Émergences
dossier
22 / janvier-février 2014 / n°438
Par Jean-Pierre Cling
Centre d’économie de l’Université Paris Nord
La gouvernance de l’économie mondiale peut
être définie comme l’ensemble des règles
et politiques d’organisation des économies
nationales et de leurs interdépendances
au niveau mondial. Cette gouvernance
concerne plus précisément trois domaines :
la coordination des politiques macro-
économiques pour favoriser la croissance ;
la gestion des relations économiques inter-
nationales (flux monétaires et financiers,
balances des paiements, commerce, etc.) ;
enfin, la supervision de l’économie mondiale
(règles prudentielles, etc.).
Nous analysons dans cet article le fonc-
tion nement des trois grands groupes
d’institutions qui structurent la gouver nance
de l’économie mondiale et leur articula-
tion entre elles. Ces institutions formelles et
informelles forment un « triangle de cohé-
rence », selon l’expression de P. Lamy1. Le
système de Bretton Woods s’inscrit dans
une logique d’efficacité. Le G8/G20 traduit
le leadership des grands pays et assure la
cohérence de l’ensemble. Enfin, le système
des Nations unies est le seul à disposer
d’une véritable légitimité. Face à des enjeux
systémiques majeurs et alors que se dessine
progressivement une nouvelle configuration
de l’économie mondiale, la Chine étant
appelée à devenir la première puissance
mondiale en terme de produit intérieur brut
dans les prochaines années après être déjà
devenue le premier exportateur mondial,
les pays développés vont devoir accorder
un poids accru aux pays émergents dans la
gouvernance économique mondiale.
Le système de Bretton Woods
La conférence de Bretton Woods a posé
dès 1944 les bases de la gouvernance de
l’économie mondiale pour l’après-guerre. Le
système de Bretton Woods reposait sur trois
piliers : la coordination du système monétaire
et financier international par le Fonds
monétaire international ; le financement du
développement par la Banque mondiale ;
la régulation des échanges commerciaux
par l’Organisation mondiale du commerce
(l’OMC n’a certes été créée qu’en 1994,
soit cinquante ans après Bretton Woods,
mais l’établissement d’une organisation
internationale du commerce était prévu dès
l’origine).
Parmi les trois organisations citées
ci-dessus, le FMI et la Banque mondiale
(les institutions de Bretton Woods stricto
sensu) sont les plus proches dans leur mode
de fonctionnement, ce qui justifie leur ap-
pellation d’institutions « jumelles ». Elles
sont largement contrôlées par les États-Unis,
qui disposent d’un droit de veto, ainsi que
plus généralement par les grands pays
industrialisés dont proviennent tous leurs
dirigeants depuis leur création. La réforme des
quotes-parts du FMI, qui va accroître le poids
des grands pays émergents (Chine en premier
lieu), est toujours bloquée par le Congrès
américain. L’OMC est d’une nature un peu
différente, car son rôle consiste surtout à
organiser des négociations commercia les
qui sont conduites par les pays membres
et à juger les différends entre eux (chaque
pays membre disposant d’une voix à l’OMC,
comme aux Nations unies).
Alors que les accords de Bretton Woods
avaient pour objectif de créer un nouvel
ordre économique international qui empêche
le retour d’une crise du type de celle de
1929 débouchant sur la Seconde Guerre
mondiale, force est de constater qu’ils n’ont
pas empêché la crise de 2008 d’une ampleur
équivalente, le FMI ayant même délivré un
satisfecit aux États-Unis peu avant cette
crise2. Paradoxalement, la crise internationale
a pourtant fait oublier la crise de légitimité
dont souffrent le FMI, la Banque mondiale
Quelle gouvernance
pour l’économie mondiale
« émergente » ?
La gouvernance de
l’économie mondiale s’est
réorganisée de manière
pragmatique pour prendre
en compte les grands
bouleversements intervenus
au cours des dernières
décennies. Elle n’a pas
réussi à empêcher l’arrivée
d’une crise économique
grave en 2008, mais elle
a ensuite su faire en sorte
que la crise ne débouche
pas sur un effondrement
général des économies
comme en 1929.
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et l’OMC depuis les années 1990. Alors que
le portefeuille de prêts du FMI s’était réduit
comme une peau de chagrin à la veille de la
crise, celui-ci a connu un essor phénoménal
et il en a été de même dans une moindre
mesure pour la Banque mondiale. De son
côté, l’OMC sort renforcée de la conférence
de Bali de décembre 2013 qui a permis un
accord a minima. Même si la perspective
d’un « nouveau Bretton Woods » s’éloigne au
fur et à mesure que le pire de la crise semble
dépassé, la remise en cause de l’existence de
ces institutions n’est plus d’actualité.
Le G8 et le G20
Le G7 (devenu G8 dans les années 1990
avec l’arrivée de la Russie) a été créé dans
les années 1970 par les grands pays in dus-
trialisés pour faire face à la crise économique
internationale consécutive au premier choc
pétrolier et dans le contexte de la disparition
du système de changes fixes instauré par
les accords de Bretton Woods. Il a donc
fonctionné depuis l’origine comme une
institution informelle de coordination des
politiques économiques. La montée des
pays émergents dans l’économie mondiale a
amené ceux-ci à réclamer une place à la table
des négociations, débouchant sur la création
du G20 en 1999 (enceinte réunissant
dans un premier temps les seuls ministres
des finances) suite à la crise asiatique de
1997-1998. Plus encore que le G8, le G20
fonctionne comme un directoire de l’économie
mondiale. En revanche, contrairement à
lui, il n’aborde les questions politiques
qu’à la marge3. Il regroupe les principaux
pays développés et émergents représentant
87 % du Pib mondial et les dirigeants des
principales organisations internationales y
participent.
La crise de 2008 a favorisé la montée en
puissance du G20, qui a joué un rôle clé de
concertation pour gérer la crise la plus grave
connue par l’économie mondiale depuis près
d’un siècle4. Depuis la crise, ce sont les chefs
d’État, et non plus seulement leurs ministres
des Finances, qui participent au G20 ce
qui témoigne de la nouvelle ambition de ce
groupement. Le Conseil de stabilité financière
(en anglais Financial Stability Board ou FSB)
a ainsi été créé à l’initiative du G20 et est
devenu en 2013 l’organisation internationale
chargée de la supervision et de la surveillance
des institutions financières. Les principales
décisions récentes concernant les institutions
de Bretton Woods ont été prises dans le cadre
du G20 (augmentation des ressources du
FMI, réforme des quote-parts, etc.).
Au total le G20 a gagné ses lettres de noblesse
avec la crise de 2008 mais a réduit ses
ambitions systémiques et son impact dans
la période la plus récente. En 2013, les
principaux thèmes abordés à la fois dans
le G8 et le G20 concernaient le soutien aux
négociations commerciales organisées dans
le cadre de l’OMC, l’harmonisation fiscale et
la transparence financière. La coexistence du
G8 et du G20 est souvent mise en question,
même si les pays développés continuent à
apprécier de disposer avec le G8 de leur
propre structure de concertation.
Le système des Nations unies
Le système des Nations unies constitue
incontestablement le « maillon faible » de la
gouvernance de l’économie mondiale, par
rapport aux institutions que nous venons
de présenter. À la différence des questions
politiques internationales, où le Conseil
de sécurité a une importance majeure par
exemple, l’Onu a peu d’influence globale sur
le fonctionnement de l’économie mondiale.
Pourtant, c’est incontestable ment l’institu-
tion la plus légitime et la plus démocratique,
en particulier pour traiter des biens publics
mondiaux à dimension transversale
(environnement par exemple).
Cette faible influence économique tient à
plusieurs raisons fondamentales : le mandat
des Nations unies limite leur ambition dans
ce domaine et l’assemblée générale (le
« G192 ») ou le Conseil économique et social
(Ecosoc) n’ont ainsi qu’un rôle consultatif ;
les Institutions de Bretton Woods sont
nominalement rattachées aux Nations unies
mais dans la pratique fonctionnent de manière
autonome ; enfin, les grandes puissances
(États-Unis en premier lieu) ont toujours
cherché à réduire l’influence et les ressources
financières d’une organisation dominée
largement par les pays en développement
(à travers le système de droits de vote) à la
différence des autres institutions décrites
dans cet article.
Ceci étant, les Nations unies jouent un
rôle important dans la production de
normes internationales dans les domaines
économiques et sociaux. Pour prendre un
exemple, les conventions internationales
signées dans le cadre de l’Organisation
internationale du travail contribuent à établir
les fondements d’un droit international du
travail. La division des statistiques établit
par ailleurs les normes internationales de
comptabilité économique. Enfin, n’oublions
pas que c’est dans le cadre des Nations unies
qu’ont été fixés les huit Objectifs mondiaux
pour le développement à l’horizon 2015 et
que se discutent actuellement les Objectifs
de l’agenda post-2015.
Le rapport présenté au secrétaire général des
Nations unies en 2009 par J. Stiglitz, prix
Nobel d’économie, préconisait de renforcer le
rôle des Nations unies dans ce domaine5. Il
proposait en particulier la création d’un conseil
de coordination économique mondial, qui
serait une institution de l’Onu disposant d’une
mission étendue en matière économique,
sociale et environnementale et s’appuyant sur
un groupe d’experts de haut niveau. Ce projet
de conseil de sécurité économique, promu
depuis longtemps par la France, n’a pas
abouti. À défaut, une meilleure coopération
entre Nations unies, institutions de Bretton
Woods et G20 semble une priorité.
Conclusion
En conclusion, la gouvernance de l’économie
mondiale s’est réorganisée de manière
pragmatique pour prendre en compte les
grands bouleversements intervenus au cours
des dernières décennies. Cette gouvernance
n’a pas réussi à empêcher l’arrivée d’une
crise économique grave en 2008 mais elle
a ensuite su faire en sorte que la crise ne
débouche pas sur un effondrement général
des économies comme on l’avait connu en
1929. L’organisation d’un nouveau Bretton
Woods mettant en place un nouvel ordre
économique international semble cependant
de moins en moins probable dans un contexte
où tarde à émerger un nouveau leadership
de l’économie mondiale6. La mutation de la
gouvernance économique mondiale demeure
inachevée.
1 - P. Lamy a présenté ce triangle de cohérence à de nombreuses reprises ;
en particulier dans une conférence à l’université d’Oxford en mars 2012
« Gouvernements locaux, gouvernance mondiale » (voir le site de l’OMC :
www.wto.org).
2 - Bureau indépendant d’évaluation, « Evaluation de l’action du FMI au cours
de la période qui a précédé la crise financière et économique mondiale »,
Washington, DC, 10 janvier 2011 (www.ieo-imf.org).
3 - H. Ben Hammouda et M. Sadni Jallab, Le G20 et les défis de la gouvernance
globale, De Boeck, Bruxelles, 2011.
4 - B. Cabrillac et P. Jaillet, « Coordination internationale et sortie de crise ;
Quel rôle pour le G20 ? », Revue d’Economie Financière, n°103, Octobre 2011.
5 - J. Stiglitz, Le rapport Stiglitz ; pour une vraie réforme du système monétaire
et financier international, Les liens qui libèrent, Paris, 2010.
6 - Pour une réflexion prospective sur la gouvernance de l’économie mondiale,
voir J. Mazier, P. Petit et D. Plihon (dir.), L’Économie mondiale en 2030,
Economica, Paris, 2013.
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