Arnold Schoenberg (1874-1951) La nuit transfigurée (Verklärte Nacht), transcription pour orchestre à cordes (1917) de l’op. 4 pour sextuor à cordes (1899) Réconcilier Wagner et Brahms Schoenberg, qui révolutionna la musique en pulvérisant trois siècles d’hégémonie du système tonal, aujourd’hui encore pour les uns fait figure de prophète, pour les autres incarne le diable. Verklärte Nacht, ce premier chef-d’œuvre, inspiré d’un poème de Richard Dehmel, célèbre écrivain mystique très fréquenté par Schoenberg – Zwei Menschen (« Deux Êtres »), dans le recueil Weib und Welt (« La femme et Le monde ») –, est selon le compositeur lui-même de la musique à programme ; laquelle « n’illustre ni action ni drame, mais se borne à dépeindre et à exprimer des sentiments humains ». Ce, dans le dialogue d’un amoureux avec une femme portant l’enfant d’un autre, un texte bouffi de pathos, mais non conventionnel en ce que les deux amants, outrepassant les conventions petites-bourgeoises de l’époque, restent unis, transfigurés par l’amour. Schoenberg voulait « expérimenter dans la musique de chambre ces nouvelles formes qui, dans la musique d’orchestre [ainsi les principaux poèmes symphoniques de Richard Strauss, déjà écrits en 1898], sont nées sur la base d’une idée poétique ». Revenant plus tard (1950) sur le « compromis » trouvé entre ces deux extrêmes, Schoenberg constata que l’œuvre avait « gagné en qualités qui peuvent aussi satisfaire un auditoire ne sachant pas ce qu’elle prétend décrire, ou, en d’autres termes, elle offre la possibilité d’être comprise comme de la musique pure ». Ce dernier point peut évidemment être disputé tant la partition est profuse, dans le double sillage du Wagner de Tristan et du Brahms des Sextuor à cordes ; mais c’est beaucoup moins la fusion d’éléments disparates dans un tout qui est importante chez Schoenberg que l’organisation, la composition d’une multiplicité contradictoire, source d’unité et l’un des principes de sa pensée. La forme de cette première œuvre s’appuyant sur la tonalité principale de ré (mineur puis majeur), tonalité fétiche des trois Viennois, qu’avivent éléments thématiques et tensions harmoniques, reflète fidèlement celle du poème, en cinq parties jouées sans interruption : 1. situation du couple au traditionnel clair de lune (très lent) ; 2. aveu de la femme (plus animé) avec la présentation du thème principal, motif le plus chargé d’expression dramatique ; 3. attente de la réaction de l’homme (s’achève en mi bémol mineur) ; 4. partie qui correspond à la réponse de l’homme dont l’amour triomphe de l’épreuve, avec retour du premier thème « transfiguré » par le mode majeur ; 5. une longue coda conclut cet hymne à la nature et à la rédemption par l’amour. Si la première audition à Vienne, le 18 mars 1902, provoqua le premier scandale d’une longue série ! Verklärte Nacht devint rapidement l’une des œuvres de Schoenberg les plus jouées et les plus célèbres ; grâce aussi à la version pour orchestre que Schoenberg réalisa lui-même en 1917 (rév. en 1943). Mais sans doute avant tout parce qu’elle fait encore partie de la période dite « tonale » du compositeur et donne l’impression d’un lyrisme débordant ; et dangereux, car il peut étouffer l’intériorité, « la forme chaste et supérieure de l’émotion », selon le compositeur. Jean-Noël von der Weid Lire Arnold Schoenberg, Correspondance 1910-1951, traduit de l’allemand et de l’anglais par Dennis Collins, Paris, JClattès, 1983.