guerre. Pas même la création d'une nouvelle organisation internationale pour la
conservation de la paix. Dans la mesure où nos contemporains seront assez clairvoyant
pour apprécier l'ensemble des facteurs du temps présent, la tâche la plus importante
actuellement est la traduction de notre nouvelle connaissance de la réalité avec laquelle
nous sommes aux prises et dont nous sommes partie intégrante et immédiate, en une
nouvelle échelle de valeurs, basée non plus sur les fictions de notre traduction sensorielle,
mais sur une connaissance plus approchée de la réalité. Il en résultera nécessairement une
Civilisation tout à fait nouvelle et dont nous ne pouvons encore nous faire une idée
précise.
Loin de diminuer la valeur de la Religion, notre nouvelle conception de la réalité
vivante renforce plutôt sa position. Depuis l'Ecclésiaste disant que toute chose était vaine
jusqu'à la déclaration de Jésus : « Mon royaume n'est point de ce monde », notre religion
occidentale a essayé d'amener les hommes à attacher peu d'importance au monde tel que
nous le connaissons. Même aujourd'hui, alors que beaucoup d'ecclésiastiques ont été
amenés à faire une part croissante aux facteurs économiques et sociaux, au moins en tant
qu'objets de l'activité morale, il y a encore un domaine important de la religion qui est
entièrement tourné vers l'autre monde, c'est celui de l'aspiration mystique.
Depuis la Réforme, le Christianisme occidental s'est de plus en plus tourné vers le
problème de l'adaptation de la Religion aux facteurs sociaux. D'après le professeur
Reinhold Niebuhr, « le vrai Puritain espérait bâtir une société, dans laquelle les Ecritures
seraient accomplies réellement et matériellement». Cette préoccupation des fins
séculières a tendu à devenir le facteur dominant dans l'activité pratique des Églises, et
cependant bien loin que cette attitude ait augmenté leur influence dans la société et leur
emprise sur leurs ouailles de plus en plus tournées vers le monde, leur importance sociale
a été constamment en déclinant dans les pays occidentaux.
Par un paradoxe piquant, la religion n'a jamais exercé une influence aussi faible que
depuis qu'elle semble considérer l'intervention dans les affaires du siècle comme une de
ses fonctions principales. Le philosophe danois Hoffding a exprime très heureusement le
changement survenu dans l'attitude des Églises, disant que si, auparavant, elles
considéraient la Religion comme une colonne de feu marchant à l'avant-garde des
Nations, et les menant à Dieu, maintenant elle est devenue comme une sorte de voiture-
ambulance suivant l'arrière de la colonne et ramassant les éclopés et les vaincus.
Cette attitude a été due en partie au réalisme philosophique de la plupart des
théologiens chrétiens. Pour eux le monde n'est point une pure création de l'imagination
humaine, comme l'école idéaliste le soutient, mais possède une certaine mesure de réalité.
Dans le conflit entre l'idéalisme et le réalisme philosophique les mystiques peuvent jouer
le rôle de médiateurs. Tout en admettant que les perceptions sensorielles constituant le
monde de l'expérience pratique sont bien le fruit de la faculté qu'a l'esprit humain de
produire des images, ils déclarent percevoir, derrière ou au-dessus du monde des
occasions de perceptions constituant le cadre de notre vie courante, l'existence d'un autre
monde, un monde de causes sous-jacent aux objets perceptibles et lequel semble doué
d'une large mesure de réalité sui-generis. Cependant, la plupart des mystiques tiennent ce
monde subtil des causes, relativement plus réel que l'Univers physique, pour être
éphémère lui aussi, lors qu’il est considéré du point de vue de la suprême et divine
Réalité.