratique et éléments de théorie, édition Dunod, 1997 BRUNHES Bernard, « Négocier la flexibilité », éditions d’organisations, 1997, 237 pages LE BOTERF Guy, « De la compétence, essai sur un attracteur étrange », les éditions d’organisations, 1995, 175 pages ZARIPHIAN Philippe, « Objectif compétence », éditions liaisons, 1999, 229 pages COURVILLE Léon, « Piloter dans la tempête, comment faire face aux défis de la nouvelle économie », les éditions de l’Homme, 1996, 150 pages PERRETI Jean-Marie, « Tous DRH », les éditions des Organisations, 1997,356 pages BRABET Julienne « Repensez la GRH ? », édition Gestion économica, Mars 96 Articles : DRUCKER Peter, « Les nouvelles lois du management selon Peter Drucker », article Capital dec.98 HADDAD Dominique, HALIMI, « Flexibilité du travail ou flexibilité de l’emploi », revue Personnel Mai 1999 GUELAUD François, « Les diverses formes de gestion de la flexibilité dans les hypermarchés », Formation et emploi n°35, Juillet Septembre 95 160