Revue Commerce - Novembre 2001
Léconomie nord-aricaine
et mondiale en récession
MAURICE N. MARCHON
Professeur à l'Institut d'économie appliqe
École des Hautes Études Commerciales
24 septembre 2001
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Avant la tragédie du 11 septembre 2001, l’économie mondiale était déjà en
récession pour la deuxième fois en quatre ans à cause, notamment, de
l’effondrement de l’investissement des entreprises américaines en technologies de
l’information et de l’effet de contagion sur les pays fournisseurs de la chaîne de
production mondiale des entreprises multinationales. On dit généralement que
l’économie mondiale est en récession lorsque son taux de croissance tombe
significativement sous son taux de croissance à long terme évalué à 3,5 %. En
2001, l’économie mondiale est en récession puisque nous estimons que son taux
de croissance s’élèvera à un peu moins de 2 %. La perte de confiance des
consommateurs américains à la suite de l’attaque terroriste en plein cœur de
l’Amérique a également fait basculer l’économie nord-américaine en récession et
a considérablement affaibli celle des autres pays industrialisés.
Notre objectif est d’évaluer l’impact de la tragédie du 11 septembre 2001
sur la performance de l’économie canadienne en 2001 et en 2002, tout en étant
bien conscients que plusieurs événements viendront brouiller les cartes au cours
des prochains mois. Rappelons immédiatement que le Canada se trouve en
première ligne en ce qui concerne les retombées économiques de la récession
américaine. Le graphique 1, qui représente l’évolution des PIB réels canadien et
américain du 1er trimestre de 1982 au 2e trimestre de 2001, illustre bien nos
propos puisque le coefficient de corrélation entre ces deux variables, exprimées en
taux annuels de variation, s’élève à 0,88. Il est donc nécessaire de bien cerner ce
qui se passe aux États-Unis pour prévoir l’économie canadienne.
Graphique 1
Taux annuels de variation des PIB réels canadien et américain
-4
-3
-2
-1
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
1982.1 1984.3 1987.1 1989.3 1992.1 1994.3 1997.1 1999.3
États-Unis Canada
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Coup fatal faisant basculer la confiance des consommateurs
Le ralentissement économique américain était déjà amorcé depuis le
2e trimestre de 2000, suite à l’implosion de la bulle spéculative du secteur de la
haute technologie et de l’effondrement des dépenses d’investissement des
entreprises en équipement de haute technologie. La réaction des entreprises a été
brutale, lorsqu’elles ont réalisé qu’elles étaient aux prises avec un excédent de
capacité et que leurs investissements dépassaient largement les taux de rendement
anticipés. Les entreprises américaines ont réagi à l’effondrement des profits en
reportant leurs projets d’investissement et en réduisant leur force de travail. Les
pertes d’emplois du secteur manufacturier ont atteint 1 million de travailleurs de
juillet 2000 à août 2001. Au cours de la même période, la création d’emplois dans
le secteur des services avait plus que compensé les mises à pied du secteur
manufacturier. Ce ne sera plus le cas au 2e semestre de 2001, car la pression sur
les profits est devenue si forte que les entreprises n’ont pas d’autre choix que
d’alléger leur force de travail. Par ailleurs, l’attaque du 11 septembre 2001 a porté
un coup fatal à la confiance des consommateurs américains. Le retrait de ces
derniers causé par la perte de confiance, les mises à pied et l’effondrement de la
bourse, ne feront qu’accélérer l’entrée de l’économie en récession. Ce n’est que
lorsque l’incertitude sera dissipée, en ce qui concerne les résultats éventuels de la
lutte contre le terrorisme, que le retour de la confiance permettra d’abord une
reprise de la bourse et, quelque mois plus tard, de l’activité économique.
À quand la reprise ?
L’économie américaine connaîtra donc au moins deux trimestres
consécutifs de contraction du PIB réel à cause des réactions décrites ci-dessus
mais aussi en raison des pertes sèches subies par le secteur des transports, du
tourisme et des assurances au 3e trimestre de 2001. Avant l’attaque terroriste, la
Réserve fédérale avait déjà réagi à la récession du secteur industriel en abaissant
le taux d’intérêt des fonds fédéraux de 300 points de base. Ce taux d’intervention
qui était passé de 6,5 % à 3 % le 17 septembre 2001 tombera maintenant à 2 % au
cours des prochains mois afin de soutenir la demande finale et rétablir la
confiance des investisseurs à travers le monde. Le puissant choc déflationniste
que vient de subir l’économie mondiale nécessite une diminution coordonnée des
taux d’intérêt de la part des banques centrales des pays industrialisés. C’est
d’ailleurs le scénario qui se déroule présentement puisque le ralentissement de
l’économie mondiale déjà en cours avant le choc du 11 septembre 2001, exerçait
d’énormes pressions à la baisse sur les prix des matières premières autres que
l’énergie. Le graphique 2 confirme la relation très étroite qui existe entre le taux
de croissance de la production industrielle des pays du G7 et l’indice CRB des
prix des matières premières brutes. Il est donc tout à fait normal que les banques
centrales inondent le marché de liquidités pour éviter la déflation mondiale et
redonner ainsi confiance aux investisseurs. Elles auront tout le loisir de changer
leur fusil d’épaule lorsque la reprise de l’économie mondiale sera amorcée. Par
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ailleurs, la politique fiscale américaine deviendra de plus en plus expansionniste à
cause des programmes d’aide à la reconstruction, de soutien aux compagnies
aériennes et en raison d’une éventuelle accélération des baisses d’impôts.
Graphique 2
Production industrielle des pays du G7 et indice des prix
des matières premières brutes
(en taux annuels de variation)
Notons toutefois que les freins à une reprise rapide et forte sont nombreux.
Premièrement, les consommateurs américains devront rétablir leur taux d’épargne
pour faire face à la diminution de la valeur nette des actifs financiers.
Deuxièmement, les entreprises américaines souffrent d’excédents de capacité qui
devront d’abord être absorbés avant de mettre en place des projets d’expansion.
En effet, le taux d’utilisation de la capacité qui est tombé à 76,2 % en août 2001
se situe bien en deçà de la moyenne des vingt dernières années qui s’élevait à
81,2 %. Finalement, la récession mondiale prive les entreprises d’une reprise
provenant de la demande extérieure, c’est pourquoi il est très important que des
actions concertées de soutien à la demande finale soient mises en œuvre.
Le Canada en plein dans la tourmente
L’économie canadienne est naturellement directement touchée par le
ralentissement des mouvements des personnes et des marchandises. Nos
exportations de marchandises à destination des États-Unis représentent 33 % de la
demande finale. La très forte décélération de nos exportations de biens causée par
la récession du secteur industriel des États-Unis avait déjà entraîné un arrêt de la
croissance de nos exportations de marchandises et une très forte décélération du
-4
-2
0
2
4
6
janv-87 janv-89 janv-91 janv-93 janv-95 janv-97 janv-99 janv-01
Production industrielle du G7
-20
-10
0
10
20
30
Matières premières brutes
Production industrielle du G7 Indice CRB des matières premières brutes
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taux de création d’emploi en 2001 (graphique 3). Le choc causé par l’attaque
terroriste portera un grand coup à nos échanges internationaux avec les États-
Unis. Il sera même nécessaire d’établir un espace de sécurité intégré avec notre
principal partenaire commercial si nous voulons préserver notre prospérité
économique.
La Banque du Canada, qui depuis le début de 2001, avait diminué son taux
directeur de 175 points de base comparativement à 300 points de base par la
Réserve fédérale américaine devra désormais suivre pas à pas la politique
monétaire américaine. Elle l’a déjà fait le 17 septembre 2001 avec une diminution
additionnelle de 50 points de base, mais nous prévoyons que le taux cible qui se
situe à 3,5 % atteindra un creux à 2,5 % au cours des prochains mois. Il serait
également souhaitable que les administrations publiques accélèrent la mise en
vigueur des baisses d’impôts prévues afin de soutenir la demande intérieure.
Notons finalement que les administrations canadiennes devraient abaisser les taux
marginaux de taxation pour soutenir la prise de risque qui doit être rapidement
encouragée dans un environnement de grande incertitude. La politique fiscale
devrait donc s’avérer plus expansionniste tant aux États-Unis qu’au Canada. Cela
n’ira pas sans une disparition des surplus budgétaires, mais c’est le prix à payer
pour amorcer une reprise en 2002 et atteindre un taux de croissance des PIB réels
américain et canadien à près de 2 %.
Graphique 3
Exportations de marchandises et création d’emplois – Canada
(en taux annuels de variation)
-6
-1
4
9
14
19
24
29
34
39
janv-88 janv-90 janv-92 janv-94 janv-96 janv-98 janv-00
Exportations de biens
-3
-2
-1
0
1
2
3
4
5
Emploi
Exportations de biens. Emploi
1 / 5 100%
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