FRANÇOIS ROUGET, Queen`s University

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lacunaire. Ainsi lui sommes-nous redevable de rectifier des erreurs d’identification
biographique dans la notice 51 (Les Odes de Magny, p. 432, note 1408) et
d’apporter un éclairage nouveau, des hypothèses de travail, ici ou là, des suggestions judicieuses comme l’idée de consacrer tout un ouvrage à Claude-Catherine
de Clermont, maréchale de Retz (p. 124).
Comme le montre ce volume, Ma Bibliothèque poétique est un projet en
chantier, à bâtir, à reprendre parfois pour le corriger (l’auteur se corrige lui-même,
p. 90). Non sans humour et avec un vrai talent de conteur lorsqu’il rappelle les
circonstances entourant une « trouvaille », J.-P. Barbier sait garder intacte la
curiosité de son lecteur tout en lui procurant une information riche et précise.
C’est donc avec impatience que nous attendons la parution du quatrième tome
de cette partie qui en comportera cinq. Après cela, l’auteur nous promet une
sixième partie (Supplément aux quatre premières) et un index général figurant dans
la septième et dernière. A ce sujet, pourrions-nous émettre un vœu ? Ce serait que
l’index contienne également une table générale des incipit de tous les poèmes
présentés dans la bibliothèque. Le critique littéraire y trouverait ainsi un instrument
de travail précieux et complet.
FRANÇOIS ROUGET, Queen’s University
Marie-Luce Demonet. « À plaisir ». Sémiotique et scepticisme chez Montaigne.
Orléans, Paradigme, 2002. P. 428.
Depuis quelques années, les Éditions Paradigme ont la bonne idée de rassembler,
dans la collection « L’Atelier de la Renaissance », certains travaux épars de
seizièmistes de pointe pour les rendre plus aisément accessibles. C’est ainsi que,
grâce aux bons soins de Frank Lestringant, directeur de cette collection, nous avons
eu, par exemple, Humanisme et facétie de Guy Demerson et le Défi des signes de
Michel Jeanneret. Grande spécialiste du statut du signe linguistique à la Renaissance, Marie-Luce Demonet a publié, il y a une dizaine d’années, un ouvrage
fondamental, Les Voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance,
1480–1580 (Paris, H. Champion, 1992). Elle y montrait en particulier que, pour la
période envisagée, la pensée linguistique reposait largement sur le conventionnalisme aristotélicien (les langues sont nées de l’imposition des hommes). Elle nous
offre maintenant en dix-huit chapitres un prolongement à ses réflexions sous la
forme d’un vaste compendium d’études précédemment publiées ou partiellement
utilisées dont le thème général tourne autour de la conception du signe que se fait
Montaigne dans les Essais.
Le principal danger de tout rassemblement d’articles est d’offrir une « marqueterie mal jointe » (« De la vanité » [III, 9]) mais sans le génial fil conducteur
dont dispose l’auteur des Essais. Il n’en est rien ici car l’ensemble de l’ouvrage a
été entièrement repensé en fonction de lignes de force qui s’imposent avec élégance
à la lecture. Tout au long de pages savantes et toujours admirablement composées,
Book Reviews / Comptes rendus / 77
Marie-Luce Demonet nous invite à méditer sur ce qui relie sémiotique (l’analyse
des signes) et scepticisme (la suspension du jugement) chez un auteur dont
l’écriture relève souvent d’une méditation sur les signes. Renonçant à l’idéal
platonico-mystique souvent associé à la Renaissance, Montaigne combinerait le
naturalisme d’Épicure, le conventionnalisme d’Aristote et le scepticisme de Sextus
pour en faire un « miel tout sien » ( « De l’Institution des enfans » [I, 26]). Mais
il transposerait aussi les leçons apprises de la philosophie, de la politique et de la
théologie sur le plan esthétique pour y trouver un « ravissement voluptueux » (p.
13).
Les premiers mots du titre sont tout un programme: À plaisir. De même que
Rabelais faisait dire à Pantagruel que « les voix [. . .] ne signifient naturellement
mais à plaisir » (Tiers Livre, chapitre 19), l’ironique apologiste n’oserait laisser
notre pensée « tailler et coudre à son plaisir » (« Apologie de R. Sebond » [II, 12]).
De là à poser l’hypothèse que Montaigne laisse dans ses écrits les indices d’une
sémiotique essentiellement sceptique il n’y a qu’un pas. Ce pas est franchi au terme
d’un long cheminement, per angusta ad augusta, lorsque nous découvrons un
Montaigne « parieur », partisan de la contingence (p. 333) et sentant déjà peut-être
le libertin de Pascal : un Montaigne en tout cas très beuvien, qui opte pour le
fidéisme non par conviction mais parce que, avant Hume et les utilitaristes
écossais, il préfère, tous comptes faits, accorder sa confiance à la valeur fiduciaire
des signes.
Peut-être trouvera-t-on cette conclusion trop « moderne » ou trop « optimiste ». Car pour l’auteur des Essais, les « troubles » issus des querelles politicoreligieuses sont le symptôme d’une crise beaucoup plus profonde et qui affecte les
fondements mêmes de la société de son temps. Cette crise peut être dite aussi
« sémiotique » dans la mesure où elle atteint le système de représentation sur lequel
repose l’idéologie dominante du savoir humaniste. Ce qui semblait acquis par la
Renaissance triomphante se trouve mis en échec par le processus même de l’Histoire. Marie-Luce Demonet ne croit pas à une « crise du signe » à l’époque de
Montaigne (voir sa note 8, p. 9). Pourtant la crise sémiotique dont les « troubles »
civils sont le symptôme affecte le rapport entre les mots (verba) et les choses (res).
Les signes sont devenus opaques ; ils peuvent tromper à tout moment ; ce sont des
traîtres en puissance. Aussi faut-il se méfier d’appeler « vertu » ce qui n’est
peut-être que désir de gloire. On juge trop souvent le « cœur » sur la « contenance », et le langage lui-même incite à se méprendre sur les « apparences externes » (« De la gloire » [II, 16]). Comme l’a bien montré Antoine Compagnon (dans
Nous, Michel de Montaigne [Paris, Éditions du Seuil, 1980]), Montaigne adhère
pleinement à la critique nominaliste qui dénonce les fausses complicités du langage
et de la réalité qu’il est censé représenter. On n’est pas forcément ligueur parce
qu’on admire la personnalité de Guise, pas plus qu’on n’est huguenot parce que
l’on est séduit par l’activité de Navarre (« De mesnager sa volonté » [III, 10])
Ainsi, hors du monde inflationniste et pervers des affaires publiques, cherche
à se constituer dans et par les Essais le monde authentique du sujet privé : « Je ne
me soucie pas tant quel je sois chez autruy, comme je me soucie quel je sois en
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moy mesme. Je veux estre riche par moy, non par emprunt » (« De la gloire » [II,
16]). C’est dans le « for intérieur », le « dedans », le « cœur » que se trouve la
véritable richesse de la conscience morale ; et celle-ci refuse une quelconque
concession au bon plaisir. Le bel ouvrage de Marie-Luce Demonet offre une mine
de renseignements précieux mais les conclusions de Jean Starobinski (Montaigne
en mouvement [Paris, Gallimard, 1983]) et de Marc Fumaroli (« Montaigne et
l’éloquence du for intérieur », in Les Formes brèves de la prose et le discours
discontinu [XVIe–XVIIe siècles], éd. J. Lafond [Paris: Vrin, 1984], p. 27–50) nous
semblent rester valables : chez Montaigne, le mouvement vers l’intériorité est aussi
un mouvement vers la vérité des signes.
FRANÇOIS RIGOLOT, Princeton University
Robert Matz. Defending Literature in Early Modern England: Renaissance
Literary Theory in Social Context. Cambridge: Cambridge University Press,
2000. Pp. xi, 188.
In Defending Literature in Early Modern England, Robert Matz raises the question
of how literary discourse represents and positions itself in relation to the arrangements of class and power in Tudor England. The touchstone for Matz’s analysis is
Horace’s famous formulation of poetry’s ability to “profit and delight.” In his alert
reading of three major Tudor texts in their social and cultural moments — Sir
Thomas Elyot’s Boke Named the Governour, Sir Philip Sidney’s A Defence of
Poetry, and Edmund Spenser’s The Faerie Queene, Book 2 — Matz demonstrates
how the Horatian formula deployed by these humanist writers to defend literature
embeds and plays out contradictions and conflicts in standards and ideas of
aristocratic conduct.
The historical setting of his study is the century-long crisis of the Tudor
aristocracy: the waning of its feudal privileges and practices; the development of
the centralized, bureaucratic monarchy; the cultural impact of humanist intellectuals who sought to instruct, reform, or enter the noble class. Matz correlates the
“instructive” impetus of the Horatian formula with the development of humanist
and Protestant emphases on self-discipline and public service; the “delight” suggested in the Horatian formula carried, in its turn, a nostalgia for aristocratic
entitlement to the private pleasures of life grandly, extravagantly lived. Each of
the writers studied by Matz seeks differently to adapt the emerging humanist-Protestant valorization of virtue, self-discipline, and industry to traditional aristocratic
values of material consumption, leisure, and self-display.
Elyot’s Boke Named the Governour provides Matz an early instance in
England of the effort to relate humanist learning, rhetoric, and eloquence to the
systems of privilege and access to power which organize Tudor material culture.
These systems themselves were being transformed by the consolidation of power
in Henry VIII’s court and the consequent need for literate functionaries to staff and
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