La théorie des cycles Les analyses en termes d’état stationnaire induisent déjà l’idée d’une économie en mouvement perpétuel. Or, il est difficile d’imaginer un mouvement sans une évolution tendancielle : un océan de réflexion (eh oui Barbara !) s’ouvre alors aux économistes. On appelle cycles les mouvements de l’activité économique alternés, récurrents, d’amplitude et de périodicité régulières. (remarque : utilisé sans autre précision que le qualificatif « économique », le terme désigne les cycles Juglar). Comment cette théorie a-t-elle vu le jour ? Et surtout, que cherche-t-elle à nous faire comprendre ? 1. Historique de la théorie des cycles Pendant longtemps, les économistes et les historiens ne se sont véritablement intéressés qu’à la « crise » proprement dite, c’est-à-dire l’accident brutal, plus ou moins aléatoire. La controverse opposant, dans la première moitié du XIXe siècle, Say et Ricardo à Malthus et Sismondi sur la possibilité d’un engorgement général des marchés, l’illustre : la crise est une anomalie du système. Avec la perspective du cycle tout change : la crise devient normale, naturelle (la problématique de la crise est modifiée). Schumpeter parle ainsi d’un « incident pathologique dans un processus physiologique ». Les transformations économiques profondes du XIXe siècle ont engagé deux types de réflexion : - La rupture que représente la révolution industrielle, et dans un deuxième temps, la possibilité de sa reproduction (deuxième voire troisième révolution industrielle) ; - L’évolution autour d’une tendance centrale de variables économiques comme le prix, la production, les salaires, les taux d’intérêt…Et la recherche d’éventuelles correspondances entre elles (il semblerait par exemple que si les prix augmentent, la production devrait faire de même, et vice-versa (c’est pour toi, David…)). Dans l’entre-deux-guerres, la réflexion sur les cycles est devenue une « mode », et les théories, plus ou moins intéressantes, se sont multipliées (exemple : G.Haberler). Après la Seconde Guerre mondiale, on pense peu à peu avoir dépassé les cycles (croissance régulière…), et l’on se contente de problèmes de conjoncture (cf. Bronfenbrenner, qui pose la question : « Le cycle économique est-il obsolète ? »). Malheureusement, le retour au milieu des années 70 de la « crise » avec la croissance récessive ramène les anciennes interrogations. 2. Que sont-ce donc que ces cycles ? Avant toute chose, précisons que tout cycle se décompose en quatre phases : - L’expansion : mouvement ascendant avec tendance à la hausse des prix et des revenus ; - Le point de retournement qui interrompt la phase d’expansion (la fameuse « crise ») ; - La dépression ou récession (qui, avec la phase 2, correspond à la crise au sens courant) : contraction générale et cumulative de l’activité qui s’accompagne de la baisse des prix et revenus nominaux et de la montée du chômage (du moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale) ; - La reprise : deuxième point de retournement ; amorce d’un nouveau cycle. La typologie traditionnelle des cycles est donnée par Schumpeter , dans Business Cycles, a Theorical, Historical and Statistical Analysis of the Capitalist Process (1939) : celui-ci superpose trois types de cycles, les cycles Kitchin (courts, d’environ 3 ans), Juglar (moyens, 8 à 11 ans)et Kondratieff (longs, de l’ordre de 50 ans). L’hypothèse de Schumpeter est la suivante : chaque cycle long (ou vague)contient un nombre fini (2 à 3)de cycles moyens (ou majeurs, ou cycles des affaires, au choix), qui eux-mêmes ne sont qu’un amas (en gros 2) de cycles courts (ou mineurs). 3. Comment expliquer ces cycles ? Notons qu’on ne peut réellement parler de « cycle » qu’endogène, la phase de récession dépendant en effet de l’expansion précédente : on considère en effet l’économie entière comme cyclique, et non soumise occasionnellement à des chocs. Une première explication des cycles est monétaire : le financement est une contrainte. Par exemple, citons Juglar, qui s’est particulièrement intéressé au rôle du crédit bancaire en régime d’étalon-or. La Banque centrale surveille le montant de son encaisse métallique en fonction des billets en circulation. Les crédits se multiplient dans la phase d’expansion, et inquiètent finalement la Banque centrale (son encaisse métallique est trop faible) qui augmente son taux d’escompte, provoquant la récession et la crise. À côté de cela, Schumpeter, encore lui, interprète les cycles Kondratieff comme fonction des « grappes d’innovation ». L’innovation est une rupture (« destruction créatrice ») introduite par l’entrepreneur, copiée par des imitateurs qui font peu à peu baisser les perspectives de profit. L’épuisement de la grappe manifeste la récession, jusqu’à l’apparition d’une nouvelle (2 cycles au XIXe siècle : 1789-1848, la vapeur et 1848-1896, le chemin de fer et l’acier. Et pourquoi pas une nouvelle grappe aujourd’hui avec l’automobile, l’électricité et la chimie ?) Conclusion : N’oublions pas que, si cohérente qu’elle semble, la théorie des cycles a été vivement critiquée. Les observations, principalement faites sur les prix, sont-elles toujours possibles, ces derniers connaissant depuis le XXe siècle une tendance à l’inflation continue ? Ne doit-on pas bannir les cycles, qui ont tout de même une fâcheuse tendance à nous pousser à faire preuve d’historicisme (implacables, nécessaires…) pour leur préférer des « chocs », qui traduiraient la réalité d’un marché équilibré et qui s’auto-entretient ?