Croissance américaine : récession ou simple ralentissement ? 1er mars 2016 La résurgence des craintes d’une entrée en récession des États-Unis fait partie des motifs qui ont pesé sur les marchés financiers ces derniers mois (voir notre note « Les quatre peurs du marché »). Les premières données d’activité disponibles pour le mois de janvier (ventes au détail hors éléments volatils en hausse de 0,6%, production manufacturière en hausse de 0,5% et rebond marqué des commandes de biens d’investissement) semblent éloigner ce risque à court terme, mais avec la publication d’indices PMI avancés décevants pour le mois de février, la question restera sans doute dans l’esprit d’un grand nombre d’investisseurs. L’économie américaine est-elle en passe de traverser une nouvelle récession ? Quels en sont les facteurs annonciateurs ? GRAPHIQUES CLÉS Contribution à la volatilité Activités minières Education et santé Gouvernement Agriculture Services aux collectivités Graphique 2 Probabilité d’être dans un trimestre de croissance négative en fonction du niveau de l’indice ISM manufacturier 77,5-80 75-77,5 72,5-75 70-72,5 67,5-70 65-67,5 62,5-65 60-62,5 57,5-60 55-57,5 52,5-55 50-52,5 47,5-50 45-47,5 42,5-45 40-42,5 37,5-40 35-37,5 32,5-35 Sur la base des données de la période 1948-2015 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% Niveau actuel 30% 20% 10% 0% 30-32,5 Au-delà du niveau des indicateurs, c’est souvent leur variation qu’il faut prendre en compte mais une forte baisse de l’indice ISM manufacturier n’est pas systématiquement suivie d’une récession. En effet, la durée des cycles du secteur manufacturier est souvent plus courte que celle de l’ensemble de l’économie Poids dans le PIB Sources : Lazard, BEA 27,5-30 Pour autant, l’histoire montre qu’il faut voir l’ISM manufacturier, et tout particulièrement la composante des nouvelles commandes, atteindre des niveaux beaucoup plus bas pour qu’il signale une récession avec une forte probabilité. Ce n’est qu’en dessous de 45 que la probabilité commence à devenir importante (voir graphique 2). Autres services Transports et stockage Information Loisirs Commerce de détail Services aux entreprises Construction Activités financières et immobilières Il ne faut pas se reposer sur le faible poids du secteur manufacturier dans l’économie pour écarter d’un revers de main les signaux envoyés par ce secteur. En effet, bien que son poids ne dépasse pas les 15% du PIB, il contribue à presque 30% de la volatilité de la croissance économique (voir graphique 1). C’est donc un des secteurs les plus importants à suivre et c’est pourquoi l’ISM manufacturier est un indice important. Période 1990-2014, données annuelles 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0% -5% Commerce de gros RÉCESSION Graphique 1 Contributions au PIB et à la volatilité Secteur manufacturier BAISSE DE L’INDICE ISM MANUFACTURIER SOUS LES 50 N’EST PAS SYNONYME DE 1. LA Sources : Lazard, Factset L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de mars 2016 et est susceptible de changer. www.lazardfreresgestion.fr LAZARD FRERES GESTION – S.A.S au capital de 14.487.500€ - 352 213 599 RCS Paris 25, RUE DE COURCELLES - 75008 PARIS 1/5 (voir graphique 3) et l’on peut observer plusieurs corrections dans une expansion économique. Aujourd’hui, la faiblesse du secteur manufacturier s’explique principalement par deux choses : Une forte baisse de l’indice ISM manufacturier n’est pas systématiquement suivie d’une récession. 1. la correction d’un niveau élevé de stockage dans un certain nombre de secteurs ; 50 Pas de récession Pas de récession Pas de récession Pas de Pas de récession récession 40 Pas de récession Pas de Pas de Récession ? récession 30 2016 2014 2012 2010 2008 2006 2004 2002 2000 1998 1996 1994 1992 1990 1988 1986 1984 20 Source : Factset Graphique 4 Investissement dans les industries extractives En volume 300 250 200 150 100 2015 2012 2009 2006 2003 2000 1997 1994 1991 1988 1985 50 Source : Factset Graphique 5 Caractéristiques des phases d’expansion Années La baisse du taux de profit. En réalité, dans les phases d’expansion relativement longues (années 60, 90), ce taux de profit commence à baisser en milieu de cycle, plusieurs années avant une entrée en récession (voir graphique 6). 12 Si les phases d’expansion ne s’interrompent pas du seul fait de leur durée et d’une baisse du taux de profits, quelles sont les causes des récessions ? Il n’y malheureusement pas d’explication simple et évidente du phénomène et les économistes continuent d’en débattre. Chocs exogènes sur la productivité, chocs financiers, résultats des rigidités d’une économie, 4 2. Réces 60 1982 1. La durée de la phase d’expansion actuelle. Cet argument repose sur l’idée qu’une expansion économique ne peut durer éternellement et que l’expansion actuelle ayant déjà dépassé largement la durée moyenne d’une phase de croissance, la récession est pour bientôt. Appliquant la même méthodologie que celle sous-jacente aux tables de mortalité, Glenn Rudebush démontre dans une étude(1) que depuis la deuxième guerre mondiale, la probabilité que l’économie américaine entre en récession dans les prochains mois n’augmente pas particulièrement avec la durée de l’expansion économique, à l’inverse de ce qui se passait auparavant. Ceci s’explique notamment par le développement entre les deux périodes des services, beaucoup moins volatils et du rôle du gouvernement dans la gestion du cycle économique, souvent contracyclique. 70 1982 Les arguments évoqués pour annoncer l’arrivée d’une récession aux États-Unis sont de plusieurs natures : 80 1979 2. QUELS SONT LES FACTEURS ANNONCIATEURS D’UNE RÉCESSION ? Période 1980-2016 1980 Concernant ces deux éléments, il est probable que nous soyons plus proches de la fin de la correction que du début. Graphique 3 Etats-Unis : Indice ISM Manufacturier 1976 2. les conséquences de la baisse du prix du pétrole sur l’investissement dans les secteurs extractifs, c’est-à-dire en grande partie les exploitations de pétrole de schiste (voir graphique 4). 9% 8% 10 7% 8 6% 5% 6 4% 3% 2% 2 1% 0 0% 1949 1954 1958 1961 1970 Durée en années, échelle de gauche 1975 1980 1982 1991 2001 2009 Croissance annuelle moyenne, échelle de droite Source : Facstet (1) FRBSF ECONOMIC LETTER, 2016-03, February 8, 2016, will the Economic Recovery Die of Old Age? L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de mars 2016 et est susceptible de changer. www.lazardfreresgestion.fr LAZARD FRERES GESTION – S.A.S au capital de 14.487.500€ - 352 213 599 RCS Paris 25, RUE DE COURCELLES - 75008 PARIS 2/5 Récessions 10% 8% 6% 4% 2% 2015 2010 2005 2000 1995 1990 1985 1980 1975 1970 1965 l’investissement résidentiel ; 1960 0% 1945 la consommation de biens durables ; En pourcentage du PIB 1955 C’est pourquoi une approche empirique est peut-être à privilégier pour pouvoir anticiper les récessions. Une analyse des contributions à la volatilité du cycle économique montre le rôle prépondérant de quatre postes de la demande dans les variations du PIB : Graphique 6 Profits après impôts 1950 chocs pétroliers, modification des anticipations et des préférences des agents économiques pour des raisons extrinsèques… de très nombreux concepts ont été mobilisés pour tenter d’expliquer la cyclicité de l’économie sans qu’aucun ne s’impose sur un plan théorique. Source : Factset l’investissement des entreprises ; Graphique 7 Contribution à la croissance sur un an des composantes cycliques et non cycliques 8% 6% 4% 2% 0% -2% -4% Composantes non cycliques 2015 2010 2005 2000 1995 1990 1985 1980 1975 1970 1965 1960 1955 -6% Composantes cycliques Sources : Lazard, Factset Graphique 8 Poids dans le PIB des composantes cycliques Stockage, investissement, consommation de biens durables 32% Récessions 30% 28% 26% 24% 22% Soft landing 20% 2015 2010 2005 2000 1995 1990 1985 1980 1975 1970 1965 1960 18% 1955 Plus précisément, c’est l’investissement résidentiel qui semble jouer un rôle important dans les récessions. Les travaux d’Edward Leamer(2) montrent qu’un ralentissement de celui-ci a toujours été observé en amont des récessions. Dans le sens inverse, tous les retournements du secteur résidentiel se sont accompagnés d’une récession à l’exception de ceux de 1951-52 et 1966-67, mais dans ces deux cas, la dépense publique avait fortement augmenté, du fait des guerres de Corée et du Vietnam, ce qui avait permis d’absorber le choc. Les autres composantes « cycliques » ont plutôt tendance à produire leurs effets dans un second temps, une fois que l’économie a basculé en récession. Récessions 10% 1950 À l’exception de la récession de 1953-1954, expliquée par la baisse des dépenses de défense après la guerre de Corée (à l’époque, les dépenses de défense représentent 15% du PIB), la totalité des récessions est précédée par un pic du poids des composantes cycliques. Ce pic est atteint avec plus ou moins d’avance sur l’entrée en récession, mais il est toujours atteint en amont (voir graphique 8). 12% 1950 Bien que contribuant seulement au quart de l’activité économique, ces composantes « cycliques » représentent 80% de la volatilité de l’activité économique et expliquent toutes les chutes en récession. Réciproquement, quasiment toutes les chutes d’activité dans les secteurs cycliques débouchent sur une récession (voir graphique 7). 1945 le stockage des entreprises. Source : Factset Bien que contribuant seulement au quart de l’activité économique, ces composantes « cycliques » représentent 80% de la volatilité de l’activité économique et expliquent toutes les chutes en récession. (2) Edward E. Leamer, 2007. "Housing is the business cycle," Proceedings - Economic Policy Symposium - Jackson Hole, Federal Reserve Bank of Kansas City, pages 149-233. L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de mars 2016 et est susceptible de changer. www.lazardfreresgestion.fr LAZARD FRERES GESTION – S.A.S au capital de 14.487.500€ - 352 213 599 RCS Paris 25, RUE DE COURCELLES - 75008 PARIS 3/5 Récessions 18% 16% 14% 12% 10% 8% 6% 4% 2% 0% 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 Source : Factset Graphique 10 Indice des conditions financières de la Fed de Chicago 6 5 4 3 2 1 0 -1 -2 2014 2011 2008 2005 2002 1999 1996 1993 1990 1987 1984 1981 1978 -3 1975 Alors que faut-il en penser ? L’histoire montre qu’il est difficile d’énoncer une théorie des récessions qui permettrait d’annoncer à coup sûr le basculement de l’économie américaine en récession. Le secteur résidentiel semble jouer un rôle important dans ce mécanisme, notamment du fait de sa dépendance aux conditions de financement. Mais la récession de 2001 montre que l’on peut également connaître des récessions à cause d’autres segments de l’économie, l’investissement des entreprises en l’occurrence. Quoi qu’il en soit, elles font presque toujours suite à un durcissement de la politique monétaire dans un contexte où les activités cycliques ont atteint un pic. Aujourd’hui, le poids de ces activités cycliques est relativement faible, ce qui pourrait permettre à la réserve fédérale d’obtenir un « soft landing », c’est à dire un ralentissement de l’activité suffisant pour réduire les pressions inflationnistes sans basculer en récession, comme en 1994. C’est sans doute ce que la Fed cherchera à obtenir mais il est trop tôt pour dire si elle réussira ou non. 20% 1972 Il est peu probable que le durcissement actuel des conditions financières suffise à lui-seul à causer une récession, tout d’abord parce que les taux sont encore très en dessous de la croissance nominale de l’économie américaine, mais aussi parce que l’histoire montre que l’on peut observer un durcissement de celles-ci sans pour autant causer une récession, comme en 1987 ou en 1998 (voir graphique 10). À partir de 1998, les banques avaient durci progressivement leurs conditions d’octroi de crédit aux entreprises mais maintenaient celles pour les prêts hypothécaires à des niveaux avantageux. Il a fallu attendre 2001 pour que l’économie entre en récession et celle-ci a été très légère. Le durcissement des conditions d’octroi de prêts aux ménages semble avoir un impact plus rapidement (voir graphique 11). Graphique 9 Taux sur les Fed Funds et récessions Tension des conditions financières Le point commun de ces secteurs est d’être relativement sensible aux taux d’intérêts. On observe d’ailleurs que la plupart des récessions sont précédées d’un durcissement de la politique monétaire (voir graphique 9) mais les délais d’action de la politique monétaire étant « longs et variables », selon l’expression consacrée des banquiers centraux, ce durcissement peut mettre plus ou moins de temps à causer un basculement de la croissance. Source : Factset Graphique 11 Enquête sur les conditions d’octroi de crédit 100 >0: durcissement net <0: assouplissement net 80 60 40 20 0 -20 -40 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 Prêts aux entreprises Prêts immobiliers (total) Prêts immobiliers (prime) Prêts immobiliers (non-traditionnels) Source : Factset L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de mars 2016 et est susceptible de changer. www.lazardfreresgestion.fr LAZARD FRERES GESTION – S.A.S au capital de 14.487.500€ - 352 213 599 RCS Paris 25, RUE DE COURCELLES - 75008 PARIS 4/5 CONCLUSION 7 Récessions 6 5 4 3 2 1 2016 2013 2010 2007 2004 2001 1998 1995 1992 1989 1986 1983 1980 1977 1974 1971 0 1968 Comme nous l’avons vu, l’ISM manufacturier est un bon signal d’alerte sur l’économie américaine, mais il ne suffit pas à lui seul à envoyer un signal clair. C’est pourquoi il nous semble important de le coupler à l’analyse d’autres indicateurs. Les inscriptions hebdomadaires au chômage constituent selon nous un autre indicateur fiable de la conjoncture aux États-Unis et celles-ci sont très rassurantes. Le chômage a tendance à augmenter, lorsque l’économie commence à approcher une récession (voir graphique 12). Graphique 12 Inscriptions hebdomadaires au chômage en % de la population active Source : Factset A ce jour et compte tenu des éléments évoqués dans cette note, nous ne validons pas le risque d’entrée en récession de l’économie américaine. Les indicateurs susceptibles de remettre en cause notre scénario sont les suivants : Un net affaiblissement de certaines composantes cycliques de l’économie au travers d’indicateurs comme les ventes de voitures, les ventes de maisons neuves ; Un passage de la composante « nouvelles commandes » de l’ISM sous les 44 ; Des inscriptions hebdomadaires au chômage qui s’inscrivent à la hausse. Du fait de chocs externes ou d’éléments endogènes, l’économie peut connaitre des ralentissements temporaires sans pour autant basculer en récession. Notre analyse de l’économie américaine nous amène à penser que nous sommes davantage dans le cas d’un ralentissement de milieu de cycle qu’à l’orée d’une nouvelle récession. Le cycle de la croissance américaine devrait se poursuivre en 2016 selon nous. Julien-Pierre Nouen, économiste-stratégiste INSCRIVEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER pour suivre nos analyses en cliquant ci-dessous L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de mars 2016 et est susceptible de changer. SUIVEZ & PARTAGEZ l’actualité de Lazard Frères Gestion Site Internet Blog Linkedin www.lazardfreresgestion.fr www.lazardfreresgestion-tribune.com Lazard Frères Gestion Ce document n'a pas de valeur pré-contractuelle ou contractuelle. Il est remis à son destinataire à titre d’information. 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