192 J Pharm Clin, vol. 31 n◦4, décembre 2012
J.-B. Rey
iatrogène et que 2 % l’étaient en raison d’une interaction
médicamenteuse. Par ailleurs, l’incidence des interactions
médicamenteuses pouvait varier d’environ 10 % à plus de
60 % chez les patients atteints de cancer, selon la locali-
sation tumorale et que le patient était pris en charge en
ambulatoire ou en hospitalisation [5].
Le but de ce travail consiste en 1) un état des lieux
des interactions médicamenteuses auxquelles les patients
sont potentiellement exposées et 2) la mise à disposi-
tion d’un outil prédictif de survenue de ces interactions
médicamenteuses pour en limiter les risques.
Interactions médicamenteuses
Une interaction médicamenteuse consiste en la modifica-
tion des effets d’un médicament lorsqu’il est associé à un
autre ou qu’il est administré avec de la nourriture. Ce tra-
vail se limite aux interactions qui surviennent entre deux
ou plusieurs médicaments, tous les autres facteurs n’étant
pas ici abordés, même si certaines données pourront être
abordées de fac¸on parcellaire. Les interactions médica-
menteuses constituent un risque important de surdosage
ou, a contrario, de sous-dosage et donc de toxicité ou
d’inefficacité. Ici, le propos va consister à identifier les
facteurs de risque de survenue des interactions médica-
menteuses pour permettre au clinicien d’éviter les effets
négatifs de ces associations.
Il convient, en pharmacologie, de distinguer 2
grandes catégories d’interactions médicamenteuses, les
interactions pharmacodynamiques (pour mémoire, la
pharmacodynamie est l’étude de l’effet du médicament
sur l’organisme) et les interactions pharmacocinétiques
(la pharmacocinétique, au contraire, étudie l’effet de
l’organisme sur le médicament). Ce sont ces dernières qui
seront développées ici, notamment celles qui font interve-
nir le cytochrome P450 au niveau hépatique dans la phase
de biotransformation des médicaments (communément
appelé métabolisme).
Interactions pharmacodynamiques
Les interactions pharmacodynamiques sont les plus
simples à prévoir et à gérer ; elles découlent du
mécanisme d’action pharmacologique des médicaments
concernés. Elles peuvent être classées en deux grandes
sous-catégories, synergie et antagonisme. La synergie se
définit comme l’action concomitante de deux (ou plu-
sieurs) médicaments, se traduisant par des effets additifs
ou renforcés ; à titre d’exemple, il est courant, dans le
cadre de la prise en charge de la douleur d’associer
plusieurs antalgiques pour atteindre les objectifs de sou-
lagement des symptômes douloureux (antalgiques de
pallier II et de pallier III). L’antagonisme consiste, au
contraire, en l’association de deux (ou plusieurs) médi-
caments dont les effets sont opposés ; pour reprendre
l’exemple des antalgiques, en cas d’intoxication morphi-
nique avec somnolence et détresse respiratoire, les effets
des opioïdes sont-ils antagonisés avec la naloxone qui
provoque le «réveil »du patient, mais aussi de la douleur.
Interactions pharmacocinétiques
Les interactions pharmacocinétiques sont beaucoup plus
insidieuses car non «visibles »et non prévisibles, notam-
ment en raison des grandes variations interindividuelles
qui peuvent exister pour certains paramètres.
Les interactions pharmacocinétiques peuvent survenir
à toutes les phases de la «vie »d’un médicament dans
l’organisme ; ainsi les phases d’absorption, de distribu-
tion, de métabolisme et d’excrétion (ADME) sont-elles
concernées. Si les interactions avec le cytochrome P450
provoquent la plus grande inquiétude, il faut garder
à l’esprit que ce n’est pas la seule voie de biotrans-
formation des médicaments, mais aussi que toutes les
autres phases pharmacocinétiques peuvent être à l’origine
d’interactions. De fac¸on très succincte, il faut savoir qu’il
peut se produire des événements pendant les phases :
– d’absorption, avec un ralentissement de l’absorption
(coadministration de fer oral et de topiques gastriques,
par exemple), provoquant un retard dans la survenue du
pic plasmatique (Tmax) ou une diminution des concen-
trations plasmatiques (Cmax) attendues (chélation entre
le fer et le phosphore, par exemple). Outre ces inter-
actions d’ordre physico-chimique entre deux substances,
l’alimentation peut également jouer un rôle de dérè-
glement dans cette phase d’absorption ; ainsi, il est
connu que la capécitabine doit être administrée à dis-
tance des repas, pour prévenir une diminution des taux
d’absorption digestive. D’autres mécanismes sont égale-
ment en jeu à ce niveau ; en effet, les modifications du pH
gastrique (par d’autres médicaments ou des perturbations
hydro-électrolytiques liées à une insuffisance rénale par
exemple) peuvent modifier la solubilité des médicaments,
le ralentissement de la vidange gastrique ou de la motilité
intestinale peuvent avoir une influence sur l’absorption
digestive ;
– de distribution, en relation avec la liaison aux protéines
plasmatiques qui assurent le transport des médicaments,
notamment l’albumine. Dans ce cas, les interactions
aboutissent à des modifications du rapport «forme
libre »/«forme liée »(i.e. «forme active »vs. «forme
inactive ») du médicament, conditionnées par l’affinité
des médicaments pour les protéines de transport. La
compétition qui en résulte pour la liaison aux protéines
plasmatique aboutit au déplacement d’un médicament par
un autre et à l’augmentation de la «forme libre »du médi-
cament déplacé ; l’un des exemples le plus connu pour
ce type d’interaction est le déplacement des anti-vitamine
K (AVK) de leur site de liaison à l’albumine par les anti-
inflammatoires non stéroïdiens (AINS) aboutissant à une
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