octogénaires et dialyse - Société de Néphrologie

FLAMMARION
MÉDECINE
-
SCIENCES
ACTUALITÉS
NÉPHROLOGIQUES
2005
(www.medecine.flammarion.com)
OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE
par
D. JOLY, D. ANGLICHEAU, B. GUÉRY et P. JUNGERS*
Toutes les données démographiques récentes soulignent le vieillissement de la
population au sein des pays industrialisés [1]. Cette évolution est liée à la baisse
de la fécondité et à l’augmentation constante de l’espérance de vie ; alors que celle-
ci était de 50 ans à la naissance au début du XXe siècle, elle est à présent supérieure
à 80 ans (82 ans chez la femme, 74 ans chez l’homme). Parallèlement, le nombre
de patients âgés traités pour insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) aug-
mente régulièrement dans l’ensemble des pays industrialisés. Les données du
registre américain USRDS indiquent que depuis le début des années 1990, l’inci-
dence de l’IRCT est stable chez les plus jeunes, alors qu’elle augmente de façon
importante chez les plus âgés [2]. Dans le groupe des sujets de plus de 75 ans,
l’incidence de l’IRCT a progressé d’un facteur 2,4 aux États-Unis au cours des
dix dernières années [3, 4]. En 1991, une enquête nationale révelait que les plus
de 80 ans représentaient 5,5 p. 100 de l’ensemble des dialysés en France [5].
Depuis, plusieurs données régionales ont été publiées : dans la région Rhône-
Alpes, alors que l’augmentation du taux de prévalence de l’IRCT entre 1993 et
1999 était de + 5 p. 100 par an globalement, elle était de + 13,7 p. 100 pour les
patients âgés de 75 à 84 ans et de + 11,4 p. 100 pour les patients âgés de 85 ans
et plus [6] ; en Île de France, une enquête effectuée en 1998 a permis d’estimer
l’incidence annuelle des nouveaux cas d’IRCT à 100 par million d’habitants tous
âges confondus, et à 259 par million d’habitants de plus de 75 ans ; les octogénai-
res représentaient 7,2 p. 100 des dialysés hommes et 12,1 p. 100 des dialysées fem-
mes [7] . Dans une récente étude incluant 7 123 hémodialysés français (soit
environ un tiers de l’ensemble des hémodialysés de notre pays), 16,5 p. 100 des
patients avaient plus de 75 ans [8].
Au cours des 20 dernières années, l’accès des sujets très âgés à l’épuration extra-
rénale chronique a soulevé de nombreuses interrogations d’ordre médical, éthique,
et socio-économique. Beaucoup de non-spécialistes et quelques néphrologues
* Service de Néphrologie, Hôpital Necker, Paris.
274 D. JOLY ET COLL.
étaient réticents à débuter un traitement lourd et coûteux chez les patients âgés de
plus de 80 ans du fait de leur forte comordidité et d’une espérance de vie réputée
faible. Les études spécifiquement dédiées aux octogénaires en IRCT sont encore
rares, et de nombreuses incertitudes subsistent. Malgré tout, les résultats globaux
sont encourageants et nous commençons à entrevoir, outre les particularités épi-
démiologiques et cliniques de cette population, les éléments du pronostic vital et
fonctionnel qui déterminent les choix médicaux.
OCTOGÉNAIRES EN INSUFFISANCE RÉNALE
PRÉ-TERMINALE
Les patients très âgés atteignant le stade terminal de l’IRC ont un profil de
comorbidité et de prise en charge néphrologique particuliers, suggérant qu’il pour-
rait s’agir d’une population sélectionnée.
Leur comorbidité vasculaire est forte, favorisée par l’âge, les facteurs de risque
vasculaire classiques, et l’athéromatose accélérée lièe à l’insuffisance rénale chro-
nique. Sur 146 octogénaires atteignant le stade termial de l’IRC examinés à Necker
entre 1989 et 2000, 44 p. 100 avaient une cardiopathie ischémique, 43 p. 100 une
insuffisance cardiaque, 25 p. 100 un trouble du rythme cardiaque, 21 p. 100 une
artérite périphérique, 19 p. 100 un antécédent d’accident cérébral. En revanche, la
prévalence du diabète était assez faible (9 p. 100 des patients seulement), ainsi que
celle des troubles cognitifs sévères (6,5 p. 100 des patients, versus 14 p. 100 dans
la population générale du même âge) [9]. D’autres équipes ont signalé une préva-
lence réduite de certaines comorbidités chez les octogénaires débutant la dialyse :
seulement 8,4 p. 100 de troubles cognitifs sévères aux États-Unis (données de
l’USRDS 2001), et une réduction nette de la prévalence du diabète (– 56 p. 100),
de l’insuffisance respiratoire (– 25 p. 100), du tabagisme (– 66 p. 100), de l’artérite
(– 21 p. 100) dans le registre australien et néo-zélandais, comparativement à des
patients moins âgés (65-79 ans) [10]. Ces profils de comorbidité particuliers peu-
vent s’expliquer de plusieurs façons : a) un manque d’acuité diagnostique, en par-
ticulier à l’égard des troubles cognitifs, régulièrement méconnus ou sous-estimés ;
b) un désavantage de survie lié à certaines comorbidités, telles que le diabète ;
c) une sélection des patients en amont de la consultation de néphrologie. Il est
probable en effet que de nombreux octogénaires atteignent le stade terminal de
l’IRC et décèdent sans avoir bénéficié d’une prise en charge néphrologique.
Aucune donnée épidémiologique fiable ne nous permet de mesurer l’ampleur de
ce phénomène. Deux enquêtes, effectuées auprès de médecins généralistes britan-
niques [11] et canadiens [12] ont montré que les patients étaient d’autant moins
volontiers adressés au néphrologue que leur âge était avancé et/ou leur comorbidité
forte. Dans leurs trois dernières années d’exercice, 13 à 19 p. 100 des généralistes
et 44 p. 100 des internistes nord américains interrogés avaient décidé de ne pas
solliciter un néphrologue devant une IRC terminale [12, 13]. Selon les enquêtes
et les pays, 12 à 63 p. 100 des généralistes pensent que l’on peut être « trop âgé
pour la dialyse » [12, 13]. La courte espérance de vie et la lourdeur des soins en
dialyse sont régulièrement évoqués.
Lorsqu’elle a lieu, la prise en charge néphrologique des octogénaires est-elle trop
tardive ? La proportion d’octogénaires en IRCT vus tardivement par le néphrologue
OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE 275
(moins de 4 mois avant le début de la dialyse) est élevée dans notre expérience
(34 p. 100 des patients). L’influence de l’âge sur la prise en charge néphrologique
tardive n’est cependant pas clairement établie [14], et l’on ignore en particulier si
le grand âge est un facteur de risque indépendant de prise en charge spécialisée
tardive. On ne sait pas non plus si le grand âge est associé une moins bonne prise
en charge spécialisée diagnostique ou thérapeutique de l’IRC avancée. On peut
simplement remarquer que le diagnostic de la néphropathie causale – largement
dominé par deux items, les néphropathies vasculaires (59 p. 100) et les néphro-
pathies interstitielles/obstructives (17 p. 100) – était dans notre série presque tou-
jours présomptif, sans recours à la biopsie rénale.
DIALYSE OU TRAITEMENT CONSERVATEUR ?
Dans l’étude de Pollini et al. publiée en 1990 [15], 1,5 p. 100 des 185 néphro-
logues interrogés se disaient prêts à récuser les patients de 80 à 85 ans, ce pour-
centage augmentant à 11 p. 100 pour les patients âgés de 85 à 90 ans et à 26 p. 100
au-delà de 90 ans. Les intentions sont-elles les mêmes 15 ans plus tard ? A priori,
la majorité des experts s’accordent à dire que l’âge ne peut pas constituer à lui
seul un critère éthiquement acceptable d’accès à la dialyse. En France, dès 1996,
le rapport de l’agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale
(ANDEM) ne mentionnait pas l’âge et soulignait qu’en dehors de certaines affec-
tions très évoluées avec cachexie majeure ou de certaines démences, il était dif-
ficile de retenir des situations de véritable contre-indication et de refuser le
bénéfice de l’EER sans un avis néphrologique. Les meilleurs experts indiquent
que l’existence d’une démence, d’une dénutrition massive, d’une néoplasie évo-
lutive ou d’une perte d’autonomie peuvent inciter à ne pas débuter l’épuration
extrarénale [16]. Plusieurs enquêtes d’intention ont révélé que les troubles cogni-
tifs étaient au premier rang des éléments amenant à discuter l’abstention des
dialyses [15, 17], devant la perte d’autonomie physique et la lourdeur de la comor-
bidité.
Ces caractéristiques cliniques, unanimement citées par les experts et par les
néphrologues lors d’enquêtes d’intention, jouent-elles un rôle dans les proposi-
tions médicales faites aux octogénaires arrivant au stade terminal de l’IRC ? Au
sein de la cohorte de Necker, de façon inattentue, la démence avérée était sta-
tistiquement aussi fréquente dans le groupe «proposition de traitement conser-
vateur » et dans le groupe « proposition de dialyse » (8,2 p. 100 vs 5,6 p. 100,
p = 0,6), de même qu’il n’y avait pas de différences entre les deux groupes en
termes d’état nutritionnel, de score de Karnofsky, de score de comorbidité, ou
de proportion de néoplasies évolutives. En revanche, deux caractéristiques cli-
niques étaient fortement associées au choix par l’équipe médicale d’un traite-
ment conservateur : l’isolement social (43 p. 100 vs 14 p. 100, p = 0,003) et la
prise en charge néphrologique tardive (< 4 mois ; 51 p. 100 vs 29 p. 100,
p = 0,01). Ces résultats suggèrent qu’au-delà du poids de la polypathologie et
des infirmités, la qualité de l’entourage est déterminante pour la décision de mise
en dialyse d’un vieillard. Les 6 patients (sur 101) ayant débuté la dialyse malgré
une démence avérée avaient un entourage familial et étaient suivis de longue
date dans le service.
276 D. JOLY ET COLL.
Une étude rétrospective japonaise a récemment rapporté qu’au sein d’une
cohorte de 152 patients relativement âgés (76 ± 7 ans) atteignant l’IRC terminale,
les deux principaux facteurs prédictifs du choix du traitement conservateur
(n = 31 patients /152) étaient l’âge > 80 ans et l’existence de troubles cognitifs,
tandis que l’isolement social, la dénutrition et le dépendance physique jouaient
un rôle moindre [18].
TRAITEMENT CONSERVATEUR :
CHOIX, MODALITÉS ET RÉSULTATS
L’instauration d’un traitement purement conservateur de l’IRC terminale peut
résulter d’une décision médicale ou d’un refus du patient. Dans notre expérience,
43 octogénaires en IRC terminale (29,8 p. 100 des 144 patients de notre cohorte)
ont bénéficié d’un traitement conservateur. La décision de ne pas débuter la dialyse
a parfois été prise unilatéralement par le patient (6 patients/43, 14 p. 100), malgré
une information objective et renouvelée. Dans la majorité des cas, la décision a
été prise par l’équipe médicale (37/43 cas, 86 p. 100), exposée au patient et/ou à
sa famille, et acceptée.
Le traitement conservateur proposé était une prise en charge symptomatique de
l’IRC terminale, visant à traiter au mieux l’anémie, la surcharge hydrosodée, les
troubles hydro-électrolytiques, la dénutrition, la douleur. Une surveillance men-
suelle en hôpital de jour a été organisée dans la majorité des cas, et a permis de
prendre en charge parallèlement les problèmes psychosociaux.
La survie médiane fut de 8,9 mois (IC 95 p. 100, 4 à 10) dans ce groupe. La
proportion relativement importante de décès précoces par urémie (34,2 p. 100) ou
par œdème pulmonaire (23,7 p. 100) suggère que la survie aurait pu être signifi-
cativement prolongée par la dialyse. À l’inverse, les survies relativement prolon-
gées ont été observées (29 p. 100 des patients à 12 mois et 15 p. 100 à 24 mois).
Dans ce groupe, les survivants au long cours étaient essentiellement des femmes
ayant une fonction rénale très altérée d’après la formule de Gault-Cockcroft, mais
remarquablement stable au cours du temps.
DIALYSE : MODALITÉS ET RÉSULTATS
Choix du mode de traitement
Chez les octogénaires, l’hémodialyse se fait habituellement dans un centre lourd,
tandis que la dialyse péritonéale peut être intégralement déployée à domicile. Le
choix entre les deux techniques est souvent fonction des possibilités, des compé-
tences locales, et des choix du patient. En cas de prise en charge tardive, l’hémo-
dialyse est initialement le seule option possible. Aucune des deux méthodes de
dialyse n’a démontré sa supériorité en terme de survie chez les octogénaires, et les
études publiées sur des populations d’octogénaires traités par dialyse péritonéale
ou par hémodialyse rapportent des survies à 1 an relativemement proches, allant
OCTOGÉNAIRES ET DIALYSE 277
de 68 à 80 p. 100. Deux études (dont une incluant plus de 400 000 dialysés) sug-
gèrent cependant que la survie des patients âgés de plus de 65 ou 67 ans pourrait
être meilleure en hémodialyse, en particulier en cas de diabète et de comorbidité
associée [19, 20]. Concernant la satisfaction des patients et la qualité de vie, les
enquêtes comparant dialyse péritonéale et hémodialyse souffrent de nombreux
biais, et il n’y a pas d’informations concernant spécifiquement les sujets très âgés.
L’une des deux techniques est-elle plus appropriée chez les sujets très âgés atteints
de troubles cognitifs ? La question reste posée, même si plusieurs études ont mon-
tré que l’hémodialyse est associée à d’importantes fluctuations des performances
psychométriques (notamment mnésiques) au cours et au décours de la séance de
dialyse, alors que ces mêmes paramètres sont remarquablement stables en cas de
dialyse péritonéale [21].
Globalement, l’hémodialyse est la technique de dialyse la plus utilisée chez les
octogénaires, mais la dialyse péritonéale est proportionnellement plus développée
dans ce groupe d’âge. En 1991, la DP représentait en France 20 p. 100 du mode
de prise en charge dialytique chez les sujets de plus de 80 ans [5].
Durée de survie
Dans une série française du début des années 1990, la mortalité précoce (lors
des 90 premiers jours de dialyse) était de 15 p. 100 dans la tranche d’âge 65-75 ans,
20 p. 100 entre 79 et 84 ans et 30 p. 100 chez les patients de plus de 84 ans [22].
Les registres américains retiennent les chiffres de 18 p. 100 de mortalité avant le
90e jour pour les malades de 75 à 85 ans et 25 p. 100 pour les malades de plus de
85 ans. Dans notre expérience, la mortalité initiale des octogénaires en dialyse était
forte, de l’ordre de 20 p. 100 à 3 mois. Chez les octogénaires ayant débuté un pro-
gramme de dialyse chronique, la survie médiane était de 28,9 mois (IC 95 p. 100 :
24-38), c’est-à-dire comparable aux résultats rapportés dans plusieurs séries de
patients âgés de plus de 75 ou 80 ans en hémodialyse [23-26] ou en dialyse péri-
tonéale [27-29]. Globalement, l’espérance de vie des octogénaires dialysés rappor-
tée dans notre étude représente un quart à un tiers de l’espérance de vie de la
population générale dans cette tranche d’âge [27-29]. Ces résultats sont nettement
plus encourageants que ceux publiés par d’autres auteurs [2, 30-32]. Les différen-
ces entre études optimistes et études pessimistes peuvent tenir à un « effet centre »
sur la sélection des patients, puis sur la survie en dialyse [33] ; il faut aussi tenir
compte du fait que les populations anglo-saxonnes et sud-européennes ne sont pro-
bablement pas comparables en termes de mortalité cardiovasculaire, y compris
chez les octogénaires.
Facteurs prédictifs de survie
Selon les recommandations établies conjointement par deux sociétés nord-
américaines de néphrologie (RPA/ASN), les patients atteignant le stade pré-termi-
nal de l’IRC (et/ou leur famille) devraient recevoir des informations détaillées sur
leur pronostic vital avant de discuter de l’opportunité de débuter la dialyse et de
prendre un décision « partagée » avec le médecin [34]. Malheureusement, les deux
principaux protocoles de catégorisation du risque vital chez les dialysés n’ont pas
été conçus pour répondre au problème spécifique des octogénaires [30, 35, 36].
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