Fiche technique Iléostomie définitive N° 26 Iléostomie définitive Y. Panis Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Lariboisière, Paris. La réalisation d’une stomie digestive est un événement important pour un patient. Celui-ci aura donc été informé, avant sa réalisation, de l’indication de cette stomie, de son fonctionnement, et des éventuelles précautions à prendre pour un fonctionnement optimal de celle-ci. Le choc psychologique entraîné par cette stomie digestive est souvent majeur. Il sera néanmoins plus limité si une information complète est donnée au patient, qui comprendra bien alors l’intérêt de cette intervention. C’est ici que la collaboration d’un stomathérapeute est essentielle, comme peut l’être, pour certaines personnes, la recherche d’un soutien auprès des associations de stomisés. Dans le cadre des stomies digestives, il est important de différencier d’emblée les colostomies des iléostomies, qui, seules, seront abordées ici. En effet, si la prise en charge tant psychologique que par le stomathérapeute est initialement identique, les précautions à prendre pour une colostomie sont bien moindres que pour une iléostomie. Cela s’explique par la nature des selles émises par une colostomie, proche, par l’aspect et la composition (notamment hydrique), des selles normales émises par l’anus. Ainsi, avec une colostomie, les risques observés sont bien moindres, et notamment d’ordre métabolique (voir ci-dessous). L’iléostomie définitive a, en 2003, comme indication principale la maladie de Crohn colique et ano-périnéale sévère, pour laquelle est indiquée une coloproctectomie totale avec iléostomie définitive. L’autre indication, beaucoup plus rare aujourd’hui, est la polypose adénomateuse familiale ou la rectocolite hémorragique avec cancer du très bas rectum ou incontinence (sujet âgé notamment), pour laquelle une anastomose iléo-anale est contre-indiquée. Nous allons aborder successivement l’ensemble des problèmes rencontrés lors de la réalisation d’une iléostomie définitive. Positionnement et confection de l’iléostomie Positionnement correct de l’iléostomie C’est une étape essentielle. En effet, le mauvais positionnement d’une stomie définitive peut avoir des conséquences dramatiques pour le patient. Ainsi, faire une stomie dans un pli graisseux de la paroi abdominale risque d’empêcher toute fixation correcte du support de la stomie et de provoquer des fuites de selles sous le support, fuites particulièrement invalidantes, tant physiquement que psychologiquement. De même, placer l’iléostomie juste à l’endroit de la ceinture du pantalon pourra considérablement gêner le patient. C’est dire combien il est important, la veille de l’intervention, idéalement avec l’aide d’un stomathérapeute, de marquer l’endroit exact de la stomie (chez un patient allongé, puis debout) Figure 1. Repérage préopératoire du bon positionnement de (figure 1). l’iléostomie définitive (d’après Eu K.W. et al.). Confection de l’iléostomie Celle-ci doit, bien sûr, être très minutieuse, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une stomie définitive. Il faut ménager un passage de bon calibre à travers la paroi abdominale, ni trop étroit (risque d’ischémie et de sténose), ni trop large (risque d’éventration péristomiale). 158 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003 Fiche technique N° 26 Iléostomie définitive Figure 2. Confection de l’iléostomie définitive (d’après Eu K.W. et al.). La stomie est sortie et habituellement fixée selon la technique de Turnbull avec une petite trompe qui facilite l’appareillage (figure 2). Les précautions alimentaires Conséquences métaboliques d’une iléostomie définitive La perte du côlon a comme conséquence principale la perte des capacités de réabsorption de l’eau (surtout au niveau du côlon droit), même si le grêle terminal préstomial s’adapte progressivement avec le temps et compense (en partie seulement) la perte du côlon droit. Ainsi, normalement, les selles qui sortent d’une iléostomie sont liquides. Le débit quotidien est très variable d’un patient à l’autre, et varie aussi en fonction de la longueur de grêle restant, ainsi que de l’état (pathologique ou non) du grêle au-dessus de la stomie. Si le débit est souvent important pendant les deux premiers mois, l’adaptation progressive du grêle fait qu’un “régime de croisière” s’établit en général en un à deux mois. En moyenne, une iléostomie produit alors environ 0,5 à 1 l de selles liquides par jour. Cette quantité est donc définitivement “perdue” pour l’organisme, et doit être systématiquement compensée pour éviter les désordres hydro-électrolytiques. On estime qu’à long terme, environ 20 % des patients seront réhospitalisés pour troubles hydroélectrolytiques (déplétion sodée et potassique, acidose métabolique) et/ou déshydratation aiguë. En l’absence de compensation, une déshydratation chronique a minima peut s’installer, avec acidose hyperchlorémique. La déshydratation stimule le système rénine-angiotensine-aldostérone, ce qui réduit la diurèse et la natriurèse et baisse le pH urinaire. Il en résulte un risque de lithiase calcique, et surtout urique (observée chez 5 à 15 % des patients). L’hyperaldostéronisme secondaire peut aussi entraîner une hypokaliémie. Conseils diététiques Il faut recommander au patient, surtout dans les périodes chaudes (été, voyage en pays chauds) de consommer en abondance des boissons salées (type eau de Vichy). Globalement, il faut conseiller au patient de boire quotidiennement sa ration d’eau habituelle, plus la quantité émise par l’iléostomie. Il faut prévenir le patient qu’un régime désodé serait dangereux, car il l’exposerait à un risque d’hyponatrémie parfois profonde. Enfin, en cas de diarrhée aiguë, infectieuse notamment, il existe un risque de pertes hydriques très abondantes par l’iléostomie, qui peuvent entraîner une déshydratation majeure. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003 159 Fiche technique Iléostomie définitive N° 26 Conseils médicamenteux Il est utile de prescrire au patient, si besoin est, un ralentisseur du transit du type lopéramide (Imodium®), à prendre en cas de débit excessif de la stomie. Très souvent, les iléostomisés prennent du lopéramide de manière chronique, à doses variables suivant les patients (de 3 à 6 comprimés par jour le plus souvent). Conseils alimentaires Il n’y a pas de régime alimentaire particulier. En effet, si le grêle restant est normal (tant en longueur que sur le plan fonctionnel), il n’y a pas de troubles majeurs de l’absorption des nutriments. Néanmoins, chez certains patients, la prise de légumes (comme la salade verte ou les tomates) entraîne une accélération importante du transit intestinal qui peut être gênante (notamment dans la vie professionnelle). Les complications cutanées Les complications chirurgicales Elles surviennent surtout dans la première année postopératoire et sont dues à l’inexpérience du patient, qui doit être “compensée” par le stomathérapeute. Il s’agit essentiellement de dermites péristomiales, qui surviennent chez au moins un tiers des patients et qui nécessitent des soins locaux de stomathérapie. Plus rarement, on pourra observer des saignements sur la muqueuse stomiale, qu’ils soient d’origine mécanique (dus à un nettoyage trop violent de la stomie) ou dus à une récidive de la maladie de Crohn. Enfin, un pyoderma gangrenosum s’observe parfois autour de la stomie, habituellement traité par corticothérapie, une fois les diagnostics différentiels éliminés (dermite érosive, abcès péristomial). Prolapsus de stomie et éventration Le prolapsus d’iléostomie terminale est une complication rare (environ 10 % des patients). Il est le plus souvent peu gênant, mais nécessite parfois une correction chirurgicale, soit parce que le “boudin” de prolapsus s’extériorise sur une grande longueur, soit en cas d’étranglement du prolapsus, qui n’est alors plus réintégrable. Le traitement chirurgical n’est alors pas bien codifié (résection du grêle prolabé, réfection pariétale ?). Plus fréquente est l’éventration péristomiale (14 % des cas) due à un orifice pariétal trop large autour de la stomie. Elle peut parfois nécessiter une réintervention avec réfection pariétale, voire, dans les cas les plus graves, une transposition de la stomie. Sténose stomiale Rare (5 % des patients), elle est la conséquence de la cicatrisation en rétraction de la stomie. Elle est facilement diagnostiquée par un toucher stomial. Si elle est symptomatique (gêne à l’évacuation des selles), elle nécessite une réfection de la stomie. Conclusion L’iléostomie définitive reste, en 2003, nécessaire chez certains patients, notamment ceux porteurs d’une maladie de Crohn colique et ano-périnéale sévère. Les conséquences hydro-électrolytiques de cette iléostomie définitive doivent être prévenues par une éducation du patient par son médecin et son stomathérapeute. Les complications chirurgicales à type de prolapsus ou d’éventration s’observent chez 10 à 15 % des patients et nécessitent parfois une réintervention chirurgicale. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’un patient éduqué pourra avoir une vie proche de la normale, et souvent meilleure qu’avant l’intervention, du fait principalement de la guérison des symptômes liés à sa maladie. C’est la raison pour laquelle, si une information complète a été donnée au patient en préopératoire sur les bénéfices et les risques de l’iléostomie définitive, l’acceptation à long terme de cette dernière est bonne dans la grande majorité des cas. P O U R E N S A V O I R P L U S . . . ❏ Leong AP, Londono-Schimmer EE, Philips RK. Life-table analysis of stomal complications following ileostomy. Br J Surg 1994 ; 81 : 727-9. ❏ Crenn P, Vahedi K, Messing B. Conséquences des résections intestinales chez l’adulte en dehors de l’insuffisance intestinale. In : Rambaud J.C. (ed). Traité de gastro-entérologie. Paris : Flammarion-Médecine Sciences, 2000 ; 677-85. ❏ Eu KW, Oakley JR. Stoma construction. In : Allan RN, Rhodes JM, Hanauer SB, Keighley MRB, Alexander-Williams J, Fazio VW (eds). Inflammatory bowel diseases. 3e éd. New York : Churchill-Livingstone, 1997 ; 927-33. 160 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003