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Comptes rendus de lecture-Revue d’Etudesen Agriculture etEnvironnement,91 (2),229-252
La seconde partie est indéniablementle pointfort de l’ouvrage. Il ne s’agitplus ici de se
demanderquelspourraientêtre lesdéterminants sociaux duproblème de l’obésité,maisde
chercherà comprendrecommentl’obésité est devenueun problème de santé publique en
premierlieu.Danscetobjectif, J.-P.Poulain s’attache àreconstituer«le long processus quia
permisde fairereconnaître l’obésitécomme un problème médical» (p. 152),médicalisation de l’obésité
qu’il repèreàpartirde différents indices:occurrencesdanslalittérature médicale,
institutionnalisation au sein de sociétés savantes,mise en place de politiquesde prévention,
construction etdiffusion d’instruments de mesure duphénomène… Dans un deuxième temps,
il entreprend d’importerdesdébats etcontroversesquisesontcristallisésaux Etats-Unisau
début desannées 2000, ayantfaitl’objetde plusieurs livresau retentissementimportantdans
le monde anglophone (Gaesser,2002 ; Campos,2004;Gard etWright,2005;Oliver,2006),
mais restéslargementinconnus dupublicfrançais.Aucours du récitde laréception de ces
livrescritiques sur lamédicalisation de l’obésité,on en apprend un peuplus sur lastratégie
éditoriale de l’auteur :«Onvoiticicommentcertainsarguments ontparfoisdumalàse faire entendre
au sein de l’appareil scientifique,etcommentle livre etlamédiatisation qui l’accompagne peuvent
constituer une démarche de détour » (p. 196). Ason tour, J.-P.Poulain propose de décrypterles
controverses scientifiquesen question tellesqu’elles sontapparuesaux Etats-Unisautour du
coût de l’obésité,dunombre de morts qui lui est imputable ouencore de son impact sur
l’espérance de vie, afin de « voirlascienceau travail » (p. 233), à l’encontre de toute lecture
apologétique de l’histoire de lamédecine. Revenant sur le casfrançais,il étudie lesenjeux de
l’agrégation descatégoriesd’obésité etde surpoidsetles« manipulationspaternalistes» dans
lamesure de l’obésité infantile. L’auteur dessine un paysage faitde rapports de force et
d’intérêts croisés,d’alliancesetde jeux de concurrence entreacteurs issus de différents
mondes:médecine etnutrition,industriesagro-alimentaire etpharmaceutique,médias,
politiques…Pour donner unsensà cescontroverses,il faitappel comme grille de lectureà
lathéorie de lamisesur agenda, d’aprèsle modèle des«policy streams» qu’il emprunteau
politisteaméricain John Kingdon :«Il faut comprendresous le terme de “courant”àlafoisdesflux
d’information etdeslogiquesd’intérêt» (p. 144) ;«le “courantdesproblèmes” doit rendrevisible
l’obésité,décriresesconséquencesnégativesetdonnerdes raisonsde laprendre en considération. Le “courant
des solutions” doitmontrerqu’il existe des réponses techniquespour dépister,prendre en charge,traiteret
prévenirl’obésité. Un problème grave,des solutionspour le résoudre,telles sontlesconditionsnécessaires
pour que le “courantdupolitique” entre en action » (p. 218). Dufaitdes stratégiesdéployéespar
différents acteurs,désignésàlasuite d’HowardBeckercomme « entrepreneurs » (politiques,
administrateurs,groupesd’intérêts,milieude larecherche,médias…),larencontre de ces trois
courants aboutitàlamisesur agendaduphénomène. Mais, J.-P.Poulain propose d’allerplus
loin :pour que l’obésité devienne une question de santé publique,il faut en plus que le
problème entre en résonanceavecles représentationsetlesaspirationsde nos sociétés.C’est le
travail de « thématisation »,pour reprendreune notion développée parJean-Michel Berthelot,
qui est le faitdugrand publicviales relaismédiatiques.Il proposealors de s’intéresseràla
«place que l’obésité occupe dansl’imaginaire des sociétésoccidentales, aux relationsqu’elle entretientavec
d’autresquestions sociales» (p. 147),qu’il identifie aunombre de trois:«lamalbouffe,les
déséquilibresalimentairesdes rapports nord-sud etlaprégnance dudésirde minceur » (p. 224). S’il est
bienvenuque l’auteur trouve ici matièreàévoquerlesproblèmesde lafaim etde la
malnutrition,trop souventécartésdesdiscussions sur l’obésité,on aplus de malàle suivreà
lafin de cette partie,oùlesacteurs s’évanouissentdevantladescription de processus généraux :
politisation,judiciarisation,médicalisation,patrimonialisation.