La traduction du social à l’individuel qu’opère la personno-
logie des dominants repose principalement sur trois mythes.
Ces mythes contribuent autant à souligner le rôle actif de la
personne qu’à destituer celui du groupe et de la classe sociale
sur les destinées individuelles. Le premier mythe amoindrit
l’impact de l’appartenance à une classe en faisant de celle-ci
l’expression d’états temporaires, transitoires, voire imprévisi-
bles, dans le devenir d’un individu. L’existence des classes, si
tant est que l’observateur l’admette, est communément opposée
aux ordres ou états de l’Ancien Régime, aux castes indiennes, à
certains groupes dans les régimes totalitaires (les gens de
couleur dans l’Afrique du Sud d’avant 1994), à des minorités
particulières comme les sectes à fonds religieux, ou à d’autres
que la marche de l’histoire a laissées sur le bord du chemin (les
Maoris en Nouvelle-Zélande, les Juifs orientaux en Israël, les
Buraku au Japon, les «exclus», etc.). La simple évocation de
l’existence de ces groupes semble absoudre les classes sociales:
le contraste entre des classes fluides et perméables, et des castes
cristallisées et imperméables, vante le spectacle d’une société où
les inégalités sont à ce point dispersées et inarticulées qu’elles
ne forment même plus système (cf. Boudon, 1998). Partant, les
classes deviennent des additions de personnes qui sont «ouver-
tes aux possibles, conscientes de l’éventail infini des plaisirs et
satisfactions offerts à ceux qui désirent mordre la vie à pleines
dents, ne craignant pas l’embarras ou l’échec, avides de nouvel-
les expériences, fières de leur capacité à prendre des décisions.
D’ordinaire, cette capacité est vue comme une qualité person-
nelle; ...les possibilités de choix sont comprises comme étant, au
fond, construites par soi-même» (DeMott, 1990, p. 147).
Le deuxième mythe appelé au secours de l’idéologie
individualiste réduit les attributs de classe à la possession par
tous les individus mais à des degrés divers de quelques qualités
morales et intellectuelles. L’intelligence, l’autodiscipline et
l’effort permettent en effet de juger de la supériorité des uns et
de l’infériorité des autres. Les classes sociales ne sont dès lors
que «poudre aux yeux». Un fait relaté par DeMott illustre la
m a n i è re dont cette personnologie est mise au service des
Individus, groupes et structure sociale
29