Le travail de Jahoda était d’une extrême rigueur théorique, et sans concession. Ce travail critique majeur s’appuyait
sur une connaissance érudite du corpus composé par les recherches d’aujourd’hui sur les relations entre culture et
psychisme, mais pas seulement : il se donnait comme contrainte – ô combien féconde – de comprendre la
construction des concepts utilisés, leur histoire. Sa qualité d’historien des savoirs et des sciences est largement
reconnue. La lecture de ses publications éclaire pourquoi, comment et combien il est heuristique de nouer ainsi
problèmes conceptuels, théoriques et histoire de ceux-ci. Quasiment seul à poursuivre ce travail historique en
psychologie, il a en outre continué à être présent, et même actif, pour la psychologie comparative interculturelle en
train de se faire. Son attention extrême à ce qui était en train de se passer, en train d’être débattu, est restée active
et pointue jusqu’à ses tout derniers mois.
Il avait une grande exigence : ne rien amalgamer, ne rien réduire, ne rien gommer des problèmes liés à
l’interdisciplinarité que la psychologie se propose de nouer avec les sciences tant culturelles que sociales. Ainsi se
méfiait-il, avec raison, des emprunts, des transferts conceptuels non ou mal maîtrisés entre disciplines. Plus encore,
il ne cessait de soumettre à examen la posture du chercheur au sein de la recherche elle-même. On peut dire qu’il a
porté sur la psychologie comparative interculturelle un regard épistémologique de plus en plus poussé, dont il a fait
son héritage, à notre profit.
***
Permettez-nous d’évoquer maintenant quelques aspects plus personnels de nos rencontres avec Gustav Jahoda.
Pierre Dasen a considéré Gustav comme son mentor depuis le jour de 1971 où ce dernier a présidé son jury de
thèse.
Gustav et moi sommes restés en contact étroit, en particulier par différentes associations où nous nous
retrouvions lors de congrès (ARIC, IACCP, ISSBD). Lors d’une visite chez Gustav à Glasgow en 1982, je me
souviens encore de mon plaisir de découvrir que nous avions en très grande partie les mêmes livres dans
nos bibliothèques. En 1986, nous éditions ensemble un numéro spécial de la revue de l’ISSBD (Dasen et
Jahoda, 1986) sur la psychologie interculturelle du développement de l’enfant. Gustav parlait parfaitement
le français, ce qui lui a permis de participer à plusieurs congrès de l’ARIC ainsi qu’à un colloque mémorable
au Château de Cerisy-la-Salle en juin 1986 (Jahoda, 1988). Je me souviens aussi d’un congrès de l’IACCP à
Pultusk, en Pologne en 2000, où les organisateurs nous avaient demandé à tous deux de figurer au
programme « meet the elders » (« venez rencontrer les anciens »). J’avais été flatté d’être mis au côté de
mon mentor…, mais en même temps avais pris un petit coup de vieux !
Sans l’ARIC, Geneviève Vermes n’aurait probablement pas bénéficié des échanges intellectuels de haute qualité
qu’elle a pu avoir avec le regretté ami Gustav Jahoda, échanges tant de vive voix que par écrit.
Je le sollicitais : j’avais besoin d’apprendre de lui, et j’avais besoin de ses critiques toujours constructives. Il
se disait, modestement, avec sa grande élégance, et sa chaleureuse amitié, toujours intéressé par les
hypothèses opératoires et les ouvertures théoriques que les chercheurs élaboraient pour mieux concevoir
et rendre empiriquement observables les relations culture / processus psychiques / conduites
individuelles, tant sous l’angle anthropologique que psychologique.
C’est dans le cadre de l’ARIC, dès ses débuts, que je le rencontre et prends connaissance de ses travaux et
de la spécificité de ceux-ci, liant analyse historique et analyse théorique. Les positionnements théoriques
au sein de l’ARIC donnent lieu à des débats très intenses de haute qualité. Il y participe. À la fin des années
1980, je peux heureusement lui proposer la traduction en français de son manuel Psychologie et
Anthropologie (1989). Celui-ci a pu ainsi constituer un noyau dur pour un enseignement reprenant le
même titre et la même problématique, posant une fécondité mutuelle entre ces deux disciplines, au sein
des études de psychologie (en France ces études sont organisées nationalement). Pour un temps, cet
enseignement fut mis en place, non sans difficulté, celui-ci étant alors ô combien considéré comme
marginal, voire iconoclaste pour le « mainstream » de la psychologie générale. Malheureusement ceci n’a