65 LE TIERS-MONDE Créée en 1952 par Alfred Sauvy, l’expression «tiers-monde» pouvait qualifier le troisième monde (ni communiste, ni capitaliste), mais les pays du tiersmonde auraient surtout occupé une position dans les relations internationales analogue à celle du tiers état dans la société française sous l’Ancien Régime. POURQUOI LA NOTION DE TIERS-MONDE APPARAÎT-ELLE DÉPASSÉE AUJOURD’HUI? q Il n’existe plus un, mais des tiers-mondes! Le calcul de l’IDH La plupart des indicateurs économiques usuels font apparaître un éclateL’IDH (indicateur de développement hument du bloc naguère formé par les pays main) est un indicateur synthétique vadu tiers-monde. En effet, alors que la crois- riant de 0 à 1 (le niveau de développement optimal étant mesuré par 1) sance fait du surplace en Afrique et patine intégrant, sous forme de pondération, en Amérique du Sud, les pays d’Asie de trois variables complémentaires dans l’Est connaissent – jusqu’aux récentes l’appréciation de niveau de vie: crises monétaires et financières– des taux • le PIB par habitant, mesuré en parité de croissance du PNB particulièrement de pouvoir d’achat (PPA – parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire intégrant élevés. De même, certains PED (pays en déve- les différences de pouvoir d’achat entre pays); loppement), victimes d’une hyperspéciali• l’espérance de vie à la naissance, sation sur les produits de base, ont subi c’est-à-dire le nombre moyen d’années une réduction de leur part dans les que pourrait vivre en moyenne un indiviéchanges internationaux; d’autres au du né l’année considérée, s’il était expocontraire, notamment en Asie, ont réussi sé pendant toute sa vie aux conditions de mortalité de l’année; à pénétrer avec succès les marchés occi• le niveau d’éducation, lui-même apprédentaux et participent activement au hendé par le taux de scolarisation des commerce international. moins de 16 ans et le nombre moyen Enfin, les indicateurs sociaux que sont d’années d’études. l’espérance de vie ou le taux de mortalité infantile révèlent de profondes inégalités entre PED: certains sont en passe de rejoindre des niveaux proches des PDEM (pays développés à économie de marché), alors que les conditions de vie qui s’aggravent (en Afrique notamment) traduisent un «développement du sous-développement». q Pays développés et pays en développement sont désormais seuls à se confronter Opposer aujourd’hui pays riches et pays du tiers-monde n’a plus autant intérêt que pendant les années de la guerre froide. Durant cette période, les pays non alignés 146 constituaient un groupe courtisé par les deux camps, qui réglaient souvent leurs comptes par pays du tiers-monde interposés. De nos jours, les pays ex-socialistes ont, pour certains, rejoint les PDEM ou sont en passe de le faire (pays baltes, République tchèque, Pologne, Hongrie…), alors que d’autres sont en voie de «tiers-mondisation» (Roumanie, Russie…). En effet, la désorganisation du système économique s’accompagne d’une baisse du niveau de vie de la population, d’une contraction des échanges internationaux et d’une sévère récession. La distinction serait plutôt à établir entre pays qui ont adopté l’économie de marché, tout en s’étant plus ou moins dotés d’instances de régulation, et pays tentés par l’économie de marché, mais cherchant à la plaquer sur des structures inadaptées du fait de leur héritage culturel et économique. EN QUOI LE TIERS-MONDE REPRÉSENTE-T-IL TOUJOURS UNE RÉALITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIALE? q Des caractéristiques économiques et sociales communes Lorsqu’on cherche à comparer l’écart de niveau de développement entre les pays, on bute sur un obstacle: le choix de l’indicateur de développement à utiliser. Plusieurs classifications sont basées sur le PNB par habitant, parfois corrigé des écarts de pouvoir d’achat. On peut aussi recourir à un indicateur composite élaboré par les Nations unies, l’IDH (indicateur de développement humain). Celui-ci fait apparaître des inégalités criantes entre PDEM et PED. En effet, l’IDH prend en compte l’espérance de vie à la naissance, ainsi que le niveau d’éducation en plus du PIB par habitant. Or, si ces variables se sont améliorées pour les PED, elles ont aussi progressé pour les PDEM si bien qu’il demeure toujours un écart d’IDH, d’autant que des disparités existent entre PED. Par exemple, l’espérance de vie a reculé en Afrique subsaharienne depuis les années soixante-dix, de même que le niveau de scolarisation. Ainsi, il subsiste toujours un écart dans les conditions de vie, dans la qualité des services publics comme dans la consommation privée entre les PDEM, plus favorisés, et les PED, plus mal lotis. q Une place marginale dans les relations internationales Même si les PED participent davantage au commerce international, leur part demeure modeste et surtout inégalitaire. En effet, l’ensemble des PED ne pèse qu’un peu plus du quart des exportations mondiales, alors qu’il représente environ 40% du PIB mondial en PPA (parité de pouvoir d’achat), et environ 80% de la population mondiale. Cette position minoritaire dans les échanges internationaux masque des inégalités: par exemple, les pays de l’Asie de l’Est, ceux du Pacifique et d’Asie du Sud réalisaient en 2003 environ 7,8% du PIB mondial en PPA, mais l’Afrique et le Moyen-Orient seulement 5,9%; de même, l’Afrique et le Moyen-Orient ne participent qu’à hauteur de 6,6% des exportations mondiales, contre près de 20% pour la région d’Asie citée. Cette situation s’explique par le positionnement des pays africains sur des productions peu propices au développement, notamment celles de produits agricoles ou miniers, dont les cours ont été orientés à la baisse depuis les années quatre-vingt. 147