2SCIENCE & VIE > MARS > 2008
>VIROLOGIE
2008 > MARS > SCIENCE & VIE 3
CRÉDIT
ratif (voir “Enjeux”). Car si l’on sait que
la sclérose en plaques est une maladie
inflammatoire du système nerveux
central, caractérisée par la destruction
de la gaine protectrice qui entoure les
fibres nerveuses, la myéline, on sait
beaucoup moins ce qui la déclenche.
Pourtant, les pistes ne manquent pas :
susceptibilité génétique, réaction auto-
immune, implication d’agents infec-
tieux, atteinte des cellules productrices
de myéline… Oui, mais aucune de ces
hypothèses ne suffit à expliquer l’émer-
gence de la maladie. Or, voici
Notre génome est un formidable pa-
trimoine! La preuve : il y a des millions
d’années, un rétrovirus s’insérait dans
le génome humain et restait là, tapi
dans l’ADN, quoique de manière inof-
fensive à force de mutations. Inof-
fensif? C’est à voir. Car des scientifi-
ques viennent de découvrir qu’il est
peut-être la clef de… la sclérose en pla-
ques (SEP), cette maladie cérébrale dé-
générative dont souffrent plus de
60000 personnes en France, deux mil-
lions dans le monde, et pour laquelle il
n’existe toujours pas de traitement cu-
Qu’est-ce qui déclenche cette maladie cérébra-
le? Le réveil d’un rétrovirus tapi dans notre ADN
depuis des générations, disent certains cher-
cheurs. Une piste sérieuse vers une thérapie.
Par Marie-Catherine Mérat
Sclérose
en plaques
Enfin un espoir!
^
Chez le mala-
de atteint de
SEP, la destruc-
tion de la gaine
entourant les
fibres nerveuses
forme des pla-
ques (?), causes
de symptômes
divers…
<
…L
es parti-
cules rétrovi-
rales (noir) dé-
couvertes en
1989 par Hervé
Perron chez les
malades pour-
raient en être
le déclencheur.
>
La sclérose en plaque (SEP) est
une des plus fréquentes mala-
dies neurologiques (près d’une
personne sur mille est concernée
en France) et la seconde cause
de handicap chez les jeunes
adultes, après les accidents de la
route. Elle se manifeste par des
troubles multiples (moteurs, sen-
sitifs, visuels, neurologiques).
Fulgurante ou très lente, la SEP
est une maladie imprévisible,
pour laquelle il n’existe aucun
traitement curatif. Une meilleure
compréhension des mécanismes
à l’origine de la SEP peut ouvrir
des perspectives thérapeutiques.
ENJEUX
H.PERRON/GENEURO - SPL/COSMOS
SCLÉROSE EN PLAQUES 28/01/2008 12:01 Page 2
sés séquences rétrovirales endogènes
(voir Science et Vie n°1078, p.92). En
l’occurence, MSRV présente des si-
militudes avec une famille rétrovirale
endogène nommée ERV9. Des fa-
milles de ce type, on sait aujourd’hui
qu’il en existe plus d’une trentaine
dans le génome humain. Chacune
rassemble les nombreux fragments
d’ADN témoins d’une infection par un
rétrovirus souvent vieille… de mil-
lions d’années! Intégrées dans notre
génome, elles en représentent même
8%. La présence chez des malades de
la SEP de cet étrange rétrovirus MSRV,
datant du lointain passé de l’homme,
signifie-t-elle qu’un rétrovirus intégré
dans le génome aurait retrouvé la fa-
culté de s’exprimer aujourd’hui chez
ces personnes?
2008 > MARS > SCIENCE & VIE 54 SCIENCE & VIE > MARS > 2008
M.KONTENTE
primer en protéine! Une petite révo-
lution, car “pour beaucoup de scien-
tifiques à l’époque, il était impossible
qu’un rétrovirus organisé puisse persis-
ter dans le génome humain. Ils consi-
déraient les séquences rétrovirales en-
dogènes comme de l’ADN poubelle,
trop dégradé pour être exprimé en pro-
téines, dit François Rieger.
Parallèlement, Hervé Perron réalise
les mêmes observations aux côtés de
son collègue François Mallet, au sein
d’un laboratoire mixte CNRS/Biomé-
rieux. Et bientôt, ce sont d’autres sé-
quences rétrovirales qu’identifient les
deux équipes avec le même procédé.
Disséminées dans l’ensemble du géno-
me, ces milliers de copies constituent
en 1998 une nouvelle famille de rétro-
virus endogènes humains, appelée
HERVW. Quel lien avec les particules
MSRV ? “Chez certains individus, des
copies de la famille HERVW restent pa-
thogènes et gardent une capacité
trick Alliel, tous deux neurobiologistes
à l’Inserm, se préoccupent également
de cette question. Nous avons été voir
dans le génome humain s’il n’existait
pas des séquences qui correspondent à
celles du rétrovirus MSRV, se sou-
vient Patrick Alliel. Comment? A l’aide
d’un petit bout de séquence de MSRV,
utilisé comme sonde, capable de s’ap-
parier dans le génome avec tout mor-
ceau d’ADN lui ressemblant.
Sauf qu’à l’époque, le séquençage
du génome humain est encore balbu-
tiant. C’est à peine si l’on a déchiffré 2
à 3% des 3 000 Mbases qui le compo-
sent. Coup de chance: c’est dans un
fragment d’ 1 Mbase, rendu public
sur Internet, que les chercheurs dé-
tectent sur le chromosome7 une sé-
quence rétrovirale complète composée
de tous les motifs propres aux rétrovi-
rus. Mieux: l’un d’eux, le gène “env”,
qui code pour l’enveloppe des rétro-
virus, s’avère encore capable de s’ex-
>JARGON
Les rétrovirus sont des
virus à ARN, qui, pour s’in-
tégrer dans le génome des
cellules qu’ils infectent,
savent copier leur ARN en
ADN. Les rétrovirus en-
dogènes se sont ainsi in-
sérées dans l’ADN de nos
lointains ancêtres via les
cellules de la lignée germi-
nale , qui donnent nais-
sance à toutes les autres
cellules de l’organisme.
Il est vrai qu’après s’être intégré dans
l’ADN d’une cellule hôte, un rétrovi-
rus classique, type VIH, peut se répli-
quer en s’exprimant sous forme de vi-
rions (particules virales) composés du
matériel génétique (ARN) du rétrovi-
rus. Mais un rétrovirus inséré dans le
génome depuis des millions d’années
aurait-il encore la capacité de s’expri-
mer ainsi?
Le jeune biologiste pousse donc plus
loin son enquête… Première étape, vé-
rifier que MSRV peut effectivement
avoir une “contrepartie endogène”.
Car la similitude entre MSRV et la
famille ERV9 peut être simplement
due à une proximité phylogénétique.
François Rieger, alors vice-président
scientifique de l’ARSEP (Association
pour la recherche sur la SEP), et Pa-
Le gène env, hérité de nos ancêtres,
peut encore s’exprimer en protéine!
Comme HERVW , la famille ré-
trovirale endogène HERVK est
suspectée d’être pathogène
pour l’homme. Elle aussi a été
associée à l’expression de par-
ticules rétrovirales, observées
dans des mélanomes et des
tumeurs des cellules sexuelles
humaines.Thierry Heidmann,
spécialiste des rétrovirus en-
dogènes (Villejuif), a même
réussi à reconstituer ce rétro-
virus en 2006 pour com-
prendre son action. HERVK et
HERVW se seraient inséré dans
le génome des primates il y a
30 millions d’années environ.
Malgré les mutations, HERVK
contient encore beaucoup de
séquences actives, contraire-
ment à HERVW qui n’en comp-
te que quelques unes.
LA SCLÉROSE
EN PLAQUES
S’INSTALLE
Rétrovirus
ancestral
Protéine
d’enveloppe
Protéines
d’enveloppe
Virion
INFECTION
TRANSMISION
1Un rétrovirus a intégré le génome humain
Il y a des millions d’années, un rétrovirus a
intégré les cellules reproductives d’un indivi-
du, s’insérant ainsi dans son génome. Cette
séquence d’ADN rétroviral s’est depuis trans-
mise de génération en génération. On la re-
trouve aujourd’hui dans toutes les cellules
de l’organisme et notamment dans les ma-
crophages du cerveau.
2Des générations plus tard,
le rétrovirus est réactivé
Dans certaines conditions, l’infection
par un virus comme l’herpès réactive
des séquences d’ADN rétroviral dans
les macrophages du cerveau.
3L’ADN rétroviral s’exprime
Les macrophages se mettent à sécréter
des protéines d’enveloppe et/ou des vi-
rions couverts de cette protéine. Ces
structures se fixent à un récepteur des cel-
lules dendritiques du système immunitaire.
4La maladie est déclenchée
Alerté, le cellule immunitaire déclen-
che une inflammation dans les tis-
sus cérébraux. C’est cette inflamma-
tion qui, à la longue, conduirait à la
perte de motricité des malades.
Comment un rétrovirus ancestral
déclencherait la sclérose en plaques
ADN rétro
viral
ADN
nucléaire
ADN rétro-
viral activé
Cellule dendritique
du système
immunitaire
Récepteur
Macrophage
du cerveau Macrophage
du cerveau
Virus de l’herpès
Noyau
INFECTION
ACTIVATION
SÉCRÉTION DE PROTÉINES
D’ENVELOPPE ET DE VIRIONS
UNE INFLAMMATION
EST DÉCLENCHÉE
DANS LE CERVEAU
LES CELLULES
DENDRITIQUES
STIMULENT
LE SYSTÈME
IMMUNITAIRE
Virion
Tous les
descendants
sont porteurs
de l’ADN
rétroviral
UN AUTRE VIRUS
PATHOGÈNE DANS
NOTRE GÉNOME?
>VIROLOGIE
qu’une autre thèse, timidement
apparue dans les années 80 et pointant
du doigt le rôle d’un rétrovirus dans la
SEP, a pris un essor considérable ces
derniers mois. Elle n’a pas encore con-
vaincu l’ensemble de la communauté
scientifique. Mais elle séduit car elle
établit un lien entre les différentes hy-
pothèses émises jusqu’ici et, prétend
même conduire à l’élaboration d’une
nouvelle thérapie de la SEP.
DE L’ADN POUBELLE ? FAUX
Aujourd’hui directeur scientifique
chez GeNeuro, Hervé Perron était
étudiant en thèse lorsqu’il fit une dé-
couverte étonnante. C’était en 1989.
Observant au microscope électronique
les cellules du liquide céphalorachi-
dien d’une patiente de 57 ans atteinte
de SEP, il a la surprise d’y découvrir des
particules rétrovirales. Observation
confirmée via des cultures cellulaires
d’autres malades. Commence alors la
phase d’identification. Nouvelle sur-
prise: ces particules ne ressemblent à
rien de connu. Le jeune chercheur
en conclut qu’il s’agit d’un nouveau ré-
trovirus humain, qu’il nomme MSRV.
Mais le séquençage partiel de son gé-
nome révèle autre chose: certains mo-
tifs ressemblent étrangement à des élé-
ments de notre propre génome, bapti-
SCLÉROSE EN PLAQUES 28/01/2008 12:01 Page 4
pathogènes] issu d’une personne attein-
te de SEP, ils sont capables de réactiver
l’expression de séquences rétrovirales
dormantes de la famille HERVW”, ex-
plique Hervé Perron. Et notamment
celle(s) codant pour la protéine Env...
Le biologiste n’a qu’une idée en tête :
bloquer l’action de cette protéine sur le
système immunitaire. Aidé de l’incu-
bateur suisse Eclosion et de la société
Biomérieux, il fonde GeNeuro en fé-
vrier 2006. Une étude européenne est
lancée pour savoir si la protéine Env est
exprimée chez tous les malades. . Ré-
sultat: elle l’est chez les 75% des per-
sonnes testées atteintes de SEP, toute
forme confondue! Quid du quart res-
tant ? Soit il s’agit de personnes en ré-
mission, soit il s’agit de personnes at-
teintes d’une SEP aux causes différentes,
indépendantes de Env, commente
Hervé Perron. Quoi qu’il en soit, au vu
d’une telle prévalence, GeNeuro se
lance dans la mise au point d’un test de
détection de la protéine, qui permet-
trait de diagnostiquer très précoce-
ment la SEP. Il pourrait être dis-
ponible dans deux ans au mieux”.
Quant à l’anticorps, il a déjà été testé
chez la souris. La protéine Env dé-
clenche chez le rongeur une maladie
inflammatoire et démyélinisante très
proche de la SEP. Or, après injection
de l’anticorps, la progression de la ma-
ladie est stoppée ! Des résultats specta-
culaires, qui laissent espérer un effet si-
milaire chez l’homme. Prudence ce-
pendant : “La SEP est plus complexe
qu’une simple cascade autoimmune
qui serait déclenchée par Env... D’autres
facteurs entrent en jeu”, tempère Fran-
çois Rieger. GeNeuro espère en tout
cas voir débuter les premiers essais cli-
niques d’ici à un an. Jusqu’à quel point
l’anticorps pourra-t-il enrayer la mala-
die ? Réponse en 2009.
2005 > AOÛT > SCIENCE & VIE 76 SCIENCE & VIE > MARS > 2008
J.GOODE/SIDACTION
>VIROLOGIE
d’expression sous forme de particule
virale”, suppose Hervé Perron.
Pour l’heure, l’attention des scienti-
fiques se reporte sur cette fameuse pro-
téine d’enveloppe Env. Pourrait-elle
avoir un lien avec la SEP? On lui
trouve en tout cas un rôle physiologi-
que dans la formation du placenta hu-
main. Certains gènes rétroviraux ont
été domestiqués par l’organisme au
cours de l’évolution, explique Hervé
Perron. Une domestication imparfaite
cependant: en 2006, Patrice Marche,
immunologiste à l’Inserm, montre que
la protéine d’enveloppe des particules
MSRV est capable de stimuler cer-
taines cellules du système immuni-
taire, entraînant une réaction inflam-
matoire, voire une auto-immunité,
comme dans la sclérose en plaques. Ex-
primée dans le cerveau des malades,
c’est donc cette protéine qui déclen-
cherait les mécanismes pathologiques
responsables de la SEP… Qu’elle soit
exprimée seule ou associée à des parti-
cules virales, son action sur le système
immunitaire est sans doute la même,
précise Patrice Marche.
Tout est désormais en place pour
que la thèse rétrovirale prenne corps.
D’autant qu’elle englobe plusieurs hy-
pothèses émises jusqu’alors pour tenter
de comprendre la maladie. A com-
mencer par l’auto-immunité, mais
aussi l’implication d’agents infectieux.
Beaucoup de virus classiques ont été
mis en cause dans la SEP, comme celui
de l’herpes, de la varicelle, ou encore le
virus Epstein-Bar. Car on les retrouve
plus fréquemment associés à certaines
poussées de la maladie. Mais ils n’ex-
pliquent pas à eux seuls l’auto-immuni-
té. Ce qui est intéressant, c’est que nous
avons montré que lorsque ces virus ren-
trent dans un macrophage [cellule du
système immunitaire qui phagocyte les
>
Comment accueillez-
vous la thèse rétrovirale
de la SEP?
Cette hypothèse est solide.
D’autant que d’autres mal-
adies neurodégénératives
ont été associées à l’ex-
pression de rétrovirus en-
dogènes, comme Creutz-
feldt Jacob ou Alzheimer.
Les personnes atteintes de
SEP pourraient avoir subi
un stress, une coinfection
virale ou bactérienne, qui
auraient réveillé certaines
séquences rétrovirales en-
dogènes dans leur cerveau.
Pourquoi ne fait-elle
pas l’unanimité?
Il manque un modèle ani-
mal satisfaisant. Procéder
à une injection de la pro-
téine pathogène est con-
testable car cela ne reflète
pas la réalité. L’idéal serait
d’avoir un modèle trans-
génique, qui permettrait de
déclencher l’expression de
la protéine rétrovirale au
sein-même du cerveau, et
ainsi d’induire une maladie
plus proche de la SEP.
Qu’attendre d’une immu-
nothérapie ?
Je suis optimiste. Si on ar-
rive à bloquer la protéine
rétrovirale, on peut espérer
stopper la progression de
la maladie. L’enjeu est d’a-
gir le plus tôt possible, tant
qu’il n’y a pas trop de lé-
sions car on sait aujour-
d’hui que le cerveau se
régénère. Lentement cer-
tes, mais il se régénère.
Jean-Luc Darlix,
LABORATOIRE DE VIROLOGIE
HUMAINE,INSERM
TROIS
QUESTIONS À…
D’ici à deux ans, un test permettra
de diagnostiquer la maladie très tôt
SCLÉROSE EN PLAQUES 28/01/2008 12:01 Page 6
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !