QDND N°26-Choix et intérêts des paramètres biologiques d

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INTRODUCTION
Bien que cela puisse paraître paradoxal dans nos pays développés, la
dénutrition protéino-energétique représente un problème majeur de santé
publique en gériatrie car elle touche 50% des personnes âgées hospitalisées
lors de leur entrée à l'hôpital et 70% en long séjour gériatrique.
Certaines études montrent qu'il existe une relation entre l'état nutritionnel du
patient et le pronostic de morbidité et de mortalité dû à l'altération de l'immunité
et à l'apparition de complications infectieuses et cutanées notamment.
Les données cliniques trop tardives et peu spécifiques, l'interrogatoire et les
enquêtes alimentaires visant à mettre en évidence des erreurs diététiques
difficiles à mener, ne permettent pas un diagnostic précoce.
PHYSIOLOGIE DE LA DENUTRITION
La dénutrition des sujets âgés résulte de deux mécanismes physiologiques
différents :
I- La dénutrition "exogène"
Elle est liée à une carence d'apport en nutriments spécifiques (vitamines et
oligo-éléments) souvent associée à une carence protéino-calorique qui peut
être due à :
- des facteurs socio-économiques et d'environnement : la diminution des
ressources, la solitude, la sédentarité
- de fausses croyances alimentaires
- une anorexie liée à un état dépressif
- une anorexie liée à la polymédication fréquente des personnes âgées
- des difficultés d'alimentation dues à un mauvais état dentaire
- des difficultés à préparer des repas en raison d'un statut mental altéré, de
trouble de la vision ou d'une mobilité restreinte
- des modifications gustatives
- une diminution de l'absorption induite par la dénutrition et la diminution des
sécrétions exocrines pancréatiques
II- La dénutrition "endogène"
Les cytokines, médiateurs de l'inflammation, comme l'interleukine 1 (IL 1), le
TNF et l'IL 6, ont un puissant effet d'inhibition de la synthèse hépatique des
protéines de transport notamment l'albumine et la préalbumine parallèlement à
une stimulation de la production des protéines de la phase aiguë de
l'inflammation (CRP, orosomucoïde...). L'IL1 et le TNF ont de plus un rôle
anorexigène direct.
Ces deux types de dénutrition sont souvent associés dans la population âgée:
par exemple, une dénutrition par carence d'apport favorise les infections qui
entraînent une dénutrition endogène. Des maladies sous-jacentes sont à
suspecter dans le cas de dénutrition endogène sans étiologie évidente :
cancers, maladies inflammatoires, infections chroniques…
EVALUATION DE L'ETAT NUTRITIONNEL DU SUJET AGE
Les critères de mesure sont mal définis. Les critères de dénutrition reconnus
prennent en compte 3 points :
I- Les données cliniques et anthropométriques
* le suivi du poids : une perte de poids > 10% en 6 mois est significative
* le calcul du poids idéal : formule de Lorentz et index de Quetelet ou Body
Mass Index (BMI) = Poids / Taille² (une dénutrition sera définie par un BMI < 20
Kg/m² chez l'homme et < 19 chez la femme)
* les données anthropométriques classiques (circonférence brachiale et surale,
pli cutané tricipital) sujettes à de nombreuses erreurs de détermination
nécessitent un expérimentateur entraîné et sont mal adaptées au sujet âgé.
II- Les données immunologiques
Les tests d'hypersensibilité retardée (avec établissement d'un score, une
anergie cutanée correspondant à un score à 0) et le comptage des
lymphocytes totaux circulants sont principalement utilisées.
Moins de 1 500 lymphocytes/mm3 correspond à une malnutrition sévère. Sont
également utilisées les sous-fractions des lymphocytes T, le dosage des
différentes Ig sériques, le dosage du complément sérique et de ses fractions.
Il n'est pas toujours facile de savoir si les modifications immunitaires constatées
lors d'une malnutrition (anergie cutanée, diminution des lymphocytes T
totaux…) sont en rapport direct avec la malnutrition.
Les anomalies immunitaires apparaissent le plus souvent lorsque la dénutrition
est très marquée et ne constituent donc pas une méthode de dépistage.
III- Les marqueurs biologiques
En dehors des dosages des vitamines et des oligo-éléments (importance
surtout du fer et du zinc), il faut insister sur les possibilités d'évaluation du statut
protidique, la dénutrition protéino-calorique étant la plus délétère.
Le dosage des protéines doit révéler une diminution de la synthèse hépatique
secondaire à un défaut d'apport en acides aminés et permettre de suivre
l'évolution de la renutrition. Un panel de protéines présentant des demi-vies
différentes pourra rendre compte de cet état, on parle de profil protéique
nutritionnel.
Les dosages urinaires (créatinine, 3 méthyl-histidine) sont des dosages
intéressants pour évaluer le catabolisme musculaire, mais sont inutilisables en
pratique gériatrique habituelle et déconseillés du fait des difficultés de recueil
des urines et des risques éventuels afférents (infections urinaires).
MARQUEURS BIOLOGIQUES
I- Choix des protéines
-Les marqueurs nutritionnels
La préalbumine ou transthyrétine (demi-vie = 2 jours) est produite
principalement par le foie et cette synthèse nécessite un apport azoté suffisant
qualitativement et quantitativement. Elle diminue lors de toute dénutrition,
proportionnellement à l'importance du syndrome. Sa sensibilité est liée à sa
demi-vie courte, permettant la mise en évidence de fluctuations rapides de l'état
nutritionnel (par exemple, suivi de l'efficacité d'une thérapeutique nutritionnelle
ou mise en évidence d'une dénutrition lors d'un épisode intercurrent). Ce
marqueur très sensible et précoce de la dénutrition protéino-energétique est
malgré tout peu spécifique. La préalbumine est augmentée en cas
d'insuffisance rénale, d'hyperandrogénie (retrouvée par exemple dans
l'anorexie mentale) et d'hypothyroïdie. On constate une baisse de la
préalbuminémie dans l'insuffisance hépatocellulaire, les situations de fuite
urinaire et l'hyperthyroïdie.
L'albumine (demi-vie = 15-20 jours) est le marqueur nutritionnel le plus
anciennement utilisé. Elle est synthétisée par les hépatocytes et c'est une
forme de réserve des protéines et des acides aminés.
Elle baisse plus tardivement que la préalbumine et reflète la chronicité et la
sévérité de l'atteinte ; elle n’est pas utilisable lors de la dénutrition aiguë.
On constate des diminutions de concentrations d’albumine dans les situations
suivantes: la dénutrition, les inflammations chroniques, subaiguës ou aiguës,
les insuffisances hépato-cellulaires, les fuites urinaires, les fuites des gastroentéropathies exsudatives (gastrites, entéropathies, polyposes, pullulation
bactérienne, entérocolites), les fuites cutanées (brûlures), les
hypergammaglobulinémies monoclonales à IgG par un mécanisme de
régulation de la pression oncotique.
En dehors des perfusions d'albumine, les augmentations de l'albuminémie
correspondent à des hémoconcentrations.
Remarque: La capacité de synthèse hépatique de l'albumine n'augmente pas
lorsque la ration protidique s'accroît. Il existe donc un défaut d'adaptation lié au
vieillissement qui explique les difficultés de renutrition.
La transferrine (demi-vie = 8 jours) est synthétisée principalement par le foie.
Son utilité comme marqueur nutritionnel est contestée étant donné son manque
de spécificité (carence en fer très fréquente chez le patient âgé dénutri).
Les causes principales de diminution de la transferrine sont les inflammations
chroniques ou aiguës (la biosynthèse reste stable mais le catabolisme et le
transfert dans l'espace extra-cellulaire est augmenté), les insuffisances hépatocellulaires, la dénutrition, les fuites urinaires et gastro-intestinales, les
surcharges en fer et l'administration d'androgènes ou d’anti-estrogènes.
Les augmentations de transferrine se rencontrent dans les carences martiales
ou les situations d'imprégnation estrogénique (grossesse, traitements
anticonceptionnels, cancers de la prostate traités par estrogènes ou antiandrogènes).
La RBP (demi-vie = 12 heures) est utilisable lors de dénutrition aiguë.
Sa concentration plasmatique est directement influencée par l'avitaminose A
fréquente chez le sujet âgé, mais aussi le déficit en Zinc et surtout la fonction
rénale (filtration glomérulaire et catabolisme tubulaire). Elle augmente en cas
d'insuffisance rénale et proportionnellement plus que la préalbumine.
L'Apo A1 constitue le meilleur marqueur nutritionnel chez les anorexiques.
Chez ces patients, l'albumine n'est pas un bon marqueur parce qu'il y a
redistribution compartimentale de celle-ci (secteur interstitiel secteur
vasculaire).
Il existe d'autres marqueurs moins utilisés tels que l'Apo IV, la fibronectine,
l'IGF1 notamment pour des problèmes de praticabilité des techniques de
dosage.
-Les marqueurs de l'inflammation
Le contexte inflammatoire qui dévie une partie du capital azoté vers la synthèse
des protéines de la réaction inflammatoire va influencer la production des
protéines dites nutritionnelles. L'intérêt du profil nutritionnel incluant une
protéine de l'inflammation permettra d'évaluer la signification de la diminution
des protéines nutritionnelles en fonction de l'intensité de l'inflammation.
L'orosomucoïde (demi-vie = 3 à 4 jours) permet de dépister une inflammation
pouvant entraîner, en dehors de toute dénutrition, une diminution de la
préalbumine et de l'albumine. Son dosage est donc indispensable pour
interpréter correctement un bilan nutritionnel mais elle n’est toutefois pas
utilisable chez les patients polymédicamentés (complexation de l’orosomucoïde
aux molécules basiques comme les pénicillines entraînant un hypercatabolisme
de l’orosomucoïde).
La CRP augmente dans les processus inflammatoires avec une cinétique
d'évolution rapide : 6 heures après une agression tissulaire le pic est
détectable, l'amplitude de variation est considérable de 20 à 500 fois et la demivie biologique est brève de 8 à 12 heures.
II- Intérêt du profil protéique nutritionnel
Il faudra toujours avoir en mémoire que la concentration d'une protéine n'est
pas le reflet du seul apport protéino-energétique et que bon nombre de
situations pathologiques compliquent l'interprétation d'autant plus que la
présence d'un état inflammatoire latent est extrêmement fréquent chez le sujet
âgé. Ces dosages pris isolément ont peu de signification, ils doivent être
interprétés conjointement au dosage de l'orosomucoïde préférentiellement qui a
une demi-vie plus longue que la CRP (sauf chez le polymédicamenté).
Le profil protéique nutritionnel de base associe deux protéines de la nutrition
(albumine et pré-albumine) et une protéine de l'inflammation (orosomucoïde ou
CRP). Il est ainsi défini dans la nomenclature des actes de biologie médicale.
Le profil protéique nutritionnel permet :
➙Le diagnostic biologique d'une dénutrition (dépistage des dénutritions
débutantes ou infracliniques et appréciation de l'importance et l'ancienneté de
la dénutrition)
➙La surveillance de l'état nutritionnel et le suivi thérapeutique (la normalisation
du profil protéique nutritionnel ciblé témoigne de l'efficacité d'une
réalimentation)
➙Une évaluation pronostique
Plusieurs études montrent une grande fréquence de complications postopératoires (infections, problèmes de cicatrisation) et de décès chez les
patients dénutris. Chez les personnes âgées, la dénutrition accroît
significativement la morbidité et la mortalité. De plus l'efficacité de certains
traitements (chimiothérapie par exemple) semble liée à l'état nutritionnel du
malade. Le profil protéique ciblé nutritionnel permet ainsi de dépister les
patients à haut risque et d'envisager dans certains cas une ré-alimentation
avant une intervention chirurgicale ou la mise en route d'un traitement.
Dans cette optique, le Pronostic Inflammatory and Nutritional Index (PINI) a été
proposé. Cet index permet la confrontation de deux protéines de l'inflammation
dont l'une est d'apparition précoce et l'autre tardive et de deux protéines de la
dénutrition dont l'une a une demi-vie courte et l'autre une demi-vie longue :
CRP (mg/l) x orosomucoïde (mg/l)
PINI =
albumine (g/l) x préalbumine (mg/l)
En fonction du score, le risque vital peut être apprécié de la façon suivante :
Normal :
<1
risque élevé :
21-30
Risque faible :
1 – 10
risque vital :
> 30
Risque moyen :
11-20
Il est bien entendu que ce score possède une valeur statistique plus
qu'individuelle. Il doit être interprété en absence de pathologie infectieuse.
Les informations apportées par l'une ou par l'autre des protéines sont
amplifiées (notamment la CRP dont les amplitudes des variations sont
considérables) et l'intérêt en pratique clinique du PINI sera accru si l'on exprime
les résultats en pourcentage des valeurs normales.
CONCLUSION
L'évaluation nutritionnelle doit être intégrée dans l'approche clinique du sujet
âgée. La mortalité et la morbidité associées à la malnutrition justifient cette
décision surtout du fait que la dénutrition protéino-energétique peut être
facilement négligée si elle n'est pas isolée des co-morbidités qui fragilisent la
personne âgé. Il est recommandé d'utiliser en pratique une combinaison
d'indicateurs cliniques, diététiques, anthropométriques et biochimiques simples
et d'interpréter les résultats selon une tendance, un profil individuel qui tient
compte des limites rattachées aux normes de référence pour l'adulte âgé.
Le profil protéique nutritionnel permet ainsi d'établir un diagnostic précoce et
d'apprécier la gravité, l'évolution et le pronostic d'une dénutrition. En pratique
quotidienne, la surveillance du taux d'albumine paraît suffisante pour permettre
de détecter l'apparition d'une dénutrition et permettre sa prise en charge rapide.
J.P. BOUILLOUX – O. FLEURQUIN
prochain sujet : diagnostic biologique des infections à Chlamydiae
(pas de numéro en Juillet et en Août)
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