Evaluation médico-économique et décision en santé

Inspection générale
des affaires sociales
Établi par
RAPPORT
- Décembre 2014 -
2014-066R
Marine JEANTET Alain LOPEZ
avec le concours de Nathalie DESTAIS
Membres de l’Inspection générale des affaires sociales
Evaluation médico-économique en santé
2 IGAS, RAPPORT N°2014-066R
IGAS, RAPPORT N°2014-066R 3
SYNTHESE
La présente mission, inscrite au programme de travail de l’IGAS, a pour objet d’étudier, en
France et dans d’autres pays européens, la relation existante entre les évaluations médico-
économiques et la prise de décision publique. Elle a été menée par Marine Jeantet et Alain Lopez,
avec le concours de Nathalie Destais.
L’évaluation médico-économique consiste à mettre en regard une évaluation des bénéfices
cliniques d’une stratégie de santé, d’une technologie ou d’un produit de santé et leurs coûts, en vue
d’une allocation optimale des ressources disponibles. En posant les termes des alternatives
envisageables, elle permet d’éclairer des choix. Mais elle ne fait pas la décision. Le cadre de
contraintes n’est pas popar elle mais par l’autorité publique confrontée à un certain contexte
économique et social.
1. LA PLACE DE LEVALUATION MEDICO-ECONOMIQUE, ENCORE MODESTE
EN FRANCE, PREND UNE PLACE DIFFERENTE SELON LES PAYS
L'insertion de l’évaluation médico-économique dans les procédures de décision est récente
en France. Elle porte principalement sur les produits de santé et sert de référence dans la
négociation du prix.
Alors qu’elle existe depuis les années 1990 en Angleterre, l’évaluation médico-économique
des produits de santé innovants et coûteux n’a été introduite en France qu’en 2012 dans les
procédures d'inscription au remboursement. Elle n’intervient pas directement pour l'admission au
remboursement, mais elle est prise en compte lors de la négociation du prix des produits de santé.
A ce jour, seuls 21 médicaments ont bénéficié d’une évaluation par la commission évaluation
économique et de santé publique (CEESP) qui rend son avis sur la base du dossier présenté par
l’industriel. Il est difficile d’apprécier l’importance exacte de la place de cette évaluation médico-
économique, car on ne dispose que de très peu de recul, aucun prix n’ayant encore été fixé en
application de cette nouvelle procédure.
Les vaccins bénéficient toutefois depuis 1997 d’une évaluation médico-économique. En
effet, le comité technique des vaccinations (CTV) s’appuie sur des études qu’il commandite pour
établir la stratégie vaccinale des nouveaux vaccins. En revanche, ces études n’interviennent pas
réellement pour la négociation de leur prix. La majorité des autres pays européens disposent
également d’un comité d’experts spécialisé chargé d’établir les recommandations vaccinales.
En dehors de ces deux domaines, la place de l’évaluation médico-économique dans les
processus de décision est plutôt réduite en France. La plupart des recommandations de pratique
clinique de la haute autorité de santé (HAS) ne s’appuie pas sur une évaluation médico-
économique, l’approche médicale prévaut encore largement. Très peu de travaux d’évaluation
portent sur les parcours et sur les organisations de soins.
Quant aux projets d’investissements hospitaliers dépassant un montant de 50 M€ HT, ils sont
certes soumis à une évaluation dite « socioéconomique » depuis 2013. Mais il s’agit plutôt d’une
analyse de soutenabilité. Aucune comparaison avec des solutions alternatives n’est effectuée. Il n’y
a pas non plus de mise en perspective territoriale du projet.
4 IGAS, RAPPORT N°2014-066R
Dans d’autres pays européens, l’évaluation médico-économique sert à déterminer le
panier de soins remboursables.
En Angleterre, l’évaluation économique des technologies de santé n'intervient que
marginalement et indirectement dans des négociations financières entre autorités gestionnaires du
NHS et industriels mais elle contribue en revanche directement et de façon déterminante à la
gestion du panier de soins pris en charge par le NHS. En Suède, la liste des produits de santé
remboursés par la collectivité, leur taux de remboursement des produits de santé et leur prix, sont
également déterminés sur la base d’une évaluation médico-économique.
Par ailleurs, en Angleterre, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) a
introduit l'analyse coût-efficacité dans toutes les recommandations de pratique clinique et de santé
publique. Pour ce faire, il finance des recherches universitaires médico-économiques sur ces
champs.
Le choix a été fait en France d’internaliser l’évaluation au sein de quelques structures
publiques, à l’inverse de l’Angleterre qui s’appuie sur une expertise universitaire et qui se
distingue par une transparence complète du processus d’évaluation.
La HAS a une compétence générale d'évaluation médico-économique qui s'applique aux
stratégies de prise en charge (y compris les stratégies de prévention), aux produits de santé et aux
protocoles de coopération entre professionnels de santé. Elle a recours principalement à une
expertise interne pour exercer ses missions. De même, le CTV s’appuie sur l’institut de veille
sanitaire (InVS) et sur quelques chercheurs pour mener ses travaux.
A l’inverse, l’Angleterre a privilégié une externalisation de son expertise. Les contributeurs
extérieurs du NICE sont quatre fois plus nombreux que ses effectifs propres. Toutes les missions du
NICE impliquent des équipes académiques. Les incitations sont fortes pour les universités, qui
trouvent dans ces travaux d'expertise publique une source de financement précieuse.
L’Angleterre se distingue également sur la place qu’il réserve aux parties prenantes à toutes
les étapes d’évaluation. Les choix des sujets traités par le NICE fait l’objet de débats. Des groupes
de patients et les sociétés savantes peuvent faire des suggestions. Les projets d’avis et de
recommandations sont publiés sur le site internet à chaque étape du processus, ce qui permet aux
parties prenantes de signaler des erreurs ou des imprécisions. Les réunions des commissions sont
également ouvertes au public. La transparence du processus est un principe fondamental du
fonctionnement du NICE. Cet organisme assume le risque de voir ses écrits provisoires violemment
attaqués car cela lui permet de tester au fur et à mesure la façon dont les patients et les médecins
comprennent et réagissent à ses travaux. Il recherche par ce processus une meilleure acceptabilité
des recommandations finales par le public et les professionnels de santé.
L’élaboration du programme annuel de travail du KCE en Belgique obéit aussi à une
procédure publique selon un calendrier précis.
Contrairement à l’Angleterre, la France a fait le choix d’une évaluation médico-
économique informationnelle.
L’évaluation médico-économique en France a pour objectif d'enrichir l’information du
décideur mais elle ne détermine pas automatiquement des choix. Tous les avis documentant
l’efficience sont consultatifs, qu’ils soient produits par le CTV, la HAS ou le comité
interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers
(COPERMO). Le décideur peut s’appuyer dessus mais reste libre de prendre en compte d’autres
paramètres.
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A l’inverse, l’avis du NICE détermine le panier de soins pris en charge par le National
Health Service (NHS). La décision est fonction d'un seuil monétaire rapportant l’efficacité
thérapeutique additionnelle du produit au supplément de coût induit. Il a été établi en 2004, par
consensus d'experts, sous la forme d'un intervalle de 20 000 à 30 000 £ par QALY. Cet intervalle
de décision ne s'applique cependant pas à certains types de traitements, pour lesquels d'autres
considérations ont conduit à abaisser l'exigence d'efficience, comme par exemple les traitements en
fin de vie, les anticancéreux ou les médicaments orphelins.
Les liens entre recherche et évaluation médico-économique sont encore ténus en France
alors qu’ils sont centraux en Angleterre.
Depuis 2000, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) a lancé un programme de
soutien aux technologies innovantes et coûteuses (PSTIC), transformé en 2013 en programme de
recherche médico-économique (PRME). Mais le nombre de projets financés est faible : seuls 7
programmes ont été sélectionnés en 2013. Ils représentent un total de près de 13 M€. De même, le
bilan des programmes de recherche sur la performance du système de soins (PREPS) visant à
financer des projets de recherche relatifs à l’organisation de l’offre de soins, est modeste : 20
projets ont été financés depuis 2007, pour un montant total de 4,3 M€.
En Angleterre, le lien entre les missions du NICE et le milieu académique repose en grande
part sur une institution partenaire et complémentaire, l'Institut national de la recherche en santé
(National Institute of Health Research - NIHR). Ce dernier joue un rôle capital à la fois dans la
structuration de l'offre académique, que dans l'intermédiation des commandes du NICE auprès des
centres de recherche et dans l'orientation de l'effort de recherche vers des sujets touchant
concrètement aux pratiques professionnelles et aux résultats de santé. Il centre en effet les travaux
de recherche sur les zones l’allocation des ressources du NHS est jugée peu efficiente. Cela
reviendrait, en France, à envisager qu’une partie des financements de recherche soient alloués en
lien avec les constats des rapports charges et produits de l’union nationale des caisses d’assurance
maladie (UNCAM).
Le NIHR a ainsi contribué de manière essentielle à l'expansion de la capacité de recherche en
économie de la santé en Angleterre, capacité sur laquelle est assise la mission d'évaluation des
technologies de santé du NICE. Aujourd'hui la majorité du financement de la recherche en santé et
en économie de la santé passe par cette institution.
2. L’EVALUATION MEDICO-ECONOMIQUE FAIT LOBJET DE CRITIQUES
PARFOIS FONDEES, SOUVENT CONTESTABLES
L’évaluation médico-économique est souvent jugée compliquée et longue à réaliser. Parfois
elle est considérée comme inutile ou impossible. Confondue avec un rationnement des soins, elle
peut être estimée par certains comme néfaste pour la santé des personnes.
La qualité des évaluations est parfois décevante
Les défauts de qualité des évaluations s’expliquent en grande partie parce que les moyens
consacrés en France par les administrations et établissements publics à l’évaluation médico-
économique sont modestes. Les agences régionales de san(ARS) par exemple ne disposent pas
des professionnels ayant des compétences suffisantes pour leur permettre de préparer de façon
satisfaisante le cahier des charges de telles études confiées à des opérateurs externes et de suivre
leur bonne mise en œuvre.
Par ailleurs, le vivier des économistes de la santé compétents dans cette matière n’est pas
abondant. Les évaluations médico-économiques ne sont pas un domaine d’investissement
intéressant pour les économistes français : la participation à de tels travaux n’est pas valorisée par
le milieu universitaire car ils ne sont pas considérés comme de la recherche.
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