Ma soirée au théâtre - Cégep du Vieux Montréal

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Ma soirée au théâtre
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Ce projet d’écriture s’est imposé simplement. Les étudiantes et étudiants
de ce cours de Littérature québécoise ont lu au tout début de la session
les Douze coups de théâtre de Michel Tremblay dans lesquels l’auteur
raconte divers souvenirs liés à des expériences théâtrales. En parallèle,
ils ont assisté à une représentation des Fragments de mensonges inutiles
du même auteur. Je leur ai donc demandé d’imiter la démarche de Michel
Tremblay et de rédiger un court récit autour d’un événement lié à leur sortie
au théâtre.
Ce recueil est le résultat de leur travail et de plusieurs réécritures qui ont
permis à leurs auteurs de comprendre qu’écrire, c’est choisir un sujet au
détriment de tous les autres, reprendre son texte plus d’une fois pour le
peaufiner et, au fil des versions, laisser le récit prendre son envol quitte à trahir un peu la réalité. Enfin, la professeure l’espère et ose même le croire.
En toute modestie, nous souhaitons, les élèves et moi, offrir à Michel Trembaly cette Soirée au théâtre qu’il a inspirée.
Anne-Marie Cousineau
professeure
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Fragments de mensonges inutiles
de Michel Tremblay
Mise en scène de Serge Denoncourt
Quand on est encore adolescent,
et différent des autres sur le plan
sexuel, quand on doit affronter
dès le plus jeune âge les préjugés et les inquiétudes de ses
parents et de ses éducateurs,
certains mensonges semblent
nécessaires pour survivre et rester soi-même. Deux garçons de
seize ans, Jean-Marc et Manu,
s’aiment. Ils s‘aiment, luttent,
et veulent vivre heureux. Mais
voilà que tout le monde se mêle
de leur vie.
1959 et 2009, des temps différents, des sociétés différentes.
Mais il faut se rendre à l’évidence : rien ne change vraiment.
Les étudiants du cours de Littérature québécoise ont assisté à une des
représentations au Théâtre Jean-Duceppe en septembre dernier.
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Logan Allen
Graphisme
Dans le 64 Grenet
Je revenais de voir Fragments de mensonges inutiles. J’ai pris le 64 Grenet
au terminus en sortant du métro. Je n’avais aucunement envie de marcher.
Dans le fond de l’autobus, il y avait un homme plutôt petit et de la corpulence
d’un bâtonnet. Il avait l’attitude désagréable d’une panthère qui vient d’être
dérangée dans son sommeil et un ton qui pourrait rendre un compliment
insultant. Il tempêtait contre un homme beaucoup plus volumineux. Un
homme qui avait, selon ce que je comprenais, ramassé le briquet que le
petit avait échappé. L’homme grand, qui aurait pu facilement écraser le
petit, resta immobile sans dire un mot devant les reproches de celui qui
ne voulait apparemment pas qu’on touche à ses affaires. Le grand souriait
au petit qui continuait, sans diminuer d’intensité, à crier. Les passagers
regardaient la scène. Tous se demandaient pourquoi le grand ne faisait
rien. Le petit, par contre, ne tenait pas compte de la réprobation commune.
Il regardait parfois autour de lui, mais poursuivait ses rugissements avec
persistance. Même le chauffeur levait souvent sa tête vers son miroir pour
observer la situation.
Lorsque le petit quitta l’autobus en marmonnant, tous jetèrent des regards
de pitié dans la direction du grand auquel un passager a demandé s’il était
correct. On a compris, alors, qu’il était sourd.
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François Bergeron-Gardner
Audiovisuel
Une chanson
Je devrais déjà être chez moi, à dériver à travers les notes de ma pensée,
mais je suis pris à l’école à tuer le temps en attendant une pièce de théâtre
qui ne me dit rien. Je décide de retranscrire les nouvelles partitions d’une
chanson. Je me perds dans mes idées plus exceptionnelles les unes que
les autres.
Pourtant plus je m’enfonce dans ma tête et plus je m’aperçois que ces notes, qui semblaient si parfaites au départ, commencent à me répugner au
plus haut point. Cette chanson n’est pas celle que j’espérais. Les enchaînements d’accords ne me font plus ressentir aucune émotion et la mélodie
n’a plus rien d’extraordinaire, juste des notes sur d’autres notes. N’y a-t-il
rien de plus banal ? L’atmosphère n’est plus du tout envoûtante, comme l’a
d’abord perçu mon imagination. Cela me torture l’esprit, de quoi devenir
fou : comment une mélodie qui semblait si belle peut-elle se détériorer telle
une fleur en plein hiver ?
Assis sur un banc du corridor, je me pose cette question, sans me soucier
du temps, mais le temps, lui, semble jouer contre moi. Je n’ai pas vu le soleil
se coucher, absorbé par mes réflexions. Le présent me paraît extrêmement
court, je dois partir. Je me lève, j’attrape mon sac à dos, je sors du cégep
et je marche vers le Théâtre Jean-Duceppe en fredonnant des notes que
je trouve si parfaites.
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Fredy Alexander Bonilla
Sciences de la nature
Le théâtre, un mercredi soir
L’emprise
Le théâtre, ce soir, a quelque chose d’inhabituel. En fait, il ne s’agit pas des
acteurs, de la mise en scène ni même du Théâtre Jean-Duceppe lui-même,
mais de la personne assise à côté de lui, qu’il regarde du coin de l’œil. Son
nom est Alexandra, ou peut-être Melissa.
La poursuite
Après la représentation, il tente de la suivre dans le couloir, mais trop de
gens se pressent autour d’eux. Il ne comprend plus ce qu’il lui arrive. Les
cheveux, les yeux, le doux parfum de cette fille et même sa façon de marcher le font frissonner d’émotion. Il la poursuit encore jusqu’à ce qu’il la
perde de vue à l’extérieur, sur la rue Sainte-Catherine, cette fille, dont il ne
sait toujours pas le nom.
Le signe
Il marche en direction du métro Place-des-Arts avec le sentiment
d’avoir perdu une partie de lui-même. Lui qui n’a pas l’habitude d’aller au
théâtre, surtout un mercredi soir, il fait cette mystérieuse découverte de
l’existence d’un être si beau et voilà que Alexandra ou Melissa lui échappe.
Pendant qu’il attend le train, il lève ses yeux et la voit, sur le quai d’en
face, monter dans le métro, partir lentement dans l’autre direction, sans se
retourner.
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Vanessa Bouchereau-Lemay
Regards sur la personne
Malchance !
Simon et moi venions d’assister à la pièce de Michel Tremblay, Fragments de
mensonges inutiles. Les métros étaient particulièrement lents ce soir-là et ne
semblaient passer que dans le sens contraire de notre direction ! Pendant
que nous récupérions nos choses au cégep, ma mère nous téléphona pour
nous informer qu’elle revenait de la même pièce que nous et qu’elle était
déjà arrivée à Brossard. Et nous étions toujours au centre-ville ! Nous étions
furieux, impatients, hors de nous. Un peu plus tard, alors que nous étions
assis dans l’autobus Montréal/Rive-Sud, la mère de Simon nous appela pour
nous dire qu’elle était au Théâtre Jean-Duceppe et qu’elle pouvait nous
ramener ! Décidément, la chance n’était pas de notre côté ce soir-là !
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Louis-Philippe Breault
Gestion de commerces
La tendresse devra attendre
L’oubli
Son cours d’initiation aux techniques de gestion était à peine terminé qu’il
s’élançait déjà dans les escaliers mécaniques du cégep : il avait oublié
son sac à la maison ! Sitôt sorti sur Ontario, il marcha d’un pas rapide vers
la station Berri-UQAM. Comme tous les mercredis, Jimmy n’a que deux
heures de cours le matin et devait rejoindre son amoureuse chez elle sur
la Rive-Sud. Mais il avait oublié son sac, à Laval, et n’avait pas une minute
à perdre !
La pause
En coup de vent, il entra dans sa maison, s’élança dans sa chambre attraper son sac, ressortit aussitôt, courut prendre l’autobus qui le ramènerait à
Montréal. Revenu à Berri-UQAM, il regarda l’heure : il avait encore le temps
de se rendre chez son amoureuse et décida donc de marcher jusqu’à Bonaventure. C’était une belle journée d’automne et le soleil venait de percer
les nuages que le mauvais temps de la veille avait laissés derrière lui. La
brise fraîche venait caresser son visage tandis qu’il marchait entre les
mendiants et les gens affairés, comme on en retrouve toujours dans cette
ville qui ne s’essouffle jamais.
L’oubli
Arrivé à hauteur du métro Place-des-Arts, il distingua, parmi les centaines
d’annonces publicitaires, une affiche. En un éclair, un sentiment étrange lui
dévora l’estomac et une sueur froide coula dans son dos : il devait aller voir
la pièce Fragments de mensonges inutiles de Tremblay ! N’était-ce pas ce
soir la représentation ? Il se rappela son billet encore épinglé sur le mur de
sa chambre. Il rebroussa chemin. La tendresse devrait attendre.
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Méghann Charbonneau
Langues
Réaction
Elle n’est pas venue. Mon Allemande n’était pas de la partie pour la pièce de
théâtre. Par contre, elle a hâte d’entendre ce que j’ai à dire sur Fragments
de mensonges inutiles.
— « Mist ! Ton professeur t’a obligée à voir cette pièce ? »
Je lui explique que Michel Tremblay met en scène les différentes réactions
des membres d’une famille de 1950 et d’une autre de 2009, et montre la
manière dont deux garçons vivent leur homosexualité. L’idée générale, elle
l’aime. Par contre, elle ne sait pas si elle doit être emballée ou bien outrée
par ma description de la première scène et de la dernière. Plus je lui raconte
le déroulement de LA scène, plus ses joues deviennent rouges.
— « Deine Lehrerin haben euch wirklich gezwungen ein Theater zu spielen !
— Bien sûr que ma professeure nous a envoyés voir cette pièce.
— Dans ma ville, en Allemagne, plusieurs sujets sont tabous contrairement
à vous à Montréal, qui avez l’air beaucoup plus offen, et jamais la pièce
n’aurait été au programme scolaire.
— ...
— Je ne comprends toujours pas que votre PROFESSEURE vous ait envoyés
à cette pièce ! »
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Nicoletta da Silva
Éducation à l’enfance
L’homme d’affaires
Jeudi matin. Je descends de l’auto en courant pour prendre le train de 9 h.
J’arrive précipitamment et je m’étale de tout mon long sur un des sièges.
Je reprends mon souffle, et regarde mon compagnon de voyage assis de
biais à moi, dos au sens du trajet du train. (J’ai toujours détesté m’asseoir
dans le sens opposé à celui de la marche d’un autobus ou d’un train. Il
faut dire que j’ai le cœur très sensible.) L’homme dans la trentaine sort son
ordinateur portable. Habituellement, je regarde le paysage ou je dors, mais
ce passager m’intrigue. Il écrit frénétiquement, avec sérieux, semblable à
un homme d’affaires, tout en consultant son cellulaire hyper sophistiqué
toutes les deux secondes. Il m’impressionne beaucoup.
Quelques heures plus tard, en envoyant un message texte à mon petit ami
pour l’inviter à m’accompagner à la pièce Fragments de mensonges inutiles de Michel Tremblay, je me rappelle l’homme sérieux et son ordinateur
portable. Je repense à une émission que j’ai vue la veille : un homme faisait
croire à sa femme, depuis un mois, qu’il allait au travail tous les jours comme
agent immobilier, alors qu’il avait été renvoyé. Il partait endimanché lui aussi :
costume-cravate, ordinateur et cellulaire hyper sophistiqué. L’inconnu du
train, qui m’a tant intrigué, devient alors tout à fait banal. Quelqu’un qui
n’est peut-être qu’une apparence après tout.
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Mélanie Di Cesare
Intervention en loisir
Attente
Ça fait quinze minutes qu’elle attend en ligne pour ses billets. Elle essaie
de compter le nombre d’étudiants qui reste devant elle, mais la file est
tellement longue qu’elle n’en voit plus la fin. Elle ne peut pas se permettre
de partir, par découragement, encore une fois, comme le jour précédent.
Elle regarde la centaine de petits trucs à vendre qui l’entourent et il lui
prend soudainement l’envie d’acheter quelque chose. Coffres à crayons
en matériaux recyclés, sacs à dos en matériaux recyclés, portefeuilles en
matériaux recyclés.
— « Vous pouvez passer ici ! lui lance la dame au comptoir.
— Je voudrais deux billets pour la pièce de théâtre Fragments de mensonges inutiles de Michel Tremblay.
— Désolée, il ne reste plus de billets depuis hier après-midi. Mardi prochain,
nous en aurons d’autres. »
Elle est soulagée, car elle n’a pas du tout envie de se rendre au théâtre
pour acheter des billets. Mardi prochain, elle fera partie de cette belle file
d’attente au magasin scolaire, encore une fois !
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Gustave Dufresne
Leadership (sciences humaines)
L’entrée des artistes
Le jeune homme se dirige vers la station BIXI la plus proche, y insère sa clé, puis pédale en direction du centre-ville. Alors que les voitures
passent bien près de lui sur la rue, une question le tracasse : était-ce le bon
choix de laisser sa blonde pour la soirée, elle qui n’avait pas de billet, pour
assister aux Fragments de mensonges inutiles de Michel Tremblay ? L’effort
mental généré par cette question est cependant brusquement interrompu
alors qu’arrivé au coin de Sainte-Catherine et Saint-Urbain, il se débarrasse
de son vélo.
Il cherche l’entrée du théâtre et aperçoit un minuscule écriteau
indiquant le Théâtre Jean-Duceppe. Il en déduit que les spectateurs de
ce genre de spectacle doivent être des habitués qui connaissent la Place
des Arts comme le fond de leurs poches. Tout confiant, sûr de lui, il marche
dans un couloir tout blanc qu’il juge beaucoup trop petit pour accueillir
une foule de spectateurs, un couloir plutôt vide. Un déclic se fait soudain
dans l’esprit du jeune homme. Il comprend qu’il a pris l’entrée des artistes.
Il prend ses jambes à son cou, remonte le couloir, débouche à l’extérieur,
sur le coin de rue un peu moins clair qu’il y a dix minutes, fait le tour du
théâtre pour enfin trouver le bon chemin.
Il rencontre ses amis, avec lesquels il s’assoit. Pensant à sa mésaventure, il se sent beaucoup mieux du côté des spectateurs que de celui
des artistes.
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Geneviève Fournier
Histoire et civilisation
Angoisse
Elle aurait dû être arrivée depuis maintenant plus de 20 minutes. Ce n’était
pas normal, elle aurait appelé si elle avait voulu annuler. Cela faisait plus
d’une semaine que j’attendais avec impatience d’assister à la pièce Fragments de mensonges inutiles pour mon cours de français. C’était une activité obligatoire, certes, mais ça ne me déplaisait pas le moins du monde.
J’adore le théâtre. Mais maintenant, j’avais terriblement peur de ne jamais
pouvoir m’y rendre. Ma copine Émilie avait accepté, quelques jours plus
tôt, de m’accompagner pour cette sortie et avait même proposé de nous y
conduire avec sa voiture. Sur le coup, j’avais été charmée par l’idée, mais,
maintenant, je ne l’étais plus du tout. Devant la porte de mon appartement,
je faisais les cent pas.
Incapable de rester inactive, je décidai de me rendre au théâtre en métro.
Tant pis si elle ne venait pas, je devais penser à moi avant tout. Mais à
l’instant où j’allais pousser la porte de la station, je fus prise de remords.
Après tout, c’est moi qui avais insisté pour qu’elle vienne et j’allais la laisser
tomber comme ça, sous prétexte qu’elle était un peu en retard ? Ce n’était
pas très aimable de ma part. Après quelques hésitations, je sortis mon
portable et composai le numéro. « Émilie ! T’es où ? » Une voix rassurante
fusa du combiné. « J’suis proche de chez vous là, inquiète-toi pas, on sera
pas en retard. » Je raccrochai et poussai un soupir de soulagement. J’avais
évité le pire.
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Camille-Évangéline Gendron
Langues
Couleur peau sur fond noir
Les lumières du Théâtre Jean-Duceppe s’éteignirent, en même temps que
les discussions dans la salle. Je pris une grande inspiration, et comptai
dans ma tête. Ma mère m’avait bien avertie : au début, je devais fermer mes
yeux, et les ouvrir une fois que j’entendrais les gens parler. Elle avait bien
ri en me l’annonçant ; c’est toujours un sujet de rigolade dans la famille. Je
fermai donc les yeux pour le plus grand amusement des gens autour de moi :
peut-être même qu’une ou deux personnes s’indignèrent. L’anxiété montait
en moi, entourée comme je l’étais d’inconnus — l’attente avant d’entrer dans
la salle m’avait déjà été presque fatale —, sachant bien ce qui m’attendait
si j’ouvrais les yeux. Je pouvais entendre mon sang battre contre mes tempes et, après quelques instants qui me semblèrent des heures, j’entendis
les premiers murmures dans la salle. J’ouvris mes yeux, avide de voir ce
qu’il se passait sur scène. Je les refermai immédiatement, mais pas assez
rapidement pour que l’image de ce que je venais de voir ne reste dans ma
tête. Horreur ! Ce que j’essayais tant d’éviter, je l’avais entrevu. La couleur
peau, qui me révulse et me trouble, s’était imprégnée dans ma rétine, se
projetant mille fois contre le rideau noir de mes paupières.
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Clément Guillou
Informatique
Il fait beau là-haut
Je cherche ma place et je m’assois. Une place inconfortable, complètement
sur le bord de l’allée, à l’avant-dernière rangée. Une place où l’on doit plier
les jambes une bonne cinquantaine de fois afin de laisser passer les gens
dont les sièges se trouvent au centre. Une fois tout le monde installé, et
n’ayant plus de gymnastique à faire, je me calle convenablement dans mon
fauteuil. Je pense pouvoir regarder la pièce tranquillement. Erreur de ma
part : deux têtes obstruent partiellement ma vue de la scène. Je cherche
un angle de vision dans cet amas de cheveux : impossible. Comme si cela
ne suffisait pas, une odeur forte de parfum parvient jusqu’à moi, une odeur
qui monte à la tête et me donne rapidement une migraine atroce. Avant
de faire un malaise, je décide d’aller me poster sur une des marches de
l’escalier, certes moins confortable que les sièges rouges de la salle du
Théâtre Jean-Duceppe, mais d’où j’espère voir la scène et où l’air sera
sain et respirable. Mais la spectatrice aux cheveux ébouriffés me cache de
nouveau la vue. Je monte sur la plus haute marche de la salle. Ce coup-ci,
rien ne pourra plus me gêner. Je peux enfin regarder la pièce, qui, elle, est
déjà commencée.
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Andréanne Hamel-Lachance
Architecture
Ma voisine
17 septembre 2009, au Théâtre Jean-Duceppe, à une heure incertaine.
Assise depuis un moment dans la salle de spectacle bondée, je vois approcher une femme qui s’installe à ma droite beaucoup trop lentement à
mon goût. Elle a l’air gauche, masculin, et elle tousse.
Elle tousse. Ça passe une ou deux fois, mais je me rends vite compte que
cela ne s’arrêtera pas. Je suis déjà irritée et la pièce Fragments de mensonges inutiles n’est même pas commencée. Le temps avance et c’est
encore pire. Elle est fébrile. Elle tousse toujours, passe des commentaires
à faible voix, mais juste assez audibles pour que je puisse les discerner.
Elle gesticule sur son siège et elle m’accroche les jambes toutes les deux
secondes. J’ai donc vraiment envie de la frapper.
Vers la moitié de la pièce, elle marmonne une excuse incompréhensible. Je
hausse les épaules, découragée. Je me sens extrêmement mal à l’aise pour
le reste des gens qui doivent être aussi ennuyés que moi. Elle ne semble
même pas avoir une once de remords ni avoir compris qu’il est très impoli
de perturber la salle et les comédiens.
17 septembre 2009, au Théâtre Jean-Duceppe, un peu plus tard. Ma voisine
a finalement gagné le prix de la pire spectatrice de théâtre de ma vie.
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Corinne Hays
Questions internationales
Du poisson au théâtre
Corinne arrive au Théâtre Jean-Duceppe pour voir la pièce Fragment de
mensonges inutiles de Michel Tremblay. Malgré la salle bondée, l’atmosphère est calme et silencieuse. Elle se pose sur son siège et regarde une
personne au visage familier qui s’installe à la place libre en avant d’elle.
Corinne reconnaît Éric Salvail, l’animateur de télévision. Plusieurs personnes l’identifient aussi et semblent excitées par sa présence. Ses voisins de
gauche chuchotent en regardant la vedette. Le temps passe et le calme
revient.
Toutefois, les deux voisins ne cessent de rire et de chuchoter. L’un d’eux se
pince le nez avec un rire sournois. Corinne ne sent pourtant rien. Elle regarde
autour d’elle ; personne ne semble sentir cette odeur étrange, seulement
ses voisins. Une panique s’empare de Corinne. A-t-elle oublié de se mettre
du déodorant ? A-t-elle mauvaise haleine ? Elle décide de chercher dans sa
sacoche pour trouver son paquet de gomme à la menthe.
Alors qu’elle sort la gomme de son sac, elle aperçoit Éric Salvail qui la regarde intensément. Va-t-il m’ordonner de sortir du théâtre à cause de mon
odeur, se dit-elle accablée ?
— « Excuse-moi, j’aurais quelque chose à vous demander.
— Oui, répond Corinne.
— Est-ce que je pourrais avoir une gomme ? Mon ami a mangé dans un
restaurant asiatique et il a une haleine de poisson ? »
Corinne et ses voisins n’ont pas pu s’empêcher d’éclater de rire. Soulagée,
Corinne lui offre la dernière gomme de son paquet.
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Étienne Houle
Questions internationales
Errer
Steve-Jed est un ahuri. Un ahuri qui n’a pas de montre. Il n’a pas de montre et arrive à n’importe quelle heure à ses rendez-vous. Il arrive même au
théâtre en retard à l’occasion. Steve-Jed déambule quand il ne sait pas quoi
faire ou quand il est en avance au théâtre. Cet ahuri a des amis et il aime
fumer une cigarette en leur compagnie, le cul sur une marche. Ce soir-là,
il rencontra des marches et des amis, et ils eurent des aventures. SteveJed est un aventurier, mais ses aventures sont ennuyantes. Ce soir-là, il fut
question de sexe et de violence, mais Steve-Jed préfère ne pas y penser.
Il préfère penser au bruit gris métallique et redondant d’une poubelle roulant
au milieu de Sainte-Catherine, poussée par le vent. Il se rappelle son reflet
d’imbécile heureux entraperçu furtivement dans la vitre d’une voiture. Il se
souvient de gens pressés et graves qui le bousculèrent pour aller remplir
de toute urgence des formulaires importants. Il se remémore cette pièce à
laquelle il s’est rendu, après avoir erré, et dont il ne se souvient plus d’un mot
ni d’un rythme. Aux couleurs de la nuit et de sa nuit plutôt qu’à ces aventures
qui ne durèrent que le temps d’un présent passé il préfère penser.
À chaque pensée, une bouffée. Le blanc du jour s’est consumé, et les reflets jaunes du réverbère sur l’asphalte mat entrent en scène. Le temps a
passé, les amis sont là, il est temps d’y aller. D’un coup d’index, Steve-Jed
envoie rouler sa cigarette dans la bouche béante de l’égout et souffle la
fumée une dernière fois avant d’avaler la réalité. C’est l’heure. L’heure de
quoi ? On s’en fout, il faut y aller.
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Véronique Jarry
Éducation spécialisée
Course contre la montre
Le repas
Elle attend et attend toujours que son copain rentre du boulot à six heures
quinze. La sueur coule sur son front. Son macaroni est prêt, les assiettes
sont chaudes, et ils doivent partir à sept heures pour le Théâtre Jean-Ducceppe.
Le départ
Sept heures sonnent. Ils montent dans la voiture, roulent en direction du
métro Longueuil et attrapent un train de justesse. Une fois rendus à Montréal,
ils cherchent le théâtre. « Mission impossible », pense Véronique, surtout
avec un copain qui n’a aucun sens de l’orientation.
L’inquiétude
Elle accoste un monsieur qui lui pointe vaguement une direction. Plus loin,
ils décident, au hasard, de prendre à gauche. Stressée, elle respire aussi
vite qu’ils marchent. Ce n’est pas du tout le temps de se perdre ! Véronique
aperçoit une carte des environs sous plexiglas. Son amoureux pointe un
établissement avec une entrée démolie qui n’a pas du tout l’air d’un théâtre.
Elle l’ignore et vérifie sur la carte.
Le sportif de la classe
Elle remarque le sportif de sa classe de français. Véronique et son amoureux décident de le suivre. Ils entrent hâtivement dans le drôle de bâtiment
qui a l’air désaffecté : son copain avait raison ! Ils trouvent finalement leurs
places et les lumières se tamisent. La pièce Fragment de mensonges inutiles commence !
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Gabrielle Landry
Regards sur la personne
Inquiétude
Comme Alice et moi venons toutes deux de la Rive-Sud et que nous sommes plus ou moins à l’aise dans la ville mouvementée qu’est Montréal, nous
avons préféré nous rendre ensemble au Théâtre Jean-Duceppe. Nous nous
sommes retrouvées à la station de métro Berri-UQAM vers dix-neuf heures
quinze et, quelques minutes plus tard, nous sommes descendues à la station
Place-des-Arts ; un grand couloir très éclairé nous a accueillies.
Était-ce le bon chemin ? Aucune de nous ne le savait vraiment. Nous
marchions droit devant, mais il n’y avait pas d’indication, pas de nom de
théâtre, pas même d’affiche à propos de la pièce, rien. Une inquiétude
nous a soudainement envahies. « Quelle heure est-il ? » m’a demandé Alice.
Je lui ai répondu, avec une voix plutôt tremblante, qu’il était sept heures
quarante-cinq. Nous avons poursuivi notre marche jusqu’à une porte qui
nous a menées à l’extérieur !
Il ne restait que dix minutes avant le début de la représentation et la rue était
complètement déserte ! Prises de panique, nous nous sommes retournées
simultanément. Soulagement ! Nous avons lu sur un écriteau accroché au
mur : Théâtre Jean-Duceppe, 175, rue Sainte-Catherine Ouest.
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Billie La Roche
Arts plastiques
Un drôle d’itinéraire
Je ne vais pas souvent au métro Place-des-Arts, je ne connais pas très bien
le coin. En plus, je n’ai aucun sens de l’orientation. Je me suis donc tracé
un plan sur papier pour me rendre au Théâtre Jean-Duceppe, à l’aide de
diverses cartes trouvées sur l’internet, et j’ai vérifié les horaires de métro et
d’autobus afin d’être à l’heure. Lorsque j’ai montré mon itinéraire à ma mère,
fière de m’être organisée, elle a tout de suite eu une réaction de surprise.
J’ai compris que j’avais tout faux : mon plan n’était pas bon. J’étais découragée. J’avais peur de me perdre et d’être en retard et je déteste être en
retard. Ma mère tenta de m’expliquer le chemin, mais cela ne donnait rien.
Je paniquais. Elle a finalement décidé de venir me reconduire.
Je suis arrivée très à l’avance pour la pièce Fragments de mensonges
inutiles, et j’ai lu mon livre en attendant l’ouverture des portes.
24
Audrey Lefebvre
Gestion de commerces
L’escalier
Enfin, je descends les grands escaliers couverts de tapis rouge. De là-haut,
j’ai une vue panoramique sur tout le foyer du théâtre. Ça commence très
mal : un grand hall entièrement tapissé de rouge. Je ne peux m’empêcher,
car cela semble beaucoup trop sérieux à mon goût, de me laisser prendre
à certains préjugés. Je ne vois que des adultes bien habillés qui discutent
des dernières pièces de théâtre qu’ils ont vues, du manteau en fourrure
véritable acheté la veille, ou encore de leur manoir en construction. Tout
cela, en buvant du champagne à 800 $ la bouteille, non sans lever le petit
doigt. En fait, ce sont peut-être les idées de Michel Tremblay – qui comparait
la classe des riches, bourgeois, à l’aise au théâtre à celle des pauvres, qui
s’y sentent incultes et égarés – qui m’ont dressé un faux portrait de ce qui
se trouve devant moi.
En tentant de chasser ces idées loufoques, je me rends compte que je suis
rendue à la moitié des escaliers. Les visages me semblent de plus en plus
familiers. Contrairement à ce que je voyais depuis le haut des marches,
il y a beaucoup de jeunes, l’air aussi perdu que moi. Des gars avec les
culottes aux genoux, les écouteurs sur les oreilles, la musique tellement
forte qu’on peut deviner ce qu’ils écoutent. Une légère odeur de pot. Des
filles qui sentent le parfum à plein nez avec leurs jeans trop serrés, riant
trop fort, afin d’attirer l’attention du garçon d’à côté.
Je me dirige vers l’entrée de la salle, rêveuse.
25
Alice Livadaru
Regards sur la personne
Souvenirs d’enfance
Petite, j’ai souvent été traînée dans les grands théâtres par une grand-mère
animée de bonnes intentions. Ces sorties ont toujours constitué un véritable
supplice pour l’enfant de cinq ou six ans que j’étais et qui devait rester assise
pendant des heures et « apprécier » Le malade imaginaire ou Le comte de
Monte-Cristo. La tête pleine de souvenirs, je remâche cette vieille rancune
alors que j’arrive au Théâtre Jean-Duceppe, où je vais voir Fragments de
mensonges inutiles. J’entre dans la salle et je regarde autour de moi.
J’ai à nouveau cinq ans, ma grand-mère me tient solidement par la main et
m’amène vers les premières rangées. Elle me présente à ses amies, des
femmes élégantes, dans la soixantaine, qui s’accrochent fièrement au bras
de leurs maris tirés à quatre épingles. Ces mondains regardent tous les
autres spectateurs d’un air hautain et, moi, à leurs yeux, je suis une petite
chose insignifiante et agaçante.
Je suis tirée de ma rêverie par des éclats de voix. Je vais m’asseoir avec
mes copains, dans la dernière rangée, parmi des jeunes nonchalants, sympathiques. Je regarde, plus bas, le monde auquel appartenait ma grandmère et, devant eux, une grande scène. Une fillette tente d’y monter, malgré
les protestations de sa grand-mère. Avec un sourire en coin, je m’installe
confortablement dans mon siège, en me disant qu’il serait temps que je
fasse la paix avec le théâtre. Et que j’aille rendre visite à ma grand-mère.
26
Andréanne Ouimet
Techniques d’éducation spécialisée
Pour une bonne cause
Le mensonge
Je me dirige vers le magasin et j’appelle mon amoureux pour qu’il m’accompagne à la pièce de théâtre. Il n’aime pas particulièrement ce genre
de sortie et, comme j’ai peur que le sujet ne l’intéresse pas, je décide de
trafiquer la vérité.
— « Jacob, tu vas voir, ça va être intéressant ! C’est l’histoire d’adolescents
pris dans le mensonge à cause de la drogue et l’alcool. »
Avec mes talents d’actrice, je le convaincs et j’achète nos billets.
La surprise
Quelques minutes après que nous nous soyons installés confortablement
dans nos sièges, les lumières s’éteignent. La musique est mystérieuse, le
décor impressionnant dans sa simplicité, et une ambiance agréable règne
dans la salle. À ma plus grande surprise, et surtout celle de mon amoureux,
la première scène est explicite et longue : Manu et Jean-Marc, les deux
personnages principaux, se tiennent nus au milieu des autres acteurs et
s’embrassent tendrement. Je n’ose pas regarder mon compagnon assis à
ma droite. Quelques minutes plus tard, je lui jette tout de même un coup
d’œil pour constater qu’il me fixe avec un sourire en coin. Il va sûrement
me faire payer ma petite attrape.
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Émilie Pellerin
Design de présentation
La discussion
De retour à la maison, après être allée voir Fragments de mensonges
inutiles de Michel Tremblay, elle se couche tout en pensant à cette pièce
remplie d’émotions. Le lendemain, son réveil sonne, et elle se rend à son
travail. À l’heure de sa pause, elle ouvre son cahier de bord et commence
à y écrire ses réflexions sur la pièce. Cinq minutes plus tard, son employeur, qui est aussi son ami, s’assoit près d’elle et lui demande sur quoi
elle travaille. Elle lui montre le programme de la pièce et, pendant environ
trente minutes, elle lui raconte tout : les décors, la musique qui nous met
en contexte, les personnages et leurs caractéristiques, les éclairages, les
projections originales, le jeu incroyable des acteurs, les sujets abordés
qui sont généralement peu traités, la scénographie, et plus encore. Son
employeur la regarde attentivement tout au long de son explication sans
l’interrompre. À la fin, il lui demande où et quand il pourrait aller voir cette
pièce. Ce qu’elle lui a raconté l’a beaucoup touché puisqu’il a, lui aussi,
vécu une situation semblable en avouant son homosexualité à ses parents.
Elle pense qu’ils pourront vraiment en rediscuter quand il aura assisté lui
aussi à une représentation.
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Vincent Plourde-Lavoie
Communication
De la perte de temps
« Une heure à l’avance ? Et merde, encore du temps perdu... » Contrarié,
il sortit pour prendre l’air et attendre le début de la représentation sur l’esplanade de la Place des Arts où il s’assit. Le soleil tirait sa révérence, et la
ville était belle ce soir-là. Une foule de personnes défilait : des touristes à
l’air perdu, des vieillards coquets venant assister à un concert, des itinérants en quête d’on-ne-sait-trop-quoi et toute une panoplie d’hurluberlus
éberlués. Les édifices scintillaient dans la nuit naissante et les dernières
chaleurs de l’été rendaient l’air lourd et humide. Toute cette agitation dans
la cité le rendait mélancolique et rêveur.
Soudainement, un bruit sur sa droite le tira de sa rêverie. Il crut qu’il s’agissait d’un passant, mais il ne vit personne aux alentours. Il était seul, mais
pas fou pour autant, il ne pouvait pas avoir imaginé ce son. Il aperçut alors,
en dessous des escaliers, une petite créature qui bougeait légèrement le
bout de son nez. C’était une souris, une minuscule souris ! Elle s’extirpa
de son refuge, puis s’avança précautionneusement, à l’affût du moindre
mouvement ou son menaçant. Peu à peu, d’autres petits rongeurs sortirent
pour se diriger vers un morceau de biscuit abandonné sur le sol.
Une foule d’idées se bousculèrent alors dans sa tête, allant de la fragilité
de la vie au cœur de la cité monstrueuse à la beauté subtile et inattendue
dans un lieu si austère et inhumain. Toutes ces réflexions lui firent oublier
qu’il devait aller voir la pièce de Michel Tremblay. Il s’y rendit avec cinq
minutes de retard.
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Cynthia Ranger-André
Regards sur la personne
Le naufragé de la Sainte-Catherine
Assis dans un wagon du métro, tu dévores Volkswagen blues de Jacques
Poulin avec une avidité que tu ne te connaissais pas. Tu bois les mots de
Poulin comme un assoiffé et tu oublies tout ce qui se trouve autour de toi :
les quelques passagers, leurs regards vides et leurs bâillements. Seuls
la Grande Sauterelle et Jack semblent réels. Le roulis du métro te berce
doucement et t’apaise. Tu es fiévreux, mais tu dois assister à la nouvelle
pièce de Michel Tremblay au Théâtre Jean-Duceppe.
La voix familière de la STM te ramène à toi. Tu sors du métro et tu marches
à la recherche d’un chocolat chaud. Tu es à moins d’un mètre d’un café
lorsque tu t’arrêtes, foudroyé. Par terre, au coin de Sainte-Catherine et d’une
rue pour toujours anonyme, seul parmi une foule d’inconnus indifférents,
un jeune homme est accroupi et tremble. Tu es assez près de lui pour l’entendre murmurer des bribes de phrases à peine audibles. Sous le choc,
tu oublies ton virus, tu oublies Jacques Poulin et ses mots envoûtants, tu
oublies même ce que tu fais si loin de chez toi.
Personne ne s’arrête pour l’aider malgré sa détresse évidente. Personne
n’ose poser les yeux sur lui. Et toi, toi, qui t’estimais si compatissant, tu sors
de ta léthargie, tu marches en automate, le regard rivé à tes chaussures, et
tu entres dans le café en tâchant de graver dans ta mémoire la honte qui
te chavire comme un fragment des mensonges inutiles.
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Julie Savard
Graphiste
Solitude
Je n’aime pas le théâtre et je dois assister à la pièce de Michel Tremblay.
J’émerge du métro et je n’ai aucune idée où se trouve le théâtre. Je vais
en direction de la Place des Arts d’où je suis des flèches qui m’indiquent
la salle. Une fois arrivée, je sors mon billet et je le présente à la dame aux
portes.
J’observe les gens bien habillés. Je suis en coton ouaté avec des jeans.
J’ai un soupçon de remords. J’attends, seule dans ma petite bulle, retirée
du monde, dans une sorte d’isolement. Le théâtre m’éloigne de la réalité,
je me sens de plus en plus angoissée.
Les portes s’ouvrent.
Je n’aime pas le théâtre à cause de la noirceur dans la salle, mais aussi
dans ma tête.
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Valérie Signoret Gagné
Architecture
L’inauguration
Aujourd’hui, à la Place des Arts, j’ai vu ma première pièce de théâtre en
plein centre-ville de Montréal : Fragments de mensonges inutiles.
Durant plus d’une heure et demie, je suis restée abasourdie, car jamais
je n’avais vu une pièce comme celle-là. L’histoire se centrait sur l’amour
de deux adolescents et sur les réactions de leur entourage face à ça. Je
n’avais jamais vu deux hommes s’embrasser devant moi.
Lorsque je suis sortie de la salle, mes amis m’attendaient devant la porte.
La soirée se continua dans un endroit totalement nouveau pour moi :
la Distillerie, située juste en face du cégep du Vieux Montréal. Je suis
entrée dans ce bar, je me sentais un peu perturbée. Il y avait beaucoup
de bruit et d’action autour de moi et je revenais d’un endroit calme. Les
deux ambiances me semblaient en opposition. Par contre, il y avait un
point commun : deux hommes étaient assis juste à côté de nous et ils se
caressaient et s’embrassaient comme dans la pièce de théâtre. Cette fois,
c’était la réalité.
Cette soirée a été particulièrement impressionnante. Je venais de découvrir
beaucoup de choses. Ce fut une soirée inoubliable.
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Alexandra Simard
Soins infirmiers
Mon monstre nocturne
Un bruit me réveille, je sursaute. J’ai un rhume et il n’y a plus de papiermouchoir ; c’est très frustrant. Je dois me lever pour aller en chercher. Je
descends les escaliers dans la pénombre. Sur la dernière marche, un objet
lisse et plat me fait trébucher : ma crinière dorée percute le sol et mon nez
coule. Je me demande ce qui a pu me faire dégringoler dans les escaliers
en pleine nuit. Le corps un peu mal au point, le crâne en feu, j’ouvre la
lumière. Je saisis la chose entre mes mains : un peu aveugle sans mes
lunettes, je la regarde. Ô ennemie nocturne, monstre glissant ! Ce sont des
feuilles : les consignes d’un atelier de rédaction entourant une sortie au
Théâtre Jean Duceppe, annexée à la fiche biographique de Michel Tremblay, l’auteur de la pièce Fragments de mensonges inutiles, que je verrai
ce soir. Encore une nuit blanche !
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Virginie St-Jacques
Graphisme
Quelle soirée !
J’ai peur, j’ai vraiment peur. Tout est rassemblé pour que j’arrive en retard
au théâtre. Que va-t-il se passer ? Vont-ils nous laisser entrer ? Si je manque la représentation, qu’est-ce que je vais bien pouvoir inventer comme
excuse à ma professeure ? Et ma cousine prend tout son temps pour se
préparer. Enfin, nous partons. Peut-être aurons-nous assez de temps pour
nous rendre ? Je ne trouve pas le métro, on n’y arrivera pas. J’ai chaud, je
panique. Pourquoi faut-il aller voir cette pièce de théâtre ? L’heure avance,
mais, moi, je recule. Ils ne nous laisseront jamais entrer et ils vont nous
traiter de retardataires. Je vais échouer à mon cours de français, j’en suis
certaine. Le métro est lent, on n’y arrivera jamais. Enfin, on sort du métro,
on marche le plus vite qu’on peut ; on ne trouve pas le théâtre. Je vais tout
rater. Pourquoi moi ? Je déteste le théâtre, c’est décidé, je ne veux plus y
aller. On trouve la salle. On est en avance. Je m’assois à mon siège et je
me mets à rire.
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Joanie Trudel
Arts plastiques
Ma sortie au théâtre
19 h 50. Je sors du métro Place-des-Arts en trombe puisque je n’ai que dix
minutes pour atteindre le Théâtre Jean-Duceppe. Panique avec un grand P.
Je me dirige vers le complexe Desjardins et je m’aperçois que RIEN n’est
comme dans mon souvenir, moi qui pourtant suis allée si souvent au Musée
d’art contemporain. Je me retrouve devant un énorme mur jaune vif que je
n’avais jamais vu. La Place des Arts, ce simple bloc où il est pratiquement
impossible de se perdre, était devenue un véritable dédale. Tourne à gauche, tourne à droite, et puis encore à gauche.
19 h 53. Après ce qui m’a paru une éternité, j’arrive devant le MAC. Enfin
quelque chose que je reconnais. Un peu plus loin, une entrée avec un tapis
rouge, des cordons de velours et un préposé avec un joli nœud papillon.
Je lui demande si c’est le Théâtre Jean-Duceppe, il me répond que non,
me sourit, et pointe une entrée sur sa gauche. Je lève les yeux et je peux
lire, au dessus de la porte, en grosses lettres blanches lumineuses sur fond
noir, « Théâtre Jean-Duceppe ». J’ai vraiment l’air d’une pauvre touriste
complètement perdue.
19 h 59. J’arrive finalement à bon port. Je prends place dans mon siège,
prête à être émerveillée par la pièce qui va commencer. Ma soirée au
théâtre a commencé par une course folle à travers le Complexe Desjardins.
Espérons que le retour sera moins éprouvant !
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