Le groupement villageois : pertinence d`une organisation d

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Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca
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Économie et Solidarités
, vol. 34, no 1, Marguerite Mendell et Benoît Lévesque,
responsables
RÉSUMÉ • Cet article traite de la pertinence du grou-
pement villageois (GV) face à l’apparition récente de
nouvelles organisations paysannes. Contre la thèse qui
prône la fin des GV, l’article laisse entendre que celui-ci
a encore un rôle essentiel à jouer comme acteur de déve-
loppement socioéconomique, dans le contexte actuel de
sous-équipement agricole des paysans, d’insuffisance
d’offre de crédit, de déficit d’offre de biens et services
publics. En fait, au plan conceptuel, le GV est une
organisation d’économie sociale de «type associatif
communautaire». Il combine en son sein, de manière
structurelle, l’économique et le social, le marchand et le
non-marchand, le marché et la solidarité associative, le
tout au service du développement socioéconomique du
territoire villageois. Malgré les limites que lui imposent
sa nature et les stratégies d’acteurs, il est plus apte que
les organisations professionnelles naissantes à traduire
l’intérêt collectif et à promouvoir le développement
socioéconomique du village.
ABSTRACT • This paper examines the relevance of
the “groupement villageois” or GV (community-based
village organization) in Burkina Faso compared with the
more recent peasant organizations. GV’s seem to be
facing their demise. However this article suggests that
the GV’s still have an essential role to play in rural eco-
nomic development, due to the under-development of
the rural areas, the inadequacy of the rural credit market
and the deficit supply of public goods and services. In
fact, on a conceptual level the GV’s can be considered a
“community-based social economy organization”, for
they combine within their very structure both an
economic and a social outlook, both the market and a
community-based solidarity, in order to better serve the
socio-economic development of the village. In spite of
Le groupement villageois :
pertinence d’une organisation
d’économie sociale
au Burkina Faso
1
SOULEYMANA SOULAMA
Agrégé de la Faculté
des sciences économiques
Université de Ouagadougou
Burkina Faso
Hors thème
Économie et Solidarités, volume 34, numéro 1, 2003 137
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limits due to its nature and the strategies of various actors, the GV’s are more apt
than the new professional peasant organizations to promote public interest and the
socio-economic development of the entire village.
RESUMEN • Este artículo trata de la pertinencia del groupement villageois (GV)
en Burkina-Faso frente a la aparición reciente de nuevas organizaciones campesinas.
Contra la tesis que vaticina el fin de los GV, el artículo sugiere que estos regrupa-
mientos juegan aún un rol esencial como actores de desarrollo socioeconómico en
el contexto actual de sub-equipamiento agrícola de los campesinos, de la
insuficiencia de créditos, del déficit de bienes y servicios públicos. De hecho, en el
plano conceptual, el GV es una organización de economía social de tipo comunitario.
Combina de manera estructural, lo económico y lo social, lo mercantil y lo no
mercantil, el mercado y la solidaridad asociativa, todo ello al servicio del desarrollo
socioeconómico del territorio local (comunidad campesina). A pesar de los límites
que son impuestos por la naturaleza y las estrategias de los actores, el GV logra
traducir mejor que las organizaciones profesionales en emergencia el interés
colectivo y promover el desarrollo socioeconómico de toda la comunidad campesina.
INTRODUCTION: LE GROUPEMENT VILLAGEOIS (GV),
UNE ORGANISATION EN VOIE DE DISPARITION ?
Les années 1990 ont été marquées au Burkina Faso2, par l’émergence de nou-
velles organisations paysannes3 et le risque de disparition4 des groupements
villageois. Cette situation a été favorisée par le processus de mondialisation et
de désengagement de l’État qui, tous deux, poussent à la spécialisation des
organisations paysannes dans le milieu rural, à leur professionnalisation. Les
théories économiques explicatives de l’émergence des nouvelles organisations,
fondées sur l’individualisme méthodologique et l’ «économisme » semblent
corroborer la thèse de la fin des groupements villageois. Les performances éco-
nomiques et sociales parfois mitigées des groupements villageois et/ou le
surendettement des groupements villageois des zones cotonnières achèvent de
convaincre de l’inutilité de ces derniers et de la nécessité de passer à des formes
d’organisation «supérieures». Tout se passe donc comme si les nouvelles
organisations paysannes étaient de même nature, de «qualité supérieure» et
substituables aux groupements villageois; ceux-ci auraient fini de jouer un rôle
significatif dans le développement économique et social. Certes, la littérature
abondante et parfois critique qui leur a été consacrée, notamment dans les
décennies 1970 et 1980 (Gosselin, 1969; Belloncle, 1978, 1984 ; Esman et Uphoff,
1984; Gentil, 1984, 1986 ; Pradervand, 1989; Mercoiret, 1992; Jacob et Lavigne
Delville, 1994; Olivier de Sardan, 1995), pourrait laisser croire que tout a été dit
sur les organisations coopératives et de type coopératif. Cette littérature a
éclairé, en effet, bien des aspects des organisations paysannes en Afrique. Les
critiques sur l’égalitarisme et la solidarité africaine (Meister, 1977; Gentil, 1984),
la mise en garde contre l’universalisme coopératif (Belloncle, 1984), la mise en
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évidence des stratégies des acteurs à l’intérieur des organisations paysannes
(Jacob et Lavigne Delville, 1994; Olivier de Sardan, 1995), l’échec de nombreuses
expériences ont montré les limites effectives des organisations paysannes. La
littérature économique plus récente, économie des organisations et des institu-
tions, théorie du capital social, a inspiré une théorie explicative de l’efficacité
des organisations paysannes et remis à l’ordre du jour la problématique des
organisations paysannes. Ce qui est toutefois en cause aujourd’hui, c’est moins
la question de l’efficacité absolue des groupements villageois, de leurs limites,
que celle de leur existence même en tant qu’organisations paysannes.
L’émergence des nouvelles organisations paysannes pose en effet le pro-
blème de la pertinence du groupement villageois. Cet article laisse entendre que,
si le groupement villageois est défini comme étant une organisation d’écono-
mie sociale à l’échelle du village, alors il a encore un rôle essentiel à jouer dans
le processus de développement économique et social dans les milieux ruraux.
Il en est ainsi en premier lieu parce l’existence même au niveau villageois de
besoins qui ne sont pris en compte ni par le secteur privé, ni par l’État, et donc
l’existence d’une fonction de production de biens et de prestations de services
collectifs au niveau villageois justifie de fait l’existence des groupements
villageois. En conséquence, la disparition des groupements villageois et leur
remplacement dans un même village, par une multitude d’organisations spé-
cialisées, de nature différente, et dont les missions sont également différentes,
feront en sorte que des fonctions essentielles jadis remplies par les groupements
villageois risquent de ne plus l’être. Par exemple, il s’agit d’abord de la fonction
importante de production des biens et services collectifs au niveau villageois;
il s’agit ensuite de la fonction d’intermédiation avec l’extérieur: désormais, qui
va prendre en charge au niveau du village, la dimension collective du dévelop-
pement économique et social, la construction et l’entretien des infrastructures
collectives (écoles, centres de santé, construction de barrages, etc.)? Qui va
jouer le rôle d’intermédiation entre le village et les intervenants extérieurs?
Outre le fait que la spécialisation généralisée des organisations paysannes n’est
pas compatible avec les systèmes traditionnels de production où les produc-
teurs gèrent le risque en diversifiant leurs productions et leurs activités plutôt
qu’en se spécialisant, la spécialisation actuelle des organisations paysannes est
favorable au développement d’un individualisme qui conduit à l’abandon
de la fonction de production d’un surplus collectif au niveau villageois et de
son affectation dans l’intérêt de la collectivité villageoise. Les organisations
paysannes émergentes ont-elles pour mission de résoudre les problèmes
socioéconomiques à l’échelle du village? Le mode d’affectation de leur surplus
à l’avantage de leurs seuls adhérents les détourne des objectifs communautaires.
On peut imaginer que les organisations professionnelles de producteurs d’un
village s’accordent pour mettre en place une structure de coordination, de
concertation et un mécanisme de constitution d’un fond villageois affecté à la
production des biens et services collectifs; mais ce processus ne fera que
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confirmer a posteriori l’insuffisance des organisations professionnelles et
la nécessité d’une institution de type «groupement villageois» si tant est que
celle-ci est chargée de la production et de l’affection du surplus au niveau du village.
En deuxième lieu, il apparaît que la manière la plus efficace de combler
le déficit d’offre de biens et services collectifs au niveau villageois est de pro-
céder par l’association de l’économique et du social au sein d’une même unité
de production; cela justifie la nature de ces institutions en tant qu’organisation
d’économie sociale. Il existe donc une place dans les villages pour les organi-
sations d’économie sociale qui opèrent non pas au niveau des spécialisations,
mais à l’échelle même du village. Les nouvelles organisations paysannes ne sont
donc pas substituables aux groupements villageois. Dès lors, montrer qu’il
existe des fonctions de production de biens et services collectifs à l’échelle du
village, que ces biens et services sont d’autant mieux produits qu’ils le sont par
des organisations d’économie sociale, que le groupement villageois est une
organisation d’économie sociale, aide à faire la différence entre celui-ci et les
organisations émergentes, aide à préciser le rôle et la fonction des groupements
villageois aux côtés des autres organisations paysannes, à évaluer leurs perfor-
mances économiques et sociales. Il devient possible de «réhabiliter » ainsi le
groupement villageois, si l’on remet au premier plan les questions fondamen-
tales relatives à la nature même de ces organisations au plan théorique et
conceptuel, à la nature des activités qu’elles peuvent prendre en charge avec
succès, à la nature et à la destination du surplus qu’elles génèrent. Ne s’agit-il
pas en fait, d’une composante de l’économie sociale à l’échelle du village tout
entier? Quelle est sa particularité ? L’approche officielle du groupement villa-
geois éclaire très peu sur la nature et les fonctions précises de ce dernier par
rapport à l’économie sociale malgré le qualificatif officiel de «pré-coopérative»
qui situe le groupement villageois dans le champ de l’économie sociale et sous-
entend une transformation nécessaire du groupement villageois en coopérative.
La réponse à ces questions passe par l’examen des activités économiques mises
en œuvre par les groupements villageois, d’une part, et, d’autre part, par la
caractérisation du mode d’affectation du surplus engendré par ces activités pro-
ductives. À un certain niveau d’abstraction, on peut admettre, toutes activités
productives confondues, que le groupement villageois est une organisation
d’économie sociale de «type associatif communautaire », une unité de produc-
tion d’un surplus collectif à l’échelle d’un village et d’affectation de ce surplus
au profit de la communauté villageoise.
Pour mener cette analyse, on montrera dans un premier temps, l’importance
qu’ont eu les GV dans un passé récent au Burkina Faso tant du point de vue de
leur effectif que du point de vue des activités menées et des fonctions assurées;
dans un deuxième temps, l’étude de leurs performances organisationnelles et
économiques de même que du mode d’allocation des ressources et d’affectation
du surplus permettra de les caractériser comme étant une composante de
l’économie sociale et de discuter de leur pertinence dans un troisième temps.
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LE GROUPEMENT VILLAGEOIS,
RÉALITE AU BURKINA FASO
La formule du groupement villageois (groupement villageois au Burkina Faso
et au Bénin, Association villageoise au Mali et au Sénégal, groupement villageois
à vocation coopérative en Côte-d’Ivoire…) est apparue dans les années 1970,
sous le vocable de développement communautaire. Les textes portant sur le
statut général des Groupements pré-coopératifs et sociétés coopératives au
Burkina Faso5 définissent les groupements villageois comme étant «des orga-
nisations volontaires à caractère économique et social jouissant de la person-
nalité morale et dont les membres ont des intérêts communs». Leur objet s’étend
à «toute activité économique, sociale et culturelle visant au bien-être de leurs
membres et de la communauté». Implicitement, le groupement villageois
est une organisation de développement socioéconomique qui associe en son
sein, de manière structurelle, l’économique et le social, le marchand et le
non-marchand, le tout, au service du développement socioéconomique du
territoire villageois. C’est dans cette perspective que le groupement villageois
a constitué, jusqu’au milieu des années 1990, la structure de base des stratégies
de développement rural.
Les groupements villageois,
quelques évidences empiriques
Avec un effectif de plus de 15000 groupements villageois en 1996 contre
120 coopératives environ, toute catégorie confondue, le groupement villageois
est la composante la plus importante des organisations paysannes au Burkina
Faso. On distingue respectivement (tableau I) selon le sexe, l’âge et l’activité,
les groupements villageois des hommes (51,80%), les groupements villageois
des femmes (30,60%) et les groupements villageois mixtes (13,20%). Les autres
catégories, d’importance moindre, groupements des jeunes agriculteurs,
groupements des jeunes installés et groupements autour des barrages, repré-
sentent 5,50% des effectifs. L’appartenance du membre au terroir villageois
est un critère essentiel d’adhésion même si la référence au terroir villageois
n’empêche pas qu’il y ait une différenciation des sous-groupes ou sous-sections
de l’association villageoise, selon le sexe, les groupes d’âges ou la profession.
Le groupement est donc une association préalable des membres d’un territoire
villageois; ensuite seulement, il entreprend dans l’intérêt de ses membres des
activités productives qui peuvent n’intéresser qu’un sous-ensemble des membres
du groupement initial. C’est pourquoi les groupements villageois ont été et
sont encore les partenaires et intermédiaires privilégiés de nombreuses orga-
nisations non gouvernementales (ONG) et/ou associations de développement
qui interviennent dans les milieux ruraux. Dans presque toutes les situations
d’intervention au profit d’un village, d’une région ou d’un département, l’exis-
tence préalable ou la constitution de groupements villageois (ou d’unions de
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