LA MÉMOIRE ÉMERGENTE :

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LA MÉMOIRE ÉMERGENTE :
VERS UNE APPROCHE DYNAMIQUE
DE LA MÉMORISATION
Collection Psycho-Logiques
dirigée par Philippe Brenot et Alain Brun
Sans exclusives ni frontières, les logiques président au fonctionnement
psychique comme à la vie relationnelle. Toutes les pratiques, toutes les
écoles ont leur place dans Psycho-Logiques.
Dernières parutions
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Age. Faim, foi et pouvoir, 2000.
Jean BOUISSON et Jean-Claude REINHARDT, Seuils, parcours,
vieillissements,2000.
Serge NICOLAS, La mémoire humaine, Une perspective fonctionnaliste,
2000.
Jean-Claude REINHARDT et Jean BOUISSON, Vieillissements, rites et
routines, 2001.
Marie-Françoise BRUNET-LOURDIN, La vie, le désir et la mort.
Approche psychanalytique du sida, 2001.
Michel LANDRY, Manuel alphabétique du psychiatrisme, 2001.
Eric AURIACOMBE, Les deuils infantiles, 2001.
Viviane KOSTRUBIEC
LA MÉMOIRE ÉMERGENTE :
VERS UNE APPROCHE DYNAMIQUE
DE LA MÉMORISATION
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France
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L'Harmattan !tafia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALIE
© L'Harmattan, 2001
ISBN : 2-7475-0420-4
Je tiens à exprimer ma plus sincère reconnaissance à
toutes les personnes qui par leur compréhension, leurs
conseils et leur chaleureux soutien m'étaient d'un précieux
secours lors des obstacles rencontrés durant ce travail : J. C.
DARCHEVILLE, Y. MIOSSEC, F. ANCEAUX, G.
SCHÔNER, P. G. ZANONE, V. RIVIERE, S. SAMSON et
M. LEFRANC. Cet ouvrage n'aurait jamais pu aboutir sans
leurs suggestions et leurs critiques qui m'ont permis de
structurer mon étude ainsi que d'en admettre les limites.
Je souhaite également remercier pour leur soutien mes
parents, ainsi que tous les membres de l'Unité de Recherche
sur l'Evolution du Comportement et sur l'Apprentissage
(URECA) à l'Université Charles de Gaulle — Lille 3.
7
AVANT-PROPOS
"En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité
en un véritable repentir intellectuel". (G. Bachelard, "La
formation de l'esprit scientifique", Paris : Librairie
philosophique J. Verin, 1969, p.13)
Au point de départ de notre étude, nous avons entrepris
des travaux sur la mémoire consciente (explicite) et
inconsciente (implicite). Les premières recherches consacrées
à ce thème ont été réalisées par Ebbinghaus (1885, voir
Nicolas, 1993, 1994). Il s'agit donc d'un champ
d'investigation ancien, bâti sur une charpente conceptuelle
séculaire qui, à l'heure actuelle, bénéficierait probablement
d'une tentative de réaménagement.
En effet, au tout début des travaux sur la mémoire, les
précurseurs du domaine ont débuté les études en s'appuyant
sur la base de concepts intuitifs, caractéristiques de leur
époque. Les travaux pionniers qu'ils avaient engagés ont
suscité une foison de résultats expérimentaux, contribuant au
9
progrès des connaissances. Cependant, il n'y a pas de
schémas intellectuels immuables, car la science ignore les
solutions universelles et absolues. Aucune charpente
conceptuelle ne peut répondre à toutes les exigences, ni
prétendre rester valable, face à l'évolution conceptuelle.
Aussi, pour tout chercheur lucide, il est clair que les bases de
son schéma conceptuel portent en lui les germes de la mise en
cause (Stengers, 1993). Il s'agit, selon les termes
conventionnels, d'" anomalies" (Kuhn, 1983) inhérentes à tout
programme de recherche : d'énigmes, de paradoxes, ainsi que
de problèmes débordant des structures des schémas
intellectuels en vigueur.
Le champ d'études sur la mémoire consciente et
inconsciente, notre objet d'étude de départ, correspond à un
domaine dans lequel les "anomalies" peuvent être ressenties
de manière particulièrement prégnante. Par exemple, le
principal paradoxe que nous avons discerné concerne la
nature de l'information qui devait être restituée par le mode
de recouvrement inconscient (implicite) et conscient
(explicite). Selon le modèle le plus souvent cité, le modèle
cible / contexte, les processus implicites servent à récupérer
l'information dite "cible", tandis que les processus explicites
sont chargés d'amener l'information dite "contextuelle".
L'information "cible" correspond à l'interprétation
conceptuelle du stimulus encodé (traits sémantiques
profonds). L'information "contextuelle", quant à elle, se
rapporte aux données sur le lieu, le temps, la source, la
modalité, le support et le format de présentation à l'encodage
(traits de surface). Les deux types d'information sont traités
par des mécanismes différents et stockés dans des endroits
distincts (Pickering, Mayes, Andrew, Fairbairn, 1989 ;
Rajaram, 1993 voir aussi : Atkinson et Juola,1973 ; Jacoby,
1991, 1998 ; Mandler, 1980 ; Tiberghien, 1980 ; Tulving,
1976 ; Eichenbaum, 1999).
10
De nombreux résultats expérimentaux, collectés tant en
psychologie qu'en neuropsychologie, ont servi à étayer le
modèle cible / contexte. Cependant, il comporte à sa base une
"anomalie", dont il est difficile de s'accommoder. Si les sujets
se comportaient selon les indications du modèle, alors, ils
devraient être capables de distinguer, au moment de
l'apprentissage, l'information "cible" de l'information
"contextuelle". Or, la distinction entre "cible" et "contexte"
repose sur une différenciation arbitraire, suggérée par le
langage. L'environnement, lui, n'apporte aucune indication,
permettant de trouver un critère de démarcation, pour séparer
les traits "sémantiques profonds" des traits "contextuels de
surface". Cette distinction peut être réalisée par
l'expérimentateur a posteriori, au moment du traitement des
résultats, mais non a priori par le sujet, au moment de
l'apprentissage.
Par exemple, la signification d'un texte ne peut pas être
ramenée à la signification des mots : elle dépend du
"contexte" de présentation, comme de la "source", c'est-à-dire
de la personne fournissant les données. A titre d'illustration, il
est utile de rappeler une expérience célèbre de Lorge (1936),
révisée par Asch (1951), réalisée en psychologie sociale.
L'expérimentateur présentait aux sujets - étudiants
universitaires américains - la phrase suivante : "Je soutiens
que la rébellion, de temps en temps, est une bonne chose et
aussi nécessaire dans le inonde politique que des tempêtes
dans le monde physique". Lorsque cette déclaration était
attribuée à Thomas Jefferson, troisième président des EtatsUnis, la "rébellion" était appréhendée comme "réforme". En
revanche, quand elle était attribuée à Vladimir Lénine, la
"rébellion" était associée à une révolution violente et au
chaos. Le "contexte" de présentation ne peut donc pas être
dissocié de l'information "cible" et le modèle cible / contexte
ne peut pas être correct (pour plus d'explications, voir
chapitre III).
11
Une fois les anomalies détectées, reste la question de
savoir comment y réagir. L'histoire des sciences montre que
les chercheurs demeurent prudemment patients à l'égard des
défaillances de leurs paradigmes, même lorsque celles-ci sont
graves et durables. Face à une anomalie, il semble préférable
de s'interroger sur le coût d'une tentative d'élimination. Si,
pour évincer un inconvénient, il faut condamner des voies
d'investigations fructueuses et rejeter des connaissances
acquises, alors il est préférable de confier le problème aux
générations futures, équipées de meilleures méthodes, ou de
consentir à un accommodement. En effet, comme il n'y a pas
de conceptions absolues et comme chaque approche "naît
réfutée" (Lakatos, 1970 ; Laudan, 1977) donc, pour pouvoir
conduire des expériences et se donner une chance d'engendrer
des résultats, il faut bien adhérer à une approche existante en
s'accommodant de ses limites (Ziman, 1999).
Simultanément, toutefois, les accommodations ne doivent
immuniser contre toute tentative de discussion. Les
paradoxes sont plus que de simples accidents de parcours,
qu'un scientifique sceptique laisse prudemment de côté. Posés
en contradiction avec le savoir admis par la communauté, ils
imposent la révision des idées traditionnelles et la révision
fait, elle aussi, partie intégrante de la démarche de recherche :
"La vérité dans une science, ou ce qui en tient lieu, est
presque toujours un paradoxe surmonté ou une erreur
rectifiée (Klein, 1994 ; p. 8)"
Ainsi, comme l'anomalie détectée dans le champ des
travaux sur la mémoire implicite et explicite est inhérente aux
schémas conceptuels traditionnels, pour les relever et tenter
de les dépasser, nous avons examiné les fondations du
domaine. Dans cette optique, les chapitres I et II sont
consacrés à l'analyse de la charpente conceptuelle qui soustend les travaux sur la mémoire en psychologie (chapitre I) et
neuropsychologie (chapitre II). Cette investigation nous
conduit à réduire l'emprise des conceptions habituelles et à
12
suggérer les caractères qui devaient être retenus par
l'approche alternative. Nous soutenons que les problèmes
relevés dans les travaux sur la mémoire sont inhérents au
paradigme de recherche "mécaniste" : le médiationnisme, le
représentationnalisme, le réductionnisme, etc... Nous tentons
donc de les dépasser, en adaptant une approche alternative,
basée sur la synergétique, une théorie d'auto-organisation
utilisant comme formalisme les systèmes dynamiques
(chapitre III). Cette voie de recherche alternative propose un
modèle mathématique des phénomènes qui peuvent être
classés, selon la terminologie traditionnelle, parmi les effets
mnésiques : les phénomènes d'hystérèse (chapitre IV).
L'objectif principal de nos travaux expérimentaux vise à
tester les prédictions qui en sont issues (chapitres V).
Notre travail progresse donc selon un schéma d'évolution
le plus classique dans la recherche : définition de la
problématique, examen de l'équipement conceptuel et
méthodologique traditionnel (chapitres I et II), présentation
du cadre conceptuel adopté (chapitre III) et du modèle retenu,
à savoir le modèle d'hystérèse (chapitre IV) puis, finalement,
l'application expérimentale (chapitre V) et discussion de
résultats (chapitre VI).
Il convient de souligner que l'ensemble des propositions
contenues dans cet ouvrage n'a pas la naïveté de condamner
des travaux classiques. Elles visent uniquement à rappeler qu'
"il arrive toujours un moment où l'on n'a plus d'intérêt de
chercher du nouveau sur des traces de l'ancien" (Bachelard,
1969). Il arrive toujours un moment où il est légitime de
renoncer aux prémisses les plus fortement enracinées dans
l'esprit, pour les remplacer par des axiomes anti-intuitifs,
pouvant être plus fructueux. Ce travail n'ambitionne pas, non
plus, à explorer les voies les plus pertinentes de la
synergétique. L'acheminement vers un programme de
recherche alternatif est toujours précédé d'une période
13
exploratoire, dans laquelle l'objectif primordial consiste dans
l'éviction de fausses pistes.
14
CHAPITRE I :
METAPHORES DE LA MEMOIRE : UN EXAMEN
CRITIQUE
"Contrairement aux amateurs, les professionnels savent
qu'il leur faut produire théorie sur théorie pour avoir la
chance de décrocher le gros lot" (F. Crick, "Une vie à
découvrir : de la double hélice à la mémoire", Paris : Odile
Jacob, 1989 ; p. 198)
INTRODUCTION
Selon l'acception la plus courante, le terme de
"mémoire" désigne un éventail de processus cognitifs
spécifiques. Ces processus sont conçus comme séparés de
mécanismes assurant d'autres capacités, comme les
aptitudes perceptives, motrices, langagières, de
raisonnement etc.... L'objectif des travaux portant sur ce
15
thème consiste à étudier le fonctionnement de ces
mécanismes et à mettre en évidence leurs propriétés
spécifiques.
Selon Roediger (1980), lorsque les chercheurs
s'interrogent sur un processus qui leur semble mystérieux,
ils tentent de le rapprocher d'un phénomène qu'ils maîtrisent
mieux : ils en cherchent une "métaphore". Or, selon cet
auteur, pour les processus mnésiques, deux métaphores
incompatibles co-existent : les métaphores spatiales et les
métaphores non spatiales. Récemment, Koriat et Golsmith
(1996, 1998) ont proposé une séparation analogue, en
métaphores d'encodage et métaphores de correspondance.
Aussi, dans la suite du texte, pour présenter les deux
approches, nous nous référons aux métaphores spatiales
d'encodage et aux métaphores non spatiales de
correspondance.
L'objectif de ce chapitre consiste à analyser ces deux
conceptions métaphoriques de la mémoire. Ainsi, il ne s'agit
pas d'une revue exhaustive des modèles de la mémorisation,
mais plus d'une réflexion critique sur les métaphores de la
mémoire, servant de fondement aux modèles du
recouvrement. Cette réflexion aboutit à une conclusion
selon laquelle les deux approches de la mémoire partagent
en fait les mêmes caractéristiques, qui peuvent et doivent
être discutées. Nous soutenons que, du point de vue
méthodologique, les approches classiques conduisent à des
modèles difficilement testables. Du point de vue théorique,
elles reposent sur une conception discutable, la conception
médiationniste.
16
LES METAPHORES DE LA MEMOIRE
•
L'USAGE DE METAPHORES EN SCIENCE : PRINCIPES DE
BASE
Une métaphore est une manière de décrire, sous un
angle particulier, un objet ou un processus naturel (Dupuy,
1994). Afin de sélectionner la métaphore, le modélisateur
débute par l'établissement d'une analogie entre la structure
de la métaphore et la structure de la réalité. Dans la mesure
où, sous un aspect quelconque, les deux phénomènes
peuvent être envisagés comme isomorphes, la structure du
premier phénomène peut être utilisée comme modèle du
second : l'un est appréhendé comme équivalent à l'autre
(Bertalanffy, 1973 ; Dupuy, 1994 ; Israel, 1996 ; Morin,
1977).
La comparaison de métaphores, ainsi que de modèles
qui en découlent, n'est jamais aisée. Premièrement, chaque
schéma conceptuel produit des faits expérimentaux
inintelligibles aux yeux des concurrents. Il répond ainsi aux
critères qu'il s'est lui-même fixés et reste incapable de
satisfaire tous les critères dictés par ses rivaux (Kuhn,
1983). Deuxièmement, l'aspect du phénomène modélisé
dépend des intérêts particuliers des chercheurs. Or, les
motivations décisives pour les uns peuvent paraître moins
éloquentes pour les autres. Troisièmement, l'établissement
de l'analogie n'est que rarement déduit à partir de
l'observation du réel et certaines idées maîtresses, qui
composent les paradigmes, ne sont pas testables (Israel,
1996).
En conséquence, le choix de métaphores et de modèles
comporte toujours une grande part d'arbitraire. En règle
générale, la sélection des modèles ne peut être légitimée
qu'a posteriori, au moment où le modèle se révèle précis,
fructueux et rend compte des faits d'observation qui
17
intéressent le chercheur. Néanmoins, malgré la part laissée
aux choix personnels, les schémas conceptuels peuvent et
doivent être discutés (Sockal et Brickmont, 1997). En effet,
il est possible de relever les lacunes dans les
conceptualisations et les défaillances dans les méthodes. Il
est également possible de bannir certaines formes de
raisonnement, qui dérogent aux règles de rigueur auxquelles
le chercheur est particulièrement sensible. Finalement, il est
possible d'affirmer, qu'à un moment donné, la recherche
donne naissance à des questions prioritaires, que . les voies
d'investigations habituelles ne permettent pas
d'appréhender.
En somme, il est légitime, à certains moments de
l'étude d'un domaine, de procéder à un examen critique des
schémas intellectuels classiques. Il est également légitime,
le cas échéant, de partir à la recherche de voies
d'investigation alternatives.
•
METAPHORES DE LA MEMOIRE : PRESENTATION
GENERALE
Selon la métaphore spatiale d'encodage, la "mémoire
est comme un lieu" qui conserve des "souvenirs"
d'événements vécus, afin que le sujet puisse les récupérer
pour s'en servir ensuite. Ainsi, dans cette optique, les
aptitudes mnésiques s'expliquent par le fait que chaque
événement vécu est copié par l'esprit, sous la forme d'une
"représentation", "trace mnésique" ou "souvenir". Cette
représentation est ensuite transférée et associée à d'autres
traces mnésiques, à l'intérieur d'un espace mental de
stockage : la mémoire. Elle y demeure inactive, tel un livre
dans un rayon d'une bibliothèque, jusqu'au moment où un
"processus de recouvrement" est lancé pour la réactiver et
récupérer.
18
Le premier modèle spatial d'encodage, celui de la
tablette de cire, a été imaginé par Platon (Koriat et
Goldsmith, 1996). Parmi les modèles spatiaux employés en
psychologie, Roediger (1980) cite 27 modèles, dont le
modèle de la bibliothèque, du dictionnaire, du tableau de
bord, des registres, des modules, du programme de
l'ordinateur etc... En règle générale, dans cette optique, la
mémoire est subdivisée en espaces de stockage, qui
conservent des connaissances spécifiques comme, par
exemple, des connaissances pré-sémantiques sur la structure
perceptive des items (Tulving et Schacter, 1990). Selon les
auteurs, ces espaces portent le nom de "modules" (Fodor et
Pylyshyn, 1995), de "systèmes" (Tulving, 1985 ; Baddeley,
1993 ; Shallice, 1995) ou font référence aux réseaux
(Schacter, 1998). Parmi les modèles les plus souvent cités,
on trouve le modèle de la mémoire à court et à long terme
d'Atkinson et Shiffrin (1968), le modèle de la mémoire
déclarative et procédurale de Tulving (1985) repris par
Squire (1997), le modèle de la mémoire du travail de
Baddeley (1992, Ehrlih et Delafoy, 1990), le modèle du
système de représentations pré-sémantiques de Tulving et
Schacter (1990), ainsi que le fameux modèle dynamique de
la mémoire "poubelle" de Landauer (1975).
La métaphore spatiale d'encodage incite à s'intéresser à
l'architecture et aux propriétés spécifiques des registres
mnésiques, à leur capacité de stockage, au format sous
lequel les souvenirs sont conservés et aux propriétés de
mécanismes de récollection. D'innombrables faits
expérimentaux ont été recueillis, prouvant la fécondité de
cette approche. Toutefois, les modèles spatiaux sont les plus
critiqués. En effet, les métaphores spatiales d'encodage
escamotent des phénomènes d'observation essentiels, liés à
la déformation de souvenirs (Bartlett, 1928), ainsi qu'à la
variation des performances mnésiques entre rappels
successifs (Pavlov, 1932 ; Reed, 1973 ; Buschke, 1974,
19
Brook et Bouton, 1993 ; Giraudo et Pailhous, 1994 ; Squire,
Hunkin et Parkin, 1997 ; Giraudo et Pailhous, in press ;
pour revue : Estes, 1997).
Pour pallier ces limites, les partisans de la métaphore
non spatiale de correspondance abandonnent les
explications basées sur des espaces d'encodage et cherchent
d'autres voies d'investigation.
source
• Leur
première
d'inspiration est puisée dans des études sur la perception.
Ainsi, Bartlett a adapté les expériences sur la transformation
d'images mentales (Bartlett, 1932 ; Zangwill, 1987-1988).
De même, Neisser (1967, 1985, 1988) ainsi que Vicente et
Wang (1998) se sont référés aux travaux sur l'écologie
optique de Gibson (1979). Les études sur la
"psychophysique de la mémoire" d'Algom et Lubel (1994),
quant à elles, se sont inspirées de travaux sur les jugements
perceptifs.
Dans ce cadre, la "mémoire est comme la perception"
ou, plus précisément, comme la re-perception du passé
(Bartlett, 1932 ; Algom et Lubel, 1994). Le rappel n'est plus
conçu comme un processus passif de "réactivation" des
traces mnésiques inertes (Conway et Bekerian, 1987 ;
Barsalou, 1992). C'est un "acte constructif', où les
souvenirs des événements vécus sont utilisés comme
fragments pour reconstituer des connaissances anciennes
(Bartlett, 1932 ; Reiser, Black, Kalamarides, 1988).
L'opération implique des stratégies et des plans de
recherche (Barsalou, 1988, 1992) et ressemble fortement
aux efforts d'un paléontologue qui, à partir de quelques
fragments d'os, reconstitue un animal complet (Neisser,
1967). Plus récemment, la mémorisation a été appréhendée
comme un phénomène adaptatif d'harmonisation" aux
contraintes environnementales pertinentes pour la tâche
(Vicente et Wang, 1998).
20
•
La
seconde
source
d'inspiration est tirée des modèles connexionnistes ou
neuromimétiques (McClelland, 1988 ; Smolensky, 1988 ;
Cummins et Schwartz, 1992 ; Bechtel et Abrahamsen,
1993 ; Stith et Rummelheit, 1991 ; MacDonald et
MacDonald, 1995). Selon cette conception, le système
mnésique est analogue à un réseau de pseudo-neurones
(McClelland et Rummelhart, 1985 ; Humphreys, Bain, Pike,
1989). Les connaissances ne correspondent pas à des items
atomiques, précis, stables et discrets. Ils sont représentés par
des "poids" stockés dans des "connexions", selon un mode
d'indexation analogique (continu), imprécis et dynamique.
Dans cette perspective, il n'y a pas, non plus, de modules
séparés et activés de manière intermittente. Toutes les
composantes sont reliées entre elles et évoluent ensemble
dans une seule matrice de connexions, nommée "tenseur"
(Hintzmann, 1990, Humphreys, Wiles et Dennis, 1994 ;
Smolensky, 1995). Le recouvrement n'est pas basé sur des
processus de récupération distincts. Il est fondé sur la force
d'appariement entre les indices de récupération et les
informations stockées dans le réseau (voir annexe V).
Parmi les modèles non spatiaux de correspondance, il
est possible de placer une large gamme d'approches :
reconstructive (Bartlett, 1932 ; Barsalou, 1992),
attributionnelle (Jacoby, 1988 ; Jacoby, Kelley et Dywan,
1989 ; Jacoby et Kelley, 1991), écologique (Neisser, 1967,
1985 ; Bruce, 1985 ; Conway et Rubin, 1993 ; Neisser,
1988 ; Cockburn, 1995 ; Vicente et Wang, 1998),
psychophysique (Algom et Lubel (1994), nonmédiationniste (Gibson et Watkins, 1991 ; Watkins, 1996a,
1996b), écologique et directe (Gibson, 1966 ; Turvey et
Shaw, 1979 ; Wilcox et Katz, 1981), connexioniste
(McClelland et Rummelhart, 1985 ; Hintzmann, 1990),
rythmique (Johnes, 1976), dynamique (Estes, 1997) et
holographique (Pribram, 1969). Dans ces optiques, l'intérêt
21
des chercheurs n'est plus focalisé sur la quantité d'items
restitués. Il se porte sur l'adéquation qualitative entre
l'événement passé et le souvenir restitué : qu'est-ce qui a été
appris et qu'est-ce qui a été remémoré ? L'incomplétude du
rappel et les distorsions des souvenirs ne sont plus
attribuées aux défaillances des processus de recouvrement,
ni aux distorsions dans les processus d'encodage associatif.
Elles peuvent être attribuées, par exemple, à l'évolution des
schémas cognitifs (B artlett, 1932).
Par exemple, dans l'approche reconstructive, cinq
mécanismes de déformation sont proposés : sélection,
abstraction, interprétation, intégration et reconstruction. Le
premier mécanisme sélectionne les informations
importantes à encoder, le second abstrait leur contenu
sémantique, le troisième interprète ces données en fonction
de schémas mentaux activés, le quatrième les intègre aux
informations déjà acquises et le cinquième reconstruit le
souvenir en fonction des objectifs de rappel (pour revue :
Alba et Hasher, 1983).
•
METAPHORE SPATIALE ET NON SPATIALE DE LA
MEMOIRE : OBJECTIFS ET LIMITES
Etant donné que les intérêts des approches d'encodage
et de correspondance divergent (voir tableau 1, page 23), les
méthodes employées, les faits d'observation recueillis et les
limites de ces voies d'investigation sont également
différents.
22
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