Dossier spécial
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CELLULE ET CELLULAIRE
Médecine et smartphone
« L e bon traitement, le bon médicament à la bonne
personne, au bon moment », voilà ce que nous réserve
la médecine de demain pour une efficacité mieux ciblée
obtenue par la meilleure connaissance des caractéris-
tiques de l’individu. Eclairages.
« Vers une
médecine
de plus en plus
« digitalisée »
gnostic qu’en matière de choix du traite-
ment le plus adéquat. L’interaction entre
la médecine et la bioinformatique dessine
déjà les contours de la médecine de de-
main.
Les exemples suivants illustrent bien cette
tendance. Il a fallu treize années et des
milliards de dollars pour réaliser le pre-
mier décodage (ou lecture)
du génome humain. La même
opération ne demande au-
jourd’hui que quelques jours
et moins de 3 000 CHF. Les
coûts continuant à chuter, une
telle opération sera bientôt
abordable et donc largement
pratiquée. Encore faudra-t-il
savoir interpréter les dones ainsi obte-
nues et expliquer leurs conséquences aux
patients et à leurs familles. Un véritable
défi que notre société se doit de surmonter.
Autre exemple, une grande partie de la po-
pulation mondiale possède aujourd’hui un
smartphone (apparemment les téléphones
portables seraient me plus répandus
que les brosses à dents). De plus en plus
performants, ces appareils sont en train de
devenir de véritables gadgets médicaux à
la pore de tous. Les professionnels de la
santé peuvent déjà suivre en continu, via le
« cloud », de nombreux paratres médi-
caux. Les individus qui le sirent pour-
ront bientôt participer à cette évaluation
en recueillant eux-mêmes leurs dones.
Outre la génétique et la pharmacogéné-
tique, le microbiome est un autre bon
exemple. Il représente la centaine de mil-
liards de bactéries qui vivent avec nous, en
nous et qui varient d’un individu à l’autre.
Les médecins examinent aujourd’hui les
microbes dans le cas de maladies spéci-
fiques comme la septicémie (infection de
l’ensemble de l’organisme), mais l’analyse
du microbiome n’est pas encore intégré
dans le diagnostic et la prise en charge de
pathologies telles que l’obésité, la sclérose
en plaques ou certains cancers, alors qu’on
subodore qu’il pourrait y jouer un rôle
important. Or l’examen du microbiome né-
cessite lui aussi l’analyse et l’interprétation
de giga-dones.
Il n’est pas difcile d’imaginer de quoi
demain sera fait : lorsque nous saurons ›››
Nadine Reichenthal (NR) : La presse
parle de plus en plus de médecine pré-
dictive, qu’en est-il exactement ?
Jacques Beckmann (JB) :
Je préfère que
l’on parle de médecine personnalisée ou
de decine de précision. Le terme de
médecine prédictive implique une sorte
de déterminisme qui ne me
semble pas compatible avec
nos connaissances actuelles
ou les aléas de la vie. Grâce
aux récents développements
technologiques, aux nouveaux
outils d’analyse et à l’implica-
tion directe des patients, nous
sommes à la veille d’une révo-
lution qui va transformer la decine, la
rendant à la fois plus personnalisée et plus
efcace.
La médecine personnalisée consiste à
adapter un traitement dical en fonc-
tion des caractéristiques individuelles
d’un patient le bon traitement, le bon
médicament, à la bonne personne, au bon
moment »). Personnalisation ne veut pas
dire que des médicaments sont créés pour
un seul patient. Cela traduit plutôt le fait
de pouvoir identifier chez les individus des
prédispositions à certaines maladies ainsi
que leur capacité à répondre favorable-
ment ou non à un traitement particulier.
Un tel classement peut aider le praticien à
adapter des mesures préventives ou t-
rapeutiques à des patients qui peuvent en
bénéficier et non à des patients qui pour-
raient ne pas en tirer profit ou pire aux-
quels cela pourrait porter préjudice sur
le plan santé. Ces enjeux humains (prise
en compte des complications et sagré-
ments personnels) sont en plus doublés
d’enjeux économiques (coûts des traite-
ments/médicaments et coûts associés aux
effets secondaires).
Nous vivons dans une période aux poten-
tialités multiples. De nouvelles technolo-
gies à haut débit qui permettent la produc-
tion d’une masse vertigineuse de dones
sur les patients émergent à tous moments.
Ces facteurs favorisent une transition
vers une decine de plus en plus « digi-
talisée ». L’interprétation de ces données
devient essentielle tant en matière de dia-
Interview de Jacques Beckmann
Chef de projet de Bioinformatique Clinique,
Swiss Institute of Bioinformatics
Par Nadine Reichenthal
Médecine et smartphone
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Dossier spécial
››› quels renseignements tirer de ces don-
nées, nous passerons peuttre des batte-
ries de tests plus conséquentes encore dès
notre arrivée à l’hôpital. Les informations
ainsi générées permettront probablement
de mieux calibrer le diagnostic, le pronos-
tic et la prise en charge de chaque patient.
J’insiste sur le fait que ces informations
ne pourront définir qu’une
tendance et évaluer un risque.
Tout en afnant et optimisant
la prise en charge trapeu-
tique, elles ne pourront proba-
blement que rarement prédire
avec certitude qu’un individu
lambda sera appelé à dévelop-
per une maladie spécifique.
Le médecin de demain disposera d’une
kyrielle de dones à analyser et à prendre
en compte pour nir et adapter à chacun
la réponse optimale : la plus ciblée et donc
la plus sûre et la plus efficace.
NR : Comment toutes ces nouvelles
technologies vont-elles influencer notre
consultation chez notre médecin trai-
tant ?
JB :
Une visite ordinaire chez le médecin
aujourd’hui consiste généralement en une
anamnèse, une auscultation et parfois des
tests biochimiques. Demain, nous dispo-
serons d’informations supplémentaires
issues du monde de la génétique, de la -
nomique et d’autres méthodes émergentes
ainsi que de capteurs qui mesureront en
continu toute une série de paramètres vi-
taux.
La médecine se digitalisera. La quanti
d’informations de plus en plus pointues
dont disposeront les médecins explosera.
A ces données se rajouteront les informa-
tions fournies par les patients qui partici-
peront de plus en plus à la prise en charge
de leur propre santé.
NR : Comment, dans son cabinet, le mé-
decin fera-t-il face ?
JB :
La médecine deviendra plus encore
« pluridisciplinaire ». Ledecin ne pos-
dant pas tout le savoir requis sera contraint
de faire appel à d’autres experts, bioin-
formaticiens, statisticiens, etc. Comme
le médecin d’aujourd’hui qui peut ne pas
être en mesure d’interpréter lui-même un
scanner ou une radio complexe consulte le
rapport transmis par le radiologue pour se
faire une opinion et prendre des décisions,
le médecin de demain fera appel à d’autres
compétences pour analyser, comparer et
interpréter les métadonnées issues des
technologies émergentes.
NR : Vous dites que certaines
technologies sont déjà à
notre portée ?
JB :
Le smartphone peut par
exemple faire passer un élec-
trocardiogramme ou une
échographie cardiaque : une
volution en terme de coût
par rapport aux appareils dédiés existants.
Le smartphone (ou le futur bracelet de
montre) est en passe de devenir un vrai
dispositif médical, un outil comme un
autre pour le decin. Cest aussi un outil
à la portée des patients qui ne se priveront
pas pour l’utiliser. De nouveaux problèmes
émergeront sans doute (sur-information,
sur-surveillance, cyber-hypocondrie, etc.),
conjointement à des avantages indéniables
(avoir un problème de santé en vacances en
Asie, prendre et envoyer ses paramètres à
son médecin à Lausanne, an qu’il envoie
par email la marche à suivre). Difficile de
voir là autre chose qu’un progs.
NR : Un lien possible avec Israël ?
JB :
La population israélienne est parti-
culière dans sa diversité ethnique. Cest
un excellent laboratoire pour étudier les
causes de certaines maladies génétiques.
En outre, Israël est à la pointe dans les do-
maines de la médecine, de lIT et de l’infor-
matique.
La Suisse tout comme Israël sont des socié-
tés dynamiques et catives qui disposent
à la fois de centres d’excellence comme les
universités et les instituts de recherches
et d’un grand nombre de start-up et de
brevets. Un potentiel indéniable pour des
collaborations à venir fructueuses dans le
domaine de la médecine personnalisée.
« Un outil
à la portée des
patients »
Définition
L’European Science Foundation
1
définit
la médecine personnalisée comme une
pratique médicale dont l’individu est le
centre, à la fois précise et adaptée à ses
caractéristiques biologiques (caracté-
ristiques génétiques, taux de protéines,
bio-marqueurs) en tenant compte de la
caractérisation de son mode de vie, ses
habitudes alimentaires. Les chercheurs
se référent à une médecine des « 4 P » :
Personnalisée, au sens du traitement
de la maladie, Préventive, la dimen-
sion de prévention est importante, Pré-
dictive, car l’individu peut recourir à des
tests, Participative, au sens ou l’individu
devient acteur de sa santé
On opère ainsi une distinction entre la
médecine personnalisée et la méde-
cine génomique basée uniquement sur
la personnalisation des traitements à
partir de l’information génétique. On en-
globe d’une part la pharmacogénétique,
le ciblage des traitements, et, d’autre
part, le suivi et l‘analyse des tests -
nétiques, de marqueurs biologiques
de l’état de santé de la personne, pour
identifier des probabilités de dévelop-
per des pathologies, afin de détecter de
futures maladies très en amont des tests
cliniques.
1
Personalized Medicine for the European
Citizen towards more precise medicine for
the diagnosis, treatment and prevention of
disease (iPM).
1 / 2 100%
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