Cette question de la « pertinence » des arrêts de travail a aussi été au cœur d’une récente réunion
entre l’assurance-maladie et les syndicats de médecins. En 2014, la « Sécu » a versé 9,3 milliards
d’euros d’indemnités journalières et elle souhaite mieux encadrer la délivrance de ces arrêts en
incitant financièrement les médecins à mieux respecter certains référentiels de bonne pratique.
« Les "professionnels" de l’arrêt de travail existent »
Une volonté de « standardiser » nos prescriptions, se sont insurgés les syndicats. « Aujourd’hui, il y
a des médecins qui sont harcelés par la Sécu à cause de leurs prescriptions », affirme le docteur
Fadila Bouneb, généraliste à Meaux. Ces médecins ne contestent pas la réalité de certaines
demandes abusives. C’est vrai que les gens employés dans des secteurs protégés, sans risque de
perte d’emploi, ont tendance à demander des arrêts plus fréquents ou plus longs », indique Marie-
Hélène Certain, généraliste aux Mureaux (Yvelines) et membre du syndicat MG France. « Mais ces
patients restent ultra-minoritaires. Et il faut cesser de dire qu’on distribue des arrêts à la chaîne »,
ajoute-t-elle.
En écho au reportage de France 2, le docteur Jung estime qu’un médecin n’a pas vocation à estimer
que derrière chaque patient se cache un fraudeur potentiel. « Quand un patient me dit qu’il est
épuisé ou qu’il a mal quelque part, mon travail est d’essayer de comprendre pourquoi, dit-elle. De
lui parler, de faire un examen clinique. Mais en médecine, on n’a pas des examens pour tout vérifier.
Face à un patient qui me dit qu’il va mal, mon rôle de médecin est d’abord de penser qu’il me dit la
vérité. »
Des patients qui veulent travailler coûte que coûte
Dans leur cabinet, ces généralistes voient aussi beaucoup de personnes qui ne demandent qu’une
chose : tout, sauf un arrêt de travail. « C’est quelque chose qu’on ne voyait pas il y a dix ou vingt ans.
Des patients souffrant d’un vrai problème de santé mais qui veulent continuer à travailler coûte que
coûte. Parce qu’ils ont peur d’être sanctionnés, d’être mal vus ou d’être virés », explique le docteur
Christian Bianchi, qui exerce dans le Gers.
« Il faut arrêter de penser que tous les patients veulent rouler la Sécu ou leur employeur. Ce matin,
j’ai vu un fonctionnaire qui ne voulait pas s’arrêter en dépit d’une sciatique pour laquelle un arrêt
aurait été justifié », explique le docteur Philippe Zerr, généraliste à Levallois-Perret (Hauts-de-
Seine).
Tout en jugeant légitime de traquer les abus, ces médecins s’agacent de n’entendre parler des arrêts
de travail que sous l’angle de la fraude. « Car le plus fréquent, c’est de voir des patients cassés par
un travail physiquement très usant, confie le docteur Jung. Des gens de 57 ou 58 ans qui ont bossé
toute leur vie et qui, au bout d’un moment, n’en peuvent tout simplement plus. Le travail, cela abîme
et il faudrait que la société s’en rende compte. »
Le plus souvent, ces patients « au corps laminé par le boulot » se retrouvent en arrêt de longue
durée. Parce que le médecin, même avec tout son savoir, n’a pas de baguette magique pour régler
tous leurs problèmes. « Souvent, ces salariés sont très difficiles à reclasser car ils ont exercé durant
toute leur vie ce métier qu’ils ne peuvent plus faire aujourd’hui. Alors, ils restent en arrêt maladie
durant deux ou trois ans avant une mise en retraite anticipée », souligne le docteur Goudier.
« On voit de plus en plus de gens en dépression »
Et puis, il y a cette autre souffrance liée au travail. Ces patients qui, dans le secret du cabinet du
médecin, confient qu’ils vont travailler avec une « boule au ventre ». Sans jamais pouvoir se défaire