La psychologie politique
tant que celui-ci est à la fois acteur, penseur et « pensé ». Sauf à se maintenir dans une pure
extériorité descriptive qui lui interdirait à terme toute véritable possibilité d'intégration de ses
savoirs, la psychologie politique présuppose ainsi une théorie spécifique du citoyen
:
l'être qui
porte dans sa définition même l'individualité et la socialite, complémentaires, concomitantes ou
concurrentes au sein d'une situation historique particulière (1).
Ce « Sujet » n'a donc que partiellement le gouvernement de lui-même, puisque son
hétéronomie lui est constitutive. A cet égard, il y a toujours quelque vérité à le considérer
d'abord comme un « assujetti ». Par contraste, il n'est pas inintéressant d'évoquer ici cette
figure significative et irréductible de notre culture que présente depuis près de cent cinquante
ans l'œuvre de Max Stirner. Précisément, la position radicale du Sujet que revendiquait sans
concession l'auteur de L'Unique et sa propriété n'a pu être assimilée, on le sait, ni par la
psychologie, ni par la morale, ni par la politique. On peut en tirer pour notre propos un
enseignement si l'on s'avise de ce que le
subjectif,
en son sens fort, s'oppose au sériel
(l'objectivité est d'ailleurs définie dans les sciences comme une sérialité: la fidélité de
l'observation ou de la mesure, donc l'équivalence fonctionnelle entre les « juges » observateurs).
Dès lors, si la psychologie
s'est
largement posée comme la théorie de la sérialité du Sujet
psychologique, on peut admettre que la psychologie politique s'identifie à la théorie de la
sérialité du Sujet politique tel qu'il a été défini plus haut. L'Unique stirnérien apparaît alors bien
comme une frontière « résiduelle » à jamais repoussée.
D'un point de vue cette fois plus technique, le cognitivisme aujourd'hui dominant peut
inciter à tenir le Sujet de la psychologie politique pour un « Système de Traitement de
l'Information ». Il est incontestable, de fait, que le Sujet-citoyen gère, combine et transforme des
informations qui lui viennent notamment de l'interaction sociale et de l'exposition aux médias
:
il mémorise, compare, reconnaît, classe, raisonne, infère, etc. L'analyse de cet aspect est
indispensable à la compréhension du citoyen « penseur » et de ses productions.
Le citoyen, toutefois, n'est pas complètement réductible à un STI (ou alors cette notion
deviendrait tellement large qu'elle équivaudrait à un truisme)
:
car d'une part le citoyen ne peut
être caractérisé comme une instance autonome de cognition dans la mesure où il est pensé, à la
fois discursivement et institutionnellement
;
d'autre part, on ne doit pas oublier qu'il agit,
c'est-à-dire qu'il est aussi le créateur de l'événement, donc de l'information. Dans l'ordre
sociopolitique, disons dans l'histoire, l'émergence, l'innovation et la rupture ne découlent pas
directement de la réorganisation du symbolique, mais d'un véritable « travail du réel ». Doit-on
rappeler que les révolutions, par exemple, ne sont pas des traitements de l'information?
Le problème, c'est l'origine, considérée dans ses marques proprement sociales, de
l'information que le citoyen reçoit, et l'origine (entendue comme genèse) des schémas divers
selon lesquels il la traite. Symétriquement, le problème tient aussi aux effets sociaux de ce
traitement et à leurs conséquences en retour. En d'autres termes et puisqu'il est question de
« machines », encore convient-il de situer rigoureusement celles-ci dans un procès global de
production, avec un amont et un aval. Si elle est appliquée indistinctement ou si, à plus forte
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