27/04/06 20:24 Page 15 Spécial hôpital QUELLES STRATÉGIES POUR LES LABOS ? Les réformes mises en place à l’hôpital ont changé la donne pour les groupes pharmaceutiques. Nouveaux prix administrés, concurrence accrue entre les produits, réorganisation des canaux de distribution, les enjeux à relever ne manquent pas. Etat des lieux pour six laboratoires. —————— © GETTYIMAGES Redistributions DOSSIER : CHRISTINE BEAURENAUD ROCHE, LE LEADER A L’HÔPITAL Sa forte présence dans l’oncologie rend le laboratoire suisse incontournable pour les établissements hospitaliers l’hôpital comme en ville, Roche se focalise sur les diagnostics et les médicaments de prescription dont les bénéfices pour le patient sont avérés. La stratégie du laboratoire suisse n’est pas propre à la France. « Elle n’est pas non plus dédiée spécifiquement à l’hôpital, confirme Henry-Vincent Charbonné, président de Roche France. Notre objectif consiste à trouver des médicaments innovants et à nous engager dans de nouvelles voies thérapeutiques. Ainsi, le choix de nos neufs domaines (cancérologie, anémie-transplantation, virologie, troubles du métabolisme, système nerveux central, infectiologie, cardiologie, rhumatologie, mucoviscidose) et de nos technologies nous ont conduit à développer des molécules prescrites à l’hôpital. La réciproque n’est pas vraie ». Cependant, le leadership de Roche dans l’oncologie lui donne une place de choix à l’hôpital. Son portefeuille de produits s’est récemment enrichi de thérapies ciblées innovantes : des anticorps monoclonaux, MabThera® et Herceptin® et un antiangiogénique, Avastin®, des médicaments inscrits sur la liste en sus des prestations d’hospitalisation (hors GHS)*. Plus des trois-quarts des prescriptions du laboratoire en France sont, en effet, A effectuées au travers de différents circuits hospitaliers. Et plus de 50 % de son chiffre d’affaires réalisé en France passe par l’hôpital. En revanche, Xeloda®, chimiothérapie par voie orale, est récemment sorti de l’hôpital pour être délivré en ville. « Si la réforme actuelle transforme la gestion à l’intérieur même de l’hôpital, elle a aussi instauré de nouvelles règles de financement des médicaments tout en reconnaissant la valeur thérapeutique des molécules ainsi que les besoins des professionnels de santé et des patients ». ■ * Groupe homogène de séjour REPÈRES CA hôpital : 450 millions d’euros (estimation) • Cancérologie, liste en sus : MabThera® (anticorps monoclonal) Herceptin® (anticorps monoclonal) Avastin® (antiangiogénique) • Cancérologie, liste rétrocession : Tarceva® (biothérapie orale) • Cancérologie, ville : Xeloda® (chimiothérapie orale) MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES 15 Redistributions 27/04/06 20:24 Page 16 S p é c i a l h ô p i t a l 17 SANOFI-AVENTIS, UNE POSITION INCONTOURNABLE La mise en place de la T2A a eu une incidence non négligeable sur le médicament à l’hôpital eader sur le marché français, le numéro trois mondial entend conserver sa place de choix en ville comme à l’hôpital. « Nous voulons rester partenaires pas uniquement par le biais des médicaments que nous commercialisons mais aussi via les études cliniques et les nombreux partenariats que nous développons avec les établissements de soins », souligne Olivier Nillus, directeur commercial hôpital. Depuis la mise en place de la T2A, la donne a changé. Désormais 65 % du chiffre d’affaires à l’hôpital réalisé en France est libellé avec des prix semi administrés, fixés par la liste en sus et des produits rétrocédés. « Ce sont des anti-cancéreux pour la plupart, des traitements innovants et coûteux. Les autres médicaments sont inclus dans le coût des GHS. Avant la mise en place de cette réforme les prix étaient libres, ils sont maintenant pour l’essentiel plafonnés ». L’incidence sur la politique commerciale n’est donc pas négligeable. La concurrence s’exerce pleinement entre les produits de Sanofi-Aventis et ceux de ses concurrents. « Il n’y a pas de petits produits » comme le répète le président du laboratoire, Jean-François Dehecq. Sanofi-Aventis propose également une offre de génériques. La stratégie du groupe, à l’hôpital comme en ville, reste d’être présent sur tous les types de produits même si sa vocation première reste l’innovation. L Autre effet de la réforme : une nouvelle tarification. La fixation des prix de remboursement des spécialités inscrites sur la liste en sus des prestations d’hospitalisation a été réalisée par le CEPS en tenant compte des prix pratiqués dans deux pays d’Europe du Nord (Allemagne et Royaume-Uni) et dans deux pays d’Europe du sud (Espagne et Italie). « Le business model » à l’hôpital a également changé. Olivier Nillus parle même de « révolution culturelle », non sans conséquences sur les laboratoires eux-mêmes. Les prix sont désormais semi-administrés et les contrats de bon usage entre l’hôpital et l’ARH sont signés en tenant compte, notamment, de la nécessité d’informatiser le circuit du médicament. L’Institut national du cancer, la Haute autorité de santé et l’Afssaps sont devenus « les gardiens du temple » en validant les référentiels de bon usage. ■ REPÈRES CA hôpital : 440 millions d’euros • Liste en sus : Taxotère® (anticancéreux), Eloxatine®, (anticancéreux), Fasturtec® (traitement de la leucémie) et Theprubicine® (anticancéreux) • GHS : Tavanic® (antibiotique), Tercian® (neuroleptique), Plavix® (anti-agrégant plaquettaire) GLAXOSMITHKLINE, UN CHALLENGER DYNAMIQUE Le laboratoire suit une démarche proactive pour assurer la continuité du soin et le bon usage du médicament uméro trois à l’hôpital en France, le laboratoire ne veut pas se laisser distancer par les leaders . C’est aussi une position dite « qualitative » qu’il souhaite conserver. Au delà de son portefeuille de produits à l’hôpital, GSK mène des réflexions pour mieux répondre aux besoins nouveaux qui émergent dans les établissements. « Notre engagement au coeur de l’hôpital apporte un savoir-faire multidisciplinaire susceptible de répondre aux besoins des acteurs hospitaliers, que ce soit en matière scientifique, économique, commerciale ou logistique », explique Isabelle Ferahian, directeur de GSK Hôpital. En effet, si l’industrie pharmaceutique ne bougeait pas, N elle se trouvait de fait exclue des discussions sur les réformes. Surtout au moment même où le plan hôpital 2012 est mis sur pied. La réforme a fait passer en ville bon nombre de médicaments. Des actions ont été menées auprès des pharmaciens en mettant à leur disposition l’expérience acquise à l’hôpital. Et cette démarche proactive n’a peut-être pas été très bien évaluée par l’Afssaps. D’autant que la prise en charge du patient exige une continuité. Or, celle-ci n’a pas été prévue par les autorités. Aux laboratoires de se débrouiller seuls. GSK, pour sa part, a choisi de travailler en étroite collaboration avec les infirmières, l’hôpital et les officines pour s’assurer de la bonne administration du produit. Ce qui l’a obligé à revoir sa façon de travailler en informant encore davantage les pharmaciens. Pour suivre le bon usage, il s’agit d’administrer la bonne molécule au bon patient au bon moment et dans la dépense la plus juste. S’agissant des produits comme l’anti-cancéreux Hycamtin®, qui figure sur la liste en sus, les hôpitaux se sont engagés à les utiliser dans certaines indications. Et cette démarche a été officialisée. En face, le rôle du laboratoire consiste à leur procurer des informations (en mettant à leur disposition leur bibliographie) en vue de permettre aux cliniciens d’utiliser au mieux ces médicaments. Dans certains cas, les MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES Redistributions 27/04/06 20:24 Page 17 S p é c i a l h ô p i t a l 19 industriels avaient déjà cette démarche, se félicite Isabelle Ferahian. « Certes, l’industrie a beaucoup travaillé sur la liste en sus mais elle devrait maintenant se pencher sur les produits des GHS en essayant de réfléchir sur leur bon usage. » En parallèle de l’évolution des conditions de financement du médicament à l’hôpital, l’industrie a dû intégrer de nouvelles modalités de fixation de prix des médicaments hospitaliers. « Paradoxalement, cette nouvelle donne n’a pas engendré les économies escomptées pour les dépenses sur le médicament à l’hôpital puisque, du fait de la fixation des prix, les négociations de prix par les pharmaciens hospitaliers sont considérablement réduites. Les prix de nos deux produits sur la liste en sus, Hycamtin® et Flolan® ont été revus à l’occasion des négociations avec le CEPS. D’autres médicaments vendus essentiellement à l’hôpital, comme Fortum®, Augmentin® injectable et Claventin® n’ont aujourd’hui pas subi de baisses de tarifs ». En marge de la réforme, GSK est également partenaire de l’hôpital dans le cadre d’un programme de rencontres organisé avec Décision Santé concernant les systèmes d’information à l’hôpital. « De pouvoir bien comprendre ces problèmes nous permettent d’être mieux à l’écoute des besoins ». ■ REPÈRES CA à l’hôpital : 350 millions d’euros (estimation) • liste en sus : Hycamtin® (oncologie) Flolan® (HTAP) • GHS : Augmentin® injectable (antibiotique) Claventin®, Fortum® (antibiotiques) Zelitrex® (antiviral) Zophren® (antiémétique) et tous les produits de la gamme VIH BMS MET LE CAP SUR LES PRODUITS CIBLÉS Le laboratoire considère qu’il est solidairement responsable de la réforme du système de santé, et plus particulièrement de l’engagement dans le bon usage ux coudes à coudes avec GSK, Bristol-Myers Squibb réalise 26 % de son chiffre d’affaires France à l’hôpital. Ses domaines d’expertise vont de la cancérologie à la virologie en passant par la douleur et la psychiatrie. Dans son portefeuille, figurent en bonne place plusieurs produits innovants, apportant des solutions qui n’existaient pas auparavant et qui aparaissent logiquement sur la liste en sus. Pierre Morgon, vice-président, direction des Opérations Hôpital France identifie trois enjeux stratégiques pour le laboratoire. A commencer par sa spécialisation dans des produits très ciblés. Ces produits chers, inscrits sur la liste en sus seront pour certains des dérivés des biotechs. Sa stratégie à l’hôpital apparaît alors comme le reflet de ses orientations en matière deR&D, recentrées sur dix domaines thérapeutiques. Ainsi le laboratoire va mettre à disposition du corps médical de nouvelles molécules pour le traitement de l’hépatite B chronique (entecavir), de la leucémie myéloïde chronique (dasatinib), la polyarthrite rhumatoïde (abatacept), le cancer du sein métastatique (ixabepilone), le mélanome métastatique (ipilimumab), et la prévention du rejet de greffe (belatacept). Tous s’adressent à des médecins spécialistes aux niveaux d’exigence très élevés. « Ces interlocuteurs attendent de BMS qu’il leur apporte des in- A REPÈRES CA hôpital : 340-350 millions d’euros • Principaux produits : Reyataz®, Sustiva®, Taxol®, Perfalgan®, Skenan®, Actiskenan®, Sophidone®, Abilify® • liste en sus : par exemple Taxol® • GHS : par exemple Perfalgan® formations, des éléments sur le bon usage et la bonne pratique médicale ». Le partenariat du laboratoire avec le praticien va au-delà de l’information sur l’utilisation du produit, son efficacité et sa tolérance. Il s’agit également d’évaluer l’impact sur l’évolution des pratiques, des allocations et des ressources. C’est le deuxième enjeu stratégique : la gestion des coûts. Dans cette optique, BMS considère qu’il est solidairement responsable de la mise en place des réformes du système de soins et de l’engagement dans le bon usage. Le laboratoire s’appuie sur un réseau spécial de visiteurs médicaux, un département d’information médicale, une équipe de médecins régionaux, des responsables de grands comptes avec lesquels se traitent les aspects de référencement des produits et de suivi des commandes. Tout un dispositif qui lui permet de contribuer à ce que ses médicaments soient correctement utilisés. « C’est dans l’intérêt du patient et du système et par là même du laboratoire ». Dans ce contexte, BMS devra se déployer et offrir les outils de travail aux différents interlocuteurs aussi bien les anciens (médecins, soignants, pharmaciens) que les nouveaux (directeurs d’établissements). Pour Pierre Morgon, « nous devons avoir le patient au cœur de nos préoccupations et donc nouer un partenariat avec tous les acteurs du système. Quelles que soient les ressources déployées à l’hôpital, un laboratoire doit placer la barre très haut en terme d’exigence et de formation. Pour mettre en place la réforme et aider les opérateurs à anticiper son impact, BMS s’engage dans une démarche de partenaire volontaire et actif, de long terme avec l’hôpital. » ■ MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES Redistributions 27/04/06 20:24 Page 18 S p é c i a l h ô p i t a l 21 PFIZER, OBJECTIF HÔPITAL Avec l’arrivée de nouveaux médicaments sur le marché, la part des ventes consacrée à l’hôpital va augmenter xé sur les médicaments destinés aux personnes du troisième âge, le portefeuille de Pfizer s’orientera progressivement vers davantage de médicaments pour l’hôpital. Pour l’heure, le chiffre d’affaires réalisé représente 15 % des facturations du numéro un mondial. Il se ventile entre les anticancéreux Campto® (cancer du colon), Farmorubicine® et Aromasine®, (cancer du sein), Zyvoxid® (pneumonie nosocomiale) et deux antifongiques Vfend® et Triflucan®. « A terme, l’objectif est d’augmenter graduellement cette part à 20 %, grâce à l’arrivée sur le marché de produits à forte valeur ajoutée tel le Sutent (attendu entre autre pour le traitement du cancer du rein) », prévoit Paul Levesque, viceprésident marketing de Pfizer France. Le changement le plus important induit par la réforme, c’est le basculement de certains médicaments en A ville même si la première utilisation reste prescrite à l’hôpital. Face à cette transformation, le laboratoire veut rester le partenaire santé des médecins et des patients. « Nous n’arrivons pas seulement avec des produits mais nous voulons accompagner la prescription pour aider le médecin à être plus près de ses patients, une meilleure relation patient/médecin est souvent gage de succès thérapeutique lié à une observance accrue de la part des patients ». Il s’agit d’informer les généralistes et les spécialistes sur nos produits et leur utilisation même s’ils ne pratiquent pas à l’hôpital mais en ville. » D’autant qu’à l’avenir, les personnes traitées en ambulatoire seront de plus en plus nombreuses. Pour répondre à la demande cruciale d’informations de ces patients, Pfizer considère devoir jouer un rôle d’information auprès des professionnels de la santé. La tâche s’annonce ambitieuse. D’autant que l’information directe aux malades reste interdite. « Ce n’est pas logique, On ne peut pas à la fois espérer développer des patients plus responsables et les garder dans l’ignorance ». Le laboratoire préconise une démarche volontariste, en dispensant en ville plus d’informations pour permettre une bonne observance du médicament prescrit une première fois à l’hôpital. Sinon, les bénéfices attendus risquent de n’être jamais totalement au rendez-vous. ■ REPÈRES CA hôpital : 240 millions d’euros (estimation) • liste en sus : Campto® (anticancéreux colon), Farmorubicine® (anticancéreux sein), V-Fend® (antifongique), Zavedos® (anticancéreux). • GHS : Zyvoxid® (pneumonie nosocomiale), Triflucan® (traitement des candidoses), Inspra® (traitement de l’insuffisance cardiaque), Tahor® (anti-cholestérol) AMGEN, DES PRODUITS INITIALEMENT PRESCRITS A L’HOPITAL Avec le passage en ville de ses médicaments, le laboratoire a été confronté à la transformation de son mode de distribution ous les médicaments d’Amgen font l’objet d’une prescription par des spécialistes et la plupart ont une prescription initiale hospitalière. Cette particularité s’explique aisément par les orientations de la recherche, axée sur deux grands domaines thérapeutiques : la cancérologie et la néphrologie. Le portefeuille du laboratoire se ventile entre une « ligne globules blancs » avec Neulasta® et Neupogen®, pour le traitement des neutropénies chimio induites, une « ligne globules rouges » avec Aranesp® pour le traitement de l’anémie du patient insuffisant rénal et du patient cancéreux, un facteur de croissance recombinant humain des keratinocytes avec Kepivance® et enfin, un médicament pour traiter l’hyper parathyroïdie secondaire, un des effets secondaires de l’insuffisance rénale chronique terminale, Mimpara®. La mise en place de la T2A ainsi que le décret rétrocession a redéfini le statut de l’ensemble de ces produits. Par exemple, Aranesp® qui était uniquement distribué à l’hôpital est maintenant T REPÈRES CA hôpital : 20 à 25 % du CA France Principaux produits : Aranesp®, Neulasta®, Neupogen®, Kepivance®, Mimpara® • liste en sus : Aranesp® (anémie) vendu en officine. Placé sur la liste des médicaments en sus, ce produit est soumis à un tarif de responsabilité auquel il est aujourd’hui vendu à l’hôpital. « La négociation de son prix avec les pouvoirs publics a conduit à une baisse de 25 % de son tarif. L’impact a été important sur le chiffre d’affaires. Et Amgen a été confronté à un changement de taille : son mode de distribution a basculé de la pharmacie hospitalière aux officines. Désormais, 90 % de ses produits sont distribués en ville », explique Isabelle Cau. L’utilisation étant complexe, sa sortie a conduit à mettre en place une formation par vidéo transmission auprès des officinaux pour assurer une bonne délivrance du produit et assurer le rôle de conseil au patient. Autre changement : un contrôle systématique de la prescription a été instauré avec des ordonnances d’exception où les praticiens s’engagent à prescrire le médicament dans ses indications. Ce qui permet aux patients une prise en charge à 100 %. «La réforme a eu un impact sur les prix avec des baisses pratiquées, un transfert de l’essentiel du chiffre d’affaires en ville, un accroissement de la pression concurrentielle et enfin, l’obligation pour le laboratoire d’être plus performant. Dans les années à venir, l’implication des laboratoires pourrait bien s’accroître car les nouvelles molécules concernent des pathologies traitées à l’hôpital : cancer, rhumatologie, ostéoporose et maladies neurodégénératives. ■ MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES