Le conseil génétique de la drépanocytose : difficultés et paradoxes Marie-Pierre de Torhout Lehougre Psychologue clinicienne Unité des Maladies Génétiques du Globule Rouge Hôpital Henri Mondor – Créteil [email protected] 3e journées de la drépanocytose en Martinique Le 19 – 20 – 21 février 2013 – Trois Ilets 1ère étape Se découvrir AS …. Et un couple à risque … Une analyse biochimique pour découvrir un trait génétique Parce qu’il ne fait pas intervenir le gène, le test de dépistage du trait se fait sans consentement et donc sans explication préalable. Sa découverte n’est souvent pas anticipée On sait pourtant combien il est plus facile d’informer quelqu’un qui a cherché à l’être ! Ne minimisons pas cette découverte C’est toujours un évènement troublant voir inquiétant Inquiétude pour la santé : paradoxe de l’hétérozygotie : Comment transmettre quelque chose dont on ne souffre pas ? …Au passage : abandonnons définitivement le terme « drépanocytaire AS » « drépanocytaire hétérozygote » qui ne fait qu’entretenir la confusion Une blessure narcissique : pourquoi moi ? qui alimentera un sentiment d’injustice, voir la recherche du coupable Une découverte qui inquiète fortement pour la descendance Le trait S s’inscrit dans l’existence du sujet et d’héritier il en fait un transmetteur Un saut dans l’abstraction dont il faut saisir le sens Par une interprétation des pourcentages (HbS, HbA) : Parfois par une appropriation sur le mode somatique : Évocation de douleurs qui disent la difficulté d’être à la fois «porteur» et «sain», « transmetteur » et «non malade » Par la référence aux modèles connus : séropositif /séronégatif – bénin /malin - partiel/total Par l 'évocation des groupes sanguins : confusion en raison des lettres des Hbs, Par des références religieuses : « dieu qui protège ou dieu qui punit » Ou encore par une revendication communautaire : Pourquoi nous les noirs ? Car pour la psyché le hasard n’existe pas Des risques de confusion et d’incompréhension Comme pour toute annonce concernant la santé, la tension psychique et l’angoisse contribuent à induire de la confusion, parfois de l’incompréhension : « on m’avait dit que j’avais le trait mais on ne m’a jamais dit que j’étais AS ! » Lorsque le trait est découvert chez une femme enceinte La menace se fait plus aiguë et plus pressante. Il faut convaincre le père de faire le test (Tâche souvent dévolue à la mère) Et convaincre le couple (la mère) de se rendre en consultation de conseil génétique Le conseil génétique Loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humains, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal code de la santé publique français : Article L. 162.16 CSP : issu de la loi du 29 juillet 1994 sur le diagnostic prénatal (DPN). « Il s’entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utéro chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Il doit être précédé d’une consultation médicale de conseil génétique » Son but Délivrer aux parents d’un enfant atteint ou aux membres d’un couple à risque les informations concernant : La nature de la maladie Son mode de transmission L’existence d’un Dépistage Néonatal (DNN) La possibilité de recours au Diagnostic Pré Natal C’est le préalable incontournable à la demande de DPN selon les termes de la Loi Ultime étape du processus d’information Cette rencontre avec le spécialiste est l’ultime étape du processus d ’ information. C’est la rencontre de deux mondes réputés inconciliables : Le monde rationnel, pragmatique du généticien le monde irrationnel du patient fait de croyances, d’idées, de « on-dit ». Paradoxes Un médecin dépourvu de son pouvoir de soigner Un couple non malade mais susceptible de transmettre un maladie grave Une cause invisible : les gènes Une maladie sans stigmate, sans signe échographique, mais pour laquelle l’IMG est autorisée par la Loi Le médecin est soumis à un effort psychique particulier Il doit formuler une information la plus rationnelle et explicative possible Dans une progression nécessairement lente En adaptant son vocabulaire Sans rassurer ni dramatiser Paradoxe : il doit faire vite (timing de la grossesse et ménager le temps nécessaire à la réflexion Les outils du médecin : Seulement des mots C’est un expert, sa parole est très investie Comme « un oracle » ses paroles auront valeur de prédiction, pourtant la grande variabilité phénotypique interdit toute certitude Il ne soigne pas, il annonce : des mots mais aucune solution pour « effacer le risque » ou « réparer » l’anomalie, Dépourvu de son pouvoir médical il est pourtant inévitablement ramené à cette place par ses patients : « que faut-il faire Docteur. Que feriez vous à notre place» ? Difficile d’annoncer le malheur sans proposer de solution ! et pourtant il y a un réel danger à adopter une attitude directive : Dire « il faut » ou « vous devez » empêcherait la mère de trouver SA décision. Elle échapperait du coup d’autant moins à la culpabilité. Qui risquera de perturber considérablement la relation à son enfant né malade Ou d’entraver gravement sa possibilité de procréer à nouveau après une IMG Laissons parler nos patients ! Que savent ils de la drépanocytose ? Connaissent ils ou ont ils connus des malades ? Quelle vision ont ils de la maladie ? Que leur inspire t’elle ? L ’image de la drépanocytose est à chaque fois différente car elle est intriquée au vécu et à l’histoire de chacun La compréhension des enjeux ne peut s’envisager sans l’articulation du savoir du patient et du savoir médical Partir des représentations du patient pour adapter notre discours. Inutile de rectifier à tout prix des inexactitudes de détails Informer sur la drépanocytose serait donc …. De dire mais surtout de permettre d’entendre : discours adapté aux capacités de compréhension conditions d ’ empathie, de disponibilité et d ’ accompagnement indispensables à un savoir médical apprivoisé mais surtout approprié. Permettre au couple De s’exprimer sur ce qu’il ressent De poser des questions, reformuler et commenter ce qui est dit Pour lui permettre enfin de se saisir ou pas du DPN en connaissance de cause. Attention à la notion « d’espérance de vie » qui se transforme souvent en « arrêt de mort » le DPN : Avantages et risques Avantages : Savoir permet d’échapper à l’arbitraire du hasard : le DPN est fréquemment demandé par les parents d’enfant malade Mais présente aussi des risques : quand la demande de DPN correspond à un souhait d’évacuer le danger qui pèse sur l’enfant à naître sans réellement envisager les conséquences d’un mauvais résultat la question cruciale étant : Que fait-on si l’on apprend que l’enfant est malade ? Mise en garde indispensable du médecin contre le risque de savoir à tout prix : pondération bénéfices / risques Risques techniques et risques psychologiques 2 techniques invasives utilisées : Biopsie du trophoblaste entre 10 et 12 semaines d’aménorrhée (SA) L’amniocentèse à partir de 17 SA entre 0.5% et 2% de fausses couches mais aussi …. Attendre un enfant malade Barrage à la rêverie maternelle. Risques majeurs de dépression maternelle. Accouchement difficile …le couple reste libre même après un DPN péjoratif de ne pas recourir à l’IMG Lorsque le DPN est demandé Il est organisé par nos soins : prises de rendez-vous avec respect éventuellement du choix du lieu de prélèvement Signature et explication des termes des consentements Réponses aux éventuelles questions sur la technique de prélèvement … et même parfois sur la technique d’interruption Le couple est revu en consultation pour le résultat : Pas de résultat (même bon) rendu au téléphone Et lorsque la nouvelle est mauvaise Toujours un moment douloureux mais dont les conséquences varient selon qu’il est pu ou non être anticipé Toujours un vacillement psychique : ce qui était redouté devient réalité Un moment où le silence est d’or Lorsque l’IMG est demandée Il est indispensable que la « responsabilité morale » soit partagée entre le médecin et la femme (le couple) comme elle l’est idéalement au sein du couple Soutenir les parents dans leur décision Mettre notre « pouvoir » à l’écoute des questions qui les préoccupent Organiser la prise en charge Proposer à chaque fois un soutien psychologique Pourquoi un binôme médecin / psy ? « La présence du psy est un message en tant que tel » Frédéric Galactéros 2 regards complémentaires sur un même événement qui indiquent que les bouleversements induits par la situation sont pris en compte et pris en charge La science n’est pas seule à avoir droit de citer : intrication vérité scientifique et réalité psychique Soutien de la position médicale Pour finir …. mais provisoirement ! La drépanocytose est fluctuante, imprévisible et interdit toute quiétude au clinicien. Son information est à cette image et ne se laisse enfermer dans aucun protocole. C ‘est une rencontre à réinventer chaque fois : ajustements permanents aux patients ….. Provisoirement car le moment du conseil génétique est de plus en plus souvent le lieu de questions complexes : recherche de compatibilité HLA, DPI, préservation du sang de cordon …. Attention aux intrications d’objectifs qui feraient perdre de vue les enjeux de la grossesse présente Je vous remercie de votre attention … Et je remercie aussi mon équipe Dora Bachir Anoosha Habibi Frédéric Galactéros