Science et Vie

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SCLÉROSE EN PLAQUES
28/01/2008
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> VIROLOGIE
Sclérose
en plaques
Enfin un espoir!
Qu’est-ce qui déclenche cette maladie cérébrale? Le réveil d’un rétrovirus tapi dans notre ADN
depuis des générations, disent certains chercheurs. Une piste sérieuse vers une thérapie.
> ENJEUX
Notre génome est un formidable patrimoine! La preuve : il y a des millions
d’années, un rétrovirus s’insérait dans
le génome humain et restait là, tapi
dans l’ADN, quoique de manière inoffensive à force de mutations. Inoffensif ? C’est à voir. Car des scientifiques viennent de découvrir qu’il est
peut-être la clef de… la sclérose en plaques (SEP), cette maladie cérébrale dégénérative dont souffrent plus de
60000 personnes en France, deux millions dans le monde, et pour laquelle il
n’existe toujours pas de traitement cu2
SCIENCE & VIE > MARS > 2008
CRÉDIT
H.PERRON/GENEURO - SPL/COSMOS
Par Marie-Catherine Mérat
ratif (voir “Enjeux”). Car si l’on sait que
la sclérose en plaques est une maladie
inflammatoire du système nerveux
central, caractérisée par la destruction
de la gaine protectrice qui entoure les
fibres nerveuses, la myéline, on sait
beaucoup moins ce qui la déclenche.
Pourtant, les pistes ne manquent pas :
susceptibilité génétique, réaction autoimmune, implication d’agents infectieux, atteinte des cellules productrices
de myéline… Oui, mais aucune de ces
hypothèses ne suffit à expliquer l’émergence de la maladie. Or, voici →
Chez le mala^
de atteint de
SEP, la destruction de la gaine
entourant les
fibres nerveuses
forme des plaques (?), causes
de symptômes
divers…
< …Les particules rétrovirales (noir) découvertes en
1989 par Hervé
Perron chez les
malades pourraient en être
le déclencheur.
La sclérose en plaque (SEP) est
une des plus fréquentes maladies neurologiques (près d’une
personne sur mille est concernée
en France) et la seconde cause
de handicap chez les jeunes
adultes, après les accidents de la
route. Elle se manifeste par des
troubles multiples (moteurs, sensitifs, visuels, neurologiques).
Fulgurante ou très lente, la SEP
est une maladie imprévisible,
pour laquelle il n’existe aucun
traitement curatif. Une meilleure
compréhension des mécanismes
à l’origine de la SEP peut ouvrir
des perspectives thérapeutiques.
2008 > MARS > SCIENCE & VIE
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SCLÉROSE EN PLAQUES
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> VIROLOGIE
Comment un rétrovirus ancestral
déclencherait la sclérose en plaques
1Un rétrovirus a intégré le génome humain
Il y a des millions d’années, un rétrovirus a
intégré les cellules reproductives d’un individu, s’insérant ainsi dans son génome. Cette
séquence d’ADN rétroviral s’est depuis transmise de génération en génération. On la retrouve aujourd’hui dans toutes les cellules
de l’organisme et notamment dans les macrophages du cerveau.
Protéine
d’enveloppe
DE L’ADN POUBELLE ? FAUX
Aujourd’hui directeur scientifique
chez GeNeuro, Hervé Perron était
étudiant en thèse lorsqu’il fit une découverte étonnante. C’était en 1989.
Observant au microscope électronique
les cellules du liquide céphalorachidien d’une patiente de 57 ans atteinte
de SEP, il a la surprise d’y découvrir des
particules rétrovirales. Observation
confirmée via des cultures cellulaires
d’autres malades. Commence alors la
phase d’identification. Nouvelle surprise : ces particules ne ressemblent à
rien de connu. Le jeune chercheur
en conclut qu’il s’agit d’un nouveau rétrovirus humain, qu’il nomme MSRV.
Mais le séquençage partiel de son génome révèle autre chose: certains motifs ressemblent étrangement à des éléments de notre propre génome, bapti-
>
JARGON
Les rétrovirus sont des
virus à ARN, qui, pour s’intégrer dans le génome des
cellules qu’ils infectent,
savent copier leur ARN en
ADN. Les rétrovirus endogènes se sont ainsi insérées dans l’ADN de nos
lointains ancêtres via les
cellules de la lignée germinale , qui donnent naissance à toutes les autres
cellules de l’organisme.
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SCIENCE & VIE > MARS > 2008
2leDesrétrovirus
générations plus tard,
est réactivé
Macrophage
du cerveau
3 L’ADN rétroviral s’exprime
Dans certaines conditions, l’infection
par un virus comme l’herpès réactive
des séquences d’ADN rétroviral dans
les macrophages du cerveau.
ADN
nucléaire
Les macrophages se mettent à sécréter
des protéines d’enveloppe et/ou des virions couverts de cette protéine. Ces
structures se fixent à un récepteur des cellules dendritiques du système immunitaire.
INFECTION
Noyau
Virion
ACTIVATION
Récepteur
SÉCRÉTION DE PROTÉINES
D’ENVELOPPE ET DE VIRIONS
Macrophage
du cerveau
Virion
Rétrovirus
ancestral
TRANSMISION
INFECTION
Il est vrai qu’après s’être intégré dans
l’ADN d’une cellule hôte, un rétrovirus classique, type VIH, peut se répliquer en s’exprimant sous forme de virions (particules virales) composés du
matériel génétique (ARN) du rétrovirus. Mais un rétrovirus inséré dans le
génome depuis des millions d’années
aurait-il encore la capacité de s’exprimer ainsi ?
Le jeune biologiste pousse donc plus
loin son enquête… Première étape, vérifier que MSRV peut effectivement
Le gène env, hérité de nos ancêtres,
peut encore s’exprimer en protéine !
8 %. La présence chez des malades de
la SEP de cet étrange rétrovirus MSRV,
datant du lointain passé de l’homme,
signifie-t-elle qu’un rétrovirus intégré
dans le génome aurait retrouvé la faculté de s’exprimer aujourd’hui chez
ces personnes ?
avoir une “contrepartie endogène”.
Car la similitude entre MSRV et la
famille ERV9 peut être simplement
due à une proximité phylogénétique.
François Rieger, alors vice-président
scientifique de l’ARSEP (Association
pour la recherche sur la SEP), et Pa-
Cellule dendritique
du système
immunitaire
LA SCLÉROSE
EN PLAQUES
S’INSTALLE
Tous les
descendants
sont porteurs
de l’ADN
rétroviral
UNE INFLAMMATION
EST DÉCLENCHÉE
DANS LE CERVEAU
sés séquences rétrovirales endogènes
(voir Science et Vie n°1078, p.92). En
l’occurence, MSRV présente des similitudes avec une famille rétrovirale
endogène nommée ERV9. Des familles de ce type, on sait aujourd’hui
qu’il en existe plus d’une trentaine
dans le génome humain. Chacune
rassemble les nombreux fragments
d’ADN témoins d’une infection par un
rétrovirus souvent vieille… de millions d’années ! Intégrées dans notre
génome, elles en représentent même
Alerté, le cellule immunitaire déclenche une inflammation dans les tissus cérébraux. C’est cette inflammation qui, à la longue, conduirait à la
perte de motricité des malades.
Protéines
d’enveloppe
ADN rétroviral activé
ADN rétro
viral
4 La maladie est déclenchée
Virus de l’herpès
M.KONTENTE
→ qu’une autre thèse, timidement
apparue dans les années 80 et pointant
du doigt le rôle d’un rétrovirus dans la
SEP, a pris un essor considérable ces
derniers mois. Elle n’a pas encore convaincu l’ensemble de la communauté
scientifique. Mais elle séduit car elle
établit un lien entre les différentes hypothèses émises jusqu’ici et, prétend
même conduire à l’élaboration d’une
nouvelle thérapie de la SEP.
trick Alliel, tous deux neurobiologistes
à l’Inserm, se préoccupent également
de cette question. “Nous avons été voir
dans le génome humain s’il n’existait
pas des séquences qui correspondent à
celles du rétrovirus MSRV ”, se souvient Patrick Alliel. Comment? A l’aide
d’un petit bout de séquence de MSRV,
utilisé comme sonde, capable de s’apparier dans le génome avec tout morceau d’ADN lui ressemblant.
Sauf qu’à l’époque, le séquençage
du génome humain est encore balbutiant. C’est à peine si l’on a déchiffré 2
à 3 % des 3 000 Mbases qui le composent. Coup de chance : c’est dans un
fragment d’ 1 Mbase, rendu public
sur Internet, que les chercheurs détectent sur le chromosome 7 une séquence rétrovirale complète composée
de tous les motifs propres aux rétrovirus. Mieux : l’un d’eux, le gène “env”,
qui code pour l’enveloppe des rétrovirus, s’avère encore capable de s’ex-
primer en protéine ! Une petite révolution, car “pour beaucoup de scientifiques à l’époque, il était impossible
qu’un rétrovirus organisé puisse persister dans le génome humain. Ils considéraient les séquences rétrovirales endogènes comme de l’ADN poubelle,
trop dégradé pour être exprimé en protéines”, dit François Rieger.
Parallèlement, Hervé Perron réalise
les mêmes observations aux côtés de
son collègue François Mallet, au sein
d’un laboratoire mixte CNRS/Biomérieux. Et bientôt, ce sont d’autres séquences rétrovirales qu’identifient les
deux équipes avec le même procédé.
Disséminées dans l’ensemble du génome, ces milliers de copies constituent
en 1998 une nouvelle famille de rétrovirus endogènes humains, appelée
HERVW. Quel lien avec les particules
MSRV ? “Chez certains individus, des
copies de la famille HERVW restent pathogènes et gardent une capacité →
LES CELLULES
DENDRITIQUES
STIMULENT
LE SYSTÈME
IMMUNITAIRE
UN AUTRE VIRUS
PATHOGÈNE DANS
NOTRE GÉNOME ?
Comme HERVW , la famille rétrovirale endogène HERVK est
suspectée d’être pathogène
pour l’homme. Elle aussi a été
associée à l’expression de particules rétrovirales, observées
dans des mélanomes et des
tumeurs des cellules sexuelles
humaines. Thierry Heidmann,
spécialiste des rétrovirus endogènes (Villejuif), a même
réussi à reconstituer ce rétrovirus en 2006 pour comprendre son action. HERVK et
HERVW se seraient inséré dans
le génome des primates il y a
30 millions d’années environ.
Malgré les mutations, HERVK
contient encore beaucoup de
séquences actives, contrairement à HERVW qui n’en compte que quelques unes.
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> VIROLOGIE
→d’expression sous forme de particule
virale”, suppose Hervé Perron.
Pour l’heure, l’attention des scientifiques se reporte sur cette fameuse protéine d’enveloppe Env. Pourrait-elle
avoir un lien avec la SEP ? On lui
trouve en tout cas un rôle physiologique dans la formation du placenta humain. “Certains gènes rétroviraux ont
été domestiqués par l’organisme au
cours de l’évolution”, explique Hervé
Perron. Une domestication imparfaite
cependant : en 2006, Patrice Marche,
immunologiste à l’Inserm, montre que
la protéine d’enveloppe des particules
MSRV est capable de stimuler certaines cellules du système immunitaire, entraînant une réaction inflammatoire, voire une auto-immunité,
comme dans la sclérose en plaques. Exprimée dans le cerveau des malades,
c’est donc cette protéine qui déclencherait les mécanismes pathologiques
responsables de la SEP… “Qu’elle soit
pathogènes] issu d’une personne atteinte de SEP, ils sont capables de réactiver
l’expression de séquences rétrovirales
dormantes de la famille HERVW”, explique Hervé Perron. Et notamment
celle(s) codant pour la protéine Env...
Le biologiste n’a qu’une idée en tête :
bloquer l’action de cette protéine sur le
système immunitaire. Aidé de l’incubateur suisse Eclosion et de la société
Biomérieux, il fonde GeNeuro en février 2006. Une étude européenne est
lancée pour savoir si la protéine Env est
exprimée chez tous les malades. . Résultat : elle l’est chez les 75% des personnes testées atteintes de SEP, toute
forme confondue ! Quid du quart restant ? “Soit il s’agit de personnes en rémission, soit il s’agit de personnes atteintes d’une SEP aux causes différentes,
indépendantes de Env ”, commente
Hervé Perron. Quoi qu’il en soit, au vu
d’une telle prévalence, GeNeuro se
lance dans la mise au point d’un test de
J.GOODE/SIDACTION
D’ici à deux ans, un test permettra
de diagnostiquer la maladie très tôt
exprimée seule ou associée à des particules virales, son action sur le système
immunitaire est sans doute la même”,
précise Patrice Marche.
Tout est désormais en place pour
que la thèse rétrovirale prenne corps.
D’autant qu’elle englobe plusieurs hypothèses émises jusqu’alors pour tenter
de comprendre la maladie. A commencer par l’auto-immunité, mais
aussi l’implication d’agents infectieux.
“Beaucoup de virus classiques ont été
mis en cause dans la SEP, comme celui
de l’herpes, de la varicelle, ou encore le
virus Epstein-Bar. Car on les retrouve
plus fréquemment associés à certaines
poussées de la maladie. Mais ils n’expliquent pas à eux seuls l’auto-immunité. Ce qui est intéressant, c’est que nous
avons montré que lorsque ces virus rentrent dans un macrophage [cellule du
système immunitaire qui phagocyte les
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SCIENCE & VIE > MARS > 2008
détection de la protéine, qui permettrait de diagnostiquer très précocement la SEP. “ Il pourrait être disponible dans deux ans au mieux”.
Quant à l’anticorps, il a déjà été testé
chez la souris. La protéine Env déclenche chez le rongeur une maladie
inflammatoire et démyélinisante très
proche de la SEP. Or, après injection
de l’anticorps, la progression de la maladie est stoppée ! Des résultats spectaculaires, qui laissent espérer un effet similaire chez l’homme. Prudence cependant : “La SEP est plus complexe
qu’une simple cascade autoimmune
qui serait déclenchée par Env... D’autres
facteurs entrent en jeu”, tempère François Rieger. GeNeuro espère en tout
cas voir débuter les premiers essais cliniques d’ici à un an. Jusqu’à quel point
l’anticorps pourra-t-il enrayer la mala❚
die ? Réponse en 2009.
>
TROIS
QUESTIONS À…
Jean-Luc Darlix,
L A B O R AT O I R E D E V I R O L O G I E
HUMAINE, INSERM
Comment accueillezvous la thèse rétrovirale
de la SEP?
Cette hypothèse est solide.
D’autant que d’autres maladies neurodégénératives
ont été associées à l’expression de rétrovirus endogènes, comme Creutzfeldt Jacob ou Alzheimer.
Les personnes atteintes de
SEP pourraient avoir subi
un stress, une coinfection
virale ou bactérienne, qui
auraient réveillé certaines
séquences rétrovirales endogènes dans leur cerveau.
Pourquoi ne fait-elle
pas l’unanimité?
Il manque un modèle animal satisfaisant. Procéder
à une injection de la protéine pathogène est contestable car cela ne reflète
pas la réalité. L’idéal serait
d’avoir un modèle transgénique, qui permettrait de
déclencher l’expression de
la protéine rétrovirale au
sein-même du cerveau, et
ainsi d’induire une maladie
plus proche de la SEP.
Qu’attendre d’une immunothérapie ?
Je suis optimiste. Si on arrive à bloquer la protéine
rétrovirale, on peut espérer
stopper la progression de
la maladie. L’enjeu est d’agir le plus tôt possible, tant
qu’il n’y a pas trop de lésions car on sait aujourd’hui que le cerveau se
régénère. Lentement certes, mais il se régénère.
2005 > AOÛT > SCIENCE & VIE
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