DB Actualités politico-sociales «Le libre échange efficace, même dans le secteur des soins de santé» Chantal De Boevere Actuellement, l’assurance maladie belge rembourse en moyenne 70% des prestations médicales. Vers 2050, ce chiffre ne s’élèvera plus qu’à 50%. Tel est ce que prévoit le grand patron des Mutualités Libres, Jan Van Emelen. Quels choix s’imposent? Le concept de disease management constitue-t-il une solution? Quel est le rôle des mutualités dans le modèle de soins? Entretien avec Jan Van Emelen, directeur des Etudes stratégiques et de la communication aux Mutualités Libres. MS4837F_2008 Les politiciens sont fiers de notre système de soins de santé basé sur la solidarité. Le système obligatoire d’assurance maladie basé sur la solidarité serait-il remis en question? Jan Van Emelen: PriceWaterhouseCoopers a récemment publié le rapport HealthCast 2020, une analyse de la finançabilité des soins de santé. En Belgique, l’assurance maladie rembourse actuellement 70% des prestations médicales. Situation qui, selon le rapport, changera radicalement d’ici 2050. Le rapport prévoit en effet que, dans 7 une quarantaine d’années, l’assurance maladie obligatoire ne prendra plus en charge que 50% des dépenses. Pour les 50% restants, l’intervention sera assurée par des assureurs privés. La tension entre le budget des soins de santé et ce qui est techniquement possible au niveau médical ne cesse de s’accroître. Les soins de santé deviendront-ils impayables? Jan Van Emelen: L’évolution technologique et la disponibilité de nouveaux médica- Medi-Sphere 304 - 14 février 2008 ments, souvent coûteux, génèrent une explosion des coûts dans le secteur de l’assurance maladie. Au cours de la prochaine décennie, l’assurance maladie obligatoire devra se concentrer sur le remboursement des soins que les assurances privées ne peuvent assurer. Si l’assurance maladie obligatoire rembourse 50% des frais de soins de santé en 2050, il s’agira principalement de prestations que ne peuvent assurer les assureurs privés, comme les affections congénitales. Le Fonds spécial de solidarité qui a été créé pour financer de telles dépenses élevées ‘exceptionnelles’ explose. Parallèlement, les assureurs privés prendront en charge certains ensembles de soins déterminés. Actualités politico-sociales A l’heure actuelle, les soins de santé sont financés pour les deux tiers par le travail. Vous dites que ceci ne sera pas tenable à long terme? Jan Van Emelen: Au Conseil général de l’INAMI, la participation des partenaires syndicaux et sociaux est relativement grande car la sécurité sociale est financée pour les deux tiers par le travail. Il faudrait évoluer vers un plus grand financement émanant de circuits alternatifs, comme la fiscalité. Dans l’Union européenne, il n’y a que deux Etats membres où la sécurité sociale est financée dans une mesure aussi importante par les cotisations des personnes actives. Les dépenses consacrées aux soins de santé augmentent tandis que le pourcentage de la population active diminue. Je pense que ce système n’est pas viable à long terme. L’Europe va proposer des solutions telles que les critères de comparaison. De même, l’ouverture des frontières résultera dans des soins de santé moins coûteux. Le disease management constitue, selon vous, un outil important dans la maîtrise des coûts. Ne s’agit-il pas ici d’une sélection des risques? Jan Van Emelen: Par disease management, il faut entendre une approche de la pathologie qui vous permet de faire passer précocement un très grand groupe de patients des soins à la prévention. Dentalia Plus, notre couverture des soins dentaires, en constitue un exemple. Via Dentalia Plus, nous remboursons 80% des soins dentaires à condition que le patient ait fait exécuter un examen dentaire préventif l’année précédente. Si le patient ne le fait pas, l’assurance ne rembourse que 50% des frais de soins dentaires. Nous responsabilisons le patient, mais nous ne le punissons pas. Il est essentiel de n’exclure personne du remboursement. Chacun est assuré, quel que soit son risque, mais nous voulons encourager les gens à se soucier davantage de la prévention. Nous évitons ainsi la sélection en fonction des risques, mais nous responsabilisons le patient. 8 Les Mutualités Libres croient fermement au libre-échange dans le secteur des soins de santé. Pourtant, on sait que ceci ne s’applique pas tout à fait à ce secteur… Chaque Etat membre de l’UE possède son propre système de soins de santé, avec chacun un très petit marché, ce qui fait que le mécanisme du marché peut difficilement jouer. Si les pays s’organisent mieux, ils pourront assurément rendre les soins de santé moins chers, tant en termes de technologie qu’en termes d’achat de soins de santé. Jan Van Emelen: La réalité est que les gens dépensent de l’argent pour les soins de santé. Il y a une offre à condition qu’il y ait un marché. Nous constatons que la chirurgie esthétique connaît un véritable boom, bien que l’assurance maladie n’intervienne pas. Dans le secteur des soins de santé, les autorités constituent un facteur gênant avec leur système de reconnaissance et d’interdiction, le résultat étant que nous payons trop pour nos soins de santé. Quel est l’impact de l’Europe sur le secteur hospitalier? D’autres secteurs prouvent que le libreéchange est bénéfique pour le consommateur. Grâce au libre-échange en Europe, aujourd’hui, nous payons moins cher nos appels téléphoniques mobiles. Le prix d’un cathéter cardiaque avec défibrillateur, par exemple, est trop élevé en Belgique parce que nous avons un système de marché fermé. Les mutuelles devraient pouvoir collaborer et obtenir un prix plus avantageux à l’étranger. L’utilisation d’implants et de dispositifs médicaux augmente de manière exponentielle. Si nous voulons que ceci reste finançable, nous devons faire appel au libre-échange. Les médicaments bon marché constituent un autre exemple. La progression des médicaments bon marché ne s’est produite qu’au moment où la concurrence a été possible. La libre circulation des biens et des services en Europe ne stimule pas suffisamment le libre-échange. Quelle solution préconisez-vous? Jan Van Emelen: Proposons de la qualité et laissons le patient juger. Dans certaines régions frontalières spécifiques, comme à Courtrai et Maastricht, il existe déjà une grande mobilité des soins de santé. Dans le Limbourg, des institutions de soins vendent des interventions à des assureurs de soins néerlandais. Ce système fonctionne. Pourquoi, dès lors, ne pas élargir ce système de marché? Medi-Sphere 304 - 14 février 2008 Jan van Emelen: Tant que le budget consacré aux soins de santé augmente chaque année de 4,5% plus l’inflation, chacun se trouve dans une position confortable. Les directions des hôpitaux sont trop tournées vers elles-mêmes et sont principalement préoccupées par la question de savoir «quelles prestations sont nécessaires pour survivre au mieux?». Que se passe-t-il sur le marché européen? CAPIO, un acteur européen majeur dans le secteur des soins de santé en Europe, qui possède des filiales en Suède, en Norvège, au Danemark, en Finlande, au RoyaumeUni, en France, en Allemagne, en Espagne et au Portugal, procède à une rationalisation, avec pour conséquence des prestations de meilleure qualité et moins chères en matière de soins de santé. On travaille avec un seul modèle de contrat pour les médecins, un seul système de qualité, et un système ICT uniforme. Il y a en outre une rationalisation de l’offre de soins. On laisse jouer la subsidiarité et les médecins ne s’occupent plus que de l’interprétation hautement technologique à laquelle ils ont été formés. Le jour où tout le processus décisionnel au niveau de l’INAMI arrivera à la constatation qu’il existe un système de meilleure qualité à un prix inférieur, ceci sera alors incontournable, rien ne pourra l’empêcher. Ces derniers temps, on parle beaucoup de la qualité des soins. Les hôpitaux doivent-ils être évalués quant à la qualité? Jan Van Emelen: Nous sommes partisans d’une mesure de la qualité – aussi bien la qualité de l’acte individuel que la qualité du processus de soins. Il revient au secteur même de développer des critères de qualité et de les faire contrôler par un bureau Actualités politico-sociales externe indépendant. La qualité implique également qu’il y ait suffisamment de place pour l’innovation, or celle-ci est actuellement insuffisante. La chirurgie robotisée appliquée au traitement de la prostate engendre moins de complications et d’effets secondaires, et offre une meilleure qualité de vie comparé à la chirurgie classique, mais n’est jusqu’à présent pas mise à l’honneur. Etes-vous partisan du système de soins de santé néerlandais, où l’assureur vend un ensemble de soins à ses clients? Jan Van Emelen: Je ne lorgne pas le système néerlandais car il comporte trop de points négatifs. Notre système de soins de santé belge connaît une accessibilité exceptionnelle, car les médecins généralistes indé- pendants et les spécialistes proposent des soins de santé dans un système très libéral. Etudions les points positifs des Pays-Bas et introduisons-les éventuellement dans notre système. les informations comparatives sur la qualité. Les Mutualités Libres adoptent là une position unique car elles sont indépendantes des prestataires de soins et des partis politiques. Autrefois, les mutuelles se limitaient à la tarification. Veulent-elles maintenant à tout prix occuper une fonction dirigeante? Nos membres attendent de nous que nous adoptions un rôle dirigeant et que nous les aidions à recevoir des soins de santé optimaux. A Bruxelles par exemple, il existe une surabondance d’hôpitaux. Cette offre détermine la demande en matière de soins. Il n’est pas impensable que ceci conduise à un certain nombre d’interventions qui ne devraient en fait pas être effectuées. La variabilité des soins que nous constatons sur le marché belge n’est pas un exemple de qualité. En tant que mutualité, nous avons pour mission d’en informer nos patients et de mettre des outils à leur disposition afin qu’ils reçoivent l’aide la plus efficace possible. Jan Van Emelen: Le temps où les mutuelles se consacraient exclusivement à la tarification est révolu, notamment avec l’arrivée de l’informatique, qui a accéléré cette évolution. Outre le remboursement des soins de santé, les mutuelles se concentrent de plus en plus sur l’information aux patients ainsi que sur «Revalorisons la médecine générale en reconsidérant sa fonction intrinsèque» Chantal De Boevere «Une revalorisation structurelle de la médecine générale, qui reconsidère la fonction intrinsèque du médecin généraliste, est beaucoup plus importante que la discussion sur le prix d’une consultation du soir. L’échelonnement constitue une solution à court terme, qui ne résoudra pas les problèmes de la première ligne», déclare Jan Van Emelen à Medi-Sphere. Les médecins généralistes considèrent l’échelonnement comme une clé de la revalorisation de la première ligne et une impulsion à des soins de santé maîtrisant mieux les coûts. Les Mutualités Libres sont-elles pour un libre choix du prestataire de soins? MS4837BN_2008 Jan Van Emelen: Nous avons dépassé depuis longtemps la discussion sur l’échelonnement. Retenons l’accessibilité. Les chiffres montrent que le modèle d’échelonnement actuel n’est pas efficace. Au lieu de celui-ci, nous plaidons pour une revalorisation structurée de la première ligne par un système intégré de soins via l’organisation de trajets de soins, qui constituent une plus-value pour le patient. Les soins consacrés au patient chronique doivent partir d’un modèle de collaboration entre les médecins généralistes, les spécialistes et les mutuelles. Un projet pilote destiné aux patients souffrant de diabète de type II insulinodépendant et aux patients présentant un risque d’insuffisance rénale a été lancé. Il s’agit d’un nouveau modèle 11 de soins où chaque échelon génère une plus-value, et qui réduira le nombre d’hospitalisations au sein de cette population. 40% des Belges souffrent d’une affection chronique. En tant que mutualité, nous sommes intéressés par la manière dont nous pouvons améliorer la qualité de vie des patients, d’une manière rentable. Le disease management et les trajets de soins constituent des outils qui peuvent garantir aux patients les bons soins, au bon moment, par le bon prestataire. Vous optez pour des trajets de soins à ancrage interne et externe. Les médecins généralistes estiment que ces trajets de soins sont souvent dirigés depuis la deuxième ligne et retirent les patients de la première ligne… Jan Van Emelen: Il existe chez les médecins généralistes cette impression très forte d’être écrasés par la deuxième ligne et, s’ils ne Medi-Sphere 304 - 14 février 2008 Actualités politico-sociales sont pas raisonnables, c’est ce qui risque de se produire. A cet égard, nous voulons être un partenaire des médecins généralistes. Les Mutualités Libres sont partisanes du disease management. La convention diabète est critiquée parce qu’elle retirerait des patients de la première ligne. Une étude IMA a montré que cette perception est fausse. Les patients souffrant de diabète de type 1 traités à l’insuline et repris dans la convention contactent plus souvent leur médecin généraliste que les patients qui ne sont pas repris dans la convention. Les trajets de soins et le disease management vont de pair. Le médecin généraliste se voit-il attribuer un rôle principal ou secondaire? Jan Van Emelen: Les directives concernant les affections chroniques sont à peine suivies. Pour les affections chroniques, un nouveau modèle de soins doit être développé, associé à un nouveau financement des soins. Evoluons vers des trajets de soins auxquels le patient s’inscrit volontairement. Dans ce système, le médecin généraliste doit pouvoir faire appel à un coach santé, qui incite et motive les patients à suivre le trajet. Celui-ci peut coacher des patients grâce aux moyens télématiques modernes. Par exemple, pour améliorer la compliance thérapeutique des patients souffrant d’ostéoporose, les contacter par téléphone à intervalles réguliers pourrait suffire. La coordination des soins à domicile résulte en une lourde procédure administrative, et le financement est un enchevêtrement dont personne ne sort. Etes-vous conscient de ce problème? Jan Van Emelen: Nous sommes conscients du fait que le passage du milieu hospitalier, où le patient séjourne dans un environnement protégé, au milieu familial doit être davantage rationalisé. Il faut impérativement trouver des solutions, notamment un meilleur soutien des médecins généralistes. Nous voulons proposer le meilleur soutien «Donnez au médecin généraliste technologique possible, en concertala clé pour ouvrir les droits d’un tion avec les médecins généralistes. Nous estimons que le dossier méditrajet de soins pendant cinq cal électronique propose trop peu ans et, en tant que mutualité, de solutions et qu’un système flow, nous garantissons des primes qui effectue des compilations entre supplémentaires pour le médecin le contenu du DMG (dossier médical global) et les possibilités structurelgénéraliste et le patient à les, peut assurer une simplification condition que le patient suive le administrative. 12 Medi-Sphere 304 - 14 février 2008 DB trajet.» DB Faisons du MAF revenus un MAF pour les affections chroniques. Le MAF est une assurance revenus qui n’encourage pas la prévention et la compliance thérapeutique. Le médecin généraliste est parfaitement bien placé pour déterminer les risques de maladies cardiovasculaires, d’ostéoporose, de COPD, d’obésité et de diabète. Donnez au médecin généraliste la clé pour ouvrir les droits d’un trajet de soins pendant cinq ans et, en tant que mutualité, nous garantissons des primes supplémentaires pour le médecin généraliste et le patient à condition que le patient suive le trajet.