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La Réserve fédérale menottée
Dans les années1970, les paroles de la célèbre chanson des Eagles disaient: « Vous pouvez libérer
la chambre n’importe quand, mais vous ne pourrez jamais partir de l’Hôtel California. » C’est bien
la situation dans laquelle la Réserve fédérale des États-Unis semble se trouver à l’heure actuelle.
Après des années d’un expansionnisme
extraordinaire, la Réserve voudrait bien
normaliser sa politique monétaire. Mais dès
qu’elle prend une mesure dans ce sens ou
qu’elle en manifeste l’intention, les marchés
se replient aussitôt, provoquant des remous
sur l’ensemble de l’économie mondiale.
LaRéserve bat alors en retraite et maintient
sa politique accommodante pour apaiser les
fragiles marchés.
Alors que la plupart des autres banques
centrales pratiquent la détente monétaire, la
Réserve fédérale est pour ainsi dire la seule à
vouloir resserrer le jeu. Ces volontés contraires
ont généralement pour effet de renforcer le
dollar, ce qui comprime la situation nancière mondiale. À son tour, le resserrement de la situation
nancière sape les prix des produits de base, ce qui est désastreux pour les marchés émergents,
puisque beaucoup sont des exportateurs de ces produits de base. L’effet domino ne s’arrête pas là:
on assiste en plus à des fuites de capitaux hors des fonds souverains et des réserves de change des
pays émergents, ce qui entraîne des pressions déationnistes sur l’économie mondiale. Les écarts
s’élargissent sur les marchés du crédit et les valorisations boursières se rétractent. Finalement, une
véritable crise du marché force la Réserve fédérale à freiner à fond et à contenir ses aspirations.
Un peu de répit pendant le ottement– mais pour combien de temps?
Que font les marchés lorsque la Réserve fédérale hésite? Ils poussent ensemble un soupir de
soulagement et regagnent le territoire cédé précédemment. C’est là que nous en sommes en
ce début de deuxième trimestre. La réaction de la Réserve fédérale– que certains estiment
démesurée– devant les convulsions qui ont secoué les marchés nanciers au début du premier
trimestre de 2016 s’est traduite par un redressement des marchés. Ce qui avait chamboulé les
marchés, ce n’était pas tant le relèvement de 25points de base décidé à la mi-décembre, mais
l’annonce de quatre nouvelles hausses prévues pour 2016.
De toute évidence, la Réserve fédérale a tenté de préparer le terrain pour un retrait nettement
plus décisif de ses mesures de détente monétaire, mais les marchés ne l’entendaient pas de cette
oreille. Lentement, le FOMC (le comité de politique monétaire de la Réserve fédérale) a été forcé
d’adapter ses intentions aux prévisions des investisseurs. Depuis le milieu de 2015, où la prévision
médiane des membres du FOMC était de six hausses d’ici la n de 2016, la médiane du fameux
«graphique à points» de la Réserve fédérale ne cesse d’être révisée à la baisse. Pendant cette
période, les marchés ont pris en compte tout au plus trois hausses d’ici la n de 2016, et à l’heure
actuelle c’est même moins d’un relèvement qui est prévu. Les marchés saisissent parfaitement
que l’oscillation constante entre la tolérance et l’aversion au risque limite la liberté d’action de la
Réserve fédérale et pourrait l’empêcher de réaliser même son objectif le plus bas qui est de relever
les taux deux fois d’ici la n de 2016. Les marchés et la Réserve se sont engagés dans un long bras
de fer, et il semble que la victoire appartiendra aux marchés.
EN RÉSUMÉ
•Leresserrementdela
situation nancière coupe
l’herbe sous le pied de
la Réserve fédérale des
États-Unis et limite sa
marge de manœuvre.
•Lespolitiquesmonétaires
du monde entier demeurent
exceptionnellement
accommodantes et les
politiques budgétaires sont
plus souples que prévu.
•Malgrédessignesde
tension, les marchés
du crédit ne sont pas
annonciateurs d’une
récession selon nous.
Figure1: Le dollar, principal facteur d’inuence
Prix du pétrole
et des produits
de base
Perspectives
de croissance
des pays
émergents
Flux de capitaux
à l’échelle mondiale Pressions
déflationnistes
Écarts de taux
des obligations
à rendement
élevé
Écarts de taux
des obligations
d’État
VIGUEUR
DU $ US
(politiques
divergentes)
POINTS DE VUE
SUR LES MARCHÉS
Deuxième trimestre2016
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POINTS DE VUE
SUR LES MARCHÉS
Deuxième trimestre2016
Figure2: Inuence des marchés
0,25 %
0,50 %
0,75 %
1,00 %
1,25 %
1,50 %
1,75 %
Mars 2016Févr. 2016Janv. 2016Déc. 2015Nov. 2015Oct. 2015Sept. 2015Août 2015Juill. 2015Juin 2015Mai 2015
Contrats à terme sur fonds fédéraux
Réunion
du FOMC
Médiane
de la Fed –
fin de 2016
Déc.
2016
Juin
2016
2 hausses
1 hausse
Source: Bloomberg, au 24mars2016. Les lignes noires verticales indiquent le premier jour de chaque réunion prévue
ducomité de politique monétaire de la Réserve fédérale (FOMC).
Bien que le dollar américain aille en s’appréciant depuis le milieu de 2014, c’est en 2015 que
sa vigueur a été le plus marquée comparativement à celle de plusieurs devises des marchés
émergents. La production économique des pays émergents a donc été réduite sous l’effet du
durcissement des conditions monétaires. L’hésitation de la Réserve fédérale à normaliser sa
politique vient en partie de ce phénomène qui entrave la croissance mondiale. Depuis que la
Réserve a repoussé les attentes de nouvelles hausses des taux en janvier et en mars, le dollar
s’estdéprécié et les conditions nancières se sont un peu assouplies, ce qui a favorisé la tolérance
au risque manifestée ces deux derniers mois.
Figure3: Si simple que ça?
95
100
105
110
115
120
125
130
0 $
25 $
50 $
75 $
100 $
125 $
150 $
Déc. 2013 Mars 2014 Juin 2014 Sept. 2014 Déc. 2014 Mars 2015Juin 2015
Sept. 2015 Déc. 2015
Mars 2016
Niveau de l’indice
Parallèle entre le Brent et le dollar US
Prix au comptant du pétrole brut de qualité Brent (à gauche)
Cours du dollar américain pondéré en fonction des échanges (inversé, à droite)
Source: Bloomberg, au 24mars2016.
Emprise du dollar sur les pays émergents
À l’image de la dynamique de dépendance qu’entretiennent le dollar et les pays émergents,
ilexiste depuis quelques années une étroite relation entre le dollar et les produits de base. LeBrent
et le dollar sont si bien corrélés ces derniers temps que, a posteriori, il est difcile de dire si le recul
de la demande et l’accroissement de l’offre provenant de l’Iran ou du pétrole de schiste américain
sont bien les principaux facteurs à l’origine de l’effondrement des prixpétroliers.
« Le marché a des attentes
incompatibles avec les
intentions de la Réserve
fédérale, et il a l’impression
qu’il aura le dessus.»
Erik Weisman
Économiste en chef
POINTS DE VUE
SUR LES MARCHÉS
Deuxième trimestre2016
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POINTS DE VUE
SUR LES MARCHÉS
Deuxième trimestre2016
Dernièrement, un certain retrait du dollar a réduit les pressions exercées sur les pays émergents et les
produits de base. Les prix du pétrole ont repris de la vigueur, quittant les 20$ pour atteindre le bas
de la fourchette des 40$. Voilà qui éclaircit le paysage pour les producteurs de produits de base des
pays émergents, donne un coup de pouce aux producteurs d’énergie à haut rendement et contribue
à adoucir la conjoncture des marchés– effets fort appréciés après le parcours en dents de scie des six
premières semaines de l’année. La baisse récente du dollar et le redressement des biens industriels ont
relâché la situation nancière des pays émergents et resserré les écarts de taux des obligations d’État.
Les marchés émergents représentent à l’heure actuelle environ 50% du PIB mondial; pourtant, ils ne
sont toujours pas maîtres de leur destin. En général, leur demande intérieure ne suft pas à relever
assez leurs conditions économiques pour leur permettre de se découpler d’une conjoncture mondiale
anémique. De plus, l’endettement de l’administration publique et des sociétés d’État dans bon nombre
de ces pays demeure terriblement élevé. Le contexte reste difcile après deux ans de faiblesse sur le
plan de la croissance mondiale, de la production industrielle et des échangescommerciaux.
Le resserrement des conditions nancières incite la Réserve fédérale à reporter la normalisation de
sa politique monétaire, ce qui ravive la tolérance au risque des investisseurs, qui à son tour rassure la
Réserve fédérale quant à un relèvement des taux, et les marchés retombent dans un nouveau marasme...
Il sera très ardu de rompre ce cercle vicieux. Pour y parvenir, il faudrait que lacroissance mondiale se
synchronise, mais les indices d’un dynamisme économique sufsant sefont rares à l’horizon.
Quelques surprises macroéconomiques
Si le contexte mondial reste difcile, le paysage macroéconomique des pays développés réserve
néanmoins quelques surprises. En plus de la détente monétaire adoptée par la zone euro, la
Scandinavie, le Japon, la Chine et d’autres régions, la politique budgétaire s’est aussi assouplie
davantage que prévu. L’accroissement des dépenses gouvernementales aux États-Unis après la ndes
compressions budgétaires automatiques, à la n de l’an dernier, était prévisible; mais nous assistons
aussi à une décontraction budgétaire dans la zone euro, au Royaume-Uni et en Chine. Le Canada et
la Norvège, tous deux producteurs de pétrole, ont adopté d’imposantes mesures budgétaires dans le
but de compenser en partie l’effet de l’effondrement des prix des produits debase sur l’économie.
Ces mesures sont les bienvenues, d’autant qu’on s’attendait plutôt à une politique budgétaire assez
serrée après des années d’austérité un peu partout dans le monde. Maismême si des sommes
plus imposantes sont injectées dans le système, il faudra encore d’autres mesures de relance pour
maintenir l’économie à ot, et encore plus pour qu’elle ait le vent dans les voiles. Le coup de pouce
budgétaire a renforcé la tolérance au risque actuelle des investisseurs, mais le contexte mondial reste
désespérément perclus par la faiblesse de la croissance.
Figure4: «Pas pendant mon mandat!»
Politique monétaire
plus accommodante que prévu
Politique budgétaire
plus généreuse que prévu
US
Zone euro
Chine
Actions japonaises
Actions du Royaume-Uni
Suède
Nouvelle-Zélande
Norvège
US
Zone euro
Chine
Actions japonaises
Actions du Royaume-Uni
Norvège
En comparaison de l’anémie qui perdure à l’échelle mondiale, la croissance médiocre réalisée aux
États-Unis (entre 2,0% et 2,5%) ne fait pas si mauvaise gure. Le marché de l’emploi tient bon,
la demande du secteur privé est saine et la production de revenu réel progresse. La croissance aux
États-Unis est relativement solide si on la compare à celle de l’Europe, du Japon et de bon nombre
d’autres régions, et même en regard du taux de croissance de la Chine si l’on tient compte des
chiffres récents, qui font contraste.
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POINTS DE VUE
SUR LES MARCHÉS
Deuxième trimestre2016
Replacer la correction dans son contexte
La crise nancière mondiale avait entraîné une récession dont les États-Unis ont émergé en
juillet2009; le pays connaît depuis une croissance économique moyenne de 2,0% à 2,5%. Cette
croissance est inférieure à la moyenne de 3,5 % enregistrée depuis la n de la Deuxième Guerre
mondiale. Certaines tendances structurelles au chapitre de la démographie et du crédit opposent
desérieux obstacles à la croissance.
Mais la lenteur de l’économie va-t-elle jusqu’à interdire les rendements sur les actions, les
instrumentsde créance ou les obligations? L’expansion dure maintenant depuis près de sept ans,
lecycle montre-t-il des signes d’essoufement? Et pourquoi faut-il tenir compte de la période?
Surveiller les éventuels excès, mais sans inquiétude immédiate
Il est vrai que l’économie américaine est aux prises avec des difcultés, aussi bien intérieures
qu’extérieures, mais les actions américaines, en particulier celles des sociétés à grande capitalisation,
gurent à l’heure actuelle parmi les placements les plus prometteurs pour les investisseurs selon nous.
L’économie américaine, ainsi que nous l’avons souligné, poursuit sa modeste croissance, soutenue
par leshausses salariales, l’allongement de la semaine de travail et la régression du chômage. Aucun
signe, sur le marché, des excès de n de cycle qui se manifestent généralement vers la n des périodes
d’expansion. L’épanouissement du crédit dans le secteur privé n’est pas exagéré, et les marchés
de l’emploi ne surchauffent pas. Les stocks se sont élevés ces derniers temps, mais pas de manière
inquiétante, et aucune bulle d’actifs ne point encore à l’horizon. Les activités de fusion et d’acquisition
s’intensient, car les entreprises cherchent à acquérir de l’envergure, mais rien n’est encore alarmant
de ce côté-là non plus. La courbe de rendement arbore quant à elle une saine pente positive et, si les
prots en pourcentage du PIB diminuent de manière préoccupante, en revanche la chute de rentabilité
des derniers trimestres semble imputable essentiellement à la dégringolade des secteurs de l’énergie et
des matières. Cela dit, la baisse des bénéces mérite qu’on s’y attarde, car elle a tendance à s’accentuer
environ un an avant l’arrivée d’une récession. Lorsque les bénéces reculent, les embauches et les
dépenses en immobilisations ont tendance à faire de même : il s’agit donc d’un des plus importants
indicateurs de n de cycle à surveiller. La croissance au ralenti sur les marchés émergents retient
la croissance aux États-Unis, mais probablement pas assez pour y provoquer une récession, car les
exportations nettes comptent pour une assez faible part du PIB américain. Considérés tous ensemble, ces
indicateurs suggèrent que la croissance modeste enregistrée depuis le milieu de 2009 est faite pour durer.
Faut-il tenir compte de la période? Oui, dans la mesure où la baisse moyenne du marché boursier en
temps de récession aux États-Unis est supérieure à 26%. Un recul des cours similaire s’observe aussi
sur le marché des obligations à rendement élevé.
Figure5: Les corrections subies par l’indiceS&P500 remises en contexte
Nombre Recul moyen
Rendement moyen dans
les 6mois suivants
Rendement moyen dans
les 12mois suivants
Dégagements de 5% à 10% 50 -7,1% 10,8% 15,5%
Correction de 10% ou plus (sans récession
dans les 12mois suivants) 19 -17,0% 18,9% 24,3%
Correction de 10% ou plus (avec récession
dans les 12mois suivants) 11 -26,4% 22,9% 31,0%
Source: Deutsche Bank, au 24mars 2016.
La gure5 montre que la plupart des corrections de 10% ou plus survenues depuis 1957 n’étaient
pas annonciatrices d’une récession. En effet, il y a eu 30corrections de cette importance pendant cette
période; 19 d’entre elles n’ont pas débouché sur une récession, contre 11 qui l’ont fait. En général, dans
les 6 à 12mois suivant la correction, les marchés ont regagné le terrain perdu et dégagé des rendements
positifs. Nous sommes d’avis que la correction récente est l’un de ces épisodes. Les bénéces sont
frappés par une récession, mais il ne s’agit pas d’une récession économique généralisée, et le marché
boursier pourrait receler prochainement d’intéressantes occasions de placement.
« La récession actuelle
concerne les bénéces,
pas l’économie dans
sonensemble. Pour moi,
les actions constituent
unbonplacement.»
James Swanson
Chef des stratégies de placement
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POINTS DE VUE
SUR LES MARCHÉS
Deuxième trimestre2016
Des signes de tension, mais pas de récession
L’élargissement démesuré des écarts sur les obligations à rendement élevé de la n de 2015 et du
début de 2016 présagerait normalement une récession prochaine. Mais si l’on excepte les secteurs
de l’énergie et des matières, les plus accablés, il n’y a pas à craindre de récession imminente
d’après le marché des titres à rendement élevé. L’élargissement des écarts est bel et bien signe
d’un stress systémique, mais nous croyons qu’il n’est pas annonciateur d’une récession.
Figure6: Répartition sectorielle des écarts ajustés en fonction des options sur les
obligations américaines à rendement élevé
0
200
400
600
800
1 000
1 200
1 400
1 600
1 800
2 000
2006 2008 2010 2012 2014 2016
Pb
Énergie
Mines et métaux
Obligations américaines
à rendement élevé
hors énergie
Source: Barclays, au 21mars 2016.
Les bénéces et le chiffre d’affaires des sociétés représentées dans l’indiceS&P500 ont subi le
contrecoup de la chute du secteur de l’énergie. Les revenus ont nettement baissé, plongeant
même en territoire négatif au quatrième trimestre l’an dernier. Si l’on excepte l’énergie, encore
une fois, les revenus sont pourtant parvenus à grappiller un gain de 0,3% sur douze mois.
Figure7: Descente des revenus
-5 %
-4 %
-3 %
-2 %
-1 %
0 %
1 %
2 %
3 %
4 %
5 %
Indice S&P 500 hors énergie
Indice S&P 500
T4 2015T3 2015T2 2015T1 2015T4 2014T3 2014T2 2014T1 2014T4 2013T3 2013T2 2013T1 2013
1,5 %
2,1 %
3,1 %
2,1 %
2,7 %
4,5 % 4,3 %
1,8 % 2,1 %
1,5 % 1,1 %
0,3 %
-3,2 % -3,5 % -3,9 %
-4,1 %
Croissance du chiffre d’affaires (variation sur quatre trimestres, en %)
Source: RBC, au 2mars 2016.
Pour ce qui est du bénéce par action (BPA), la situation est tout autre. Si l’on ne tient pas compte
du secteur de l’énergie, le BPA a augmenté de 3,8%. Nous sommes d’avis qu’il s’agit là d’une
croissance assez solide de milieu ou de n de cycle. Les sociétés qui ne participent pas directement
au secteur de l’énergie se comportent très bien pour le moment. En outre, nous pensons que la
chute des prix de l’énergie aura un effet à la hausse sur les bénéces des entreprises de fabrication
vers la n de 2016, puisque l’énergie est un intrant pour la plupart d’entre elles.
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